Man of the Story - Adoor Gopalakrishnan (1995)
Je continue l'exploration de la filmographie d'Adoor Gopalakrishnan, avec l'un de ses plus réputés, Man of the story. Ce n'est malheureusement ni le plus captivant, ni le plus simple d'accès. Celui-ci est fortement basé sur l'histoire indienne moderne, environ depuis l'assassinant de Gandhi puis les décennies suivantes. Il me manquait sans doute beaucoup d'éléments pour comprendre clairement les enjeux. Mais il est particulièrement intéressant de suivre la façon dont Gopalakrishnan décide d'aborder le sujet de l'histoire nationale : par la vie quotidienne d'une famille de paysan au cœur de la campagne, plus précisément sur la jeunesse puis vie de jeune adulte de son personnage central, recentrant les enjeux politiques d'une époque par une approche microscopique et intime.
Sapekhuri / The Step - Aleksandre Rekhviashvili, (1985)
Le texte d'Asky m'a donné de suite envie de voir le film, étant friand de cinéma géorgien et ayant envie de leur étrange ambiance caractéristique en ce dimanche matin.
Tout commence avec un nouvel appartement, dont la porte n'existe pourtant qu'à moitié : il a fallu tirer l’armoire pour bloquer un bout de passage restant à jamais ouvert. En ces arrangements approximatifs de surfaces, ces déplacements incongrus et ces porosités (ou manque de porosités) tient, peut-être, tout le film. Il est ici incroyablement question d'espace, surtout d'espaces intérieurs, ou s'agencent des corps (humain ou animaux) et des relations, entourés d'encombrants objets dont on s’accommode plus ou moins bien.
Si la porte de l'appartement principal du film est toujours à moitié ouverte, il ne s'y trouve en revanche pas de fenêtre, permettant de voir le monde environnant. Il y pousse par contre un très grand nombre de magnifiques plantes vertes, parfois petites parfois immenses (on pense immédiatement à Piarosmani du géorgien Giorgi Shengelaia, ou les plantes vertes occupent également une place de choix. Peut-être y a t-il un tropisme géorgien de la plante verte, un symbole caché ?). On y trouve par contre une trappe conduisant à un invisible sous sol ou poussent des champignons que l'on déguste parfois.
Les relations entre les personnages semblent vaines, infructueuses, aussi stériles que l'espace exigu ou elles se logent. On ne fait jamais vraiment connaissance. On s'écoute, au mieux, d'une oreille. La caméra semble bégayer entre les différents plans s'enchainant pourtant logiquement. Les phrases échangées, tout comme les volumes, semblent se répéter jusqu'à l'agonie. A ce titre le bureau du chef de service botanique (ânonnant inlassablement les préceptes administratifs requis) ressemble étrangement à la chambre du héros, qui aurait été simplement redécorée : quand la pauvreté de moyen se transforme en subterfuge renforçant la tétanie ambiante.
Le titre "The step" que l'on pourrait traduire par "la marche (d'escalier)" ou plutôt "l'étape" en français annonçait déjà la couleur : Sapekhuri n'est qu'une antichambre, un purgatoire même peut-être. Ce n'est d'ailleurs que la mort d'un ami proche (mais âgé) qui permettra la libération, conduisant le héros à partir sans crier gare pour aller honorer sa tombe dans un lointain village de montagne. Le film se terminera ainsi sur son seul plan d'extérieur, un corps s'éloignant vers l'inconnu, gravissant un terrain désolé et pierreux. Finalement la vie n'était peut-être pas non plus à l'extérieur... et l'existence ne semblait pas des plus joviales en Géorgie quelques années avant l'écroulement de l'URSS.
L'an 01 - Jacques Doillon
Mockumentaire légendaire, L'an 01 met en question la marche automatique du progrès (technique) face à une supposée quête du bonheur. La proposition est aussi simple qu'essentielle : et si on arrêtait de bosser afin d'avoir le temps de réfléchir à la vie ? Si tout l'esprit politique et goguenard de la fin des 60s/70s prospère ici avec allégresse, la question n'a néanmoins aucunement perdu de sa légitimité, tant le mythe du progrès continu de guider aveuglément nos sociétés.
Le film cherche peut-être également à être fait "autrement" : il n'y a ainsi ni personnages principaux, ni intrigue. Tout au plus une série de "reportages", de discussions et de scènettes plus ou moins réussies et réjouissantes. Le tout fini par trainer un peu en longueur sur la dernière demi-heure, jusqu'à une scène finale faisant apparaitre Coluche et dont l’intérêt n'est que tout relatif. Car si le film se veut "proche du peuple" il n'est néanmoins pas sans céder à une sorte de proto-star system (le casting est absolument sidérant), un choix qui n'est ni anodin ni neutre...