Le Centre de Visionnage : Films et débats

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sokol
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Tyra a écrit :
mar. 2 janv. 2024 15:18
je suis un peu en colère contre la bonne réception de la presse,
Ne t’inquiètes pas : quand au moment de sa Palme d'or je disais que non seulement il s’agissait d'un mauvais film mais surtout d'un mauvais cinéaste (ce n'est pas la même chose), on me prenait pour un con. A l'époque, les Cahiers & co continuaient encore leurs éloges complétement infondés.
Depuis, ça a changé un peu car ils commencent à reconnaitre qu'il s’agit d'un cinéaste roublard et artificiel. Dans 5 ans (penses bien, Kore-Eda aura toujours de l’argent pour faire ses merdes), normalement ça sera fini pour lui. Patience encore :D
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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yhi
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cyborg a écrit :
mar. 2 janv. 2024 13:33
Je ne connaissais pas du tout Mettler, mais si tu le connaissais il doit avoir sa petite renommée ?
J'avais entendu parler de son film Gambling, Gods & LSD (dont le titre est intriguant), je ne sais plus par quel biais. Probablement par liens après avoir découvert Koyaanisqatsi ou Samsara. Et d'autres sont passés sur Mubi aussi depuis. En moyenne j'apprécie ses films, mais effectivement, on est dans du collage de juxtaposition. Il n'y a pas vraiment de cohérence d'ensemble. Mais prises dans le flux et dans leur diversité, les images donnent à ses films une certaines ampleur je trouve, mais peut être à défaut d'une vraie consistance.

J'ai bien noté Nestler dans un coin. Pas sûr que ça soit ma came mais je tenterai à l'occasion.
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yhi
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Tyra a écrit :
mar. 2 janv. 2024 15:18
C'est un ratage presque total
Oui j'ai trouvé ça mauvais aussi. Le pire c'est que, comme tu dis, le film se sabote lui même avec son jeu de puzzle à la con, parce que le postulat de base est plutôt intéressant. Mais le grand guignolesque des rebondissements infinis est vraiment insupportable. Et au final, bien que le film traite d'un sujet LGBT (qu'on voit assez peu au Japon il me semble) ça tombe vraiment comme les cheveux sur la soupe et à l'inverse, la partie sur le harcèlement scolaire est complètement éludée au final et fait donc bien pâle figure par rapport aux étalons japonais du genre (All about Lily Chou Chou ou Black board par exemple).
Ca me fait rire qu'on ait pu donner un prix du scénario à un film dans lequel un nœud se résout parce qu'un prof trébuche, ses yeux se déposent sur une copie d'élève, et il découvre que s'y cache un code secret :rofl:
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yhi
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Après Kore-Eda tourne aussi beaucoup (trop ?). Même si de manière générale il est probablement un peu surestimé, on trouve à boire et à manger par-ci par là.

Peut être un mode de production à la japonaise. Fukada avait aussi débarqué avec des grosses promesses, mais à raison d'un film par an, ça s'épuise assez vite quand même. Peut être que d'ici 5 ans, on dira pareil d'Hamaguchi :D
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groil_groil
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Content de revoir un film de Kore-Eda qui me plait après deux énormes ratages. Quelle drôle d'idée des distributeurs de sortir ce film entre Noël et le Jour de l'an, j'ai l'impression qu'il passe totalement inaperçu et que dès ce jour, les gens ont envie de voir des nouveautés 2024. Le film s'ouvre sur l'histoire d'un écolier de CM2 maltraité par un prof tyrannique, et de sa mère, veuve, qui essaie d'obtenir réparation de la part du prof et de la direction de l'école très protocolaire mais de toute évidence fautive. Partie du film très réussie, mais le film bascule au bout d'une trentaine de minutes sur le point de vue du prof, et l'on comprend qu'on va assister à un rashomon. La seconde partie est moins intéressante, car elle vient à chaque fois contredire ce qu'assénait la première, à la fois en bouchant les trous et en innocentant le prof chaque fois qu'il était mis en cause au préalable. C'est le passage le plus scolaire du film, même si Kore-Eda est plus malin que ça et ouvre durant cette partie des nouvelles pistes. Puis je m'attendais sagement à la troisième partie du rashomon suivant la directrice de l'école, car elle s'ouvre sur elle, mais pas du tout, le film prend à virage à 180° et c'est sans doute ce qui m'a plu car cela m'a surpris, et toute la fin, la partie la plus longue, revient sur l'enfant, et sur ses relations avec un autre jeune garçon de sa classe. L'histoire entre eux est très belle car ils sont peut-être homosexuels, sans doute, ils sont attirés l'un par l'autre, mais ils ne le savent pas encore, ils ne savent pas ce que c'est, et Kore-Eda filme ça avec la bonne distance, il n'impose aucune scène où il sexualiserait leur relation, c'est juste une amitié intense qui est montrée, l'ensemble est délicatement suggéré, jamais imposé. J'ai trouvé cette partie très belle, notamment parce qu'elle ouvrait le film vers un ailleurs que je ne lui soupçonnais pas, et que Kore-Eda sortait de ses rails, ne se contentant pas de boucler son petit programme annoncé mais s'accordant une échappée d'une belle liberté qui le fait renouer avec les beaux moments de son cinéma. Sinon très surpris de voir comment ce film dialogue avec d'autres films de l'année : C'est le même sujet que les Herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan (la parole de l'élève contre la parole du prof), on parle des mêmes choses que dans About Kim Sohee (une société japonaise d'un côté, coréenne de l'autre) écrase l'individu pour le simple respect de codes et de rituels, et la naissance du sentiment homosexuel sans qu'il soit dit de manière directe est un des points centraux de L'Île Rouge.
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Tyra
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yhi a écrit :
mar. 2 janv. 2024 17:38

Ca me fait rire qu'on ait pu donner un prix du scénario à un film dans lequel un nœud se résout parce qu'un prof trébuche, ses yeux se déposent sur une copie d'élève, et il découvre que s'y cache un code secret :rofl:
J'avais oublié cet épisode... :sweat:
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asketoner
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Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ?, Bae Yong-Kyun, 1989

Une recommandation de @cyborg .

Hélas je n'ai pas beaucoup aimé. Je n'irai pas jusqu'à en dire autant de mal que cyborg à propos de Franco Piavoli ;) , mais ce film m'y a beaucoup fait penser, et je trouve ça moins subtil, étrange, sensuel et entrelacé. C'est plus idéel, plus didactique aussi (il faut dire que le film semble avoir une visée évangélisatrice assez nette). A vrai dire j'ai plutôt retrouvé l'affreux film de Kim Ki-Duk, Printemps été automne hiver et encore printemps, qui doit être un remake à peu de choses près. A aucun moment les personnages n'ont excédé ce qu'ils étaient censés incarner, et leurs relations m'ont semblé très figées.
Pas le plus dingue des éveils spirituels, donc.
len'
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Bonne année par ici.

Quelques souvenirs de 2023 :

