Le Centre de Visionnage : Films et débats

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sokol
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asketoner a écrit :
sam. 19 août 2023 16:18

The Eternal Daughter, Joanna Hogg

Une heure trente de tapisseries vintage, de mimiques affolées et de musiques vaguement glauques. La machine à brouillard a été bien rentabilisée. Joanna Hogg filme une histoire de fantôme courue d'avance.
Est-ce que tu l'as vu en entier ?
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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asketoner
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sokol a écrit :
lun. 21 août 2023 09:29
asketoner a écrit :
sam. 19 août 2023 16:18

The Eternal Daughter, Joanna Hogg

Une heure trente de tapisseries vintage, de mimiques affolées et de musiques vaguement glauques. La machine à brouillard a été bien rentabilisée. Joanna Hogg filme une histoire de fantôme courue d'avance.
Est-ce que tu l'as vu en entier ?
Je ne suis pas resté devant tout le long, je faisais des tartines de tapenade pour les amis qui regardaient et j'allais chercher les boissons, ça me faisait des pauses.
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sokol
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asketoner a écrit :
lun. 21 août 2023 10:09
Je ne suis pas resté devant tout le long, je faisais des tartines de tapenade pour les amis qui regardaient et j'allais chercher les boissons, ça me faisait des pauses.
Ah ok, tu ne l'as pas vu au ciné. Car, si on voit ce que tu as vu (une heure trente de tapisseries vintage), c'est impossible. Or, je l'avais adoré car j'ai vu ce que Critikat le dit très bien :
La mise en scène du film trouve sa cohérence dans cette façon de plier le décor à la faveur d’une rencontre qui fend l’espace-temps
.
Modifié en dernier par sokol le lun. 21 août 2023 11:55, modifié 2 fois.
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sokol a écrit :
lun. 21 août 2023 10:20
asketoner a écrit :
lun. 21 août 2023 10:09
Je ne suis pas resté devant tout le long, je faisais des tartines de tapenade pour les amis qui regardaient et j'allais chercher les boissons, ça me faisait des pauses.
Ah ok, tu ne l'as pas vu au ciné. Car, si on voit ce tu as vu (une heure trente de tapisseries vintage), c'est impossible. Or, je l'avais adoré car je vu ce que Critikat le dit très bien :
La mise en scène du film trouve sa cohérence dans cette façon de plier le décor à la faveur d’une rencontre qui fend l’espace-temps
.

Ce n'est pourtant pas l'exemple du cinéma léger ! :D

Et honnêtement je ne comprends pas du tout ce que signifie ce "plier le décor".
(La rencontre en question, c'est celle avec le gardien de nuit qui a perdu sa femme ?)
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sokol
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asketoner a écrit :
lun. 21 août 2023 10:28
Et honnêtement je ne comprends pas du tout ce que signifie ce "plier le décor".
il est expliqué ici :
Comme dans la théorie de la relativité, l’espace se courbe pour rendre possible la rencontre de personnages n’appartenant pas tout à fait au même plan d’existence. C’est au fond la fonction du champ-contrechamp, où le montage opère alors la collision entre deux images filmées selon un angle de 90°. Par l’adjonction d’images tournées indépendamment les unes des autres (puisque Tilda Swinton n’a pu se répondre à elle-même dans les deux rôles de Julie et Rosalind), un espace commun et fugace se créé, à l’intérieur duquel les morts et les vivants parviennent à converser.
C'est 3 fois rien : https://www.critikat.com/actualite-cine ... -daughter/
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sokol
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Par l’adjonction d’images tournées indépendamment les unes des autres (puisque Tilda Swinton n’a pu se répondre à elle-même dans les deux rôles de Julie et Rosalind), un espace commun et fugace se créé, à l’intérieur duquel les morts et les vivants parviennent à converser.


Ceci explique cela (la 'lourdeur'). Mais ce n'est qu'une lourdeur à la Lynch (pour crée une atmosphère, un espace commun et fugace).
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asketoner
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La Légende du Saint Buveur, Ermanno Olmi, 1988

Toute la délicatesse bizarre de Ermanno Olmi, avec sa façon d'abstraire les dialogues pour ne retenir que quelques gestes aux durées irréalistes, transposée dans un décor parisien où tout le monde parle en anglais. Le film est plutôt beau, donc, mais moins ancré dans le souvenir ou l'expérience que les autres, plus plaqué.

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Mission Impossible : Dead Reckoning, Christopher McQuarrie

Un excellent film d'aventures, drôle et haletant, qui prouve qu'on peut faire un divertissement excitant sans être nécessairement graveleux. Où la fameuse phrase : "votre mission, si vous l'acceptez", devient la parabole du consentement au sens large.
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Tyra
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Pur thriller sur le thème du double : un couple qui périclite en mal d'enfant découvre que dans leur ville un couple de sosies existe (plus riche, avec un enfant). C'est un beau film, qui évite les écueils du genre en n'axant pas l'intrigue sur des questions de rivalité et jalousie de classe, mais sur l'amour, l'amitié, voir la solidarité qui se tisse entre ces êtres dédoublés. Et qui développe un suspense assez saisissant. Malheureusement la fin est décevante (spoiler) : on comprend que le programme "métaphysique" du film sera réalisé : il ne peut rester qu'une seule personne de chaque, un double sera éliminé, un petit jeu de violence et d'élimination se met en place à cause d'un des deux hommes qui se révèlera être un monstre. Le film enchainant alors les coups de forces scénaristiques assez gros et pas toujours intéressants. Et puis, il fait prendre, en guise conclusion, une décision ahurissante à l'une des femmes du film, qui ne correspond pas à la psychologie du personnage développée jusque là.



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Pas d'avis tranché sur le film.
J'ai toujours aimé un truc chez Dupieux, c'est de ne pas chercher de discours, de ne pas me demander "où veut-il en venir ?". Ici cette indécision me gêne, parce que le film est davantage sociologique, voir politique, semble être un commentaire sur le conflit "grand public" VS milieu du cinéma, voir "France périphérique" VS "artistes bobos". Le film présente une impasse dans laquelle il est difficile de se placer en tant que spectateur, impasse résolue par l'intervention du RAID.
Après il reste évidemment les indéniables qualités d'écriture du Dupieux, un certain tempo comique, la joie visible qu'ont les acteurs de jouer, et ici un goût pour le malaise de plus en plus présent chez le cinéaste, toujours désamorcé in extrémis (lorsque par exemple Yannick demande au couple de se caresser avant de se raviser).
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asketoner
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Quand les vagues se retirent, Lav Diaz

C'est le troisième Lav Diaz que je vois et aussi celui qui me semble le plus inventif. Les corps existent fortement, surtout à travers le personnage qui sort de prison, vieux fou dansant, priant, tuant, invoquant des puissances invisibles. L'autre corps, celui d'Hermes, est un peu plus confus, un peu plus noyé sous un paquet d'histoires et d'idées pas toutes abouties, alors que ce qui est le plus intéressant, c'est sa peau qui pèle à cause du psoriasis. Tsai Ming-Liang (par exemple, mais pas tout à fait au hasard) se serait contenté de ce détail, il aurait tout articulé autour de ça, Lav Diaz est plus brouillon, plus superficiel aussi : j'ai l'impression qu'il donne beaucoup d'idées au lieu d'en choisir une, de s'y tenir et de voir où elle le conduit.
Je note la beauté très impressionnante des plans, des lieux, du noir et blanc, de l'inscription des corps dans le cadre. Mais il y a toujours cette question de la durée : les scènes sont extrêmement longues et donnent au film dans son ensemble une structure un peu trop informe à mon goût. J'ai lu le commentaire de @Narval un peu plus haut pour tenter de comprendre ce qui m'empêche d'être aussi enthousiaste que lui. Je crois que ça tient à la façon dont les scènes du film véhiculent des idées, des opinions et des symboles, et pas toujours de la vie. La fin, par exemple, m'a laissé froid : autant j'aime beaucoup les retrouvailles des deux protagonistes (la danse, la poursuite dans les rues du port, puis l'assassinat de l'un par l'autre sur la jetée), autant le suicide de celui qui reste me semble totalement fabriqué, on voit son corps se traîner sur le béton, le plan n'a aucun intérêt, l'agonie est convenue, c'est plutôt une idée qu'une représentation, c'est une chose qu'on m'envoie comme une information, et pas comme quelque chose à éprouver, le fou se suicide, bon, et alors ? Et le fou se suicide après avoir hurlé "pays de merde !" & "pays plein d'assassins !", je comprends pourquoi il hurle ça, je trouve plutôt logique qu'un cinéaste philippin finisse son film sur ces répliques, mais je ne vois pas vraiment ce qui l'y conduit, je reçois un message encore une fois, et pas un parcours. D'ailleurs le film lui-même est parfois très complaisant avec la violence qu'il expose.
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asketoner
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Anatomie d'une chute, Justine Triet

