Scream - Matt Bettinelli-Olpin & Tyler Gillett - 2022
Il serait de bon ton de fustiger le film sur le simple fait qu'il est un pur produit de fans boys. De constater combien il est pauvre visuellement, notamment. Ce serait oublié que les suites précédentes, pourtant réalisées par Wes Craven, étaient déjà en-dessous de ce point de vue, ne parvenant jamais à réitérer la puissance visuelle du premier opus.
Ce cinquième opus est à mesurer à l'aune de l'attachement qu'on a aux films précédents, parce qu'il agit dans leur continuité : il y a des références aux quatre films, aux quatre coins du film. Wes Craven n'est plus là mais Kevin Williamson (scénariste du premier, producteur ici), si.
Ce qui était fort dans ces films - quand bien même certaines scènes fonctionnaient encore aussi au premier degré - c'était le discours théorique de plus en plus sophistiqué, la mise en abyme de la mise en abyme (l'ouverture virtuose mais complètement over the top du quatrième volet), la volonté de faire du slasher dans le slasher, avec des personnages conscients d'en faire partie.
Sur ce point là ce cinquième volet rebaptisé Scream (sans le 5) façon requel, comme Stab 8 y est rebaptisé Stab dedans (La franchise à l'intérieur de la franchise), prolonge cette thématique jusqu'au boutiste : La suite n'a de valeur qu'au regard du matériau d'origine.
Ainsi cet opus rejouera une scène d'introduction similaire au premier film sans pour autant négliger la contemporaneité, qui était aussi le sel des suites précédentes, outils technologiques à l'appui ainsi qu'une prise en compte des évolutions du genre, notamment cette vague du "elevated horror". Les personnages ne citent donc plus Halloween, Psychose ou Le bal de l'horreur, mais It follows, Hérédité ou Get out.
Le procédé méta cher à Scream trouve son acmé dans le dernier tiers, quand la nièce de Randy (son pur décalque) regarde le premier Stab comme lui regardait Halloween et la scène est évidemment la même que celle du premier Scream, sur le canapé : elle se retrouve seule comme lui se retrouvait seul, tentant de dialoguer avec le personnage (qui tente de dire à Jamie Lee que Myers est derrière elle) pour lui signaler que le tueur se trouve derrière, tandis qu'il se pointe aussi derrière elle. J'imagine qu'on peut détester ça, moi ça m'a fait la séance.
Tourefois, La plus belle idée du film est d'intégrer cette donnée de "film en forme de requel" dans le choix du lieu, qui sera celui du carnage final : La maison de Stuart Baker, co-auteur des meurtres du premier film. Sur le papier c'est génial, dans l'exécution c'est un peu foiré, faut avouer. Un peu comme les réapparitions de Skeet Ulrich, sous forme de visions assez ridicules.
Mais bon, je suis tellement attaché à la franchise Scream (même si je continue de penser que les suites n'arrivent pas à la cheville de l'original) que celui-ci m'a séduit. Ému aussi par l'hommage qui y est fait à Wes Craven car le film prend le risque d'introduire cet hommage dans le récit, en tuant un personnage du nom de Wes dont une soirée sera faite en son honneur (banderolles "For Wes" à l'appui) dans la maison qui servait de climax dans le dernier tiers du premier film.
Vitalina Varela - Pedro Costa - 2022
Difficile d'imaginer voir ce film autrement qu'en salle, tant c'est un film d'obscurité, au sein duquel le corps, le visage, les yeux sont de purs éclats de lumière. Le son y est dément, qu'il s'agisse du bruit des pas dans cette ouverture, celui de la tempête, des cris des enfants hors champ, la terre piochée, le craquement des murs. Les murs sont un personnage. C'est un cinéma exigeant, (trop) épuré, parfois j'en sors un peu. C'est aussi l'histoire d'un hors champ spatio-temporel de quarante ans entre le Cap Vert et le Portugal. L'histoire d'un corps absent (Joachim) et d'un corps qui est de quasi chaque plan : Vitalina, sa veuve. Et il y a le plus beau plan final vu depuis longtemps.
Licorice Pizza - Paul Thomas Anderson - 2022
Je ne sais pas trop ce qui me plait le plus dans Licorice Pizza et qui à mes yeux en fait à chaud le plus beau film de Paul Thomas Anderson - quand bien même il faudrait que je revoie tous les autres.
Est-ce la sensation de le voir en pleine possession de ses moyens, complète maîtrise liée à une totale liberté, au point qu'on a l'impression de voir un nouveau premier film ?