L'esprit de la ruche de Victor Erice (R ?)
Accattone de Pier Paolo Pasolini (R)
Crash de David Cronenberg (R)
Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino (R)
La maman et la putain de Jean Eustache
Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard
Days de Tsai Ming-Liang (R)
All is lost de JC Chandor (R)
The Fabelmans de Steven Spielberg
Le garçon et le héron de Hayao Miyazaki
Taxi driver de Martin Scorsese (R)
Robocop de Paul Verhoeven (R)
Pat Garret et Billy le Kid de Sam Peckinpah
Sans toit ni loi de Agnès Varda (R)
Retour de Hal Ashby
Croix de fer de Sam Peckinpah (R)
Le parrain de Francis Ford Coppola (R)
Batman contre le fantôme masqué de Bruce Timm et Eric Radomski
Le ciel est à vous de Jean Grémillion
Le bonheur de Agnès Varda (R)
La course aux jouets de Brian Levant (R)
Permanent vacation de Jim Jarmusch
Un vrai crime d'amour de Luigi Comencini
Entre deux âges, portraits d'une jeunesse de Clément Pérot
Norte, la fin de l'histoire de Lav Diaz
Killers of the flower moon de Martin Scorsese
Collatéral de Michael Mann (R)
Audition de Takashi Miike
Epidemic de Lars Von Trier
Tetsuo de Shinya Tsukamoto
Chute libre de Joel Schumacher (R)
Compartiment n° 6 de Juho Kuosmanen
68, mon père et les clous de Samuel Bigiaoui
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groil_groil
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Iris a la quarantaine passée, elle est dentiste, a une vie aisée, deux enfants, en couple avec le même homme depuis 22 ans, qui passe son temps à travailler sur son ordinateur (sans qu'on sache ce qu'il fait vraiment). Ils s'aiment mais ils se sont enfoncés dans une routine de couple qui fait que cela fait 4 ans qu'ils n'ont pas fait l'amour. Elle finit par s'inscrire sur une appli de rencontres type Tinder, et c'est parti, elle multiplie les amants d'un jour, redécouvre son corps et reprend confiance en elle... Second film du duo Caroline Vignal / Laure Calamy, qui avait fait des étincelles avec Antoinette dans les Cévennes, Iris et les Hommes déçoit tout de même, et est moins bon que le précédent. C'est un film agréable et sans défaut majeur, mais la cinéaste, malgré tous les efforts de sa comédienne - dont on commence d'ailleurs à connaitre par cœur chaque tic de jeu - ne parvient jamais à dépasser le stade de ses intentions initiales, et de son synopsis. Evidemment elle va se découvrir, évidemment ça va entrainer une crise familiale, évidemment ça va finir par arranger sa vie de couple qui va repartir comme en 40. Si l'idée de voir la question du désir féminin enfin traitée une femme cinéaste était évidemment un point fort pour le film, il est dommage de constater que le résultat ne dépasse pas les clichés attendus, aussi agréables soient ils.

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Joie, grande joie, Sofia Coppola revient au meilleur de sa forme avec un film ultra personnel, encore un autoportrait en creux, où comme dans tous ses grands films, il s'agit de l'histoire d'une petite princesse enfermée dans une prison dorée. En cela, Priscilla se présente comme un beau et intelligent remake de son chef-d'œuvre, Marie Antoinette, mais celui-ci se termine mieux car la jeune héroïne parvient à prendre la fuite avant de se faire couper la tête. Biopic sans être un biopic, même s'il s'agit de l'adaptation du livre de Priscilla Presley, Coppola fait des choix très forts, ceux de ne suivre que Priscilla. On ne voit donc Presley que par ses yeux à elle, et on reste enfermé avec elle lorsqu'il part en tournée ou à Hollywood pour tourner un film. Très peu de chansons de King du coup, aucune scène de concert si ce n'est un bref instant fugitif mais très marquant, et pourtant le film est imprégné jusqu'à la moëlle par l'aura de Presley dont la présence, malgré sa violence et son abjection, m'a littéralement fasciné. A ce propos, les deux acteurs interprétant le couple sont totalement fabuleux, génie absolu du casting. Après une ouverture en Allemagne, lorsqu'Elvis fait son service militaire, conte de fée absolument fascinant, le film ne quitte quasiment jamais Graceland, mais ce relatif huis-clos ouvre toutes les perspectives de projection et de cinéma possible. C'est vraiment un grand film !

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Dans le classique "L'Homme qui tua Liberty Valence", John Ford fait dire à l'un de ses personnages cette réplique restée mythique : « Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende ». Ce qu'il y a de fabuleux à voir les tout premiers westerns de John Ford, celui-ci "Le Ranch Diavolo", daté de 1917, est tout simplement son premier long-métrage, c'est que la légende et la réalité sont simultanées. J'entends par là que Ford est en train de filmer le western alors qu'il se déroule encore à l'instant présent où il filme, puisque le pays est en train à peine d'entrer dans une époque moderne mais vit encore sur ces racines-là. Voir les films de Ford de cette époque c'est tout simplement vertigineux, légende et réalité se confondent, et c'est peut-être ça la plus belle définition du cinéma.
Modifié en dernier par groil_groil le jeu. 4 janv. 2024 13:58, modifié 1 fois.
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cyborg
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@asketoner : ah, dommage...
Je n'aurais jamais pensé lier le film au travail de Piavoli, qui a pour problème essentiel de m'avoir paru très limite, voir clairement raciste dans son montage (je pense à A Primo Soffio di Vente), tout en enfilant des perles sur "le temps qui passe". De lui je ne sauve que Nostos, mais je sais que c'est celui que vous aimez le moins.

C'est tout à fait vrai qu'il y a ici un côté prosélyte, ou du moins initiatique, qui ne m'a pas dérangé. Peut-être parce que je connais peu le "zen".
C'est vraiment la mise en scène qui me reste, plus que la trame narrative dont tu parles, et qui ne m'a pas préoccupé.

Pour le reste je déteste moi aussi "Printemps, été..." et je n'y avais pas songé non plus (ici il n'y a pas d'accéléré sur la nature, au moins :D )
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asketoner
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cyborg a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 13:42
prosélyte
Ah merci ! Je me sentais idiot avec le mot "évangéliste", je ne trouvais plus "prosélyte" !


Sinon, il m'a semblé que la mise en scène était appuyée : il y a beaucoup d'effets musicaux, des ralentis, etc... J'étais plus proche d'Aronofsky que du zen.
Mais j'ai lu que le cinéaste était un universitaire et qu'il avait tourné ce film pendant dix ans, et jamais rien d'autre. Je pense que la question de la transmission est donc vraiment l'enjeu principal. Et j'ai toujours ce problème avec les oeuvres de spiritualité qui s'adressent consciemment à des Occidentaux : j'ai l'impression qu'on me mâche l'illumination...
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Kit
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poucenlair

groil_groil a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 12:59

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Dans le classique "L'Homme qui tua Liberty Valence", John Ford fait dire à l'un de ses personnages cette réplique restée mythique : « Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende ». Ce qu'il y a de fabuleux à voir les tout premiers westerns de John Ford, celui-ci "Le Ranch Diavolo", daté de 1917, est tout simplement son premier long-métrage, c'est que la légende et la réalité sont simultanées. J'entends par là que Ford est en train de filmer le western alors qu'il se déroule encore à l'instant présent où il filme, puisque le pays est en train à peine d'entrer dans une époque moderne mais vit encore sur ces racines-là. Voir les films de Ford de cette époque c'est tout simplement vertigineux, légende et réalité se confondent, et c'est peut-être ça la plus belle définition du cinéma.
Harry Carrey (le vice-président dans Mr. Smith au Sénat de Capra) père de l'acteur Harry Carrey, Jr. qui joua aussi pour John Ford (Le Fils du désert, La Charge héroïque :love2: , Le Convoi des braves, Rio Grande, Ce n'est qu'un au revoir :love2: , Permission jusqu'à l'aube, La Prisonnière du désert :love2: , Les Deux Cavaliers, Les Cheyennes :love2: ), on le retrouva plus tard dans Les Gremlins, Retour vers le futur 3
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Kit a écrit :
ven. 5 janv. 2024 05:24
groil_groil a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 12:59

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Dans le classique "L'Homme qui tua Liberty Valence", John Ford fait dire à l'un de ses personnages cette réplique restée mythique : « Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende ». Ce qu'il y a de fabuleux à voir les tout premiers westerns de John Ford, celui-ci "Le Ranch Diavolo", daté de 1917, est tout simplement son premier long-métrage, c'est que la légende et la réalité sont simultanées. J'entends par là que Ford est en train de filmer le western alors qu'il se déroule encore à l'instant présent où il filme, puisque le pays est en train à peine d'entrer dans une époque moderne mais vit encore sur ces racines-là. Voir les films de Ford de cette époque c'est tout simplement vertigineux, légende et réalité se confondent, et c'est peut-être ça la plus belle définition du cinéma.
Harry Carrey (le vice-président dans Mr. Smith au Sénat de Capra) père de l'acteur Harry Carrey, Jr. qui joua aussi pour John Ford (Le Fils du désert, La Charge héroïque :love2: , Le Convoi des braves, Rio Grande, Ce n'est qu'un au revoir :love2: , Permission jusqu'à l'aube, La Prisonnière du désert :love2: , Les Deux Cavaliers, Les Cheyennes :love2: ), on le retrouva plus tard dans Les Gremlins, Retour vers le futur 3
Dingue, que joue-t-il dans les prod Amblin ?
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cyborg
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asketoner a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 14:09
Sinon, il m'a semblé que la mise en scène était appuyée : il y a beaucoup d'effets musicaux, des ralentis, etc... J'étais plus proche d'Aronofsky que du zen.
Mais j'ai lu que le cinéaste était un universitaire et qu'il avait tourné ce film pendant dix ans, et jamais rien d'autre. Je pense que la question de la transmission est donc vraiment l'enjeu principal. Et j'ai toujours ce problème avec les oeuvres de spiritualité qui s'adressent consciemment à des Occidentaux : j'ai l'impression qu'on me mâche l'illumination...
C'est marrant j'ai pas du tout ce souvenir... Comme quoi !
Peut-être que je le reverrai un jour, alors ! ;)
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alias Le Procès des Doges.