Grosso modo : Haneke + Bergman.
Bergman pour cette façon d'ausculter le couple dans ce qu'il se dit (la scène longtemps cachée puis dévoilée puis cachée de nouveau est correctement écrite et interprétée, Sandra Hüller la jouant comme Liv Ullmann),
Haneke pour le goût de tronquer, de ne jamais donner au spectateur ce qui lui permettrait de comprendre ou savoir, de le laisser dans cet état de suspens moral à la fois haletant et pénible (comme s'il s'agissait de jouer à deviner quel est le personnage le plus dégueulasse (mais le scénario est un peu plus subtil que ça, j'exagère)).
C'est bien fait (malgré une certaine laideur d'ensemble que je trouve un peu méprisante au fond), ça tient (à de rares exceptions - l'histoire du chien), il y a une étonnante homogénéité dans les dialogues et l'écriture qui donne l'impression d'un film littéraire et compense le fait qu'il y ait peu à voir (en tout cas rien de bien étonnant). Le personnage de l'enfant atteint un point de blessure irrémédiable qui m'a touché. Mais ce qui m'a le plus intéressé, c'est le personnage de l'accompagnatrice (interprété par Jehnny Beth, qui jouait déjà dans Astrakan cette année). Elle est là parce que la loi l'exige, et s'il y a bien quelque chose de beau dans le monde, ce sont toutes ces choses que l'on a créée pour empêcher les familles d'étouffer sur elles-mêmes.
Modifié en dernier par asketoner le dim. 27 août 2023 09:40, modifié 1 fois.
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sokol
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Juste un truc :
asketoner a écrit :
dim. 6 août 2023 10:49
Dupieux fait quand même un film coincé dans un théâtre, et le spectateur se retrouve à regarder du très mauvais boulevard filmé avec mépris.
Dupieux filme Yannick comme un dieu !! Il est hyper beau, sexy, une tchatche pas possible (éloquent comme personne !!) ! Comment tu peux dire que Dupieux filme avec mépris ??
😳
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sokol a écrit :
ven. 25 août 2023 15:58
Juste un truc :
asketoner a écrit :
dim. 6 août 2023 10:49
Dupieux fait quand même un film coincé dans un théâtre, et le spectateur se retrouve à regarder du très mauvais boulevard filmé avec mépris.
Dupieux filme Yannick comme un dieu !! Il est hyper beau, sexy, une tchatche pas possible (éloquent comme personne !!) ! Comment tu peux dire que Dupieux filme avec mépris ??
😳
Ah je trouve qu'il filme la parole avec beaucoup de mépris au contraire. Il met les opinions dos à dos comme à la télé, comme chez Hanouna. Je ne trouve pas le personnage éloquent du tout, il y a plein de moments où ses répliques le coincent, justement, l'acculent dans une sorte de bêtise, et c'est assez net en regard de Chien de la casse où le même acteur déploie ce qui s'apparente aussi à de la tchatche, mais autrement plus fine et inventive à mon avis.

(Et la blague sur l'acteur dont on dit qu'il est moche, l'espèce d'humour de bizutage minable dès lors que l'une ou l'autre partie a le pouvoir, je trouve que ça ne vole pas bien haut.)
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asketoner a écrit :
ven. 25 août 2023 16:22
il y a plein de moments où ses répliques le coincent, justement, l'acculent dans une sorte de bêtise, et c'est assez net en regard de Chien de la casse où le même acteur déploie ce qui s'apparente aussi à de la tchatche, mais autrement plus fine et inventive à mon avis.
Mais si ma mémoire est bonne, dans Chien de la casse, il écrit des poésies (ou des textes de chansons) n’est ce pas ? Là, c’est juste un spectateur !

Ce qui est curieux c’est que tu n’as pas vu qu’il n’a que pour Yannick, c’est tellement flagrant (durant le film je me disais : mais il est amoureux de lui ou quoi ? 😆)
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B-Lyndon
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Fermer les yeux, Victor Erice, 2023.

Seconde vision, et le film m'a cette fois paru splendide. J'ai bien fait d'y retourner, j'étais vraiment trop fatigué la dernière fois pour goûter à toutes ses subtilités, et - petite note parisiano-centrée - la salle 1 du Louxor (qu'on peut aisément nommer pire salle de Paris :D ), avec son écran mal étalonné et le son dégueulasse, n'a pas aidé.

J'ai surtout été plus sensible à son art délicat des scènes dialoguées, qui forment à chaque fois une sorte de chemin précis et méticuleux pour aller jusqu'au gros plan. Et lorsque le gros plan surgit, sur Miguel ou ses interlocuteurs, il serre le cœur. A chaque fois il intervient lorsque la courbe de la vie qui continue manque de se briser mais ne rompt pas tout à fait. Hier matin j'ai vu pour la première fois un film très moyen, Tous les matins du monde, dans lequel Marielle lance cependant une réplique sublime lorsqu'on vient le chercher pour jouer de la viole de gambe à la cour du roi : "Je ne suis qu'un sauvage et mes amis sont les souvenirs". Magnifique trait, cependant plein d'arrogance. D'ailleurs la figure du roi est très présente dans le film d'Erice, mais il filme un roi qui abdique, souverain du pays de ses souvenirs qui apprend à rompre et se confronter à la persistance de la vie, à aller plus loin que là où sa vie l'a semble-t-il arrêté. Ce n'est à mon sens pas un hasard que le film se passe en 2012, avant l'abdication de Juan Carlos, et qu'on voit furtivement à la télévision celui-ci, sortant vraisemblablement d'un hosto, une canne à la main. Une dimension d'humilité qui m'avait échappé la première fois : apprendre à se débarrasser de la puissance rassurante des souvenirs, qui est une prise de pouvoir sur l'existence des absents, et que la figure de la présentatrice télé montre bien. Mais en même temps ce n'est pas si simple : se souvenir est aussi le moyen d'atteindre l'autre à nouveau (l'amante d'autrefois partie sans se retourner, le fils disparu, le monteur qu'on a pas vu depuis deux ans...). La télévision, qui manipule le réel pour créer des "moments", finit par mener Miguel vers son dernier voyage, voyage à plusieurs escales, voyage vers lui-même, solitude peuplée par les autres. Ainsi prendre le temps d'aller jusqu'au gros plan, jusqu'au nom donné à cet état de l'existence où l'on s'apprête à vivre "sans peur et sans espoir" comme le dit Max en parlant de la vieillesse. Ainsi décrit-il peut-être le rythme étrange du film, sa façon d'avancer sans en avoir tout à fait l'air, convoquant mille fantômes pour mieux leur redonner un corps, un visage, de la peau et de la chair, des mains de travail. De fait les bouffées de splendeur plastiques du film m'ont paru encore plus saisissantes, et concernent surtout le personnage de Julio / Gardel, tantôt lorsqu'il se place dans la cage de foot au petit matin face au soleil levant, tantôt lorsqu'il blanchit un mur de l'hospice avec Miguel, les draps blancs volant au vent derrière eux. Des tableaux qui évoquent à chaque fois la surface plane de l'écran de cinéma, et ce qui le peuple lorsqu'il est au plus fort de sa puissance : des corps, des gestes, du travail, le trajet d'une âme, la mémoire qui persiste ou qui s'abandonne.

Ce que je pouvais reprocher un peu au film avant de le comprendre un peu mieux, c'était de chercher l'acmé du souvenir et puis passer à autre chose, et renouveler l'opération lourdeusement, scène après scène. Les personnages me semblaient un peu caricaturaux : Max le vieil ami monteur ronchon qui ne parle que par citation de John Ford, Lola le sublime amour de jeunesse qui faisait tourner les têtes...Mais il faut savoir tendre l'oreille au mystère de chacun : Lola, par exemple, est une femme à la fois très claire sur son parcours de vie et très évasive quant aux motivations de ses différente trajectoires, elle est souvent partie, sans se retourner, elle a aimé disparaître, et il me semble que c'est un trait qui fonde tous les personnages, jusqu'à la fille de Julio qu'on sent toujours mesurée devant le fait de retrouver son père (elle ne le dit jamais, mais on sent son empressement à ne pas rester ici, sa résignation à la disparition totale du père qu'elle a connu). Il me semble d'ailleurs qu'Erice ne joue jamais la carte de la sidération (carte facile, et piste naturaliste du jeu d'acteur, là où le film invente une manière de jouer à la fois très intense et distanciée, souvent splendide à observer). Chaque personnage est un peu à côté du choc que devrait représenter pour soi le retour de Julio. Parce que Julio ne revient pas tout à fait : Julio a toujours été là, dans la mémoire ou dans le réel, et peut-être est-ce la même chose. Ainsi les souvenirs ne sont pas l'acmé, ils sont ce qui aide les personnages à ne pas s'emballer devant les retrouvailles, car de ses retrouvailles il y a peut-être quelque chose à faire. Cela me semble si juste dans ce que ça dit de l'existence : au fond, nous sommes prêts à tous, car, comme le dit le neurologue (et j'aime que ce soit le neurologue qui dise ceci) : "nous ne sommes pas que des êtres de mémoire", autrement dit la mémoire est ce qui permet autre chose : de considérer pleinement l'autre, son corps, sa présence physique, qu'importe qu'on l'ait quitté hier, avant-hier, il y a deux ans ou deux décennies.