Est-ce le voyage dans le Los Angeles des années 70, qu'on ne manquera évidemment pas de comparer avec celui de Tarantino dans Once upon a time in Hollywood, mais qui m'a semblé plus proche de ce que faisait Altman, comme une version teen-movie de The long goodbye ?
Est-ce la bande son, qui se paie le luxe improbable d'être à la fois pleine de tubes mais de morceaux qu'on entend peu au cinéma (excepté Life on Mars, on va dire) et endémique sans être envahissante ?
Est-ce parce que le film me surprend en permanence, sur des micro rebondissements, sur un détail, une scène, un plan, un regard, une phrase, un personnage, laissant un sentiment de film plein mais très léger, limpide et insaisissable ?
Ou est-ce tout simplement parce que je n'oublierai jamais son drôle de couple vedette ? Ces deux acteurs qui par ailleurs (c'est pas si souvent pour le signaler) jouent des personnages de leur âge. Ces deux acteurs qui ne sont jamais maquillés. Ces personnages plein de fascinantes contradictions : Ce garçon de seize ans trop mature, cette fille de vingt-cinq trop immature, projetés dans un univers qui les rapprochent, les éloignent, crée autant de jonction que de disjonction.
Je crois que c'est un peu l'ensemble de tout ça. Je me suis senti tellement bien dedans. Déjà hâte de le revoir.
Boite noire - Yann Gozlan - 2021
Excellente surprise que ce thriller très ambitieux, devant lequel on pense aux grands films paranoïaques type ceux de Pakula, voire au Conversation secrète, de Coppola. On y retrouve les qualités d'un film comme Le chant du loup, qui lui ressemble beaucoup et pas seulement parce que leurs personnages sont avant tout doués de l'oreille : La direction artistique est très proche. Le Gozlan est meilleur il me semble, ne serait-ce que pour son intensité et l'équilibre qu'il trouve dans l'imbrication de l'enquête et de la romance. Et Boîte noire m'a semblé très réaliste sur une histoire qui pourrait être vraie. On y croit. On sent que le cinéaste a bossé le sujet en amont, qu'il ne s'est pas jeté dans le BEA comme ça. Pierre Niney y est excellent. Un rôle taillé sur mesure. J'aime l'idée qu'on suive ce personnage, bientôt seul contre tous, qu'on croit en lui mais qu'on se demande sans cesse s'il ne fait pas fausse route. Jusqu'au bout, le film est d'une grande intensité. Intéressant ce Gozlan : J'avais déjà bien aimé l'honnête sirvival "Captifs" à l'époque, modérément apprécié le polar "Burn out" récemment, mais le film, dans son genre, avait ses qualités. Il faut que je rattrape Un homme idéal (aussi avec Niney) maintenant.
France - Bruno Dumont - 2021
On ne sait jamais sur quel pied danser, avec Dumont. Que ce soit avant, pendant ou après le visionnage de ces films. J'y allais encore le couteau entre les dents ici, avec autant de crainte que d'envie, et j'en suis sorti à la fois admiratif et embarrassé, tout à tour fasciné et consterné.
France est un film passionnant en ce sens qu'il ne ressemble à aucun autre et ceci vaut pour la filmographie toute entière de Bruno Dumont. Est-ce suffisant pour être enthousiaste ici ? Pas vraiment.
Pour situer, France est le prénom du personnage central, une sorte de "journaliste préférée des français" bossant dans un simili CNews, qui n'hésite pas à aller sur le terrain s'entretenir avec des combattants musulmans ou à aller titiller Macron.
Le film entre dans son quotidien et sa pleine ascension un peu avant son effondrement quand elle va découvrir qu'elle peut être émue par les choses, le réel, le monde tandis qu'elle n'était qu'un programme du faux, de pure mise en scène d'elle même. Une nouvelle quête de la sainteté, en somme, si chère à Dumont.
Traitée sous l'angle journalistique, cette quête s'avère nouvelle pour l'auteur, lui qui s'est souvent intéressé aux "petites gens" du Nord, notamment ou plus récemment à des icônes, le voilà qu'il prend la complète figure de la notoriété, des médias, du faux. Il faut prendre France comme une pure caricature. Tout y est appuyé, répété, grossi. Jusque dans le nombre de gros plans sur le visage de Seydoux. Ainsi que sur ses larmes. Cette répétition est démesurée, c'est une anomalie telle qu'on ne comprendra jamais ce qui se joue chez ce personnage, d'autant qu'elle repart systématiquement au front. Rien ne l'arrête. Et tout le film tient sur ce régime, au point qu'il est souvent insupportable.