Au début du 16ème siècle, un petit boulanger découvre le cadavre d'un noble, tué d'un coup de dague encore planté dans le coeur. Penché sur son cadavre, la dague à la main, il est pris pour coupable et jugé au Palais des Doges. Son procès, qui débute quasiment dès le début du film, est l'occasion à la fois de remonter le cours de l'histoire par flashes back développant l'intrigue, et de pénétrer à l'intérieur des cercles de pouvoir où les intrigues et enjeux échappent complètement à ce pauvre petit boulanger innocent. Ce n'est que le second film de Duccio Tessari, cinéaste ayant une filmo longue comme le bras et s'étant essayé à tous les genres, après avoir prêté main forte à plusieurs cinéastes, donc Sergio Leone, et il fait déjà montre d'une belle aisance de mise en scène, aérant sans cesse le genre par essence en huis-clos du film à procès et filmant Venise de manière plus que généreuse.
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Un Prince, Pierre Creton

Catastrophe -
Je m'étais déjà méfié de Va Toto !, et j'avais refusé d'aller voir Le Bel été parce que les histoires d'amour entre les Blancs et les migrants, c'est non, mais là, la curiosité m'a rattrapé (j'avais adoré L'Heure du Berger, un moyen-métrage du cinéaste qui était comme un journal filmé tendu par l'inquiétude et le merveilleux), et je me suis retrouvé face à cette fiction épouvantable, réac et intellectuellement indigente. Un peu comme si Eric Naulleau, Richard Millet et Eric Dupont-Moretti avaient décidé de faire un film ensemble en laissant libre cours à leurs fantasmes homosexuels. Un mélange de rangers bien cirées et de porcelaine de Limoges, en gros. Avec une triple voix-off incompréhensible, d'un ennui mortel, imitant sans talent le beau style du début du xxème siècle. Subjonctif, naphtaline et croix de Lorraine.
D'ailleurs je constate que les journalistes sont ravis : enfin le retour des films où les étudiants couchent avec leur prof et les employés avec leur patron dans la joie et la bonne humeur, comme si l'étude de la sexualité comme un rapport de domination avait un peu trop duré.

(Le pire, c'est que la mise en scène n'est pas mauvaise du tout...)
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Tyra
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Je prends le film pour ce qu'il est : un pur film de noël, genre plutôt sinistré, avec tous les bémols qu'on peut mettre sur ce type de film (le coté un peu facile et démago du feel-good-movie doux amère). Mais dans ce genre là, si on l'accepte avec ses codes, c'est vraiment très bien. Si les Toledano-Nakache avaient plus de talent et de finesse, ils pourraient produire ce type de film, à ceci près qu'ici les rapprochements et les liens créés entre les protagonistes issues de générations et classes sociales différentes ne conduisent pas à un effacement artificiel de leurs antagonismes. Ici nul soucis, il me semble, de masquer ou résorber les divers conflits sociétaux de l'époque par la réconciliation, mais plutôt de se pencher le temps des vacances de noël, sur trois trajectoires différentes qui vont se croiser et apprendre à se connaitre, sans l'illusion qu'ils vont changer le monde par leur rencontre. Et le film, se situant en 1970, ne peux de toute façon pas laisser d'illusions sur le sujet puisque nous connaissons la suite de l'Histoire.
Et l'interprétation est au top, tout particulièrement le tout jeune et inconnu Dominic Sessa, assez prodigieux.


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Régulièrement des plans plastiquement incroyables de Séoul, Shanghai ou New York viennent nous flatter l'œil, mais je réduis le film justement à cela : une suite de jolies cartes-postales un peu exotiques dans lesquels nos protagonistes déambulent sans que ce qu'on y voit ne me provoque autre chose qu'un ennui poli. Le film à mon avis ne choisit pas son camp mais oscille entre deux. Le non-dit ou l'autoréflexivité "Rohmerienne", il fallait choisir. Le film en reste à un entre-deux assez fade, dans lequel les personnages ont peu personnalité et ne disent pas grand chose d'intéressant.

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On peut, à la vue de ce film, conclure que peut être cette relation entre Bernstein et sa femme n'avait pas l'épaisseur requise pour en tirer un long métrage.
Et puis, encore un énième film américain où tout le sous-texte est explicité par les protagonistes. Ils mettent à point nommé les bons mots sur les situations qu'ils vivent, explicitent tout pour le spectateur. Et à un moment, un journaliste venant interviewer Bernstein nous égrène la liste des faits d'arme du compositeur/chef d'orchestre, pour nous rappeler qu'il avait une vie artistique à coté de sa vie de couple. Assez étonnant de voir ces gros projets se monter sur des scénarios si faible, inachevés.
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groil_groil a écrit :
ven. 5 janv. 2024 07:53
Kit a écrit :
ven. 5 janv. 2024 05:24
groil_groil a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 12:59

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Dans le classique "L'Homme qui tua Liberty Valence", John Ford fait dire à l'un de ses personnages cette réplique restée mythique : « Quand la légende est plus belle que la réalité : imprimez la légende ». Ce qu'il y a de fabuleux à voir les tout premiers westerns de John Ford, celui-ci "Le Ranch Diavolo", daté de 1917, est tout simplement son premier long-métrage, c'est que la légende et la réalité sont simultanées. J'entends par là que Ford est en train de filmer le western alors qu'il se déroule encore à l'instant présent où il filme, puisque le pays est en train à peine d'entrer dans une époque moderne mais vit encore sur ces racines-là. Voir les films de Ford de cette époque c'est tout simplement vertigineux, légende et réalité se confondent, et c'est peut-être ça la plus belle définition du cinéma.
Harry Carrey (le vice-président dans Mr. Smith au Sénat de Capra) père de l'acteur Harry Carrey, Jr. qui joua aussi pour John Ford (Le Fils du désert, La Charge héroïque :love2: , Le Convoi des braves, Rio Grande, Ce n'est qu'un au revoir :love2: , Permission jusqu'à l'aube, La Prisonnière du désert :love2: , Les Deux Cavaliers, Les Cheyennes :love2: ), on le retrouva plus tard dans Les Gremlins, Retour vers le futur 3
Dingue, que joue-t-il dans les prod Amblin ?
si je me souviens bien de lui dans Retour vers le futur 3, assis barbe blanche et cigare
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ce n'est pas le cas avec Les Gremlins (M.. Anderson)
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Jeunesse (le printemps), Wang Bing