J'aime la dureté des personnages quant au mystère de l'existence, qui n'est pas contraire à leur immense bonté, le souci qu'ils ont en permanence de l'autre. Et par eux je crois qu'au contraire, Erice cherche le moment où les souvenirs se dégèlent, où la parole donne lieu à un état des lieux de la vie présente. C'est l'anti-Herbes sèches : pas d'aigreur chez ces gens, mais le regard est tout aussi lucide, complexe et vrai. Parce qu'Erice, qui s'y connait, ne triche pas avec le cinéma, cette pute pour l'existence. "Le plus beau des chefs-d'œuvre est la vie qu'on mène" écrit Miguel sur son ordinateur dans sa caravane recluse sur la côte, Erice de rappeler qu'il faut se méfier des artistes, car l'art véritable est celui de mener sa vie. Miguel n'a pas connu le succès, la gloire et l'estime, n'a pas terminé son deuxième film, n'a pas mis sur le chantier un troisième film, n'en a pas eu l'occasion mais ne l'a pas cherché. Il semble qu'il a, comme disait Godard, beaucoup aimé le cinéma, mais peu été aimé par le cinéma en retour. Mais sa tranquillité devant l'existence, peut-être, le lie pour toujours à l'art qu'il a si peu pratiqué : un art de mémoire et d'empathie. Bien se souvenir et considérer les autres, et le cinéma restera toujours ce chien noir qui poursuit sa vie. Voilà le travail, patient, méticuleux, engageant, de son existence, et c'est déjà énorme.

C'est peut-être ce qui rend la dernière séquence si puissante : elle est un moment d'épiphanie pour tout le monde, un point de cristallisation pour son public entier, tout le monde est là, les deux nonnes, la présentatrice, Anna, Max, Miguel, Julio...Ce public qui peuple la salle de cinéma désaffectée est fondé par des corps et des visages que nous avons appris à connaître, il n'est pas la masse obscure endormie qui ouvre Holy Motors par exemple. Erice, à 82 ans, abandonne la question de la masse, et c'est pourquoi il me semble qu'il est injuste de lui reprocher de débarquer à nouveau avec "les outils classiques du cinéma". Pourrait-il faire autrement ? C'est d'une autre époque qu'il vient, d'une autre façon de faire, cependant sa pensée du cinéma me paraît ici furieusement actuelle. Cette dernière séquence n'est pas l'expérience d'un miracle, et Max le dit sans détour, "les miracles au cinéma, c'est fini depuis que Dreyer est mort". Cette dernière séquence, c'est l'expérience du minoritaire. La vision extraordinairement habitée du public de demain : quelques personnes qui se connaissent dans une salle désaffectée, attendant de quelques images qu'elles viennent déposer en eux un souvenir nouveau. Un regard caméra qui vient trouver les yeux qu'il visait vingt ans après avoir été lancé, et voilà qu'un pacte avec la vie est de nouveau scellé : Miguel comprend ainsi pourquoi il a fait, pourquoi il n'a pas fait, pourquoi toute sa vie n'a été qu'attente. Le cinéma sait frapper juste quand il frappe peu. Une image fabriquée aujourd'hui ne résonnera peut-être que dans vingt ans, dans une obscure salle désaffectée, au fond du cœur d'un homme qui a oublié. Et alors ? Peut-être que cela suffit, parce que cela est vrai. Parce que ne compte que la vérité des sentiments, leur épaisseur sculptée et éprouvée par le temps. La séquence boucle le récit, mais donne à penser sur la nature particulière de l'émotion cinématographique. On en revient à Carax, citant cette fois Musil : "la beauté est le signe qu'une chose a été aimé". La beauté, c'est ce qui est passé, irrémédiablement perdu. Mais ce qui est passé est forcément aussi passé en nous, en toi, en moi. Lorsqu'un film émeut, on croit se voir sur l'écran à la place de celui qu'on regarde. Lorsqu'un homme pleure de ne plus être aimé, lorsqu'un enfant crie d'être arraché à sa mère, et que nous sommes émus, je crois que c'est profondément ça qu'il se passe. "J'étais là, sur l'écran, il y a longtemps. Et je ne le savais pas". Julio lui y était vraiment, mais il ne s'en souvient plus. Peut-être y étions-nous aussi.
Modifié en dernier par B-Lyndon le lun. 28 août 2023 12:16, modifié 5 fois.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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Pour se retrouver, un couple cherche à partir en vacances pour la première fois sans leur jeune enfant. Il souhaite aller en Italie, mais elle y est réticente car il y a emmené toutes ses ex. Ils se mettent finalement d'accord sur la Sicile où il n'est jamais allé non plus. C'est du Sophie Letourneur pur jus, donc on se réjouit à retrouver son naturalisme cru et humoristique, style que peu de cinéastes savent manier avec autant d'aisance. Mais le film me déçoit tout de même à cause des omniprésentes références à Rossellini (Voyage en Italie bien sûr, mais aussi Stromboli, ainsi que les nombreuses conversations du couple où le cinéaste est abordé) dont Letourneur ne fait rien. Je m'attendais vraiment à voir un parallèle mis en place, mais non, elle se contente de citer le cinéaste comme si en faisant cela elle souhaitait protéger son film, mais ça lui donne un air un peu hautain habituellement absent de son cinéma et dont elle n'avait pas besoin. Je regrette aussi l'absence de climax; il y a certes une réconciliation finale, mais pas vraiment de conflit non plus, ça n'explose jamais comme le Stromboli explose et l'on se contente nous aussi d'être des spectateurs inactifs de l'événement, alors qu'il y avait matière à quelque chose de plus abrasif. ça reste un film agréable, mais en deçà du précédent et excellent Enorme.
I like your hair.
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B-Lyndon a écrit :
sam. 26 août 2023 07:35
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Fermer les yeux, Victor Erice, 2023.


Seconde vision, et le film m'a cette fois paru splendide. J'ai bien fait d'y retourner, j'étais vraiment trop fatigué la dernière fois pour goûter à toutes ses subtilités, et - petite note parisiano-centrée - la salle 1 du Louxor (qu'on peut aisément nommer pire salle de Paris :D ), avec son écran mal étalonné et le son dégueulasse, n'a pas aidé.

J'ai surtout été plus sensible à son art délicat des scènes dialoguées, qui forment à chaque fois une sorte de chemin précis et méticuleux pour aller jusqu'au gros plan. Et lorsque le gros plan surgit, sur Miguel ou ses interlocuteurs, il serre le cœur. A chaque fois il intervient lorsque la courbe de la vie qui continue manque de se briser mais ne rompt pas tout à fait. Hier matin j'ai vu pour la première fois un film très moyen, Tous les matins du monde, dans lequel Marielle lance cependant une réplique sublime lorsqu'on vient le chercher pour jouer de la viole de gambe à la cour du roi : "Je ne suis qu'un sauvage et mes amis sont les souvenirs". Magnifique trait, cependant plein d'arrogance. D'ailleurs la figure du roi est très présente dans le film d'Erice, mais il filme un roi qui abdique, souverain du pays de ses souvenirs qui apprend à rompre et se confronter à la persistance de la vie, à aller plus loin que là où sa vie l'a semble-t-il arrêté. Ce n'est à mon sens pas un hasard que le film se passe en 2012, avant l'abdication de Juan Carlos, et qu'on voit furtivement à la télévision celui-ci, sortant vraisemblablement d'un hosto, une canne à la main. Une dimension d'humilité qui m'avait échappé la première fois : apprendre à se débarrasser de la puissance rassurante des souvenirs, qui est une prise de pouvoir sur l'existence des absents, et que la figure de la présentatrice télé montre bien. Mais en même temps ce n'est pas si simple : se souvenir est aussi le moyen d'atteindre l'autre à nouveau (l'amante d'autrefois partie sans se retourner, le fils disparu, le monteur qu'on a pas vu depuis deux ans...). La télévision, qui manipule le réel pour créer des "moments", finit par mener Miguel vers son dernier voyage, voyage à plusieurs escales, voyage vers lui-même, solitude peuplée par les autres. Ainsi prendre le temps d'aller jusqu'au gros plan, jusqu'au nom donné à cet état de l'existence où l'on s'apprête à vivre "sans peur et sans espoir" comme le dit Max en parlant de la vieillesse. Ainsi décrit-il peut-être le rythme étrange du film, sa façon d'avancer sans en avoir tout à fait l'air, convoquant mille fantômes pour mieux leur redonner un corps, un visage, de la peau et de la chair, des mains de travail. De fait les bouffées de splendeur plastiques du film m'ont paru encore plus saisissantes, et concernent surtout le personnage de Julio / Gardel, tantôt lorsqu'il se place dans la cage de foot au petit matin face au soleil levant, tantôt lorsqu'il blanchit un mur de l'hospice avec Miguel, les draps blancs volant au vent derrière eux. Des tableaux qui évoquent à chaque fois la surface plane de l'écran de cinéma, et ce qui le peuple lorsqu'il est au plus fort de sa puissance : des corps, des gestes, du travail, le trajet d'une âme, la mémoire qui persiste ou qui s'abandonne.