Il y a trois "accidents" dans le film. Aucun ne se situe là où on l'attend (durant les reportages filmés par exemple) c'est la grande force de Dumont. Tous trois sont en revanche des astuces scénaristiques en forme de cache misère, accentuant le fait que le film n'a rien à raconter au-delà de ce qu'il plante durant le premier quart d'heure, rien à faire incarner.
Pour extraire un peu de corps, il prend la truelle. Et chaque fois ça marche un peu. Ça débouche sur quelque chose qui relance le film, le sort des rails de l'ennui et d'une répétition franchement lassante. Qui relance le récit autant qu'il réveille son personnage, la fait bifurquer.
Car si la satire médiatique est passionnante et intégrée dans le cinéma de Dumont à savoir qu'il traite le règne du faux avec du faux : Le jeu des acteurs de chez Dumont n'aura jamais été aussi adapté en ce sens tant les champs contrechamps révèlent des jeux décalés - je me suis souvent demandé si c'était tourné comme ça d'ailleurs. Et c'est évidemment ce qui transparaît dans le film, notamment durant les reportages et les plateaux télé où les coulisses ne révèlent que pure mise en scène ! La plus belle à mon avis c'est ce "plan de secours" tourné par France face caméra s'adressant à la femme du mari violeur, sans jamais la regarder. Et le film fait ça en permanence, par exemple quand deux invités de son émission se roulent dessus avant de se livrer des accolades et des "on dîne ensemble" hors caméra. On pourrait aussi citer la scène de l'embarcation de migrants ou revenir sur la scène d'intro qui est déjà l'incarnation ultime de cela : France parle avec Macron, mais ce n'est que du montage (à renfort d'images d'archives) car le président n'a pas participé au tournage. C'est fascinant et c'est aussi la limite du film, ce n'est que la répétition de cette idée.
Si Lea Seydoux est formidable, pas facile d'en dire autant du reste du casting, amorphe (les hommes) ou Gardin, qui fait du Gardin, en mode stand-up, l'extrême lourdeur en plus, donc pas drôle, insupportable.
Ce qui m'a plu c'est moins la grandiloquence de ce portrait de la France - le titre est tellement trop évocateur, le nom du personnage (De Meurs) enfonce le clou - que de ce triple autoportrait, à la fois de Dumont (qui s'est délivré par le comique) de Léa Seydoux et de la France vue par Dumont. C'est assez vertigineux.
La musique de Christophe est sublime. Les nombreux gros plans aussi. C'est aussi un film qui me rappelle que je peux adorer Dumont sur une scène ou un plan, tant on ne voit ça nulle part ailleurs. Sur le film entier, ce film là du moins, c'est une autre histoire.
Spencer - Pablo Larrain - 2022
Après s'être intéressé à Jackie Kennedy et aux trois jours qu'elle a traversées entre l'attentat de Dallas et les funérailles de son mari, Pablo Larrain se penche cette fois sur Diana, en choisissant trois jours de noël (vraisemblablement début des années 90) durant lesquels la princesse de Galles est en pleine dépression. Trois jours de pure fiction, par ailleurs, appuyés par cette phrase introductive : "Ceci est une fable tirée d'une tragédie réelle". Deux films miroirs et deux films qui racontent évidemment beaucoup de la façon de fonctionner du cinéaste chilien, qui faut-il le rappeler avait traiter de la mort de Salvador Allende dans son premier film, en filmant la vie d'un employé de la morgue dans laquelle il atterrit. Le biopic pur ne l'intéresse pas. Il est passionné par un à côté plus diaphane, impénétrable et d'ailleurs ne filme quasi rien des grandes réunions royales, on entre toujours avant (Diana retarde systématiquement l'échéance) ou après (elle se fait vomir). Et Kristen Stewart (hyper intéressant le choix de cette actrice au destin très particulier), quasi de chaque plan, incarne ce côté punk (son rejet de la notoriété, ses troubles alimentaires, ses pulsions suicidaires...) à merveille : Son visage, son regard, son corps, ses postures, son identification à Anne Boleyn, tout devient tableau d'un être en totale perdition, qui doit passer trois jours à manger au château (et montrer qu'elle a pris du poids) mais ne rêve que d'une chose : emmener ses gamins bouffer un KFC devant le London bridge. Comme souvent avec Larrain tout est beaucoup trop appuyé, la symbolique y est omniprésente, ses plans souvent trop chirurgicaux, mais le film est visuellement très beau et parcouru d'instants réussis, aussi bien anxiogènes (avec des recurrences fortes : rideaux, chasse, pince, toilettes) que relâchés (l'épouvantail, la plage, la fuite final), admirablement accompagné par une bande sonore qui sait aussi varier les tonalités et qui ressemble à un mélange de la bande-son de Shining et de celle signée Mica Levi, pour Jackie. On n'est pas loin d'un film d'horreur, en somme (scènes d'hallucinations à l'appui) mais à la façon Pablo Larrain. Super film (que j'aurais tellement préféré voir sur grand écran).