Wang Bing atteint le point où les gens qu'il filme cessent de se figer devant la caméra (au contraire de Dominique Marchais par exemple, dans son récent La Rivière). On pourrait dire que c'est un cinéma désabusé, qui ne change rien, qui n'intervient pas mais pas par pudeur (la caméra de Wang Bing n'est pas discrète ni prudente, les protagonistes de son film l'interpellent régulièrement, son ombre apparaît parfois, le tournage encombre un peu l'espace et provoque quelques réactions), plutôt parce qu'il n'y a pas de place pour lui. Tout se passe comme si Wang Bing cherchait l'endroit où il y a le moins de place possible pour le cinéma, et décidait que ce serait précisément là qu'il tournerait. Dans ce quartier sinistre, donc, quasi-carcéral, avec des bâtiments gris tournés sur eux-mêmes, où vivent et travaillent des milliers d'ouvriers des provinces chinoises pour des ateliers de confection où l'on est payé à la pièce, sans connaître réellement à l'avance le prix de la pièce.
Quand je dis qu'il n'y a pas de place pour le cinéma dans ces ateliers de confection, je veux dire qu'il y a en fait une profonde indifférence au cinéma. La caméra ne change pas grand chose. Parfois on la prend un peu à témoin, et sans doute les négociations avec les patrons sont-elles légèrement différentes s'il y a une caméra qui accompagne les ouvriers, mais au fond on voit bien que le travail est plus fort. Le travail, son organisation, son aliénation - et la vie aussi, au sein du travail. Car on assiste, d'atelier en atelier, à des scènes d'amour et d'amitié, de drague et de bagarre, de jeux fous et de désespoirs brusques, de demande en mariage et de négociation de congés pour aller avorter loin des regards. Malgré les gestes précipités sur les machines bruyantes, l'abrutissement général dans les ateliers, la jeunesse existe quand même, trouve par où passer, s'exprimer, se décharger de ses pulsions. Au fond on voit bien comment tient ce système impossible : on peut exploiter la jeunesse puisque rien ne saurait la détruire absolument.
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Narval
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Goodbye South, Goodbye - Hou Hsiao Hsien
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C'est un vrai festival de chemises bigarrées, de clopes et de chewing-gum, ça en devient ridicule à certains moments (et le mixage audio a tendance à vraiment rendre ce film difficile à supporter par instants). Mais tout transpire tellement l'authenticité, depuis les premiers dialogues entre les membres de cette famille de petits truands que l'on découvre jusqu'à la fin où un conflit familial se règle au karaoké par l'intervention (lunaire, géniale) du député local. L'histoire par contre, est prétexte (comme tant d'autres films du même genre) pour imbiber l'image d'atmosphères de fonds de restaurants miteux, d'hôtels lugubres ou de caves cradingues. Hou Hsiao Hsien infiltre sa caméra dans des situations, captées sur le vif, sans automatisme dans la mise en scène et c'est assez grisant. Les personnages ne sont pas bien intéressants (immatures surtout, dont le fameux Tête d'obus qui est le centre narratif du film), mais ils existent malgré tout grâce à leur environnement, qui les enrichie constamment et les renforce. Et la bonne surprise, c'est justement laisser une place toute particulière à l'exploration, aux voyages et surtout aux extérieurs et non pas de toujours s'en remettre aux villes poisseuses. Les personnages sont en quête de réussite, ils vont de petites extorquions en petits larcins, mais il y a cet horizon de rejoindre Shangaï, ou d'ouvrir un restaurant. Tout est un peu flottant, déjà, mais il y a une énergie qui prend par sursauts.

Le plus grand, c'est de placer l'intrigue du film autour de cette ligne de chemin de fer qui traverse tout le film et qui guide un peu les personnages d'intrigues en intrigues. Déjà le film s'ouvre sur une séquence magnifique où la caméra se tient sur le train et arpente les rails sur fond de musique indé bien sale. De manière générale les pistes intra diégétiques qui parcourent le film sont superbes et sortent vraiment des plages contemplatives qui auraient pu s'imposer.
Il y a certains choix esthétiques assez forts : déjà les couleurs criardes qui pourraient faire passer le film pour un rebut du début du numérique mal géré, cela va jusqu'à faire des jaunes cramés qui anéantissent tout dans le cadre ou des teintes vertes sur tout l'écran qui rendent pas forcément très bien. Mais tout cela participe aussi à l'atmosphère de l'ensemble et lui donne un cachet 90's assez fou. Je ne connais pas les films antérieurs, je suis en train de remonter dans le temps, mais j'ai l'impression que ce film est un vrai premier pas vers le côté esthétisant et atmosphérique de son cinéma, qui atteindra son paroxysme bien plus tard.
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sokol
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asketoner a écrit :
ven. 5 janv. 2024 11:22


(Le pire, c'est que la mise en scène n'est pas mauvaise du tout...)
La seule phrase de ta critique avec laquelle je suis d’accord (ainsi que la preuve, selon moi, que tu fais au film un procès d’intention (pour le ‘fond’)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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asketoner a écrit :
sam. 6 janv. 2024 12:45
Dans ce quartier sinistre, donc, quasi-carcéral, avec des bâtiments gris tournés sur eux-mêmes, où vivent et travaillent des milliers d'ouvriers des provinces chinoises pour des ateliers de confection où l'on est payé à la pièce, sans connaître réellement à l'avance le prix de la pièce.


En fait, ils sont assez bien payés (je ne sais pas si tu as fait attention des salaires mensuels annoncés mais c’est entre 900 et 1200€, étant logé, sachant aussi que la monnaie Chinoise ne fait pas partie du système monétaire international puisque le yuan en Chine n'est pas entièrement convertible et la banque centrale du pays fixe chaque jour un taux pivot comme ça lui chante, bien évidement pour faire chanter le reste de la planète, dépendant de son économie. Donc, pour un pays comme la Chine, c’est largement bien payé (c’est pour cela d’ailleurs que les chinois sou-traitent en Asie ou en Afrique).
asketoner a écrit :
sam. 6 janv. 2024 12:45
Quand je dis qu'il n'y a pas de place pour le cinéma dans ces ateliers de confection, je veux dire qu'il y a en fait une profonde indifférence au cinéma.
Ils se mettent pas mal en scène quand même (voir, beaucoup !!) mais j’ai peur de ne pas avoir compris exactement ce que tu voulais dire
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 21:17
asketoner a écrit :
ven. 5 janv. 2024 11:22


(Le pire, c'est que la mise en scène n'est pas mauvaise du tout...)
La seule phrase de ta critique avec laquelle je suis d’accord (ainsi que la preuve, selon moi, que tu fais au film un procès d’intention (pour le ‘fond’)
Oui, c'est bien du fond que je parle.
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sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 21:51
asketoner a écrit :
sam. 6 janv. 2024 12:45
Dans ce quartier sinistre, donc, quasi-carcéral, avec des bâtiments gris tournés sur eux-mêmes, où vivent et travaillent des milliers d'ouvriers des provinces chinoises pour des ateliers de confection où l'on est payé à la pièce, sans connaître réellement à l'avance le prix de la pièce.


En fait, ils sont assez bien payés (je ne sais pas si tu as fait attention des salaires mensuels annoncés mais c’est entre 900 et 1200€, étant logé, sachant aussi que la monnaie Chinoise ne fait pas partie du système monétaire international puisque le yuan en Chine n'est pas entièrement convertible et la banque centrale du pays fixe chaque jour un taux pivot comme ça lui chante, bien évidement pour faire chanter le reste de la planète, dépendant de son économie. Donc, pour un pays comme la Chine, c’est largement bien payé (c’est pour cela d’ailleurs que les chinois sou-traitent en Asie ou en Afrique).
asketoner a écrit :
sam. 6 janv. 2024 12:45
Quand je dis qu'il n'y a pas de place pour le cinéma dans ces ateliers de confection, je veux dire qu'il y a en fait une profonde indifférence au cinéma.
Ils se mettent pas mal en scène quand même (voir, beaucoup !!) mais j’ai peur de ne pas avoir compris exactement ce que tu voulais dire
Oui ils se mettent en scène, mais ça ne changera rien.
(Ils n'en profitent pas pour passer un message, comme dans 97% des documentaires.
Il y a même une blague à un moment : l'ouvrier dit qu'il va passer à la télé, sa collègue lui demande sur quelle chaîne, il répond "avant-garde-tv".)

(Ce n'est pas "comme si la caméra n'était pas là", comme chez Wiseman. On n'est pas dupe de la présence de la caméra, mais on n'est pas dupe non plus de son impuissance.)

