Le Centre de Visionnage : Films et débats

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groil_groil
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Un Allemand persuade sa femme et son ado de fils d'aller s'installer au Nord de la Norvège où il va travailler sur une plateforme pétrolière. C'est la période de la grande nuit polaire, pas forcément facile pour s'adapter. Son épouse travaille comme infirmière dans une section de grands malades, et enchaine les gardes, sans jours de congés, au bord de l'épuisement total. L'ado est réservé et passe son temps à filmer avec son portable (il n'a qu'un rôle très secondaire). Et l'homme, en bon goujat, prend vite une maitresse qu'il va jusqu'à baiser chez lui pendant que sa femme s'épuise à l'hopital. Celle-ci d'ailleurs, en rentrant en pleine nuit (enfin c'est facile à ce moment-là, il fait tout le temps nuit), percute quelque chose sur une route enneigée. Elle s'arrête mais ne descend pas de voiture. Elle ne voit rien derrière elle, sans doute un chien errant, et épuisée, décide de repartir. Le lendemain, le couple après par le journal qu'une adolescente du village a été retrouvée morte dans la nuit, fauchée par une voiture. Le couple est effondré - ils connaissent les parents - mais décide de ne rien dire. Sauf que le mari en parle à sa maitresse... Je ne dévoile pas plus que ça les arcanes scénaristique de ce beau film allemand tourné en trois langues (allemand, norvégien, anglais), j'en dis d'ailleurs bien assez, mais c'est une belle réussite, où les dilemmes qui agitent les protagonistes évoquent parfois le cinéma d'Andrei Zviaguintsev. La mise en scène est sobre et belle, magnifiée par les paysages du pôle Nord d'une beauté extraordinaire, et un travail de lumière superbement élaboré entre les bleus roi et les jaunes très vite, le film étant aussi une réussite graphique.
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groil_groil
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L'histoire du bandit Salvatore Giuliano, qui lutta pour l'indépendance de la Sicile mais dont les plans furent contrecarrés tant par la police, que par la mafia et les Etats Unis. L'originalité du film de Rosi tient au fait qu'on ne voit quasiment jamais le bandit et que le film commence par un plan sur son cadavre. Son histoire est racontée, par le biais de nombreux flashes-back et autant de retours au présent du récit, en creux, par ceux qui l'ont côtoyé, et le film se termine par une grande séquence de procès qui juge tous les gens qui l'ont aidé à monter cette insurrection. C'est un film ample et ambitieux, très intelligent dans sa construction, volontairement construit sans héros, il a à peine un visage, et dont l'aridité me fait parfois penser à l'Evangile Selon Saint Matthieu de Pasolini. Après comme toujours chez Rosi, c'est froid et démonstratif, car il fait partie de ces cinéastes italiens, à l'instar de Petri, Germi, etc. qui font des films pour tenter de rétablir un semblant de justice dans leur pays. C'est tout à leur honneur, et cela donne souvent, comme ici des films courageux, engagés, nécessaires; la contrepartie est que souvent, c'est le cas de tous les films de Rosi que j'ai vus, par exemple, c'est que l'émotion est absente, au mieux relayée au second plan. On ne peut pas tout avoir, et l'on se satisfera donc très bien de ce que le cinéaste nous offre.
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asketoner
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N'attendez pas trop de la fin du monde, Radu Jude

Un film où tout le monde est horrible - mais où personne n'est accusé. Radu Jude vise plus loin que ses personnages ; avec eux, il fait le portrait le plus acerbe qui soit de la violence sociale, et ce qui est montré, ce ne sont pas des salauds (pas seulement, disons), mais la structure même du travail, de la ville, de l'Europe, de l'Histoire, etc... Les personnages sont tous pris dans des structures immenses auxquelles ils participent, et qui les broient sans qu'ils puissent vraiment se débattre.
Radu Jude montre un monde qui agit contre les humains, à leurs dépens. La dimension psychologique est totalement dégonflée par le politique : les personnages sont réduits à leur pulsionnalité. Ainsi, on voit un groupe d'individus qui subissent des choses et tentent de se décharger comme ils le peuvent. L'héroïne, Angelica, est fantastique : dans sa robe à sequins, elle parcourt la ville à la recherche de victimes d'accident du travail, buvant du Red Bull pour ne pas s'endormir au volant, tout en tentant de régler le déplacement de la tombe de ses grands-parents. Mais parfois, elle s'arrête au bord de la route, change de visage et insulte le monde entier sur Instagram (comme le héros d'American Psycho qui tuait quelqu'un entre deux réunions). Il n'y a plus de désir, il n'y a que de la décharge - la transformation du monde en ordure, et celle de l'être humain en monstre.
Radu Jude est par moments encore un peu prisonnier de sa radicalité (et le film se retourne contre le spectateur), mais c'est beaucoup moins le cas que dans les précédents (je dirais même que ça n'est presque plus le cas), et surtout, personne ne fait du cinéma comme ça, aussi cruel, aussi réel. Chaque minute supplémentaire du film élève la précédente, la tord ou la complexifie, la nuance ou la pulvérise. Il y a une intelligence à l'oeuvre : tout est drôle et terrible.
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sokol
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asketoner a écrit :
jeu. 28 sept. 2023 11:10

N'attendez pas trop de la fin du monde, Radu Jude
Je ne t'ai pas lu (je vais le voir ce weekend) mais j'ai une idée :
Le film dure presque 3h c'est ça ? Bon, j'ai vu hier le dernier Kaurismaki. 1h20. Bien.

Et je me dis : quand on fait un film court (Godard, un exemple par excellence) , soit on fait un petit truc assez tiré par les cheveux et on veut le faire passer pour une merveille condensée, soit on fait vraiment un film dense (avec une filmicité d'enfer) mais il faut pour cela un talent fou (exemple : "Je vous salue Marie" ou certains Bresson).
Sinon, il faut au moins 2 heures non ? (autrement dit, comment faire plus court "La sentinelle" de Desplechin ? Impossible).

Bien évidement qu'il n'y a pas de règle (surtout pas !) et tout est une affaire du 'temps saisi" cher à Tarkovski (scellé était une traduction erronée) mais combien même : on peut essayer de voir un peu dedans pour comprendre ce fameux "durée-au-moins-d'une-heure" pour un long métrage et ce que ça cache
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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Tyra
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:hello:
J'espère avoir le temps de rattraper quelques sorties récentes, le Kaurismaki, l'Arbre aux papillons, le Radu Jude, etc, mais ça se bouscule tellement...

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C'est un beau film, et en même temps, je trouve, un "petit" film, parce qu'extrêmement schématique, programatique même. L'impression de voir déroulé un certain savoir faire du cadre, de la mise en scène, de la direction d'acteur, très qualité française, même si au dessus de la grande majorité des "drames bourgeois" actuels. La faute aussi à des personnages archétypaux : le post-ado est une crapule arrogante mille fois vu, la sœur vaguement populo a le parfait look teinture blonde /racine noire dégueu, le mari (excellent Rabourdin) a tout ce qu'on attend d'un patriarche bourgeois. Tout comme le mode de vie, la maison, etc... Après, Breillat arrive quand même à tirer quelques belles situations, les intrusions du maris qui cherche sa place dans sa famille, les discutions entre sœurs, tout cela est bien vu et précis, mais tout ce qui concerne "l'élément perturbateur", je trouve que le film échoue à nous faire plonger avec le personnage principal dans sa folie. On en reste trop extérieur, trop en surplomb. Mais le dernier plan est très beau, oui.


Pour les deux films suivants, je pourrais copier/coller les mots de Groil...

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Si Maïwenn a le don de rendre ses films souvent à la limite de l'insupportable et de l'irritant, force est de constater que celui-ci ne l'est pas du tout, ce qui constitue en soit un exploit. Ce n'est pas très bon pour autant, mais ça se regarde plutôt avec plaisir.



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Lorsqu'on tape "Barbie" dans google image, pourtant à quelques mois de la sortie du film, on n'y trouve que la poupée mise en avant, comme pour indiquer la priorité mercantile du projet Barbie the movie. Je découvre qu'en plus du film, tiré des poupées, il existe des poupées tirées du film. :D
Bref, je ne m'attendais absolument pas à la catastrophe que ce fut : ça a la gueule d'un désastre industriel sans en être un, puisque ça a cartonné dans le monde. Si c'est ça l'alternative aux Marvel... Je le savais depuis son précédent film, confirmation ici: Greta Gerwig n'est pas une cinéaste, son film est absolument catastrophique sur tous les points : le découpage (on dirait du Baz Lurman parfois), le montage, le tempo comique (d'ailleurs les quelques gags potables sont dans la bande annonce), l'écriture (le film ne cherche même pas à construire et rendre crédible son postulat et ses rebondissements). On peut gloser à l'infinie sur le sous-texte sociétal du film, le féminisme, le mercantilisme, etc, mais à ce niveau là d'amateurisme et de foutage de gueule, à quoi bon ?
Allons y quand même : après avoir été la cible des féministes pendant de longues années, accusé de véhiculer des standards de beauté irréaliste pour les jeunes filles, Mattel a décidé de varier les typologies des corps féminins représentés, ainsi que des métiers exercés par Barbie. Le film fait mine de s'en moquer, agitant un grand complot masculin à la tête de la firme pour asservir les femmes. Le film abat alors sa carte magique : l'apparition de la gentille créatrice de la poupée Barbie, une femme cette-fois-ci, détentrice de l'essence émancipatrice de la poupée, qui intervient pour remettre l'ordre égalitaire que les hommes avaient brisé. Le film réussissant donc, à rebours, à laver le pécher originel de la poupée, affirmant les bonnes intentions émancipatrices de la poupée dès sa création, malheureusement gâchée par l'intrusion des hommes. Opération réhabilitation réussie, à la vue du succès du film et de la bonne réception du public féminin.
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groil_groil
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Tyra a écrit :
jeu. 28 sept. 2023 13:11
:hello:
J'espère avoir le temps de rattraper quelques sorties récentes, le Kaurismaki, l'Arbre aux papillons, le Radu Jude, etc, mais ça se bouscule tellement...