Rage - Rabid - David Cronenberg - 1977
Après un accident de moto qui la brûle grièvement, Rose est opérée d'urgence dans l'hôpital privé le plus proche où le Dr Keloid, chirurgien esthétique, va en profiter pour expérimenter une nouvelle technique de greffe de peau. Un mois plus tard, Rose se réveille de son coma et son métabolisme s'est transformé. Elle ne digère plus la nourriture, doit se nourrir de sang humain à l'aide d'un nouvel organe prenant l'apparence d'un dard phallique rétractable qui sort de son aisselle. Dès lors ses victimes sont contaminées et développent une épidémie aux symptômes proche de la Rage. À l'instar de Shivers juste avant, Rage, deuxième long métrage de Crononberg, pose les bases solides (Mais encore en gestation) d'une filmographie cohérente qui aboutira à Crash, chef d'oeuvre absolu, qui prolonge sa fascination pour la chair, la mort, la mutation du corps, les mutilations. Rage est encore un cinéma ultra fauché, avec une esthétique de film d'exploitation - appuyé par la présence de Marilyn Chambers, star du cinéma porno, qui incarne le rôle principal - dans un Montréal cauchemardesque plongé en pleine martiale. Le film est parfait à revoir aujourd'hui pour sa dimension politique et cette obsession pour le certificat vaccinal antirabique. Pas loin d'avoir adoré.
Nightmare Alley - Guillermo del Toro - 2022
Voir Guillermo del Toro investir le cadre d'une fête foraine était une belle promesse tant son cinéma très visuel repose en grande partie sur des gueules et un décor perverti. Première déception : passée la découverte du cirque et notamment une belle scène très noire dans les coulisses d'une maison hantée, il n'en fait pas grand chose. Personnages et fête foraine n'existent pas suffisamment, d'autant que l'image est très sombre, très jaune et l'accumulation de scènes d'intérieur rend peu fécond ce cinéma du trop-plein carnavalesque retranché derrière un récit convenu (l'ascension d'un petit charlatan faussement télépathe) et un lourd passé qui n'éclot jamais.
Néanmoins, cette première partie est la plus intéressante, grâce aux différentes interactions avec des Willem Dafoe, Toni Collette, Ron Perlman en roues libres et un David Strathairn excellent. Car si Nightmare Alley cite d'abord Freaks, de Browning, il s'attaque ensuite à tout un pan du film noir et le fait avec la lourdeur (et la torpeur) déjà observé dans son precedent film-hommage, La forme de l'eau. Dès que le film quitte donc l'univers forain pour la ville, il s'embourbe dans une ambiance de film noir compassé, sans vie, saupoudré d'un rise & fall d'un ennui abyssal où l'aspect art déco succède à la boue, la pluie.
J'adore Rooney Mara & Bradley Cooper mais jamais je ne crois en cette histoire d'amour. Jamais je ne crois en rien là dedans, pas même en l'époque qu'il investit, grosso modo l'entre-deux-guerres. Néant emotionnel renforcé par cette mise en scène à mon avis peu inventive, où la caméra panote et glisse en permanence, dans des plans très courts, très communs où del Toro refuse l'immobilité. Et quand le film se resserre sur l'échec de l'avidité de son personnage - en faisant entrer une autre batterie d'imposants acteurs : Blanchett / Jenkins / McCallany - j'ai déjà décroché depuis longtemps. Ses petits pics de violence m'ont seulement semblé ostentatoires et racoleurs. Quant au final je l'ai vu venir depuis un quart d'heure. J'aurais presque pu miser sur ce rire, avec un cut au noir ou une fermeture à l'iris. Pénible. Très pénible.
Pour l'anecdote, j'y suis allé dans un état proche de l'asthénie. J'espérais peut-être un électrochoc. J'en demandais beaucoup probablement, mais j'adore les films qui touchent aux fêtes foraines, parcs d'attractions et autres cirques itinérants, citons pêle-mêle Adventureland (Greg Mottola), Le toboggan de la mort (James Goldstone) ou Les Ogres (Lea Fehner). Et puis la sieste au cinéma est un excellent indicateur pour moi. J'ai dormi (un peu) devant Hunger, (beaucoup) devant Night moves, mais j'y suis retourné très vite car dès mon réveil j'assistais à un melange de déflagration et de frustration grisant. Je me suis assoupi brièvement à plusieurs reprises devant Nightmare Alley, mais à aucun moment le film ne m'a réveillé.