Sur le salaire, on a fait la conversion à la sortie, oui.
Wang Bing à la radio affirmait quand même que ces ouvriers sont mal payés parce qu'ils fabriquent des vêtements destinés aux classes populaires.
Par ailleurs ça n'enlève rien au "suspense" de la paye.
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Il y a un peu ‘trop’ de ‘personnages’ dans Jeunesse, en fait…
Et pas tant que ça de rupture de ton 😐
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sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 22:15
Il y a un peu ‘trop’ de ‘personnages’ dans Jeunesse, en fait…
Et pas tant que ça de rupture de ton 😐
J'en sors. Comme d'hab chez Wang Bing, c'est du cinéma un peu muséifié. Pas dans le sens poussiéreux, antique, mais dans le sens ou tu pourrais en extraire 15 min de n'importe quel moment, tu aurais vu à peu près la même chose. Et l'intérêt de voir l'ensemble me parait assez superficiel. Je ne dis pas que tout est pareil et je vois bien que l'objectif est aussi de montrer la répétition (sur un seul jour, sur plusieurs jours, d'un atelier à l'autre), mais quand même, ça a ses limites.
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@yhi il manque des ruptures de ton (il y en a quelques un pourtant). Mais pas assez pour un film de 3h30
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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yhi a écrit :
sam. 6 janv. 2024 23:26
sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 22:15
Il y a un peu ‘trop’ de ‘personnages’ dans Jeunesse, en fait…
Et pas tant que ça de rupture de ton 😐
J'en sors. Comme d'hab chez Wang Bing, c'est du cinéma un peu muséifié. Pas dans le sens poussiéreux, antique, mais dans le sens ou tu pourrais en extraire 15 min de n'importe quel moment, tu aurais vu à peu près la même chose. Et l'intérêt de voir l'ensemble me parait assez superficiel. Je ne dis pas que tout est pareil et je vois bien que l'objectif est aussi de montrer la répétition (sur un seul jour, sur plusieurs jours, d'un atelier à l'autre), mais quand même, ça a ses limites.
Je m'ennuie moins chez Wang Bing que chez Wiseman, alors que Wang Bing est effectivement plus 'muséifié' comme tu dis, plus uniforme. Wiseman propose des changements de ton, mais ce qu'il construit me semble moins intense. Chez Wang Bing il y a tout de même une endurance, une obstination que je trouve belle, et qui me permet d'habiter la durée de ses films, avec la pensée, les affects, l'attachement à certains personnages, et la curiosité aussi. Et Sokol dira encore que je parle de fond (et j'ai envie de dire : encore heureux !), mais Wang Bing a un point de vue sur l'humain que je trouve particulièrement fort. Ce qu'il montre de la vie m'intéresse.
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sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 23:35
@yhi il manque des ruptures de ton (il y en a quelques un pourtant). Mais pas assez pour un film de 3h30
Mais peut-être qu'il n'y en avait pas, des ruptures de ton, comme tu dis, dans la réalité. D'ailleurs tout l'enjeu du film est de montrer des puissances quasi inamovibles : le travail (ou le capitalisme) d'un côté, la jeunesse (ou l'éveil de la sexualité) de l'autre ; et aucune de ces deux puissances ne cèdent vis-à-vis de l'autre, parce qu'au fond elles sont complices (le capitalisme a besoin de la pulsion sexuelle, et la pulsion sexuelle qui ne trouve pas à s'accomplir en continu trouve dans le travail et l'argent une forme de dérivatif ou de compensation). Il y aurait des ruptures de ton s'il y avait du changement. Mais il n'y en a pas.

(A l'Ouest des rails montrait une usine qui allait bientôt fermer - ça change tout.)
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sokol
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@asketoner as tu vu Argent amer ? (quasiment le même sujet).
Un chef d’œuvre (et là, on voit la différence dont je parle)
Dans leur vie, bien sûr qu’il y a des ruptures de ton (ils rient, ils geulent, ils font la gueule … etc etc) mais c’est la mise en scène du film qui est un peu moins passionnante cette fois ci

@yhi Je m’ennuie jamais devant un film de Wang Bing. L’intérêt de voir l'ensemble ne me parait non plus une seule seconde superficiel. C’est juste que cette fois-ci, je trouve que la mise en scène (voir le montage précisément) n’est pas la meilleure (mais je pense que tu as vu très peu de films de lui, n’est ce pas ? Or j’ai tout vu)
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sokol a écrit :
dim. 7 janv. 2024 01:01
@asketoner as tu vu Argent amer ? (quasiment le même sujet).
Un chef d’œuvre (et là, on voit la différence dont je parle)
Dans leur vie, bien sûr qu’il y a des ruptures de ton (ils rient, ils geulent, ils font la gueule … etc etc) mais c’est la mise en scène du film qui est un peu moins passionnante cette fois ci
Je ne l'ai pas vu, non, mais j'en ai très envie.

Peut-être que c'est intéressant de ne pas nous divertir avec ces ruptures de ton dont tu parles.
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Narval
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@asketoner as tu vu Argent amer ? (quasiment le même sujet).
Un chef d’œuvre (et là, on voit la différence dont je parle)
Oula, c'est clairement son moins intéressant de mon point de vue (même si j'aime quand même toujours globalement). Par ailleurs il contient une scène assez problématique (dont les Cahiers avaient parlé à l'époque) où l'équipe de tournage laisse un type se faire maltraiter par sa compagne pendant beaucoup trop longtemps (si c'était la femme qui avait été victime à ce moment là je pense que tout le monde serait intervenu et/ou on le réal se serait fait détruire pour avoir gardé ça au montage). Cette scène faisait basculer le film vers le reportage pour moi, d'autant plus que le film manquait vraiment d'ampleur pour ma part. Il y a moins de personnages, (d'ailleurs le terme personnage me vient à l'esprit automatiquement, je trouve que le film fait plus fiction par rapport à d'autres) mais il y a aussi moins de puissance dans les images, dans la narration, il y a moins de hors-champs égaglement.
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yhi
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asketoner a écrit :
sam. 6 janv. 2024 23:37
Je m'ennuie moins chez Wang Bing que chez Wiseman,
Je suis d'accord avec ces arguments et je pense que les deux ne sont pas comparables car, même si les durées sont longues chez les deux, l'objectif est différent.
Par contre, de ce que j'ai vu de Wiseman (excepté son dernier), le début et la fin d'un film sont justifiés, le film s'arrête quand il considère avoir tout montré, et il y a finalement peu de plans semblables. Ca dure 3h, mais chaque nouveau plan m'apporte quelque chose.
asketoner a écrit :
sam. 6 janv. 2024 23:37
Chez Wang Bing il y a tout de même une endurance, une obstination que je trouve belle
Oui, je comprends. Mais cette endurance, moi elle démarre au bout du 3e atelier où on voit la même chose. Du coup pourquoi en montrer autant d'autres ? Le film dure 3h30 mais il semble pouvoir durer 2h, 8h ou 15h indifféremment (on pourrait presque soupçonner que la coupe à 3h30 serait là pour garder une durée "acceptable" pour la compet' cannoise). C'est ça qui me dérange.
Si encore le temps du film arrivait à me faire vivre le temps des personnages je comprendrais. Mais l'endurance et l'obstination que ce genre de montage montre, c'est celle du cinéaste, pas celle des travailleurs (car on ne semble pas passer plus d'une journée avec l'un d'entre eux, on change d'atelier tout le temps)
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sokol
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yhi a écrit :
dim. 7 janv. 2024 11:08
on ne semble pas passer plus d'une journée avec l'un d'entre eux, on change d'atelier tout le temps)
Mais si mais si, il a passé bien plus qu'une journée avec l'un d'entre eux mais il a fait un montage qui tente nous montrer tous les ouvriers comme un bloc, comme un seul et unique portrait. D’ailleurs, s’il y a un problème dans ce film, il est lié au montage (et pas du tout au temps du filmage, au temps passé avec les ouvrier etc)
Modifié en dernier par sokol le lun. 8 janv. 2024 09:54, modifié 1 fois.
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cyborg
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Pendant la longue après-midi d'attente du réveillon du 31 j'ai finalement pu voir deux courts métrages :

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Diane Wellington - Arnaud des Pallieres - 2010

Sur un procédé rebattu (peut-être un peu moins à l'époque) d'images d'archives retrouvées sur internet, Des Pallières invente le portrait tragique d'une femme dans l'Amérique rurale des années 30. Du drame il fait une élégie, fine et sensible. Il invente un au-delà également. Du voyage imaginé par les amies de la victime il fait le rêve d'un rêve, en couleur, paradis où il ferait peut-être meilleur vivre.
Bel hommage à toutes les victimes des préjugés et normes sociales.