Ce que je pouvais reprocher un peu au film avant de le comprendre un peu mieux, c'était de chercher l'acmé du souvenir et puis passer à autre chose, et renouveler l'opération lourdeusement, scène après scène. Les personnages me semblaient un peu caricaturaux : Max le vieil ami monteur ronchon qui ne parle que par citation de John Ford, Lola le sublime amour de jeunesse qui faisait tourner les têtes...Mais il faut savoir tendre l'oreille au mystère de chacun : Lola, par exemple, est une femme à la fois très claire sur son parcours de vie et très évasive quant aux motivations de ses différente trajectoires, elle est souvent partie, sans se retourner, elle a aimé disparaître, et il me semble que c'est un trait qui fonde tous les personnages, jusqu'à la fille de Julio qu'on sent toujours mesurée devant le fait de retrouver son père (elle ne le dit jamais, mais on sent son empressement à ne pas rester ici, sa résignation à la disparition totale du père qu'elle a connu). Il me semble d'ailleurs qu'Erice ne joue jamais la carte de la sidération (carte facile, et piste naturaliste du jeu d'acteur, là où le film invente une manière de jouer à la fois très intense et distanciée, souvent splendide à observer). Chaque personnage est un peu à côté du choc que devrait représenter pour soi le retour de Julio. Parce que Julio ne revient pas tout à fait : Julio a toujours été là, dans la mémoire ou dans le réel, et peut-être est-ce la même chose. Ainsi les souvenirs ne sont pas l'acmé, ils sont ce qui aide les personnages à ne pas s'emballer devant les retrouvailles, car de ses retrouvailles il y a peut-être quelque chose à faire. Cela me semble si juste dans ce que ça dit de l'existence : au fond, nous sommes prêts à tous, car, comme le dit le neurologue (et j'aime que ce soit le neurologue qui dise ceci) : "nous ne sommes pas que des êtres de mémoire", autrement dit la mémoire est ce qui permet autre chose : de considérer pleinement l'autre, son corps, sa présence physique, qu'importe qu'on l'ait quitté hier, avant-hier, il y a deux ans ou deux décennies.

J'aime la dureté des personnages quant au mystère de l'existence, qui n'est pas contraire à leur immense bonté, le souci qu'ils ont en permanence de l'autre. Et par eux je crois qu'au contraire, Erice cherche le moment où les souvenirs se dégèlent, où la parole donne lieu à un état des lieux de la vie présente. C'est l'anti-Herbes sèches : pas d'aigreur chez ces gens, mais le regard est tout aussi lucide, complexe et vrai. Parce qu'Erice, qui s'y connait, ne triche pas avec le cinéma, cette pute pour l'existence. "Le plus beau des chefs-d'œuvre est la vie qu'on mène" écrit Miguel sur son ordinateur dans sa caravane recluse sur la côte, Erice de rappeler qu'il faut se méfier des artistes, car l'art véritable est celui de mener sa vie. Miguel n'a pas connu le succès, la gloire et l'estime, n'a pas terminé son deuxième film, n'a pas mis sur le chantier un troisième film, n'en a pas eu l'occasion mais ne l'a pas cherché. Il semble qu'il a, comme disait Godard, beaucoup aimé le cinéma, mais peu été aimé par le cinéma en retour. Mais sa tranquillité devant l'existence, peut-être, le lie pour toujours à l'art qu'il a si peu pratiqué : un art de mémoire et d'empathie. Bien se souvenir et considérer les autres, et le cinéma restera toujours ce chien noir qui poursuit sa vie. Voilà le travail, patient, méticuleux, engageant, de son existence, et c'est déjà énorme.

C'est peut-être ce qui rend la dernière séquence si puissante : elle est un moment d'épiphanie pour tout le monde, un point de cristallisation pour son public entier, tout le monde est là, les deux nonnes, la présentatrice, Anna, Max, Miguel, Julio...Ce public qui peuple la salle de cinéma désaffectée est fondé par des corps et des visages que nous avons appris à connaître, il n'est pas la masse obscure endormie qui ouvre Holy Motors par exemple. Erice, à 82 ans, abandonne la question de la masse, et c'est pourquoi il me semble qu'il est injuste de lui reprocher de débarquer à nouveau avec "les outils classiques du cinéma". Pourrait-il faire autrement ? C'est d'une autre époque qu'il vient, d'une autre façon de faire, cependant sa pensée du cinéma me paraît ici furieusement actuelle. Cette dernière séquence n'est pas l'expérience d'un miracle, et Max le dit sans détour, "les miracles au cinéma, c'est fini depuis que Dreyer est mort". Cette dernière séquence, c'est l'expérience du minoritaire. La vision extraordinairement habitée du public de demain : quelques personnes qui se connaissent dans une salle désaffectée, attendant de quelques images qu'elles viennent déposer en eux un souvenir nouveau. Un regard caméra qui vient trouver les yeux qu'il visait vingt ans après avoir été lancé, et voilà qu'un pacte avec la vie est de nouveau scellé : Miguel comprend ainsi pourquoi il a fait, pourquoi il n'a pas fait, pourquoi toute sa vie n'a été qu'attente. Le cinéma sait frapper juste quand il frappe peu. Une image fabriquée aujourd'hui ne résonnera peut-être que dans vingt ans, dans une obscure salle désaffectée, au fond du cœur d'un homme qui a oublié. Et alors ? Peut-être que cela suffit, parce que cela est vrai. Parce que ne compte que la vérité des sentiments, leur épaisseur sculptée et éprouvée par le temps. La séquence boucle le récit, mais donne à penser sur la nature particulière de l'émotion cinématographique. On en revient à Carax, citant cette fois Musil : "la beauté est le signe qu'une chose a été aimé". La beauté, c'est ce qui est passé, irrémédiablement perdu. Mais ce qui est passé est forcément aussi passé en nous, en toi, en moi. Lorsqu'un film émeut, on croit se voir sur l'écran à la place de celui qu'on regarde. Lorsqu'un homme pleure de ne plus être aimé, lorsqu'un enfant crie d'être arraché à sa mère, et que nous sommes émus, je crois que c'est profondément ça qu'il se passe. "J'étais là, sur l'écran, il y a longtemps. Et je ne le savais pas". Julio lui y était vraiment, mais il ne s'en souvient plus. Peut-être y étions-nous aussi.

:jap: :jap: :love2:

il me semble qu'il est injuste de lui reprocher de débarquer à nouveau avec "les outils classiques du cinéma". Pourrait-il faire autrement ? C'est d'une autre époque qu'il vient,
Et il parle de gens qui en viennent, de cette époque perdue.


En te lisant, je pense que cette dernière séquence est un hommage, conscient ou pas, (ou une réponse) à Shirin de Kiarostami.
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B-Lyndon a écrit :
sam. 26 août 2023 07:35

il me semble qu'il est injuste de lui reprocher de débarquer à nouveau avec "les outils classiques du cinéma". Pourrait-il faire autrement ?
Oui, en ne revenant plus. On ne serait même pas aperçu
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Hypnotic, Robert Rodriguez

Très nul, je n'ai même pas envie d'en dire un truc.
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À propos de “Fermer les yeux” de Erice :

Dans son interview au Cahiers que je ne l’avais pas encore lu, le réalisateur dit :

La mise en scène était très déterminée par les conditions de tournage. Il m'a semblé que le plus raisonnable était de déployer la réalisation la plus simple possible, toujours au service des acteurs, sans plans-séquences ni grands mouvements de caméra. C'était probablement le seul moyen de respecter un plan de travail qui fut à certains moments véritablement exténuant.

Je m’étais pas trompé : le film était gavé de champ-contrechamp mais je ne comprend pas pourquoi ce tournage a été si exténuant. Où était le problème ?? Quelqu’un a une idée ?
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Peut être que n'importe quelle activité professionnelle peut être exténuante a 80 ans passés, en particulier le tournage d'un film.
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yhi a écrit :
dim. 27 août 2023 11:44
Peut être que n'importe quelle activité professionnelle peut être exténuante a 80 ans passés, en particulier le tournage d'un film.
Perso, je pense qu’il n’a pas beaucoup beaucoup participé au tournage du film ou au moins, pas autant qu’il aurait voulu (Godard a fait pareil avec ses 2-3 derniers films mais… Godard n’avait pas arrêté de faire du cinéma depuis 30 ans - j’ai pas dit que ‘pas tout le monde s’appelle Godard’ ok ? 😝)
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SI j'ai bien compris, ça faisait un moment qu'il ne bossait plus qu'à son rythme en faisant des courts métrages ou des oeuvres pour des musées. Se relancer dans un gros projet a du lui remettre des contraintes financières, calendaires etc... qui peuvent être accablantes, je l'imagine bien.
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yhi a écrit :
dim. 27 août 2023 19:18
SI j'ai bien compris, ça faisait un moment qu'il ne bossait plus qu'à son rythme en faisant des courts métrages ou des oeuvres pour des musées. Se relancer dans un gros projet a du lui remettre des contraintes financières, calendaires etc... qui peuvent être accablantes, je l'imagine bien.
Oui, mais dans ce cas, il n’était pas obligé de le faire
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B-Lyndon a écrit :
sam. 26 août 2023 07:35
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Fermer les yeux, Victor Erice, 2023.


Seconde vision, et le film m'a cette fois paru splendide. J'ai bien fait d'y retourner, j'étais vraiment trop fatigué la dernière fois pour goûter à toutes ses subtilités, et - petite note parisiano-centrée - la salle 1 du Louxor (qu'on peut aisément nommer pire salle de Paris :D ), avec son écran mal étalonné et le son dégueulasse, n'a pas aidé.


Ok, j'y retourne aussi !
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B-Lyndon
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Anatomie d'une chute, Justine Triet, 2023.