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C'est un beau film, et en même temps, je trouve, un "petit" film, parce qu'extrêmement schématique, programatique même. L'impression de voir déroulé un certain savoir faire du cadre, de la mise en scène, de la direction d'acteur, très qualité française, même si au dessus de la grande majorité des "drames bourgeois" actuels. La faute aussi à des personnages archétypaux : le post-ado est une crapule arrogante mille fois vu, la sœur vaguement populo a le parfait look teinture blonde /racine noire dégueu, le mari (excellent Rabourdin) a tout ce qu'on attend d'un patriarche bourgeois. Tout comme le mode de vie, la maison, etc... Après, Breillat arrive quand même à tirer quelques belles situations, les intrusions du maris qui cherche sa place dans sa famille, les discutions entre sœurs, tout cela est bien vu et précis, mais tout ce qui concerne "l'élément perturbateur", je trouve que le film échoue à nous faire plonger avec le personnage principal dans sa folie. On en reste trop extérieur, trop en surplomb. Mais le dernier plan est très beau, oui.


Pour les deux films suivants, je pourrais copier/coller les mots de Groil...

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Si Maïwenn a le don de rendre ses films souvent à la limite de l'insupportable et de l'irritant, force est de constater que celui-ci ne l'est pas du tout, ce qui constitue en soit un exploit. Ce n'est pas très bon pour autant, mais ça se regarde plutôt avec plaisir.



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Lorsqu'on tape "Barbie" dans google image, pourtant à quelques mois de la sortie du film, on n'y trouve que la poupée mise en avant, comme pour indiquer la priorité mercantile du projet Barbie the movie. Je découvre qu'en plus du film, tiré des poupées, il existe des poupées tirées du film. :D
Bref, je ne m'attendais absolument pas à la catastrophe que ce fut : ça a la gueule d'un désastre industriel sans en être un, puisque ça a cartonné dans le monde. Si c'est ça l'alternative aux Marvel... Je le savais depuis son précédent film, confirmation ici: Greta Gerwig n'est pas une cinéaste, son film est absolument catastrophique sur tous les points : le découpage (on dirait du Baz Lurman parfois), le montage, le tempo comique (d'ailleurs les quelques gags potables sont dans la bande annonce), l'écriture (le film ne cherche même pas à construire et rendre crédible son postulat et ses rebondissements). On peut gloser à l'infinie sur le sous-texte sociétal du film, le féminisme, le mercantilisme, etc, mais à ce niveau là d'amateurisme et de foutage de gueule, à quoi bon ?
Allons y quand même : après avoir été la cible des féministes pendant de longues années, accusé de véhiculer des standards de beauté irréaliste pour les jeunes filles, Mattel a décidé de varier les typologies des corps féminins représentés, ainsi que des métiers exercés par Barbie. Le film fait mine de s'en moquer, agitant un grand complot masculin à la tête de la firme pour asservir les femmes. Le film abat alors sa carte magique : l'apparition de la gentille créatrice de la poupée Barbie, une femme cette-fois-ci, détentrice de l'essence émancipatrice de la poupée, qui intervient pour remettre l'ordre égalitaire que les hommes avaient brisé. Le film réussissant donc, à rebours, à laver le pécher originel de la poupée, affirmant les bonnes intentions émancipatrices de la poupée dès sa création, malheureusement gâchée par l'intrusion des hommes. Opération réhabilitation réussie, à la vue du succès du film et de la bonne réception du public féminin.
:jap: :jap: :jap:
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groil_groil
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Le film se fait pas mal descendre, mais j'ai trouvé ça super bien, pas loin d'avoir adoré. La petite musique Allenienne est toujours la même, mais il la joue merveilleusement bien, et la transposition à Paris en langue française se fait tout naturellement, et il arrive à sublimer les acteurs qu'il emploie. Le film ressemble à du Mouret en mieux, mieux joué, mieux mis en scène, mieux rythmé, et plus profond. Même la photo de Storaro m'a plu, il joue magnifiquement des contrastes, des ambiances automnales, de jeux de lumière, un travail sur le bleu assez inédit chez lui aussi, et très intéressant. Les acteurs, j'y reviens, sont super, et notamment Lou de Laâge qui était certes une bonne actrice débutante dans ses premiers films, qui ici est sublimée par le metteur, et son jeu devient exceptionnel, capable de rivaliser avec une Romy Schneider par exemple. Lemercier est fabuleuse aussi, et les garçons sont plus dans leur registre habituel, mais s'amusent et ça se voit. Schneider butte sur quelques phrases, mais se reprend en live et ça ne heurte pas trop le récit. Evidemment, ça se passe dans un Paris fantasmé où tout est sublime, dans la grande grande bourgeoisie, où les intérieurs sont sublimes, et les extérieurs automnaux chiadés à la moindre feuille d'arbre, mais c'est ce qui fait le charme des films d'Allen, et puisqu'on l'accepte quand ça se passe à New York, pourquoi ne pas l'accepter à Paris. Le film est d'ailleurs très largement supérieur à son nanar Minuit à Paris, et sa vision de la ville est beaucoup moins cliché et carte postale dans le nouveau film, même si elle reste très luxueuse. Quant à l'intrigue, je ne vais pas vous la dévoiler, mais il poursuit le cycle mis en place avec Crimes & Délits (l'un de ses chefs-d'oeuvre), puis repris ensuite sur Match Point, puis dans le Rêve de Cassandre (et dans d'autre), mais en en inversant le paradigme, car ce n'est ce coup-ci pas la femme qui sera la victime. Donc c'est tout sauf un film de vieux en fin de course, et même s'il y a deux trois scènes ou réactions (dues au scénario essentiellement) qui ne fonctionnent pas trop, elles ne nuisent en rien à l'enthousiasme général que je ressentis durant cette projection. Tellement content de pouvoir encore voir des films d'Allen sortir en salles, et s'il souhaite finir sa carrière en France et en langue française, welcome mate !

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Wes Anderson adapte en ce moment des nouvelles de Roald Dahl pour Netflix et les films sont diffusés chaque soir, je crois qu'il y en a 7 au total. Voici donc les deux premiers, où le cinéaste retrouve sa veine expérimentale de ses derniers longs sortis en salle, avec un texte omniprésent (il ne doit pas être loin de faire lire la quasi totalité des textes) et des scènes souvent semblant bricolées qui viennent soient illustrer le récit soit, c'est plus fréquent, en proposer le contrepoint. C'est ludique et érudit, mais la forme courte (37mn puis 17mn pour ces deux films) ne permet pas à Anderson de rentrer dans le coeur du sujet et j'ai eu du mal à en ressentir la moindre émotion. ça reste sublime plastiquement et super intelligent dans la mise en scène, ça ne dépasse pas pour le moment le stade de l'exercice de style. Je serai tout de même bien évidemment au rendez-vous des suivants.

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Une parodie des duos de flic façon buddy movie, reprenant la licence Dragnet, et déconnant comme on déconne dans un John Landis, mais avec une structure moins élaborée que celle des films de ce dernier. Le duo d'acteurs est bien évidemment génial, et même si le film est médiocre, il est aussi loufoque et c'est ce qui le sauve et le fait nous remémorer tout un pan du cinéma américain des 80's qu'on aime tant.
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mer. 27 sept. 2023 12:44
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Les Feuilles Mortes, Aki Kaurismaki

Pas meilleur ni moins bon que les autres films de Kaurismaki : le cinéaste tient son positionnement, à la fois local et désespéré, minuscule et fougueux. Il cherche l'image métonymique, et peut-être même la vie métonymique : en quoi le moindre humain souffre avec le monde dans son ensemble, en quoi le moindre chagrin relève d'une détresse internationale. La guerre en Ukraine réduit la puissance d'aimer, le travail précaire et les humiliations réduisent la puissance d'aimer, tout conspire contre l'amour. Certains ont honte de leur âge, d'autres boivent. Et puis, un soir, on jette à la poubelle l'assiette qu'on avait achetée pour recevoir un ami chez soi. On n'en veut plus, de l'autre. On risquerait même de s'en passer. Le film lutte contre le désespoir sans le cacher, il le prend pour principe fondamental de toute relation : quand tout le monde sera absolument, réellement triste, quand tout le monde sera débarrassé de sa honte et capable de porter sa tristesse, alors l'amour, peut-être, adviendra. La gare attaquée en Ukraine s'appelle Tchaplyne, le chien trouvé au coin de la rue s'appellera Chaplin aussi : un même nom contient à la fois l'oeuvre géniale et le désastre.
J'ai vu ce que tu dis : chez Kaurismaki, c'est la tristesse assumée qui permet l'amour. C'est très stimulant, et pas du tout contemporain. En revanche, je trouve que le film manque de rigueur dans la mise en scène, alors que c'est un peu le minimum de ce qu'on peut attendre d'un film aussi minimaliste...Les ellipses sont pas très inspirées, y'a des travellings (!) qui servent absolument à rien, des champs contrechamps pas très beaux. Le film ne m'a pas emporté à cause de ça : il ne tient même pas que sur sa mise en scène. Alors sur quoi tiendrait-il d'autre? :??:

Et puis c'est un film, comme dirait Costa de ses premiers films, "très protégé par le cinéma" je trouve. La blague sur Bresson et Jarmush (tout le mk2 a éclaté d'un rire de distinction dégueulasse, bon ça c'est pas la faute de Kaurismaki), et puis les affiches de ciné, le chien qui s'appelle Chaplin...Bon...Le problème est pas qu'il s'appelle Chaplin d'ailleurs, c'est que dès que la référence est annoncée, ça se termine, il n'y a rien après. La référence est l'acmé, mais ne permet rien d'autre. Rien à voir avec la chanson de Rio Bravo dans le Erice, film qui n'est d'ailleurs pas du tout protégé par le cinéma mais qui montre plutôt ce que serait un monde où il aurait déserté.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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Tyra
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+ Le Cygne.
Wes Anderson adapte de nouveau Roald Dahl, après Fantastique Mr Fox, à travers un moyen métrage et trois courts métrages pour Netflix. Il s'agit d'un exercice de style assez étrange, où le texte original de l'hauteur est présent, intégré et raconté par les protagonistes, qui disent le texte et récréent l'action a posteriori, un dispositif narratif et filmique poussant à fond le curseur de l'artifice, la transparence d'un récit en train de se faire. Le tout majoritairement en plan fixe dans lesquels les décors mobiles servent de transition...
Le film est donc très verrouillé, un peu froid, voir ennuyeux. Je ne vois pas très bien où Wes Anderson veut aller, alors que son dernier film arrivait à retrouver un peu de lenteur, de vie, de respiration (malgré un emballage narratif conceptuel là aussi). L'impression de voir le cinéaste disparaitre derrière la virtuosité un peu vaine du décorateur attitré Adam Stockhausen.
Après, je trouve quand même Le Cygne assez déstabilisant par sa noirceur et sa violence, dans lequel on retrouve un motif assez récurent chez Anderson mais qui passe un peu inaperçu: la cruauté envers les animaux comme point de bascule avant la violence envers les hommes.
Il en reste deux à voir, Le Preneur de rats (Ratcatcher) et Venin (Poison) (Groil parle de 7 films en tout, j'ai lu 4 :??: ).
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sokol
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B-Lyndon a écrit :
ven. 29 sept. 2023 13:08
je trouve que le film manque de rigueur dans la mise en scène, alors que c'est un peu le minimum de ce qu'on peut attendre d'un film aussi minimaliste...Les ellipses sont pas très inspirées, y'a des travellings (!) qui servent absolument à rien, des champs contrechamps pas très beaux. Le film ne m'a pas emporté à cause de ça : il ne tient même pas que sur sa mise en scène. Alors sur quoi tiendrait-il d'autre? :??:
⭐️⭐️⭐️ c’est exactement ce que j’ai également pensé

ps : tu sais, la forme c’est le fond aussi : le film est assez bête et du coup, idiot. Comment peut on croire que en Finlande, un des pays scandinaves où les avancées sociales sont parmi les plus enviées dans le monde entier on travaille sans contrat et on te vire pour le vol d’un produit périmé ? C’est ultra contre productif, c’est littéralement idiot
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Jean-Marie Straub
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asketoner
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B-Lyndon a écrit :
ven. 29 sept. 2023 13:08
J'ai vu ce que tu dis : chez Kaurismaki, c'est la tristesse assumée qui permet l'amour. C'est très stimulant, et pas du tout contemporain. En revanche, je trouve que le film manque de rigueur dans la mise en scène, alors que c'est un peu le minimum de ce qu'on peut attendre d'un film aussi minimaliste...Les ellipses sont pas très inspirées, y'a des travellings (!) qui servent absolument à rien, des champs contrechamps pas très beaux. Le film ne m'a pas emporté à cause de ça : il ne tient même pas que sur sa mise en scène. Alors sur quoi tiendrait-il d'autre? :??:

Et puis c'est un film, comme dirait Costa de ses premiers films, "très protégé par le cinéma" je trouve. La blague sur Bresson et Jarmush (tout le mk2 a éclaté d'un rire de distinction dégueulasse, bon ça c'est pas la faute de Kaurismaki), et puis les affiches de ciné, le chien qui s'appelle Chaplin...Bon...Le problème est pas qu'il s'appelle Chaplin d'ailleurs, c'est que dès que la référence est annoncée, ça se termine, il n'y a rien après. La référence est l'acmé, mais ne permet rien d'autre. Rien à voir avec la chanson de Rio Bravo dans le Erice, film qui n'est d'ailleurs pas du tout protégé par le cinéma mais qui montre plutôt ce que serait un monde où il aurait déserté.

Oui, tu as raison, mais je crois que le cinéma de Kaurismaki n'a jamais été beaucoup plus que ça, au fond. Il y a quelques scènes, un ton reconnaissable, un propos net. Et pas de plus haute visée que celles-ci. Parfois ça me donne aussi l'impression d'un trop peu. (J'avais eu beaucoup de mal avec L'Homme sans passé et L'Autre côté de l'espoir à cause de ça.)
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
sam. 30 sept. 2023 12:18
B-Lyndon a écrit :
ven. 29 sept. 2023 13:08
J'ai vu ce que tu dis : chez Kaurismaki, c'est la tristesse assumée qui permet l'amour. C'est très stimulant, et pas du tout contemporain. En revanche, je trouve que le film manque de rigueur dans la mise en scène, alors que c'est un peu le minimum de ce qu'on peut attendre d'un film aussi minimaliste...Les ellipses sont pas très inspirées, y'a des travellings (!) qui servent absolument à rien, des champs contrechamps pas très beaux. Le film ne m'a pas emporté à cause de ça : il ne tient même pas que sur sa mise en scène. Alors sur quoi tiendrait-il d'autre? :??:

Et puis c'est un film, comme dirait Costa de ses premiers films, "très protégé par le cinéma" je trouve. La blague sur Bresson et Jarmush (tout le mk2 a éclaté d'un rire de distinction dégueulasse, bon ça c'est pas la faute de Kaurismaki), et puis les affiches de ciné, le chien qui s'appelle Chaplin...Bon...Le problème est pas qu'il s'appelle Chaplin d'ailleurs, c'est que dès que la référence est annoncée, ça se termine, il n'y a rien après. La référence est l'acmé, mais ne permet rien d'autre. Rien à voir avec la chanson de Rio Bravo dans le Erice, film qui n'est d'ailleurs pas du tout protégé par le cinéma mais qui montre plutôt ce que serait un monde où il aurait déserté.

Oui, tu as raison, mais je crois que le cinéma de Kaurismaki n'a jamais été beaucoup plus que ça, au fond. Il y a quelques scènes, un ton reconnaissable, un propos net. Et pas de plus haute visée que celles-ci. Parfois ça me donne aussi l'impression d'un trop peu. (J'avais eu beaucoup de mal avec L'Homme sans passé et L'Autre côté de l'espoir à cause de ça.)

Bah des scènes il y en a très très peu dans ce film là...C'est un peu le problème. Tout tient par une vague esthétique, pas si tenue. C'est quand même très très flemmard. Et "consolateur", beurk. Si même Kaurismaki tombe là-dedans...
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B-Lyndon a écrit :
sam. 30 sept. 2023 13:12
Bah des scènes il y en a très très peu dans ce film là...C'est un peu le problème. Tout tient par une vague esthétique, pas si tenue. C'est quand même très très flemmard. Et "consolateur", beurk. Si même Kaurismaki tombe là-dedans...
Oui, on peut le récupérer en film-qui-fait-du-bien. Mais je pense qu'il y a plus de tension que ça, une visée, la tentative de dépassement de quelque chose.
Je préfère le Radu Jude, mais la limite du film de Jude, c'est peut-être l'écrasement de tout, l'agressivité que cela contient, et la transformation du sens en discours (ce à quoi Kaurismaki n'échappe pas tout à fait non plus, ...). Bon, la question c'est de savoir si un film doit enfoncer le clou ou montrer comment on le retire. (Et la réponse c'est qu'un film ne doit rien, mais que tout le monde est tenté de faire quelque chose de définitif avec ce sale clou.)
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A l'anniversaire d'un ami de son fils, une femme se persuade que l'une des jeunes invitées n'est autre que sa propre fille. Celle-ci est pourtant morte quelques jours après sa naissance, dans un incendie ayant ravagé l'hôpital, mais qu'importe, elle en est persuadée. Elle va se rapprocher de la famille en question (son fils est devenu ami avec le grand frère) et sombrer dans une spirale de folie, adaptant un comportement de plus en plus harcelant, perdant peu à peu pied d'avec la réalité, tout en se persuadant de plus en plus que cette gamine est bien sa fille. Petit thriller à la française très efficace et réussi, super bien interprété (Frot et Bonnaire sont parfaites), et donc l'écriture, tant scénaristique que filmique, est, certes sans génie, mais toujours adaptée au propos. Durant la projo, je n'arrêtais pas de me dire : tiens, pour que le film continue à être pertinent, il faudrait qu'il se passe ça, et hop, il se passait ça dans la minute qui suivait. Qui plus est la fin du film est super bien, originale, surprenante mais surtout hissant l'ensemble vers le haut (je ne dévoile pas) et permettant de sortir le film de l'anecdotique. A noter que le film s'appelait L'Empreinte de l'Ange à sa sortie, et qu'il a dû changer de nom pour devenir L'Empreinte à la suite de son exploitation, à cause d'un procès intenté par Actes Sud qui avait un bouquin qui s'appelait comme ça. Franchement, je ne vois pas en quoi ça gène et ça m'étonne que la maison d'édition ait eu gain de cause, mais bon, sa patronne a été ministre, ça doit expliquer des choses...
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asketoner
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Sex is comedy, Catherine Breillat, 2002