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Blight - John Smith - 1996

Tête de file d'un cinéma structuraliste "déviant", John Smith à su rajouter à ce mouvement la question du langage (oral, textuel) et de son imprécision.
Blight ne déroge pas à l'affaire. D'une construction métronomique folle, le film finit par se transformer en réquisitoire contre la construction d'une nouvelle autoroute nécessitant la destruction d'un quartier populaire de Londres. Des corps, des voix, des objets, des surfaces, des couleurs, des véhicules appraissent les uns après les autres mais semblent surtout surgir les uns des autres, réunis par un travail sonore impressionnant. Le résultat fini presque par ressembler à l'illustration d'une magnifique pièce de musique concrète






Tout cela me permet de me trainer difficilement à 97 films vus dans l'année 2023 ! Cela fait longtemps que je n'avais pas vu aussi peu de film, mais il faut dire que j'ai été très pris professionnellement parlant, amoureusement parlant, et que j'ai également compensé par plus de livres et d'expos et même spectacles (la musique étant elle aussi un peu en berne).

Tout cela pour dire : Bonne année les ami.e.s du forum, continuez à nous poster vos avis et découvertes, c'est toujours un plaisir ! :love2:





J'ai pu commencer l'année de visionnage dès le 1er janvier au soir avec :

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Tout au long du Gang du bois du temple, le territoire semble instable et incertain. Facétieux même. Tandis que l'on pense être à Marseille, surgit soudain un bout de Paris puis de Bordeaux sans qu'aucune rupture ne soit marquée. Si le réalisateur ne met pas cet aspect en avant, il ne s'en cache pas non plus. Lui en faire le reproche serait comme se moquer d'Akerman qui situe sans rien en dire son "Portrait d'une jeune fille à la fin des années 60" dans le Bruxelles des années 90. Comment pouvons nous analyser ce choix ?

Malgré les noms de villes semblant apparaitre aléatoirement sur les panneau routiers, une cohérence visuelle domine en imprimant à l'écran barres d’immeubles, troquets, rocades, et autres architectures périphériques et génériques. L'imaginaire visuel lie la narration, tandis que la géographie réelle virevolte d'un bout à l'autre de la carte de France. Serait-ce alors l'espace qui joue mal son rôle de territoire ? Ou le territoire qui joue mal son rôle d'espace ? Mais qu'est-ce que "mal jouer" dans une forme d'art se basant sur l'illusion, la croyance et la "suspension d'incrédulité" ?

Ce "territoire qui joue mal" m'évoque, à sa manière, Bresson. Comme si ses théories et le célèbre (non-) jeu si particulier de ses acteurs avait été transposé à une autre problématique, à une autre échelle. Quoi de moins surprenant de la part d'un film semblant rejouer Pickpocket en version XL ? Si le hippisme sert de dénominateur commun entre les deux œuvres, nous passons d'un petit voleur isolé à un gang, d'un vol de porte-feuille au braquage d'un prince arabe. Cette relecture contemporaine, élargie et mise à jour, se permet même de rejouer en son centre et presque au plan prêt, la scène finale de "confessional" du film de Bresson.

En toute logique, Le Gang... serait donc lui aussi un film sur l'acte criminel mais aussi sur la foi, le chemin de foi peut-être, en tout cas la marche vers la croyance en un monde nouveau et meilleur. "Oh Jeanne, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre pour arriver jusqu'à toi..." nous déclarait à l'époque le héros de Pickpocket.

Une force quasi-mystique semble ainsi innerver tout le film. Que l'on pense seulement aux deux scènes musicales ( le chant à l'enterrement, dont le plan se conclue sur une croix catholique en arrière plan ; et plus tard la danse du prince) ou encore à la façon dont sont menés "les enquêtes" dans la deuxième partie du film, chaque personnage semblant avancer sans ambages et comme mu d'une mystérieuse force propre. Je ne peux enfin m'empêcher de songer à l'ouverture et à la fermeture même du film, quant apparait ce personnage mystérieux mais central, ancien tireur d'élite, perché sur son balcon comme un curé dans sa chaire.

Ce personnage qui "domine" l'espace, qui observe ce qui l'entoure, semble correspondre à la position du réalisateur lui-même. Le décès du début du film pourrait ainsi évoquer une certaine "crise de foi" de RAZ envers son médium et son style habituel. Une théorie que confirmerait la scène clé et centrale du film : quand le "gang amateur" incarné par des "acteurs amateurs" vient se faire décimer en un clin d’œil par une équipe de professionnel... L'équilibre sera rétabli quand le tireur d'élite "amateur" (il est en effet à la retraite) exécutera sa vengeance en éliminant d'une seule balle le commanditaire-professionel. Ou comment faire d'un film de braquage un film de lutte des arts, des styles, des classes. Enfin, le dernier plan du film remplacera "l'aura de mort" du début par la course et le jeu d'un enfant, signe certain d'un renouveau possible.

Si cette lecture "théorique et bressonienne" n'est peut-être pas des plus évidentes à la vue du film, elle ne me parait pas non plus totalement farfelue... Quoi qu'il en soit, même si il peut apparaitre abscons et imparfait, le cinéma de Rabah Ameur-Zaimeche continue d'être passionnant car revêche et riche en interprétations nébuleuses.
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groil_groil
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Une jeune femme pimpante persuade un couple de cambrioleurs de devenir le troisième larron de leur équipe de malfrats grâce à des plans qui leur semble alléchants. Mes enfants sont tellement fan de De Funès qu'ils nous obligent à fouiller les fonds de tiroir, et celui-ci par exemple est une découverte pour moi. Sans être génial, De Funès est sous-exploité, comme si le film n'avait pas été écrit pour lui, sans prendre conscience de l'étendue de son génie comique, le film est pourtant une bonne surprise. Il ressemble beaucoup aux comédies italiennes de l'époque, on pense forcément au Pigeon, et De Funès fait un parfait Toto français. Et en voyant le film, je n'ai pu m'empêcher de penser à l'un de mes livres favoris, La Corne de Rhinocéros, bijou de Spirou et Fantasio, écrit et dessiné par André Franquin. Déjà le personnage de Dany Carrel est un copier-coller parfait de Seccotine, c'est une évidence, mais cela va plus loin. A la fin du film, la grande séquence qu'on attend depuis le début, est le cambriolage nocturne d'un grand magasin. Le metteur en scène s'inspire de toute évidence de celle, légendaire, de La Corne de Rhinocéros, à tel point qu'il en cite même certains passages, notamment quand Seccotine (tient, encore elle, quel hasard !) se fige et se transforme en mannequin lorsque passe le veilleur de nuit. C'est beau car c'est de l'hommage et pas de la pompe, et c'est tellement rare de voir la bande dessinée enfin considérée et non pas dévaluée dans un film, que cela procure un vrai plaisir.

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Au début des années 60, une jeune femme timide et renfermée, mais pleine de désir(s) qui ne demande(nt) qu'à sortir de son corps, travaillant au département psychologie d'une grande prison, tombe littéralement sous le charme de la nouvelle psychologue, sublime Anne Hathaway au sommet de sa beauté et de son charisme, alors qu'elle ne se savait pas forcément homosexuelle avant cette rencontre, dont le magnétisme immédiat semble réciproque. Le spectateur pense alors qu'il va revivre un nouveau Carol (chef-d'oeuvre de Todd Haynes), mais le film finit par bifurquer vers un thriller angoissant et oppressant dont je me garderais bien de vous communiquer les enjeux. Le film est globalement génial, bien écrit, bien filmé, et surtout super bien joué. Hathaway est bien évidemment géniale, mais la jeune Thomasin McKenzie qui joue Eileen, et qu'on déjà vu pas mal ces 10 dernières années chez Campion, Shyamalan ou Wright, est absolument géniale, fabuleuse actrice. Seul gros bémol du film : sa fin. Ce n'est pas qu'elle est ratée, elle n'en a même pas le luxe, c'est que le cinéaste décide d'arrêter son film environ 15 minutes trop tôt. Il "cut" alors que tout est en suspens, qu'il reste plein de choses à dire, à faire, à filmer, d'intrigues et de destins à boucler ou à orienter. Cette fin sans doute là pour faire mode, choc, moderne, laisse le spectateur avec un immense sentiment d'inachevé et c'est vraiment dommage. Autre chose révoltante, d'un autre genre : le film n'a toujours pas de distributeur en France, et qu'il ne sortira donc peut-être pas en salle. Au vu de sa qualité, c'est franchement regrettable.