La première partie du film me paraît assez extraordinaire. Une balle qui tombe d'un escalier, un chien qui descend pour la ramasser. Un entretien audio entre une écrivaine et une jeune thésarde séduisante, perturbé par un morceau de 50 Cent, venu des combles d'un chalet perdu. Un enfant malvoyant marchant dans la neige, lançant des bâtons à son chien qui court pour les ramasser, et le geste qui se répète, plusieurs fois. Justine Triet crée du jeu : on lance quelque chose, ou on le laisse tomber, et on attend de voir ce qui l'attrape, comment ça va être rattrapé. On laisse tomber une balle, une vague phrase de drague, un bâton au chien dans la neige, et on attend. Mais là-haut le mari jaloux laisse couler la musique sur les épaules de sa femme, "pour l'emmerder". Il attend de voir. Nous attendrons 1h30 pour voir à nouveau cet homme vivant, mais il est là, déjà, fantôme des combles, pris dans le jeu forcément perdant du désespoir : attendre en haut, souverain déchu, qu'on vienne le chercher. Et puis la chute, le crâne fracassé on ne sait comment, les gouttes de sang dans la neige. L'enfant qui voit mal mais dont le chien a vu pour lui. Mais voir ne suffit pas, et Justine Triet, avec cela, joue, funambule. On quitte à peine la maison. L'avocat vient, les experts, on essaie de comprendre, les règles empiriques d'un jeu qui a mal tourné. La chute d'un corps qui cette fois n'est pas revenu, n'a pas été rattrapé. On voit comment la société essaie de tout nommer, de tout comprendre. On voit aussi des choses plus simples : comment on fait avec la mort, avec le deuil, d'un mari, d'un père, avec la montagne et la neige, la distance. Comment on descend en ville. Comment on habite une maison qui a vu la mort. Il y a du temps, de l'espace, des corps qui se frôlent. Tant que la suspicion n'est pas clairement nommée, le film me semble baigner dans un mystère absolument singulier, saisi dans une forme hétérogène très inspirée.

Mais il y a un moment où la société emmure les mystères et le film perd le jeu : voilà qu'on se retrouve un an plus tard, enfermé dans la salle d'audience, pour assister au procès de Sandra Voyter. Suicide ou meurtre ? Et c'est là le principal problème. Dans la première partie du film je regarde des situations, je les reçois, je me balade à l'intérieur d'elle. Dans la seconde, je suis tout entier pendu à cette question : suicide ou meurtre ? Il me semble que le film, en se cloitrant ainsi, en cloitrant ainsi mon regard, perd sur le terrain de la perception. Je ne suis plus récepteur, je suis juge. Je suis dans une posture de débusquage. Pourquoi pas, mais qu'on ne me fasse pas croire qu'Anatomie d'une chute est à l'instant où il fait ce choix autre chose qu'un film de scénario. Cette mauvaise façon à mon sens, très télévisuelle ou sérielle, de mettre le spectateur "en jeu", justement, alors que le jeu devrait rester sur l'écran. Mais Sandra Voyter ne peut plus jouer, et c'est là le grand défaut du film pour moi : on fait dans son procès le portrait d'une femme complexe, dure, ambitieuse, impitoyable, mais qui sait aussi aimer, donner confiance, tant que la personne en face sache recevoir. Une femme libre, qui se sauve toujours avant de sauver les autres, et qu'on attaque pour ça, non sans machisme larvé. Idée passionnante, et très moderne. Mais comment la filme Triet ? Assaillie par les questions de l'avocat générale, dans un état de constante vulnérabilité, toujours bien sous tout rapport dans les scènes hors-procès, toujours aimante et fragile, jamais vraiment dure ou blindée. Je reviens aux Herbes sèches : quand quelqu'un se défend, il peut parfois devoir devenir le monstre qu'on lui reproche d'être. Jamais elle n'est filmée comme son mari l'a vu, et ainsi le personnage me paraît moins complexe que le portrait que le procès en fait. C'est dommage, parce qu'ainsi le cinéma perd la partie, et la mise en scène devient autre chose qu'un relai de complexification d'une situation dont les signes échappent, mais devient l'illustration d'une situation déjà complexe, à savoir un procès. Mais elle illustre, simplement. Et alors je me fous un peu de ce qui arrive à Sandra Voyter, de ce couple, et qu'il me paraît difficile de croire à autre chose qu'à la thèse du suicide. D'autant que je sens que Triet veut que mon corps la sache innocente. Que mon corps soit soumis à cette intuition. Jamais plus la mise en scène ne parvient à se frayer une petite place, aux abords du procès, pour ramener à moi le mystère d'une situation. Le film est collé à son récit judiciaire et ne trace pas de lignes à travers lui ; ce qui fait loi, c'est ce qui est dit. C'est le scénario, en béton armé, souvent très fin, mais qui gagne sur le terrain de la psychologie, plus vraiment sur celui de la description d'un monde. Et moi je me rend compte qu'il n'y a que la description d'un monde qui m'intéresse au cinéma. Le chalet, la neige, la chute, l'enfant, le chien, la balle, 50 Cent : tous ces éléments que le film repasse ensuite au peigne fin, avec beaucoup moins d'invention et de plaisir.
Modifié en dernier par B-Lyndon le jeu. 31 août 2023 16:21, modifié 2 fois.
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sokol a écrit :
dim. 27 août 2023 11:39
À propos de “Fermer les yeux” de Erice :

Dans son interview au Cahiers que je ne l’avais pas encore lu, le réalisateur dit :

La mise en scène était très déterminée par les conditions de tournage. Il m'a semblé que le plus raisonnable était de déployer la réalisation la plus simple possible, toujours au service des acteurs, sans plans-séquences ni grands mouvements de caméra. C'était probablement le seul moyen de respecter un plan de travail qui fut à certains moments véritablement exténuant.

Je m’étais pas trompé : le film était gavé de champ-contrechamp mais je ne comprend pas pourquoi ce tournage a été si exténuant. Où était le problème ?? Quelqu’un a une idée ?

C'est vachement exténuant un tournage, surtout à 80 ans passés !
Le procès que tu fais à l'usage des champs-contrechamps me semble vraiment injuste. C'est toi même qui m'a fait comprendre que la question au cinéma c'est pas le procédé en soi mais comment on en use. Franchement, t'as vu récemment un film avec une telle science du champ-contrechamp? Comment tu arrives au gros plan, comment on passe d'un personnage à l'autre...C'est absolument brillant.
Tu préfères peut-être les zooms dégueus et les longues focales de Triet :D , qui, ça crève les yeux, a tellement envie d'être partout à la fois que le film perd vachement sur le terrain formel. Erice il est peut-être vieux mais il sait où il se tient.
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B-Lyndon a écrit :
lun. 28 août 2023 12:28
la question au cinéma c'est pas le procédé en soi mais comment on en use.
plus que d'accord, pense bien ! :jap:
B-Lyndon a écrit :
lun. 28 août 2023 12:28
Franchement, t'as vu récemment un film avec une telle science du champ-contrechamp? Comment tu arrives au gros plan, comment on passe d'un personnage à l'autre...C'est absolument brillant.
et bien, j'ai pas trop aimé les gros plans. :( , je suis honnête. Celui de Ana Torrent par ex. Je ne le trouve pas très beau. On dirait qu'on est devant "mère et fils" de Sokurov

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B-Lyndon a écrit :
lun. 28 août 2023 12:28
Erice il est peut-être vieux mais il sait où il se tient.
Que Erice sait où il se tient mieux que Triet, ça c'est une évidence. Mais le cinéma est un 'truc' tordu : ça peut produire l'inverse parfois (je me suis ennuyé devant Erice, je suis honete une fois de plus) : je ne me suis pas ennuyé devant Anatomie
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sokol a écrit :
lun. 28 août 2023 13:10

B-Lyndon a écrit :
lun. 28 août 2023 12:28
Erice il est peut-être vieux mais il sait où il se tient.
Que Erice sait où il se tient mieux que Triet, ça c'est une évidence. Mais le cinéma est un 'truc' tordu : ça peut produire l'inverse parfois (je me suis ennuyé devant Erice, je suis honete une fois de plus) : je ne me suis pas ennuyé devant Anatomie

Complètement l'inverse pour moi !
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B-Lyndon a écrit :
lun. 28 août 2023 12:12
D'autant que je sens que Triet veut que mon corps la sache innocente.
Estimes-toi heureux ! :D Tout simplement parce que elle sait bien que c'est un meurtre mais, comme c'est une maman (d'ailleurs, je doute très fortement que Justine Triet n'ait pas d'enfant !) elle décide, via le petit, de sauver une maman (j'ai pas dit une femme, nuance).
Ou comme j'aime bien dire : tout le monde doit mourir, sauf... les mères ! (j'ai pas dit les femmes)
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Bon, je viens de vérifier :D: Triet a des enfants (je suis fier : bien vu !). Elle n'aurait jamais pu faire ce film si elle n'en avait pas.
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len'
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Asteroid City de Wes Anderson
Coincé dans un salon avec un type qui me montre ses plus beaux tableaux et les déplace à droite, à gauche, en haut, en bas. Il a l'air de demander si ça fait bien. Je réponds oui, mais j'attends que commence le film, avec des images habitées et pas uniquement habitables.
(je retiens quand même l'alien timide, sympathique, qui me rappelle que c'est dans l'animation que je préfère Anderson).



Indiana Jones et le cadran de la destinée de James Mangold
Les premières images de Harrison Ford rajeuni numériquement résume bien le film : ça ressemble à... ça fait comme.... bref, c'est inutile.