Je voulais revoir ce Breillat que je tenais pour mon préféré.
C'est toujours le cas, parce que c'est le plus théorique, celui où le discours s'élabore en même temps que le film, dans une mise en abîme qui ne cesse d'être pensée, nourrie, creusée. L'enjeu est simple et net : un film est tourné, il va falloir réaliser une scène de sexe. Or on n'est pas certain que les contrats soient très clairs, que l'actrice supporte l'acteur, que l'acteur soit satisfait de la taille de son sexe, ni même que ça raconte quelque chose, que l'émotion passe, que le corps ne fasse pas écran. Breillat montre une guerre, un rapport de force permanent, éreintant, entre homme et femme, employés et patronne. Des manipulations, des stratégies, des putschs, jamais aucune candeur.
Ce qui est étonnant, c'est de sentir à quel point Breillat est seule au moment où elle tourne ce film. Seule ou malentendue. Si bien qu'il y a des choses, dans les dialogues notamment, qui aujourd'hui semblent totalement dépassées, des choses où la fascination reste active, et d'autres au contraire où elle semble très en avance, visant dix fois plus loin que ce qu'on entend aujourd'hui. Comme si le film ne pouvait pas s'empêcher d'écraser le spectateur en même temps qu'il avive son intelligence. Et pourtant c'est bien sur la question du pouvoir que Breillat est la plus claire ; mais elle l'exerce, ou tend à l'exercer, avec la même passion qu'elle le dénonce. Et à la fin, il subsiste une sorte de morale de la souffrance nécessaire à tout acte de création.
Ce qui reste intact, finalement, dans la pensée de la cinéaste, c'est l'objet de la fascination : les hommes qui trichent et le champagne Taitinger. Ca, c'est hors de question de revenir dessus. L'objet du désir est indétrônable. Il y a une séquence éloquente où le chef opérateur dit à la cinéaste : avec toi c'est toujours pareil, tu choisis tes acteurs parce que tu les désires et finalement ça se passe mal. Il en vient à remettre en question la notion de désir comme qualité. Mais à aucun moment n'est posée la question de l'objet de ce désir.
Et je retrouve ça à la fin de L'été dernier, dans l'avant-dernière scène, quand le beau-fils revient : soudain, il s'agit de reconstruire toute une érotique, un fantasme (alors même que tout le film s'entendait à le démonter), avec des corps haletants, de la moiteur, des jeux d'ombres, des bûches... C'est ce qui fait dire à Christine Angot que le film n'est regardable que par les esthètes ( https://www.youtube.com/watch?v=ck3_75NtA5A ), et si je pense qu'elle surinvestit un peu le dossier de presse sans vraiment s'intéresser au film, elle n'a pas tort de remettre en question l'esthétisation à l'oeuvre chez Breillat.
Il y a un endroit où son cinéma ne pense plus, un point à partir duquel elle ne veut plus rien voir ; où c'est l'histoire de l'art qui pense à sa place. C'est un peu le piège de ces plans qu'on "contemple", comme dit Sokol. Dans Sex is comedy, c'est également ce qui arrive à la fin. La scène de sexe a lieu (il le faut bien), les comédiens ont bien voulu se déshabiller, l'acteur a fait rire tout le monde avec sa bite en silicone, mais surtout, ce qui fait penser au personnage de la cinéaste que la scène est "réussie", et que, peut-être, d'une certaine façon, la jeune fille a remporté la victoire, c'est qu'elle pleure. Elle se fait prendre alors qu'elle ne veut pas et elle pleure. Et Breillat plonge dans cette larme, et lui donne une valeur suprême, sans penser que peut-être, finalement, cette larme a été arrachée, produite par le monde et non par l'oeil, produite par l'humiliation subie et non par l'âme. Cette larme n'est belle que parce que nous avons appris à les trouver belles, à les charger d'innocence et d'émotion. Mais de la même façon que le personnage de la cinéaste a le génie de rhabiller tout le monde une fois que les acteurs ont accepté de se mettre à poil, il aurait été beau de voir ce qui se passe quand les yeux de la jeune fille sont secs. Si la valeur suprême, pour Breillat, est l'émotion, quelle émotion nouvelle naît chez une personne qui apprend à ne pas céder.
len'
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Anatomie d'une chute de Justine Triet

Je me suis ennuyé ferme. Pourtant ça démarrait bien avec ce silence dissonnant, terrrible, dissimulé sous le vacarme. Mais c'est là que le scénario commence à exercer son emprise, et c'est là que le film finit. J'en attends peut-être trop de Justine Triet, peut-être parce le jour où j'étais tombé par hasard sur "la bataille de Solferino", j'avais tellement adoré que je me suis dit qu'elle allait devenir une des plus grandes. Malheureusement, de film en film, j'aime de moins en moins. Plus ça va, plus c'est scénarisé, plus c'est maîtrisé et plus ça en devient étouffant. Même cette note de folie des débuts - caractéristique des plus grands, Bergman notamment dont elle s'inspire - disparaît progressivement. Il reste malgré tout sa capacité extraordinaire à illuminer les actrices et des moments de mise en scène d'une grande justesse comme celui où l'enfant parle sur le visage du père.
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asketoner
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L'Arbre aux papillons d'or, Pham Thien An

On est ici plus proche du Séjour dans les monts Fuchun que de Stalker. Aucun vertige métaphysique, en ce qui me concerne. Juste une lenteur que je trouve un peu fabriquée (faire marcher les personnages plus lentement que dans n'importe quel Ehpad pour que la caméra puisse faire d'élégants travellings), et une narration laborieuse, ponctuée de conversations pleines de clichés et d'images un peu niaises. J'attendais quelque chose de plus dense.
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cyborg
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Aïe aïe aïe, même rengaine habituelle : je n'ai rien le temps de ne voir, ni ensuite d'écrire sur mes quelques cessions films...

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Film français méconnu, Le Grain de Sable convainc par sa rigueur et son ascétisme.
L'immense Delphine Seyrig y incarne une femme entre deux ages se retrouvant au chômage suite à la fermeture du théâtre ou elle était guichetière depuis des années. Commence une longue spirale de solitude, le personnage s'enfermant entre des souvenirs déçus, l'impossibilité de retrouver un emploi, de nouer des relations amicales et amoureuse et de se projeter dans un avenir d'un genre nouveau.
Une phrase sur l'action de "peler des patates" adresse un clin d’œil à Jeanne Dielman, paru quelques années auparavant. La filiation est en effet évidente même si Pomme Meffre en propose une variation, tant au niveau de la classe sociale de son héroïne, que de son rapport à l'emploi ou à la féminité. La mort finale n'est aussi pas la même, si Akerman fait commettre un meurtre à Jeanne Dilmann, c'est ici l'héroïne qui se suicide sur le souvenir d'un amour de jeunesse . Le rapport aux hommes n'est donc pas du tout les mêmes, et pose ici grandement question (quelle émancipation possible hors du schéma de l'amour romantique et du couple ?).

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Dupieux délaisse un temps son surréalisme à la française pour se concentrer sur ses tendances pirandeliennes, sorte de mise à jour des "Six personnages en quête d'auteur". Le résultat n'est pas désagréable, plutôt amusant mais en même temps ne dépasse beaucoup son postulat de départ. Quenard est très touchant quand il exprime son émotions à voir "sa pièce" jouée, mais nous nous arrêtons là. Et pourquoi ne pas continuer non plus après l'arrivée des forces de l'ordre ? Ces dynamiques auraient sans doute pu agrandir l'espace trop étriqué que s'accorde le film.

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Two - Satyajit Ray

Un enfant d'une famille aisée joue avec tout ses jouets dans son salon, mais s'ennuie. Regardant par la fenêtre, il aperçoit un enfant pauvre profitant du grand air. Entre eux se met en place un échange simple mais pourtant impossible, les différences socio-culturelles se rejouant immédiatement.
Ce court-métrage. de Ray est d'une grande puissance politique, constat simple mais représentant avec justesse le manque d'échange entre les classes et leur difficile dépassement.

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Oiga vea! - Carlos Mayolo & Luis Ospina

Autre fait d'arme de la scène de Cali, les deux auteurs des "Vampires de la misère" frappent une fois encore en se penchant sur l'organisation des jeux Panaméricain dans leurs villes. Ne pouvant accéder aux épreuves pour les documenter, les deux artistes filment alors les hors-champs : les bâtiments vus de l'extérieur mais aussi ceux qui les ont construits, ceux qui vivent à proximités et qui, pour raison économiques, ne peuvent assister aux épreuves. La question du film est donc la suivante : à qui les jeux servent-ils, à qui est véritablement destiné cette soit disant célébration sportive internationale ? Des questions on ne peut plus d'actualité à l'heure ou vont s'ouvrir les jeux olympiques de Paris en 2024...
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groil_groil
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asketoner a écrit :
mer. 4 oct. 2023 21:25
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L'Arbre aux papillons d'or, Pham Thien An

On est ici plus proche du Séjour dans les monts Fuchun que de Stalker. Aucun vertige métaphysique, en ce qui me concerne. Juste une lenteur que je trouve un peu fabriquée (faire marcher les personnages plus lentement que dans n'importe quel Ehpad pour que la caméra puisse faire d'élégants travellings), et une narration laborieuse, ponctuée de conversations pleines de clichés et d'images un peu niaises. J'attendais quelque chose de plus dense.
:lol:
un peu moins vert de le rater en te lisant.
Mais je reste curieux.
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cyborg a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 12:30

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Film français méconnu, Le Grain de Sable convainc par sa rigueur et son ascétisme.
L'immense Delphine Seyrig y incarne une femme entre deux ages se retrouvant au chômage suite à la fermeture du théâtre ou elle était guichetière depuis des années. Commence une longue spirale de solitude, le personnage s'enfermant entre des souvenirs déçus, l'impossibilité de retrouver un emploi, de nouer des relations amicales et amoureuse et de se projeter dans un avenir d'un genre nouveau.
Une phrase sur l'action de "peler des patates" adresse un clin d’œil à Jeanne Dielman, paru quelques années auparavant. La filiation est en effet évidente même si Pomme Meffre en propose une variation, tant au niveau de la classe sociale de son héroïne, que de son rapport à l'emploi ou à la féminité. La mort finale n'est aussi pas la même, si Akerman fait commettre un meurtre à Jeanne Dilmann, c'est ici l'héroïne qui se suicide sur le souvenir d'un amour de jeunesse . Le rapport aux hommes n'est donc pas du tout les mêmes, et pose ici grandement question (quelle émancipation possible hors du schéma de l'amour romantique et du couple ?).

tu fais envie !
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Pendant la projo j'étais mitigé entre : tour de force de faire un film quasi en unité de lieu et unité de temps aussi dense et bien joué et bien écrit ET Théâtre filmé à l'ancienne avec les jeunes dans le fond qui applaudissent ou huent pour simuler les spectateurs, produit formaté pour les César.
MAIS la fin est immense, ce qui fait que :
Après la projo : c'est quand même le côté grand film qui en ressort et qui commence à impressionner durablement. Parce que la fin, qui est si forte, remet tout le film en perspective. Ce n'est plus le procès d'un homme que filme Kahn, c'est le procès de la judéité, du fait même d'être juif, de sa condition ontologique (le mot est utilisé par le protagoniste). Et le film devient un film Politique, dont le questionnement profond n'est plus tant de juger un homme, mais de juger cet homme en fonction de, ou sans tenir compte de, sa judéité. Et une fois qu'on en est là, la complexité et l'universalité du propos sont sans limite, et Kahn s'en sort formidablement, sans fioriture aucune, livrant un film d'une intégrité et d'une intelligence rare, aidé en cela par deux acteurs extraordinaires, Worthalter qui joue Goldman, et Harari en jeune Kiejman.