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Second visionnage après sa sortie en salle, qui me confirme qu'il s'agit bien d'un des plus beaux films de 2023.
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cyborg
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Le film s'embarque dans une narration explorant les liens entre deux gamins des rues et la mafia locale, avant de tout laisser tomber pour se concentrer sur une crise mystico-psychédélique des deux enfants. Le reste disparait alors totalement au point que l'on se demande pourquoi avoir subi la première heure.
Le style visuel, très fouillé et complexe, est séduisant mais cela ne fait pas tout.

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Peut-être l'aura américaine aurait, sans en avoir l'air, donné des ailes aux Straub. Ils livrent ici leur film le plus accessible, avec une mise en scène toujours aussi rigoureuse mais néanmoins un peu plus "ample" ou "lâche" qu'à leur habitude faisant passer avec aisance les 2h du film. La recette pourtant n'est pas éloignée : adaptation littéraire consciencieuse, textes déclamés où presque, corps statiques... Les plans de nature sont quant à eux troqués par des intérieurs étouffants et les dieux remplacés par des employés d'hôtels ou des petits voyous.
De cette rigide plongée dans la banalité quotidienne né une certaine dérision (pas tant du au texte de Kafka qu'à leur propre sérieux), tandis que l’odyssée de Karl se transforme, de mal en pis, en naufrage. Jamais je n'aurais pensé que le cinéma de S&H puisse aussi bien coller à l'idée d'un cauchemar climatisé...


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Se confronter à un film de Wang Bing donne envie de songer à un autre "maitre" du documentaire contemporain, lui aussi adepte des films fleuves : Frederik Wiseman. Tout, ou presque, semble pourtant éloigner les deux auteurs. Wiseman s'est spécialisé dans "les institutions", venant adouber -pour ne pas dire momifier- leurs auras par ses images, se faisant garant testamentaire de leurs existences pourtant déjà bien à la vue de tous (j'exagère, je le sais, ce n'est qu'une partie de sa carrière). Bing lui se place à l’extrême opposé du spectre contemporain : il donne à voir le non vu absolu de notre société occidentale, l'inconscient de notre consumérisme, les coulisses du capitalisme. C'est sans doute pour cela que je suis excité à l'idée de découvrir un nouveau Bing tandis qu'il ne me vient jamais à l'esprit d'aller voir un Wiseman...

Dans ce qui s'annonce comme le penchant "textile" d'A l'Ouest des Rails, la trilogie "Jeunesse" s'intéresse au quotidien de jeunes chinois dans des ateliers de confections de vêtements. La différence notable étant qu'ici Bing intégre à son projet l'intime de ces ouvriers : leurs relations amicales, amoureuses et même leurs luttes pour de meilleures rémunérations. Sa mise en scène est précise : il n'y a pas d'inserts, de plan de détail, de zoom. Les plans sont généralement larges, donne à voir les espaces et les corps. Bing est parmi eux (il y a d'ailleurs parfois des interactions/apparition entre l'équipe et les membres de l'atelier) et nous le sommes aussi, autant que nos corps pourraient l'être, sans dramatisation de mise en scène.

Il y a une certaine émotion à voir la précision des gestes sur les machines face à l’imprécision des sentiments exprimés par ces jeunes adultes. Apparait une forme de rivalité entre la gaucherie des mots et des émotions contre l'aliénation machinique du travail intensif. Ce sont dans ces frottements que semble se poser le film. Ainsi l'ouverture finale vers la maison familiale d'un des ouvriers fut une surprise totale, Bing révélant d'un seul coup aux spectateurs la raison même du travail acharné que nous observions Il relance par la même occasion tout l'intérêt que pouvait revêtir son projet, me rendant très curieux de savoir ce qui constituera les prochains volets de sa trilogie.
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cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12

Tout au long du Gang du bois du temple, le territoire semble instable et incertain. Facétieux même. Tandis que l'on pense être à Marseille, surgit soudain un bout de Paris puis de Bordeaux sans qu'aucune rupture ne soit marquée. Si le réalisateur ne met pas cet aspect en avant, il ne s'en cache pas non plus. Lui en faire le reproche serait comme se moquer d'Akerman qui situe sans rien en dire son "Portrait d'une jeune fille à la fin des années 60" dans le Bruxelles des années 90. Comment pouvons nous analyser ce choix ?

Malgré les noms de villes semblant apparaitre aléatoirement sur les panneau routiers, une cohérence visuelle domine en imprimant à l'écran barres d’immeubles, troquets, rocades, et autres architectures périphériques et génériques. L'imaginaire visuel lie la narration, tandis que la géographie réelle virevolte d'un bout à l'autre de la carte de France. Serait-ce alors l'espace qui joue mal son rôle de territoire ? Ou le territoire qui joue mal son rôle d'espace ? Mais qu'est-ce que "mal jouer" dans une forme d'art se basant sur l'illusion, la croyance et la "suspension d'incrédulité" ?

Ce "territoire qui joue mal" m'évoque, à sa manière, Bresson. Comme si ses théories et le célèbre (non-) jeu si particulier de ses acteurs avait été transposé à une autre problématique, à une autre échelle. Quoi de moins surprenant de la part d'un film semblant rejouer Pickpocket en version XL ? Si le hippisme sert de dénominateur commun entre les deux œuvres, nous passons d'un petit voleur isolé à un gang, d'un vol de porte-feuille au braquage d'un prince arabe. Cette relecture contemporaine, élargie et mise à jour, se permet même de rejouer en son centre et presque au plan prêt, la scène finale de "confessional" du film de Bresson.

En toute logique, Le Gang... serait donc lui aussi un film sur l'acte criminel mais aussi sur la foi, le chemin de foi peut-être, en tout cas la marche vers la croyance en un monde nouveau et meilleur. "Oh Jeanne, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre pour arriver jusqu'à toi..." nous déclarait à l'époque le héros de Pickpocket.

Une force quasi-mystique semble ainsi innerver tout le film. Que l'on pense seulement aux deux scènes musicales ( le chant à l'enterrement, dont le plan se conclue sur une croix catholique en arrière plan ; et plus tard la danse du prince) ou encore à la façon dont sont menés "les enquêtes" dans la deuxième partie du film, chaque personnage semblant avancer sans ambages et comme mu d'une mystérieuse force propre. Je ne peux enfin m'empêcher de songer à l'ouverture et à la fermeture même du film, quant apparait ce personnage mystérieux mais central, ancien tireur d'élite, perché sur son balcon comme un curé dans sa chaire.

Ce personnage qui "domine" l'espace, qui observe ce qui l'entoure, semble correspondre à la position du réalisateur lui-même. Le décès du début du film pourrait ainsi évoquer une certaine "crise de foi" de RAZ envers son médium et son style habituel. Une théorie que confirmerait la scène clé et centrale du film : quand le "gang amateur" incarné par des "acteurs amateurs" vient se faire décimer en un clin d’œil par une équipe de professionnel... L'équilibre sera rétabli quand le tireur d'élite "amateur" (il est en effet à la retraite) exécutera sa vengeance en éliminant d'une seule balle le commanditaire-professionel. Ou comment faire d'un film de braquage un film de lutte des arts, des styles, des classes. Enfin, le dernier plan du film remplacera "l'aura de mort" du début par la course et le jeu d'un enfant, signe certain d'un renouveau possible.

Si cette lecture "théorique et bressonienne" n'est peut-être pas des plus évidentes à la vue du film, elle ne me parait pas non plus totalement farfelue... Quoi qu'il en soit, même si il peut apparaitre abscons et imparfait, le cinéma de Rabah Ameur-Zaimeche continue d'être passionnant car revêche et riche en interprétations nébuleuses.
5 x :jap:


La meilleure critique que j'ai lu à propos de ce film et, une des 2-3 meilleures lues ici depuis l'existence de ce site (au même titre que, par exemple, le fabuleux papier de @B-Lyndon à propos de Jeanne Dielman.
Quel dommage que tu l'aie vu si tardivement : je suis sur et certain que les Cahiers l'auraient publié dans leur numéro de janvier (qui est sorti il y a quelques jours) dans la catégorie des top10 des lecteurs des Cahiers. Merde, comment faire ? Envoie-le tout de même, ils publient parfois des papiers qui concernent des films pas forcement sortis en cours du mois passé.