Oppenheimer de Christopher Nolan
Coincé dans une classe avec un type qui dessine des grands schémas au tableau, parle beaucoup et rapidement pour expliquer la physique, le temps, la vie, etc.
Question d'un élève : "on peut faire une pause ? Il fait beau dehors".
Réponse : "Non, pas le temps".

J'espère qu'il va retourner vite fait aux concepts foireux et irréalistes qui donnent une mise en pratique bien plus galvanisante. Il y a déjà Clint Eastwood et Ridley Scott sur le créneau des biopics.



Mission impossible : Dead Reckoning, partie 1
de Christopher McQuarrie
Parmi les blockbusters sortis cette année, c'est certainement le meilleur. Mais c'est aussi un des pires mission impossible, trop sage pour être stimulant. J'ai revu par la suite mission impossible 2, bien plus fun, que ce soit dans ses galipettes, sa musique et les cheveux longs de Tom Cruise. Les gros films se mettent au régime, vivement le prochain Michael Bay.
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Narval
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et bien, j'ai pas trop aimé les gros plans. :( , je suis honnête. Celui de Ana Torrent par ex. Je ne le trouve pas très beau. On dirait qu'on est devant "mère et fils" de Sokurov
Je m'incruste mais il n'y a pas de tels plans dans Mère et fils tu dois confondre avec un autre film (ou faire un nouveau procès à ce film - je sais que tu l'aimes pas mais n'invente pas des plans :D ). S'il y a un truc qu'on retient de Mère et fils par ailleurs ce ne serait clairement pas les gros plans (peut-être 2 ou 3 en tout) mais les plans larges.
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Narval
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Enregistré le : sam. 24 oct. 2020 01:34

asketoner a écrit :
mer. 23 août 2023 09:57
L'autre corps, celui d'Hermes, est un peu plus confus, un peu plus noyé sous un paquet d'histoires et d'idées pas toutes abouties, alors que ce qui est le plus intéressant, c'est sa peau qui pèle à cause du psoriasis. Tsai Ming-Liang (par exemple, mais pas tout à fait au hasard) se serait contenté de ce détail, il aurait tout articulé autour de ça, Lav Diaz est plus brouillon, plus superficiel aussi : j'ai l'impression qu'il donne beaucoup d'idées au lieu d'en choisir une, de s'y tenir et de voir où elle le conduit.
Tu as raison sur ce fait : Lav Diaz a tendance à élaborer ses personnages avec plein d'idées qui ne sont pas toujours abouties, c'est parfois flagrant dans certains de ses autres films comme Halte qui brassait beaucoup d'intrigues secondaires et encore plus d'idées lancées ça et là (et donc souvent non abouties). Je pense que cela a à voir avec la méthode d'écriture : le scénario est écrit au fur et à mesure du tournage, généralement tard le soir, et les acteurs reçoivent tout le matin même (il me semble que HHS fait à peu près la même chose, corrigez-moi si je me trompe). C'est le meilleur moyen pour introduire plein d'idées en fonction du jeu des acteurs de la veille et de parfois dévier des trajectoires initiales - ou même d'obtenir des incohérences. Personnellement je trouve que c'est justement plaisant d'avoir des caractérisations qui ne vont pas nécessairement se résoudre d'un point de vue logique (scénaristiquement parlant) plus tard, comme on a l'habitude avec tellement d'autres réals. Cela pourrait être frustrant mais je trouve qu'il tient toujours bien la plupart de ses idées. Cela rend entre autre les personnages plus vivants puisqu'ils ne sont pas "déterminés" par quelques traits ou caractéristiques et qu'il peut développer plein de pistes et donc d'idées au sein d'un seul film, lui donnant une dimension romanesque/épique. Dans quand les vagues se retirent par ailleurs, il se restreint à très peu de personnages et je trouve justement que la question du psoriasis est tout de même bien développée. Il y a la question du soin (personnel avec les nombreuses séquences où il se couvre de crème ou bien quand il se baigne, ou administré), et du regard des autres : celui de sa famille - la sœur qui l'acceptera grâce à sa maladie, un proche de la région qui au contraire ne lui parlera plus une fois qu'il aura vu ses plaques. Et il y a les inconnus - les prostituées et autres oiseaux de nuit - qui changent de regard en fonction de sa propre attitude.
asketoner a écrit :
mer. 23 août 2023 09:57
Mais il y a toujours cette question de la durée : les scènes sont extrêmement longues et donnent au film dans son ensemble une structure un peu trop informe à mon goût.
La narration en parallèle rend justement le film très rythmé pour moi. On est dans l'attente/anticipation des ruptures temporelles et/ou spatiales entre les deux protagonistes, on est souvent surpris par les tournures de certaines scènes (notamment du côté de Primo qui a vraiment passages déconcertants qui alternent entre plusieurs états d'esprit et donc d'émotions), et il y a des changements importants en termes de durée de séquence (par exemple le film décélère durant la partie en bord de mer et s'accélère vers la fin sur le port jusqu'au climax -, de manière générale d'ailleurs la partie Primo est plus nerveuse).
asketoner a écrit :
mer. 23 août 2023 09:57
Et le fou se suicide après avoir hurlé "pays de merde !" & "pays plein d'assassins !", je comprends pourquoi il hurle ça, je trouve plutôt logique qu'un cinéaste philippin finisse son film sur ces répliques, mais je ne vois pas vraiment ce qui l'y conduit, je reçois un message encore une fois, et pas un parcours. D'ailleurs le film lui-même est parfois très complaisant avec la violence qu'il expose.
C'est vrai, Lav Diaz est un cinéaste très engagé pour son pays, et cela transparaît souvent au travers de ses dialogues, notamment des monologues. On peut lui reprocher son manque de subtilité pour véhiculer ses positions, mais je trouve que le côté quasi militant de certaines séquences est très fort. Ici encore plus lorsqu'il est proféré par les salauds eux-mêmes, face à une ville qui n'écoute pas et ne voit pas. Depuis plusieurs films, il a commencé à mettre les bourreaux, les présidents malades et les policiers pourris sur le devant, je trouve la démarche très intéressante. Le fait de voir ce type qui est dans les forces de l'ordre, mettre fin à ses jours, dans l'indifférence la plus totale, et de cette manière (ritualisée), est hautement troublante.
D'ailleurs le film lui-même est parfois très complaisant avec la violence qu'il expose.
Je sais que @yhi avait déjà fait part de ce sentiment notamment pour Heremias (que je n'ai pas terminé d'ailleurs), et c'est vrai qu'il y a des séquences très violentes dans ses films, qui sont parfois filmées en intégralité (le plan séquence étant roi). Mais pour moi il n'y a pas de plaisir derrière la caméra durant ses moments, ni de clin d’œil, ni d'effort pour choquer. Je trouve qu'il a une bonne distance de manière générale, et qu'il n'occulte pas la violence en la sur-esthétisant ou en cadrant d'une certaine manière. Oui la violence est parfois détournée, comme dans son film musical, parfois cruellement absurde comme dans ce film où rites de baptêmes se mêlent à torture, mais elle est avant tout là pour véhiculer le contexte sociétal - la violence est endémique dans le pays. Il y a cette phrase du reporter Raffy qui compare la vie des philippins à celle des poulets de combat.
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sokol
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Narval a écrit :
lun. 28 août 2023 20:18

Je m'incruste mais il n'y a pas de tels plans dans Mère et fils tu dois confondre avec un autre film (ou faire un nouveau procès à ce film - je sais que tu l'aimes pas mais n'invente pas des plans :D ). S'il y a un truc qu'on retient de Mère et fils par ailleurs ce ne serait clairement pas les gros plans (peut-être 2 ou 3 en tout) mais les plans larges.
Tu as raison ! Ce n’est pas les plans larges mais la qualité de l’image de ces plans larges (elles bavent on dirait) qui m’a fait penser à Mère et fils
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Tu as raison ! Ce n’est pas les plans larges mais la qualité de l’image de ces plans larges (elles bavent on dirait) qui m’a fait penser à Mère et fils
Ah OK mais du coup j'ai encore plus envie de le voir 😅
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yhi
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sokol a écrit :
lun. 28 août 2023 21:49
Tu as raison ! Ce n’est pas les plans larges mais la qualité de l’image de ces plans larges (elles bavent on dirait) qui m’a fait penser à Mère et fils
Tu as lu la critique de notre ami Teklow qui parle justement de cette image numérique ?
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yhi a écrit :
mar. 29 août 2023 07:38

Tu as lu la critique de notre ami Teklow qui parle justement de cette image numérique ?
sur Senscritique ?
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Narval a écrit :
lun. 28 août 2023 22:06
Ah OK mais du coup j'ai encore plus envie de le voir 😅
Il faut ! je ne dirais jamais qu'il ne faut pas aller voir le dernier Erice. On l'attendait comme un messie donc
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Ama Gloria, Marie Amachoukeli

C'est l'histoire d'une petite fille qui a perdu sa mère, et dont la nourrice décide de retourner au Cap-Vert s'occuper de ses propres enfants. La petite fille obtient de pouvoir partir la voir, seule, l'été suivant, et réalise ainsi ce qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire avec sa mère : le deuil de la relation en présence de la personne aimée.
Le film est ouvertement mélodramatique, bouleversant dans sa manière d'endosser une large palette de sentiments, pas tous très positifs. Il se risque à exposer la jalousie d'une enfant, la façon dont l'argent circule dans la relation, et les rapports de classe et de race qui la sous-tendent. Pourtant tout est très beau : il ne s'agit pas de dénoncer, mais de ne pas cacher ce qui existe et explique bien des choses.
Ama Gloria fait penser à Party Girl, que Marie Amachoukeli avait coréalisé, mais aussi à ces films français des années 70 à 90 qui cherchaient l'émotion avant tout, dans un geste nerveux, emporté.
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Paradis, Alexander Abaturov