UNE QUESTION : Personne ici ne va voir le film ? ça vaut vraiment le coup hein !

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3ème volet sur 4 des adaptations de Roald Dahl par Wes Anderson. C'est pour le moment celui que j'ai préféré, mais si je persiste à penser que ce qu'est devenu le cinéma de Wes Anderson aujourd'hui, que j'aime beaucoup, est plus à l'aise au format long.
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asketoner a écrit :
mer. 4 oct. 2023 21:25

L'Arbre aux papillons d'or, Pham Thien An

On est ici plus proche du Séjour dans les monts Fuchun que de Stalker. Aucun vertige métaphysique, en ce qui me concerne. Juste une lenteur que je trouve un peu fabriquée (faire marcher les personnages plus lentement que dans n'importe quel Ehpad pour que la caméra puisse faire d'élégants travellings), et une narration laborieuse, ponctuée de conversations pleines de clichés et d'images un peu niaises. J'attendais quelque chose de plus dense.
:jap: :jap: :jap: d’accord du début à la fin (mine de rien, c'est un film trop laborieux en fait)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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cyborg a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 12:30
plutôt amusant mais en même temps ne dépasse beaucoup son postulat de départ.
mais si, le postulat de départ est dépassé par l’écran noir à la fin

cyborg a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 12:30
Et pourquoi ne pas continuer non plus après l'arrivée des forces de l'ordre ?
Mais si, ça continue, justement par l'écran noir ! Qui dure au moins 30-40 secondes. Par cet écran, le postulat est dépassé (l'autre film commence là et nous accompagne dans notre tête)
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groil_groil a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 13:35
UNE QUESTION : Personne ici ne va voir le film ? ça vaut vraiment le coup hein !
Moi. A condition que tu aille voir "Le gang des Bois du Temple" (qui a réellement besoin de spectateurs pour que RAZ puisse faire ses films)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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sokol a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 14:43
groil_groil a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 13:35
UNE QUESTION : Personne ici ne va voir le film ? ça vaut vraiment le coup hein !
Moi. A condition que tu aille voir "Le gang des Bois du Temple" (qui a réellement besoin de spectateurs pour que RAZ puisse faire ses films)
mais j'ai hyper envie de le voir mais la semaine de sa sortie ce n'était pas possible pour moi et il est déjà ultra mal diffusé.
le pire c'est l'Escalante, un des films que je veux le plus voir cette année, la distrib est absolument catastrophique.
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groil_groil a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 13:16
Mais je reste curieux.
J'ai été curieux jusqu'au bout, pourtant. J'avais vraiment envie de l'aimer. Hélas...
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sokol a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 14:38
cyborg a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 12:30
plutôt amusant mais en même temps ne dépasse beaucoup son postulat de départ.
mais si, le postulat de départ est dépassé par l’écran noir à la fin

cyborg a écrit :
jeu. 5 oct. 2023 12:30
Et pourquoi ne pas continuer non plus après l'arrivée des forces de l'ordre ?
Mais si, ça continue, justement par l'écran noir ! Qui dure au moins 30-40 secondes. Par cet écran, le postulat est dépassé (l'autre film commence là et nous accompagne dans notre tête)
Oui enfin bon, en ce sens c'est particulièrement paresseux, tendance pleutre...
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Brève traversée, Catherine Breillat, 2001

Breillat renverse les rôles : cette fois c'est une femme qui s'éprend d'un jeune homme mineur, sur un bateau entre Le Havre et Portsmouth. Le film cherche leur beauté, leur faiblesse, l'endroit où chacun cède ou semble céder. La séduction est une guerre, presque désabusée, et pourtant l'abus est le seul horizon, la trahison, le coup de poignard. Il ne s'agit pas d'aimer mais de vaincre. Utiliser, détourner, détruire - embarquer mais sur quel bateau ?
Le film est cinglant, limpide. La mise en scène oeuvre au contraire du scénario, en tournant autour des corps, en leur laissant le temps de déployer leur grâce, en cherchant quelque chose sur leur visage qui ferait un gouffre dans l'image.
Il y a un dialogue un peu long, à un moment. Breillat a essayé de faire du Eustache, mais c'est plus convenu, ça se risque moins. Je continue de penser qu'elle se sert du cinéma avec une forme d'autorité qui est un écueil ou une entrave. Comme si elle essayait d'y gagner quelque chose (la possibilité de faire un discours, de restaurer un pouvoir perdu), au lieu de plonger dans la perte avec ses personnages.
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cyborg a écrit :
ven. 6 oct. 2023 09:27

Oui enfin bon, en ce sens c'est particulièrement paresseux, tendance pleutre...
Justement, s’il continuait à développer la suite, le film perdrait toute sa force. Yannick est un film très compact, serré, concentré je trouve. Avec une fin d’anthologie
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Peut-être un peu moins fort que son précédent, son chef-d'oeuvre, La Région Sauvage, sorti en 2017 (6 ans pour faire un nouveau film, que c'est long...), le nouveau Escalante n'en reste pas moins un film magnifique, dans lequel le cinéaste poursuit l'analyse on ne peut plus amère de son temps et de son pays, le Mexique, montrant combien les deux sont totalement pourries par la violence et la corruption. Le film est aussi bouleversant que beau, j'y pense beaucoup depuis la projo, même si peut-être un tout petit trop écrit par rapport au précédent. ça reste néanmoins l'un des films de l'année pour moi.

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Un jeune homme écossais mais d'origine pakistanaise, DJ, tombe amoureux de la jeune et jolie prof de piano de sa petite sœur. Mais le souci, c'est qu'il est issu d'une famille traditionnelle et religieuse, qui lui a déjà prévu son mariage avec une jeune pakistanaise. Mais, s'il ne l'entend pas de cette oreille, cette situation va de fait compliquer sa relation amoureuse. Beau et réjouissant film de Ken Loach qui comprend tout ce que j'aime chez lui, et qui refait prendre conscience de combien j'aime ce cinéaste (malgré ces films moins bons, oui il y en a, et malgré le fait que c'est la mode de le conspuer).

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Séance avec les kids qui auront bientôt vus l'intégrale De Funès. J'adore ce film, eux aussi, parfait !

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Dernière des 4 adaptations de Roald Dahl par Wes Anderson pour Netflix. Peut-être celui que j'ai préféré, même si in fine je trouve l'ensemble très anecdotique.
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Parfait amour, Catherine Breillat, 1996

Je ne connaissais pas ce film de Breillat, c'est l'un de ses plus forts du point de vue du récit. La cinéaste regarde un piège qui se referme sur une femme. Celle-ci est éprise d'un homme plus jeune qu'elle, d'abord tendre, mais qui finit par la tuer. Breillat montre l'emprise, l'addiction à l'oeuvre. J'ai pensé à La Maladie de la Mort de Duras, car les propos se rejoignent : le film est une charge contre la haine que les hommes portent en eux contre les femmes et les empêchent de les aimer. Je pense aussi au monologue de Veronika à la fin de La Maman et la Putain de Eustache : Breillat fait dire à son personnage que la sexualité est un mensonge, un leurre pour faire croire que l'amour existe, alors qu'un homme et une femme qui ne couchent pas ensemble sont incapables d'inventer autre chose.
Côté forme, le film est un tout petit peu trop long, il manque de précision dans son montage, comme si Breillat n'avait pas trouvé le rythme exact des scènes. Ca tient peut-être aux acteurs, moins intéressants que d'habitude chez elle. Il leur faut plus de temps pour changer de visage, d'humeur, d'émotion. On retrouve aussi la caméra flottante de Brève traversée, qui tourne lentement autour du couple ; mais ici c'est moins affirmé, moins radical, on a plutôt l'impression qu'elle essaie de ne pas nous ennuyer, il y a plus de style et moins de recherche, moins de tension. En fait, c'est simple : on se demande un peu moins ce qu'il y a à voir dans les images, elles sont plus plates, plus collées au discours.
Mais ça reste assez passionnant de voir ce qu'une cinéaste montre d'un féminicide vingt ans avant que le mot ne s'impose.
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Troisième volet de la trilogie de Risi "Pauvres...", sans doute le moins bon des trois, mais encore une réjouissance totale et un sens de la comédie inouï. D'ailleurs le film vaut le coup rien que pour la première - longue - séquence, celle du voyage de noces en train, un chef-d'oeuvre de comique. Merveilleux Risi !
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De la conquête, Franssou Prenant, 2023.


De la conquête part d'un postulat esthétique apparemment simple : en superposition d'images contemporaines tournées librement en Algérie par la cinéaste, auxquelles viennent ponctuellement s'ajouter quelques archives, différentes voix s'élèvent pour raconter le récit de sa conquête par la France, entre 1830 et 1848. Ce récit est constitué d'un assemblage de textes, lus d'une voix blanche par des comédiens et amis de la cinéaste, qui sont les propos écrits ou rapportés de différents personnages liés à la période. Il faut attendre le générique du film pour en connaître les noms : illustres (le roi Charles X, Alexis de Tocqueville, Victor Hugo, Ernest Renan) ou anonymes (des touristes de l'époque, des grenadiers).