Je m'attendais à un film fou à la Herzog, mais on dirait plutôt une très longue pub pour les assurances.
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mer. 30 août 2023 10:31
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Ama Gloria, Marie Amachoukeli

C'est l'histoire d'une petite fille qui a perdu sa mère, et dont la nourrice décide de retourner au Cap-Vert s'occuper de ses propres enfants. La petite fille obtient de pouvoir partir la voir, seule, l'été suivant, et réalise ainsi ce qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire avec sa mère : le deuil de la relation en présence de la personne aimée.
Le film est ouvertement mélodramatique, bouleversant dans sa manière d'endosser une large palette de sentiments, pas tous très positifs. Il se risque à exposer la jalousie d'une enfant, la façon dont l'argent circule dans la relation, et les rapports de classe et de race qui la sous-tendent. Pourtant tout est très beau : il ne s'agit pas de dénoncer, mais de ne pas cacher ce qui existe et explique bien des choses.
Ama Gloria fait penser à Party Girl, que Marie Amachoukeli avait coréalisé, mais aussi à ces films français des années 70 à 90 qui cherchaient l'émotion avant tout, dans un geste nerveux, emporté.

C'est vrai que ça a l'air super beau, la bande-annonce donne (c'est rare) sacrément envie.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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groil_groil
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Désolé de n'avoir pas plus de temps à consacrer à ce beau forum :hello:

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Absolument honteux. Me mets tellement en colère que je n'ai pas l'énergie d'en parler plus précisément.

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Super bien évidemment, mais ce n'est pas le plus beau Moravia adapté, et puis tu sens bien que c'est une prod Carlo Ponti : on a vraiment l'impression que c'est un festival Sophia Loren, c'est parfois un peu too much.

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Sublimissime, t'as vraiment l'impression que c'est pour faire un film comme ça que le cinéma a été inventé. Me hante depuis que je l'ai vu. Crève d'envie de le revoir. Un des plus beaux autoportraits de l'histoire du cinéma. Bouleversant et d'une intelligence de mise en scène qui me fait encore fremir. Et d'une beauté plastique à couper le souffle.

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Pas mal dans les intentions mais un peu chiant dans le procédé et niveau cinéma c'est quand même le raclage de fond de tiroir, t'as l'impression de voir du Toledano / Nakache meet Depardon meet la série En Thérapie. je suis certain que Télérama adore.

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Quand tu penses qu'aujourd'hui le cinéma de divertissement grand spectacle c'est ça, t'as juste envie de pleurer. Zéro pointé.

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C'est Alice de Woody Allen mixé avec Anna Oz de Rochant, mais le film manque de thunes ou de professionnalisme dans ses ambitions, l'ensemble fait un peu amateur, y a des problèmes d'étalonnage, etc., même si l'ensemble s'améliore un peu sur la fin.

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La vulgarité misogyne du trio de porcins Delon / Lautner / Audiard : horrible.

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Quintessence du western hollywoodien classique (même si ce n'est pas le meilleur Mann).
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sokol a écrit :
lun. 28 août 2023 13:36
B-Lyndon a écrit :
lun. 28 août 2023 12:12
D'autant que je sens que Triet veut que mon corps la sache innocente.
Estimes-toi heureux ! :D Tout simplement parce que elle sait bien que c'est un meurtre mais, comme c'est une maman (d'ailleurs, je doute très fortement que Justine Triet n'ait pas d'enfant !) elle décide, via le petit, de sauver une maman (j'ai pas dit une femme, nuance).
Ou comme j'aime bien dire : tout le monde doit mourir, sauf... les mères ! (j'ai pas dit les femmes)
+1 (Bégaudeau, surtout à partir de la 50e minute - à propos, il a beaucoup aimé le film https://on.soundcloud.com/auDE8jd6VTNbETtf6
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Sages-femmes, Léa Fehner

Le film se passe presque exclusivement en salle d'accouchement, et suit le parcours de deux jeunes femmes qui débutent comme sages-femmes dans un hôpital. Il ne s'agit pas exactement d'une histoire d'amitié, les premières scènes nous donnent quelques aspects de la vie privée des personnages, mais cette vie privée s'efface bientôt au profit de la rencontre avec un milieu. On voit le privé se dissoudre progressivement dans le public, avec plus ou moins d'accrocs (en fait, je dirais même qu'on voit l'aliénation à l'oeuvre, nécessaire, en tout cas inévitable). Les deux femmes ne deviendront pas seulement de grandes amies, mais aussi (et c'est ce qui nous est montré) des collègues. Elles apprendront à travailler ensemble et parmi les autres. Et tout ce que nous connaîtrons d'elle, tout ce qui nous permettra de les connaître, ce sera leur façon d'être au travail.
La réalisatrice est très courageuse, elle multiplie les scènes d'accouchement et donne à toutes une tonalité particulière. Chaque nouvelle entrée dans le service est comme une histoire à saisir à toutes vitesses. Quelques scènes sont plus fabriquées que d'autres (la migrante n'est pas une réussite). Certaines m'ont semblé un peu inutiles, surtout celles (très rares) où l'on quitte l'hôpital, qui viennent diluer la radicalité du film.
Enfin, il n'y a aucun comédien connu. Tous les acteurs sont des élèves du conservatoire. A aucun moment ne surgissent Isabelle Huppert ou François Cluzet avec une charlotte sur la tête. (Juste avant le film, était diffusée la bande-annonce du prochain Thomas Lilti, qui a décidé de filmer un collège où les profs sont tous joués par des acteurs qui ont eu au moins un César.) C'est peut-être ce qui permet à la cinéaste de faire un film très politique, où se pose sans cesse la question des conditions de travail, et qui se termine par des images de manifestations. (Il y a d'ailleurs une blague géniale sur le salaire, à mi-chemin du film, qu'il aurait été difficile de faire dire à Adèle Exarchopoulos par exemple.) Et le film en paye le prix : il est diffusé dans 3 salles et demi, même pas toute la journée, et personne ne va le voir. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est un film assez droit, touchant, qui pose quelques questions. Mais on s'en fout, on veut juste voir un collège dirigé par François Cluzet (je parie que cette saleté fera un million d'entrées). J'ai l'impression qu'on ne verra bientôt plus de films français tournés sans la caution d'une star.
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B-Lyndon a écrit :
jeu. 31 août 2023 16:03
asketoner a écrit :
mer. 30 août 2023 10:31
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Ama Gloria, Marie Amachoukeli

C'est l'histoire d'une petite fille qui a perdu sa mère, et dont la nourrice décide de retourner au Cap-Vert s'occuper de ses propres enfants. La petite fille obtient de pouvoir partir la voir, seule, l'été suivant, et réalise ainsi ce qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire avec sa mère : le deuil de la relation en présence de la personne aimée.
Le film est ouvertement mélodramatique, bouleversant dans sa manière d'endosser une large palette de sentiments, pas tous très positifs. Il se risque à exposer la jalousie d'une enfant, la façon dont l'argent circule dans la relation, et les rapports de classe et de race qui la sous-tendent. Pourtant tout est très beau : il ne s'agit pas de dénoncer, mais de ne pas cacher ce qui existe et explique bien des choses.
Ama Gloria fait penser à Party Girl, que Marie Amachoukeli avait coréalisé, mais aussi à ces films français des années 70 à 90 qui cherchaient l'émotion avant tout, dans un geste nerveux, emporté.

C'est vrai que ça a l'air super beau, la bande-annonce donne (c'est rare) sacrément envie.
Là aussi, pas de star, pas de spectateur (je crois).
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La Beauté du geste, Shô Miyake

C'est tellement lisse... On dirait que le film cherche à faire du Japon un pays idéal où la bienveillance règne et où tout le monde s'émeut des petites choses de la vie. D'ailleurs il y a quelques très beaux moments, mais ils sont noyés dans une grosse soupe écoeurante.
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Les enfant voulaient à tout prix voir un De Funès qu'ils ne connaissaient pas (ils sont archi fans) donc voilà. Je m'en souvenais assez mal et confondait à moitié avec le Petit Baigneur (que je connais mal aussi). C'est pas terrible, y a des moments marrants. Le point fort c'est les mimiques et répliques de Funès, c'est la grande période, il est en état de grâce, du "ma biiiche" en veux tu en voilà, le point faible c'est que c'est vraiment dommage que la situation extraordinaire mise en place dans le film (un homme congelé pendant 70 ans revient à la vie) ne soit jamais exploité scénaristiquement. Pire, Molinaro fait tout pour ne pas la traiter et l'évite à chaque fois, alors qu'il y a un potentiel absolument merveilleux à la Interstellar, où ce type voit sa petite fille qui se fait passer pour sa mère car elle en a désormais l'âge.

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Une très bonne idée, un père et son fils en fuite dans une région en flammes à cause des incendies à répétition à la recherche du fils du dernier, et un message en sous-texte sur le réchauffement climatique qui fait froid (enfin chaud) dans le dos. Malheureusement le film peine un peu à convaincre dans son huis-clos d'où n'émerge pas grand chose, et alors que la durée du film est pourtant très courte, un ennui profond qui arrive assez vite, à cause d'un scénario bien trop mince et un manque flagrant de péripéties.

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Ultran fan hardcore du premier Hellraiser, je m'étais jusqu'à présent arrêté au 3, car la qualité baisse rapidement. Mais ce 4ème volet est encore très plaisant, à prendre comme une série B d'horreur tout simplement et ça passe très bien, notamment parce que le film apporte encore pas mal d'éléments sur la "mythologie" Hellraiser, en remontant aux origines et à la création de la boite. Le film est construit en trois parties distinctes, présent, passé, futur, qui s'imbriquent très bien entre elles, et même si, époque faisant, c'est parfois filmé comme un épisode de Buffy, c'est encore un très beau plaisir coupable.

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Un tout jeune procureur plein de zèle débarque dans un bled paumé d'Anatolie avec la ferme intention de faire régner la loi, mais va se heurter à la corruption locale, tombant dans un piège insoluble dont, in fine, il ne serait peut-être pas que la victime. Très beau film Turc sorti cette année, montrant la vivacité du cinéma dans le pays, thriller d'auteur dans le milieu judiciaire, très lent, avec une ambiance oppressante et maitrisée, mais qui déçoit un peu dans sa façon de ne pas résoudre les choses, de laisser planer le doute. Le cinéaste fait ça pour imposer sa patte, faire un film d'auteur, c'est flagrant, mais il s'y perd un petit peu.

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Un écrivain talentueux mais sans succès, n'arrivant plus à publier, recroise par hasard un ancien ami, écrivain lui aussi, mais qui est devenu une star. Alors en plein divorce houleux, sa femme réclamant la moitié de ses droits, l'homme ne parvient plus à écrire. Il propose donc à notre héros un dangereux marché : publier son roman sous son nom, et partager l'à-valoir. Mais comme sa femme en prend déjà la moitié, l'écrivain en mal de succès se voit aussi demandé d'exécuter l'épouse de l'autre... Très bon thriller littéraire (les thrillers dans le milieu littéraire sont souvent gages de réussite) français de Thomas Vincent, cinéaste tout à fait estimable, qui s'étiole un peu à la fin à cause d'un jeu Eros / Tanathos un peu trop présent et tiré par les cheveux, qui fait sortir le film de ses rails, mais qui dans son ensemble est de bonne facture.

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Après le sublime (le mot est pesé) Je la connaissais bien, je poursuis l'exploration du méconnu Pietrangeli, et je me prends une nouvelle claque avec ce nouveau chef-d'oeuvre de 1953, où une jeune italienne est obligé de fuir sa campagne, et de rejoindre Rome pour y trouver du travail. Elle devient femme de chambre, et doit subir la dureté des patrons, et la drague lourde des hommes. Petit à petit elle se fait à sa condition, commence à sortir avec des copines, et s'amourache d'un plombier. Mais la vie chez Pietrangeli est toujours cruelle et pleine de déceptions, et la jeune femme finira brisée (mais au moins il reste à la fin un tout petit espoir au contraire de la fin immensément noire de Je la connaissais bien). Bref, nouveau chef-d'oeuvre, avec une jeune actrice méconnue et exceptionnelle, Irene Galter, qui a vite arrêté le cinéma après s'être mariée à un riche industriel. Quant à Pietrangeli, dont j'ai envie de voir tous les films, j'ai appris qu'il est moyé noyé accidentellement durant le tournage de son dernier film en 1968 à 49 ans, et que celui-ci fut achevé par Zurlini. Quelle tristesse, j'aurais adoré le voir filmer les années 70 et 80 avec la même acuité et la même désillusion qu'il met en oeuvre pour filmer les 50's et 60's.
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asketoner a écrit :
dim. 3 sept. 2023 11:51
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Sages-femmes, Léa Fehner

Le film se passe presque exclusivement en salle d'accouchement, et suit le parcours de deux jeunes femmes qui débutent comme sages-femmes dans un hôpital. Il ne s'agit pas exactement d'une histoire d'amitié, les premières scènes nous donnent quelques aspects de la vie privée des personnages, mais cette vie privée s'efface bientôt au profit de la rencontre avec un milieu. On voit le privé se dissoudre progressivement dans le public, avec plus ou moins d'accrocs (en fait, je dirais même qu'on voit l'aliénation à l'oeuvre, nécessaire, en tout cas inévitable). Les deux femmes ne deviendront pas seulement de grandes amies, mais aussi (et c'est ce qui nous est montré) des collègues. Elles apprendront à travailler ensemble et parmi les autres. Et tout ce que nous connaîtrons d'elle, tout ce qui nous permettra de les connaître, ce sera leur façon d'être au travail.
La réalisatrice est très courageuse, elle multiplie les scènes d'accouchement et donne à toutes une tonalité particulière. Chaque nouvelle entrée dans le service est comme une histoire à saisir à toutes vitesses. Quelques scènes sont plus fabriquées que d'autres (la migrante n'est pas une réussite). Certaines m'ont semblé un peu inutiles, surtout celles (très rares) où l'on quitte l'hôpital, qui viennent diluer la radicalité du film.
Enfin, il n'y a aucun comédien connu. Tous les acteurs sont des élèves du conservatoire. A aucun moment ne surgissent Isabelle Huppert ou François Cluzet avec une charlotte sur la tête. (Juste avant le film, était diffusée la bande-annonce du prochain Thomas Lilti, qui a décidé de filmer un collège où les profs sont tous joués par des acteurs qui ont eu au moins un César.) C'est peut-être ce qui permet à la cinéaste de faire un film très politique, où se pose sans cesse la question des conditions de travail, et qui se termine par des images de manifestations. (Il y a d'ailleurs une blague géniale sur le salaire, à mi-chemin du film, qu'il aurait été difficile de faire dire à Adèle Exarchopoulos par exemple.) Et le film en paye le prix : il est diffusé dans 3 salles et demi, même pas toute la journée, et personne ne va le voir. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est un film assez droit, touchant, qui pose quelques questions. Mais on s'en fout, on veut juste voir un collège dirigé par François Cluzet (je parie que cette saleté fera un million d'entrées). J'ai l'impression qu'on ne verra bientôt plus de films français tournés sans la caution d'une star.
Il n'était pas passé il y a quelques mois à la tv ? Parce que je l'ai vu, et pas au cinéma, c'est sûr. C'est vrai que c'était bien, maladroit mais bien, avec de merveilleuses actrices.

Pour les stars, je suis bien d'accord, c'est franchement plus possible. Sûrement qu'ils sont sincères, mais c'est comme d'entendre Dicaprio parler d'écologie, j'hésite toujours entre rire et pleurer. Il paraît que c'est ce que le public demande.
De manière générale, je préfère les documentaires pour ces questions. Même si là aussi, c'est souvent trop prudent, trop neutre, pas assez cinéma.
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Un couple d'anglais vit de manière aisée dans une bâtisse d'exception, recevant avec luxe, etc., mais la femme, Dominique, est totalement timbrée, souvent absente, et sans doute schizophrène. Cela cause beaucoup de souci au mari qui, un matin, la découvre pendue dans la serre. Mais pourtant, après l'enterrement, la présence de Dominique se fait encore sentir. Elle hante les lieux de manière de plus en plus fréquente et pressante, de là à faire flipper tout le monde, et a totalement traumatiser le mari : est-ce un fantôme, est-il victime d'hallucinations, donc deviendrait-il fou, ou est-ce que sa femme n'est finalement pas morte, alors qu'il l'a décrochée de sa corde et enterrée ? Réalisé par l'aguerri Michael Anderson, Dominique est un excellent film d'horreur à l'ancienne, ou tout passe par la mise en scène. Le film est en effet très peu bavard, quasi sans dialogues parfois, et l'angoisse vient systématiquement de la façon de mettre en scène ces inquiétantes manifestations dans ce manoir gothique superbement mis en valeur par des décors et surtout une lumière et une photographie magnifiques, absolument pas réalistes, allant sans gène dans des tons criards de rose, de vert, de rouge, de bleu... évoquant avec évidence les films de la Hammer mais plus encore ceux de Mario Bava. C'est un vrai film de cinéphile, d'ailleurs Cliff Robertson venait juste avant de tenir le premier rôle d'Obsession de De Palma, et il est évident qu'Anderson l'a vu et qu'il en tient compte. Belle découvert qu'on doit une fois de plus à l'excellent éditeur Rimini.
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len' a écrit :
lun. 4 sept. 2023 16:29

Il n'était pas passé il y a quelques mois à la tv ? Parce que je l'ai vu, et pas au cinéma, c'est sûr. C'est vrai que c'était bien, maladroit mais bien, avec de merveilleuses actrices.

Pour les stars, je suis bien d'accord, c'est franchement plus possible. Sûrement qu'ils sont sincères, mais c'est comme d'entendre Dicaprio parler d'écologie, j'hésite toujours entre rire et pleurer. Il paraît que c'est ce que le public demande.
De manière générale, je préfère les documentaires pour ces questions. Même si là aussi, c'est souvent trop prudent, trop neutre, pas assez cinéma.
Effectivement, ça a été diffusé sur Arte, je ne savais pas. Ca explique la très chiche diffusion en salles.
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