Loin de rendre confus le geste de la cinéaste, ce choix permet au film d'éviter de s'en tenir à une ligne exclusivement pédagogique, ces textes sonnant chacun comme une matière autonome, vivante, dans lequel le montage taille, trouvant des correspondances percutantes avec les images de la cinéaste au style si particulier. Qu'elle investisse le port d'Alger, la vie quotidienne dans les rues de la capitale ou une fantasia aux abords du Sahara, Franssou Prenant filme seule, toujours à l'épaule. Ses cadres flottant et un peu de biais donnent l'impression d'avoir été saisis au hasard de ses pérégrinations, dans l'énergie du moment. Elle ne semble chercher ni des scènes, ni des personnages, mais des présences, pas nécessairement humaines, de ce qui fait la matière d'un pays : à de furtifs regards caméras d'algériens et d'algériennes saisis en longue focale viennent se succéder l'ombre des arbres fruitiers projetée sur les murs, des tâches de soleil miroitant sur une flaque d'eau, la pente des rues glissant ver la mer bleue, des chats et des oies détalant les pavés d'Alger. La sensualité d'un pays apparaît, librement saisie par le regard mouvant d'une cinéaste-baroudeuse, la caméra en bandoulière.

Le montage, net, rapide et acéré, loin d'escamoter le caractère impressionniste de ces visions, les prolonge pour mieux les confronter aux textes lus. « Il ne faut pas courir après les arabes : il faut les empêcher de semer, de récolter, de pâturer » entend-on, alors qu'à l'image, subtile ironie, une camionnette descend vers la mer les portières ouvertes, dévoilant des cageots profus de fruits et de légumes. Les plans sont le plus souvent courts, se démarquant de l'épure straubienne à laquelle on pourrait s'attendre devant un film affichant un tel postulat esthétique, d'autant que la première voix qui s'élève est celle, si particulière par sa diction, de Christophe Clavert, seul acteur du dernier film de Jean-Marie Straub La France contre les robots. Prenons justement la première séquence du film : alors qu’apparaît le port d'Alger, un immense cargo progresse lentement sur la mer, déclenchant l'apparition sonore des premiers textes. Si les Straub se seraient contentés d'un plan unique, solidement ancré au sol, Prenant multiplie les axes de prise de vue. Ce qui semble l’intéresser, c'est de tenir à travers une forme heurtée l'avancée du cargo vers Alger, qui s'impose dans le paysage, s'insinue dans tous les plans, pénétrant le port comme un couteau géant, poussé par les voix qui portent le crime.

Si ces textes constituent des preuves irréfutables de la barbarie conquérante, les images sur lesquelles ils s'entrechoquent ne s'y soumettent pas tout à fait : le tout premier plan terrien du film, alors que le cargo est bien engagé dans le port, saisit la présence d'un homme algérien, les mains sur un muret, regardant au loin la mer. Il n'est qu'une silhouette, tapie dans l'ombre crée par le jour déclinant, et que le film accentue tout du long par des images très contrastées. Tous les textes entendus ont fait des algériens des ombres, mais, devant la caméra de Franssou Prenant, ces ombres sont vivantes. Il n'y a certes pas de personnages, mais le regard posé sur ces figures témoigne d'une grande tendresse. Il est souvent porté vers la vie quotidienne, et plus particulièrement vers les enfants qui courent dans les rues en se tenant la main, qu'elle filme au moyen de panoramiques très simples, engagée dans l'action. Malgré l'implacable programme de destruction (« Il faut anéantir, tuer les femmes et les enfants »), un peuple a résisté comme il a pu pour accoucher d'autres preuves, qui disent cette fois la persistance de la vie : ce peuple actuel depuis lequel Prenant filme. Passé contre présent, preuves contre preuves, le jeu entre le son et l’image s’avère sans merci, la bataille âpre et complexe.

Alors même que le film s'attache tout du long à une description générale de la conquête, décrivant les massacres, les enfumades des cavernes, la spoliation des terres et du bétail, les destructions de bâtiments, la guerre culturelle menée contre la population ; les vingt dernières minutes, poignantes, sont peut-être le point culminant de cette bataille esthétique. Il se fixe désormais au cas particulier d'Alger, de ce que la conquête fit concrètement à la ville blanche. Le film se niche alors dans l'intolérable ambiguïté de l'Histoire : les textes disent ce qu'on fit à la ville, les images montrent à quoi elle ressemble aujourd'hui. Franssou Prenant filme-t-elle ce qui a résisté, ou ce qui est pour toujours perdu ? L'intelligence du film est qu'il est impossible de le savoir, et il est émouvant de voir la cinéaste traquer sans relâche cette réponse, sans jamais cesser de filmer les visages, les murs, le linge, les enfants et les fruits. « Cette ville n'a d'autre communication que des ruelles étroites et tourmentées, voûtées, resserrées. Rien n'est plus sale et étroit qu'Alger et ses marchés plongés dans l'obscurité, et je ne voudrais pas sortir de ma chambre pour voir ce désordre », s'inquiète un conquérant. Le film complexifie ainsi son éloge des ombres : ce n'est pas tout à fait le crime des français qui obscurcit la ville, mais l'obscurité des rues, déjà présente, qui leur fit peur, et qu'ils ne parvinrent pas à éradiquer complètement. Dans le jour qui décline, un homme découpe une planche, retape sa maison. Franssou Prenant s'attarde encore une fois sur ses gestes, elle filme l'ombre de ses pieds nus, toujours sous les yeux d'un enfant. Au son, un texte nous parle de ces maisons qu'on volait aux algériens pour loger les soldats de la conquête, en leur promettant des indemnités qui ne vinrent jamais.

Le dernier plan du film est aussi le plus long, le seul qui ne semble pas exister parce que le texte le demande, et de ce point de vue, peut-être constitue-t-il une petite victoire dans la bataille que le film expose. Victoire de la vie quotidienne des algériens d'aujourd'hui : une rue dans sa longueur, des enfants qui passent, ces vieux hommes qui se traînent, silhouettes au fond du cadre. Le texte finit tout de même par revenir, parce que son absence totale amoindrirait la permanence du crime français dans la vie des algériens, mais il vient pour la première fois émettre un doute, une légère inflexion : « Les tribus arabes et kabyles ne céderont pas si facilement » dit-on, alors qu'à l'image, la vie de la rue envahit les sens. Finalement, le geste le plus fondamental de Franssou Prenant aura été de croire en la puissance du présent, tandis que les voix du passé tentaient à nouveau de l'étouffer. Ici les voix sont tenues à distance, elles ne sont plus une mainmise sur les images. Elles se fraient un chemin dans l’exiguïté non-européenne des rues. Elles ne sont plus chez elles. Elles ne font plus que passer.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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sokol
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Comme il passait sur MK2 Curiosity j'ai regardé "Turning gate" que je connaissais déjà.

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Bon, c'est vraiment quelconque (on dirait du Truffaut, avec le 'charme' asiat) donc c'est vraiment mineur quand on sait ce que HSS fait maintenant (un film-haïku comme "De nos jours" :love: ou un film-handyman comme "La Romancière..." :love: ).

C'était la période quand il réalisait des films soit sur un beau mec, soit sur une belle fille (là, c'est le premier cas) mais ça reste assez anecdotique...
Modifié en dernier par sokol le lun. 16 oct. 2023 13:30, modifié 3 fois.
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groil_groil
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Sous Mussolini, une femme de chambre qui travaille au Lido pendant la Mostra de Venise, se rêve star de cinéma et fera tout pour y parvenir, jusqu'à devenir la maitresse du Duce, et bien évidemment accompagner son déclin. Encore un formidable film du maestro Dino Risi, d'une ampleur phénoménale, parvenant à manier drame et humour, histoire personnelle et histoire de son pays. Bonheur total.

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J'adore cette série - je dis toujours que c'est ce que devrait être James Bond - et ce 7ème (déjà) volet a bénéficié, du moins en France, d'un accueil exceptionnel, ce qui fait que j'en attendais vraiment beaucoup, d'autant que l'épisode précédent était excellent. Et là, grosse douche froide, le film fut une longue et permanente déception, et n'a jamais réussi à me convaincre malgré ses 2h46... Le film enchaine cliché sur cliché, abandonne totalement toute trace d'humour, perd en émotion, et l'intrigue se résume à la recherche d'une clef, mais pour faire genre c'est intéressant quand même, on te noie ça dans des tunnels de dialogues abscons où il n'y a volontairement rien à comprendre mais c'est pour faire genre, où même l'ennemi n'est plus nommé mais devient une "entité" (je ne déconne pas), et puis pour casser un peu ces longs tunnels de dialogues on te balance à différents moments choisis pour rythmer l'ensemble des interminables scènes d'actions, poursuites surtout, bagarres aussi, où le numérique prend malheureusement le dessus sur le physique, jusqu'à la soi-disant acmé, la grande scène finale, une scène de train, encore, De Palma avait pourtant filmé la scène de train définitive dans le 1er volet, qui est un comble de ridicule, d'invraisemblable total et de troplongisme absolu. Et le pire, c'est que s'il récupère bien la clé au dernier plan du film (le film se résume à ça hein, au début faut trouver une clé, à la fin la clé est trouvée, bravooo !), ce film n'est que le premier volet d'un dyptique qui trouvera sa finalité dans l'épisode 8. Espérons qu'il soit un peu plus réussi. Mission Impossible est devenu tout ce qu'il cherchait à éviter jusqu'à présent, un produit de consommation aussi insipide et sans intérêt que n'importe quel James Bond.

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Manu est un jeune passeur de montagnes, entre la France et l'Italie, qui s'adonne à un peu de trafic. Un jour il aide à passer un banquier auteur d'un scandale financier, mais celui-ci se suicide dans un refuge. Sa femme s'attend à toucher l'assurance-vie, il y en a pour des millions, mais un alinéa stipule que celle-ci n'a pas lieu d'être versée en cas de suicide sous les deux ans après signature, ce qui est le cas. Partant sur place, elle va tout faire pour que le suicide de son mari - d'ailleurs en était-ce vraiment un ? - passe pour un assassinat camouflé. Ce qui a comme conséquence de mettre le passeur dans la merde, d'autant qu'un commissaire est également présent pour enquêter sur l'ensemble de l'affaire. Dès 1946 Cayatte réalisait des films passionnants et ambitieux, donnant aussi l'occasion de confronter deux monstres sacrés, Serge Reggiani (à qui il donnera aussi le premier rôle dans son film suivant, le magnifique Les Amants de Vérone) et Paul Meurisse.
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Romance, Catherine Breillat, 1999

C'est le film de Breillat le plus spectaculaire, le plus intense. Celui qui développe un langage radicalement singulier, trouvant sa place quelque part entre l'aporie et le fantasme. Et les scènes se jouent là, dans un échec à dire et dans une puissance à montrer. Il s'agit de montrer vraiment, sans se soumettre ni au montrable (la décence, la retenue) ni à ce qui a déjà été montré par d'autres (le classicisme ou la culture en guise de pudeur). Il s'agit de toujours déjouer le regard et ce qu'il fabrique, pour redistribuer le désir et ses ombres.

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Anatomie de l'enfer, Catherine Breillat, 2004

Anatomie de l'enfer retourne la perversion d'Une sale histoire de Jean Eustache, dirait-on. Plutôt que le voyeurisme, ce qui intéresse Breillat, ici, c'est l'exhibitionnisme : Amira Casar veut être vue par quelqu'un qui ne la désire pas. (Comme Jean-Noël Picq et Michael Lonsdale, qui voulaient voir quelqu'un qui ne le souhaitait pas - d'abord des femmes qui n'en savaient rien, puis une à qui l'on indique qu'elle a été vue en lui signalant le trou dans la cloison lorsqu'elle sort des toilettes.) Et dans les deux cas il s'agit de saisir ce qui chez l'autre se refuse au désir. Et de lui voler quand même quelque chose. Chez Breillat : en payant. (Car acheter, ici, est à peu près synonyme de voler. L'argent ne suffit pas à masquer l'obscénité de la demande.)
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Un bon, voire très bon, slasher d'époque, mêlant filles dénudées et tueur sans pitié, qui ne se distinguerait quasi pas de la masse des films du genre, si ce n'est que l'assassin est un tueur à la chignole, et qu'il est indirectement et malgré lui resté célèbre dans l'histoire du cinéma, puisque c'est lui qu'a littéralement pompé Brian de Palma pour son tueur à la chignole de Body Double. Oui c'est bien le même, exactement, l'arme du crime identique, mais à la vision du film on peut se rassurer que le génie créatif de De Palma est encore bien présent, puisque tous les trucs les plus inventifs de la séquence de Body Double, le fil trop court, la prise qui se détache, la chignole qui transperce le parquet pour faire couler du sang à l'étage du dessous façon Rio Bravo, sont absentes du film original et bien des créations de Palma. Une fois de plus l'hypertextualité de son cinéma s'étend à tous niveaux, et jusqu'aux films les plus obscurs.

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La Pat' Patrouille est l'obsession actuelle de ma fille, alors vous pensez bien que depuis qu'elle sait qu'un nouveau film va sortir en salle, environ depuis ce printemps, on en entend parler tous les jours, et il allait de soi que nous allions y aller en famille le premier weekend d'exploitation. Et franchement c'était très cool. Bien sûr il y a avant tout la joie de la voir à fond, mais le dessin animé est bien fichu. Certes le scénario est indigent comme tous les scénarios de tous les dessins animés ou films de super-héros - c'est, quelque soit le film, toujours le même, chacun étant interchangeable avec n'importe quel autre, mais l'animation est top, le rythme du film n'est surexcité à fond comme dans n'importe quel truc actuel, et les personnages sont mignons et attachants, l'humour bébé mignon comme tout et le doublage français réussi. Le message est en revanche un peu trop martelé au burrin (en gros c'est "on peut être petit mais quand même costaud", à un point qui en devient lourdingue, mais tout de même, je préfère largement ça à n'importe quel Pixar ou Disney.
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J'ai revu "Haewon et les hommes", sans doute un des 3-4 meilleurs films de HSS.

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Le vrai tire du film est : "Nobody's Daughter Haewon" qui veut dire : Haewon est la fille de personne (누구의 딸도 아닌 해원). Dans le sens : personne la veut comme épouse mais juste pour passer du temps avec. Il faut savoir que, premièrement, elle est métisse donc partagée entre deux cultures donc, pas tout à fait coréenne (en Asie, plus racistes que les coréens sont les japonais, leur modèle. C'est dire). Deuxièmement, elle n'est pas juste belle, elle est magnifique donc, c'est une pute (c'est quasiment inévitable dans les cultures orientales et donc asiat) : de toute façon, un des personnages lui dit : tu n'es pas faite pour être coréenne.

Le film est d'une simplicité (pas un pet de formalisme !!) et complexité (3 rêves dans le film mais assez difficilement à les discerner, surtout le dernier : tous les désirs, regrets et les frustrations de Heawon y sont !) extraordinaire : rarement Hong Sang-soo prend si magistralement et intelligemment (via les rêves, bien sur!) la défense de son héroïne principale. Ok, il y a "Sunhi" (portrait de femme aussi) mais dans celui-ci il n'y a pas de rêve et c'est moins 'complexe'. Je suis resté sur le cul à la fin de cette merveille.

Je devrait essayer de résumer tous les films de HSS en une phrase.
Par exemple, puisque je les ai revu récemment :
  • "Turning Gate" = Fuis moi je te suis, suis moi je te fuis
  • "Haewon et les hommes" = Sois belle et tais-toi
il faut que je revois tous les HSS. Difficile à les retrouver pourtant...
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Déjà revu il y a deux ans où je m'étais pris une belle claque, je ne reviens pas en détail sur ce grand film qui fait vraiment le pont entre le cinéma de la nouvelle vague allemande et le Nouvel Hollywood, et qui est filmé avec une image d'une beauté renversante, c'est encore plus flagrant sur le nouveau bluray que vient d'éditer Carlotta. ce que je voulais rajouter, aujourd'hui, c'est que ce film est vraiment un film de cinéastes ! En plus de Wenders derrière la caméra, le cinéaste a donné des rôles importants à 5 cinéastes, et pas des moindres. Au casting donc, Dennis Hopper bien sûr, mais aussi Nicholas Ray, Samuel Fuller, Jean Eustache et Gérard Blain. A ce stade, c'est un vrai manifeste !
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Running in madness, dying in love, Koji Wakamatsu, 1969

Il y a 25 ans j'aurais sans doute adoré ce film ; il y a 15 ans, je l'aurais encore trouvé très bon ; il y a 5 ans j'aurais pensé : c'est intéressant ; mais hier soir, je n'en avais rien à faire. Il y a tout un pan du cinéma dont je n'ai plus rien à faire, et qu'à vrai dire je ne peux plus voir du tout tellement je m'y ennuie. Cela concerne surtout les films des années 60, ceux où les couleurs très vives accompagnent des romances passionnelles. La couleur n'est pas une idée de cinéma suffisante.

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Videoletter, Shuji Terayama & Shuntaro Tanikawa, 1983

Lorsque je me suis intéressé à Terayama il y a deux ans, j'avais manqué ce film, qui est une correspondance sous forme de courts-métrages entre le cinéaste et un poète. Le poète est beaucoup plus formaliste que le cinéaste. Ce qui l'amène à produire des images assez mortes, sans durée intérieure. Et du discours. Quand Terayama, lui, crée de l'ouvert, de la pensée. C'est très beau de le voir s'entêter à répondre, c'est-à-dire prendre quelques éléments du court-métrage du poète et les retourner, les transfigurer par le cinéma.
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Dans une prison italienne, un détenu qui se prétend innocent (il l'est vraiment) travaille à fabriquer des jouets pour enfants. Alors qu'il confectionne un petit cheval, il glisse un message à l'intérieur, clamant son innocence et demandant qu'on l'aide. Par un concours de circonstances, une bande de gamins façon Ragazzi, tombe sur le message, et décide de mettre au point un plan pour le faire évader. Par chance la prison se situe près de leur lieu de vacances. Ils s'organisent très bien passent sous terre, arrivent dans l'enceinte de la prison et font libérer... un mauvais détenu, qui lui est bien coupable et dangereux. S'en suivent les péripéties attendues jusqu'au rétablissement final de l'équilibre de l'ensemble. Rare et dur à voir, il s'agit du tout premier film de Dino Risi, qui affirme déjà un ton bien à lui et des qualités de mise en scène saisissantes. Nous ne sommes qu'en 52, et Risi s'éloigne déjà du néo-réalisme, dont on sent pourtant les traces notamment via cette bande de gamins des rues, pour proposer un ton bien à lui de comédie sociale contenant autant de fond que d'humour, avec un souci du rythme permanent. Le film peut tout à fait se voir aussi comme une version préhistorique (et 100 fois plus réussie, fine et intelligente) des Goonies, tant les schémas narratifs ont de points communs.

à noter que le leader de la bande, très beau et doué garçon, n'est autre que Mario Girotti, alors âgé de 13 ans, et qui deviendra quelques années plus tard Terence Hill.

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asketoner a écrit :
mar. 17 oct. 2023 10:44
Cela concerne surtout les films des années 60, ceux où les couleurs très vives accompagnent des romances passionnelles. La couleur n'est pas une idée de cinéma suffisante.
J'adore Wakamatsu mais je te donne plus que raison : il y a plein de films des années 60 qui soufrent de ça. Y compris "Pierrot le fou". Mais jusqu'à maintenant, je n'arrivais pas trouver la raison que tu évoques.
Je ne l'ai pas vu celui-ci mais très probablement, c'est pour cela que "Va va vierge pour la deuxième fois" est une merveille (car, en noir et blanc !). Mieux : seulement la scène du crime est en couleur ! Pouruqoi ? Parce que, je te cite, "la couleur n'est pas une idée de cinéma suffisante".
:jap:
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August in the water, Sogo Ishii, 1995

Un film qui tend vers la vision, c'est-à-dire qu'il essaie de faire se rejoindre, dans certains plans, à la fois le présent, le passé et l'avenir, et qui semble habité, avec quelques années d'avance, par la conscience d'un désastre écologique mondial, mais qui n'est pas très passionnant cinématographiquement parlant.
La mise en scène est à la traîne (il y a des plans, mais pas vraiment de scènes), les situations manquent de vie, de corps, d'affect. Une torpeur un peu sentencieuse (et parfois carrément crétine) les traverse.
Pourtant la tentative est étonnante et belle (je n'avais pas envie d'arrêter le film malgré l'ennui dans lequel il me plongeait). Ce récit d'un amour se laisse trouer par des images méditatives, qui donnent au monde (à la matière du monde) une place particulière.
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Reisender Krieger, Christian Schocher, 1981

Christian Schocher semble se demander où se loge encore le désir dans un monde si triste. Il montre son héros en train de distribuer des échantillons de parfum dans un salon de coiffure, puis regarder Giscard aux infos tout en appelant sa femme, dans une chambre d'hôtel dont la seule qualité est d'être propre. Il y a des rencontres, un hippie un peu insistant, une amante désabusée, un batteur jouant aux anges gardiens. On comprend très vite le système, et on s'y heurte un peu je trouve (une fois qu'on a compris, qu'est-ce qu'il reste ?), mais il y a, dans les plans, une qualité documentaire qui compense un peu l'abattement spirituel dans lequel nous plonge le film.
(Or le chef opérateur de Reisender Krieger n'est autre que Clemens Klopfenstein, réalisateur du très mystérieux Histoire de la nuit quelques temps plus tôt.)
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Ur-musig, Cyrill Schläpfer, 1993

Beauté du cinéma qui veut nous montrer quelque chose de merveilleux et non son propre émerveillement.
Le film de Cyrill Schläpfer a cette humilité, parcourant les montagnes de l'Appenzell en hiver comme en été, pendant plusieurs années sans doute, pour rendre compte d'une culture musicale propre au monde paysan. Et le réalisateur (musicologue par ailleurs) ne fait rien de plus qu'enregistrer ce qu'il découvre. Avec l'aplomb de celui qui ne cherche pas à imposer son style ni sa personnalité, il n'embarrasse son film d'aucun commentaire, d'aucune intrigue vague, d'aucun affect créé par le montage. Il fait seulement ce qu'il souhaite faire : collecter, assembler les visages, les chants, les corps et les paysages. Et dans cet assemblage, parfois, trouver des liens, des rapports, de la causalité, des évidences, mais aussi, de temps en temps, ne rien produire qu'on puisse rapporter à un discours logique, et mettre le spectateur face à l'incongruité. Montrer des musiques situées, inscrites dans un territoire précis, une culture, des conditions atmosphériques, géographiques et sociales (il s'agit bien souvent d'envoûter les vaches, ou alors d'envoûter les montagnes pour les yodleurs plus ambitieux), mais montrer aussi des extravagances, des musiques qui ont échappé à l'ordre des choses.
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La chancelière du diocèse est appelé par un médecin au chevet d'un prêtre qui vient de mourir, après une vie entière consacrée au Seigneur. Le médecin lui apprend que ce prêtre était en fait une femme, et qu'elle avait toujours dissimulé son sexe, puisque l'Eglise interdit aux femmes d'être curées. La chancelière se lance dans une longue enquête pour à la fois savoir qui est cette femme, et retrouver l'homme dont elle a usurpé l'identité. Passé le fait qu'il est assez difficile au premier abord d'imaginer Karin Viard en chancelière de diocèse, le film déroule sa petite musique programmée, sans qu'aucun risque ne soit jamais pris à aucun moment. On sent que l'intention est féministe, pourquoi les femmes ne pourraient-elle pas exercer elles aussi ?, on se doute que ce film fut mis en chantier après le succès de Grâce à Dieu, mais Magnificat, sans être non plus un calvaire, ne lui arrive pas à la cheville. Virginie Sauveur semble ne pas vraiment s'intéresser à son enquête, et celle-ci trouve sa finalité presque sans crier gare.
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yhi
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S'appeler "Sauveur" et faire un film sur l'Eglise c'est quand même fort a propos.
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Enfin vu ! Il était temps ! Mais le film marche tellement qu'il est encore en salles un peu partout et c'est une chouette nouvelle. D'ailleurs, j'y suis allé un lundi soir, un lundi oui, deux mois après sa sortie, et la salle était quasi complète, une belle salle en plus, donc le film est encore en train de recruter un public de plus en plus large. C'est vraiment top car c'est un film exigeant, et je crois que ça fait un moment qu'une Palme d'Or n'avait pas fait un tel score en France. Bon le film. Je l'ai trouvé assez moche esthétiquement (la photo est affreuse, limite malaisante), Triet tourne dans des décors sublimes, mais on dirait qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour ne pas les filmer, et même sa mise en scène ne m'a trop plu, c'est typiquement une mise en scène qui met le spectateur à distance, une mise en scène de la tristesse. Je ne sais pas comment dire ça différemment, mais sa mise en scène me fout complètement le cafard, me déprime terriblement. Heureusement, j'ai tout de même vachement aimé le film, car il a d'autres atouts, et puis même si mise en scène est glauque, il y a un métier derrière qui lui permet de construire les choses avec solidité. C'est visiblement le grand retour en grâce des films de procès en France, je ne citerai que St Omer ou Le Procès Goldman dans les plus récents, mais ça devient presque un genre français actuellement, et Triet s'en sort avec les honneurs, tant le sien est complexe et intelligent, en tentant en permanence d'éviter les clichés afférents au genre. Je n'ai personnellement jamais douté de l'innocence de l'héroïne, et je pense évidemment que c'est voulu de la part de Triet, sinon son film n'aurait jamais ressemblé à ça. J'ai été impressionné par la grande scène centrale d'engueulade, qui est une perfection dans le genre, dans la manière qu'elle a de faire monter les choses jusqu'au climax, et hop, quelle intelligence aussi de rebasculer sur le procès et le texte en off sur la partie violente, ça en décuple la force. Globalement le film est très bien construit et les deux heures trente ne se font jamais sentir. Mais ce qui m'a le plus ému, comme beaucoup, c'est tout ce qui tourne autour du gamin. C'est un acteur incroyable déjà, mais son personnage est remarquablement écrit, et la relation qui l'entretien avec Marge, la jeune femme chargée par la juge de le surveiller, est ce qu'il y a de plus beau, de plus fort et de plus émouvant dans le film. Il y a chez ce jeune Daniel une détermination permanente, dans chacun de ses actes. Déjà dans sa manière de pleurer le deuil de son père (rarement j'ai vu une scène de deuil aussi réussie), il est total, refuse de sortir de son lit, de sortir la tête de sa couette. Ensuite dans la façon qu'il a de suivre chaque instant du procès, de s'impliquer totalement, de ne pas en perdre une miette. La scène où il est convoqué par la juge qui lui annonce qu'il n'assistera pas au procès le lendemain car les sujets qui vont être abordés sont trop durs pour lui, et sa façon de répondre, de lutter, d'être déterminé à faire changer d'avis la juge est sidérante. Et plus encore, le moment où Daniel décide qu'il va innocenter sa mère. Plus que la mise en oeuvre, toute la scène où il drogue le chien, ce qui lui permet de prouver la tentative de suicide de son père, on aime ou pas cette partie, elle peut paraitre un peu tirée par les cheveux, moi j'ai marché mais bon, c'est un peu a + b = c, non ce qui m'a sidéré c'est cet instant fugace où il décide de ce qui va se mettre en oeuvre. Dans sa tête il semble se dire, en plein moment de doute, que si sa mère est condamnée, ce sont ses deux parents qu'il perdra, et que si sa mère est au contraire innocentée, au moins il en gardera un avec lui. Et c'est parti, la machine Daniel se met en route, et ira jusqu'au bout. Et il y a ce moment de bascule dans la cuisine où il est face à Marge et il lui demande : qu'en penses-tu toi ? tu crois qu'elle est innocente ou coupable ? Marge est très mal à l'aise car elle représente la justice et elle ne peut pas se prononcer devant le fils de l'accusée, ni d'un côté ni de l'autre, elle n'en a pas le droit. Mais dans sa façon de lui répondre qu'elle ne peut rien lui dire, que c'est à la justice de trancher, on comprend intrinsèquement qu'elle soutient la démarche de Daniel et que par conséquent elle pense sa mère innocente. Cela suffit à Daniel, il est libre d'agir.
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groil_groil a écrit :
mar. 24 oct. 2023 12:07
c'est typiquement une mise en scène qui met le spectateur à distance, une mise en scène de la tristesse. Je ne sais pas comment dire ça différemment, mais sa mise en scène me fout complètement le cafard, me déprime terriblement.
:hello:

Peux-tu citer un.e autre cinéaste (français ou pas) qui pratique le même genre de mise en scène ? Merci
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groil_groil
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sokol a écrit :
mer. 25 oct. 2023 09:08
groil_groil a écrit :
mar. 24 oct. 2023 12:07
c'est typiquement une mise en scène qui met le spectateur à distance, une mise en scène de la tristesse. Je ne sais pas comment dire ça différemment, mais sa mise en scène me fout complètement le cafard, me déprime terriblement.
:hello:

Peux-tu citer un.e autre cinéaste (français ou pas) qui pratique le même genre de mise en scène ? Merci
Axelle Ropert dans La Famille Wolberg ou Desplechin pour Esther Kahn par exemple.
I like your hair.
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