J'aime énormément certains passages :
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12
Serait-ce alors l'espace qui joue mal son rôle de territoire ? Ou le territoire qui joue mal son rôle d'espace ? Mais qu'est-ce que "mal jouer" dans une forme d'art se basant sur l'illusion, la croyance et la "suspension d'incrédulité" ?
ou
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12
Si le hippisme sert de dénominateur commun entre les deux œuvres
ou
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12
Une théorie que confirmerait la scène clé et centrale du film : quand le "gang amateur" incarné par des "acteurs amateurs" vient se faire décimer en un clin d’œil par une équipe de professionnel.
:love: :love: :love:

Et maintenant, j'ai envie de revoir le film (de toute façon, il était bel est bien premier de ma liste "Je les reverrais bien un jour")
Merci encore !
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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sokol
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cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 11:35
Ainsi l'ouverture finale vers la maison familiale d'un des ouvriers fut une surprise totale, Bing révélant d'un seul coup aux spectateurs la raison même du travail acharné que nous observions
Ou comme j'aime bien dire, les chinois d'aujourd'hui ont bel et bien raison quand ils disent : "Vous, les occidentaux, vous vous êtes bien foutu de notre gueule il y a 50 ans, nous voyant rouler à vélo par million. Maintenant que nous, si nombreux qu'on soit, on veut aussi une maison et une voiture chacun, c'est trop tard, il fallait penser avant pour la planète".

Et à propos de la 'planète', un article très intéressant venant curieusement de 'Madame Figaro' : https://madame.lefigaro.fr/societe/eman ... e-20240101 dont j'aurais mis comme titre : "L'écologie est destiné à renouveler la politique interplanétaire, mais pas nationale" (et donc pas seulement chinoise ou française ou américaine).
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 23:35
@yhi il manque des ruptures de ton (il y en a quelques un pourtant). Mais pas assez pour un film de 3h30
C'est curieux parce que je trouvais justement que c'était une des principales forces du cinéma de Wang Bing de ne pas focaliser sur les ruptures de ton. Je ne veux pas dire qu'il fait exprès de ne pas en mettre (parce qu'il y en a plus ou moins selon ses films) mais ce n'est pas ce qui a l'air de le motiver. Je suis donc plutôt d'accord avec ce que dit Yhi, même si de mon côté j'aime et même s'il n'y a pas vraiment de répétitions en réalité (il n'y a jamais de répétitions, il y a l'impression de répétitions). Par contre, il y a toujours l'ennui et l'enfermement, c'est très intime comme cinéma. Pas seulement pour les personnes filmées mais pour nous aussi en tant que spectateurs, parce qu'il n'y a souvent rien à quoi se raccrocher sinon la vie dans ce qu'elle a de plus enracinée. Le film "A la folie" par exemple, c'est la vie qui éclate à la folie et non l'inverse comme bien souvent quand on essaie de monter avec précision pour faire des ruptures. Je ne me souviens pas d'un passage en particulier mais d'errances dans des couloirs gris, aussi imprécises et fragiles que les murs sont solides et opaques. Et c'est ça qui est à la fois beau et terrible, que la vie subsiste malgré tout, malgré ce qui tend à la resserrer, à l'asphyxier constamment.
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groil_groil a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 12:59
Très peu de chansons de King du coup, aucune scène de concert si ce n'est un bref instant fugitif mais très marquant, et pourtant le film est imprégné jusqu'à la moëlle par l'aura de Presley dont la présence, malgré sa violence et son abjection, m'a littéralement fasciné.
Ben, c'est l'anti-Marie-Antoinette par excellence, non ? De surcroit, la presse parle de "ascèse stylistique presque clinique", de "dépouillement", de "renoncement à l’éclat" de "film chuchoté" etc etc, tout le contraire de Marie-Antoinette (que je déteste, d’ailleurs)
Modifié en dernier par sokol le lun. 8 janv. 2024 15:25, modifié 1 fois.
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len' a écrit :
lun. 8 janv. 2024 14:30
Par contre, il y a toujours l'ennui et l'enfermement c'est très intime comme cinéma. Pas seulement pour les personnes filmées mais pour nous aussi en tant que spectateurs
len' a écrit :
lun. 8 janv. 2024 14:30
Et c'est ça qui est à la fois beau et terrible, que la vie subsiste malgré tout, malgré ce qui tend à la resserrer, à l'asphyxier constamment.
alors : beau ou ennuyeux ? Faut que tu tranche :p

len' a écrit :
lun. 8 janv. 2024 14:30
parce qu'il n'y a souvent rien à quoi se raccrocher sinon la vie dans ce qu'elle a de plus enracinée
C'est tout à fait la mission du cinéma ("le réel, ma seule maison", disait le grand)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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len' a écrit :
lun. 8 janv. 2024 14:30
sokol a écrit :
sam. 6 janv. 2024 23:35
@yhi il manque des ruptures de ton (il y en a quelques un pourtant). Mais pas assez pour un film de 3h30
C'est curieux parce que je trouvais justement que c'était une des principales forces du cinéma de Wang Bing de ne pas focaliser sur les ruptures de ton. Je ne veux pas dire qu'il fait exprès de ne pas en mettre (parce qu'il y en a plus ou moins selon ses films) mais ce n'est pas ce qui a l'air de le motiver. Je suis donc plutôt d'accord avec ce que dit Yhi, même si de mon côté j'aime et même s'il n'y a pas vraiment de répétitions en réalité (il n'y a jamais de répétitions, il y a l'impression de répétitions). Par contre, il y a toujours l'ennui et l'enfermement, c'est très intime comme cinéma. Pas seulement pour les personnes filmées mais pour nous aussi en tant que spectateurs, parce qu'il n'y a souvent rien à quoi se raccrocher sinon la vie dans ce qu'elle a de plus enracinée. Le film "A la folie" par exemple, c'est la vie qui éclate à la folie et non l'inverse comme bien souvent quand on essaie de monter avec précision pour faire des ruptures. Je ne me souviens pas d'un passage en particulier mais d'errances dans des couloirs gris, aussi imprécises et fragiles que les murs sont solides et opaques. Et c'est ça qui est à la fois beau et terrible, que la vie subsiste malgré tout, malgré ce qui tend à la resserrer, à l'asphyxier constamment.
Entièrement d'accord avec toi.
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sokol a écrit :
lun. 8 janv. 2024 15:21

alors : beau ou ennuyeux ? Faut que tu tranche :p
Il n'y a pas à trancher. Quand je parle de l'ennui et de l'enfermement, je fais allusion au décor dans lequel sont engluées les personnes filmées, ce qui est censé les figer à jamais. Or ce n'est pas ce qui se passe, ça fourmille comme dans une plaie infectée.
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sokol
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Je ne sais pas trop ou tu veux en venir mais ce que je ressens c'est que la méthode Wang Bing commence à se user un petit peu. Il se Dardenneise (Loachise) un chouia.
On verra bien
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Par contre, il y a toujours l'ennui et l'enfermement, c'est très intime comme cinéma. Pas seulement pour les personnes filmées mais pour nous aussi en tant que spectateurs, parce qu'il n'y a souvent rien à quoi se raccrocher sinon la vie dans ce qu'elle a de plus enracinée. Le film "A la folie" par exemple, c'est la vie qui éclate à la folie et non l'inverse comme bien souvent quand on essaie de monter avec précision pour faire des ruptures. Je ne me souviens pas d'un passage en particulier mais d'errances dans des couloirs gris, aussi imprécises et fragiles que les murs sont solides et opaques. Et c'est ça qui est à la fois beau et terrible, que la vie subsiste malgré tout, malgré ce qui tend à la resserrer, à l'asphyxier constamment.
:jap: :jap: :jap: :jap: :jap:
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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B-Lyndon
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sokol a écrit :
lun. 8 janv. 2024 12:27
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12

Tout au long du Gang du bois du temple, le territoire semble instable et incertain. Facétieux même. Tandis que l'on pense être à Marseille, surgit soudain un bout de Paris puis de Bordeaux sans qu'aucune rupture ne soit marquée. Si le réalisateur ne met pas cet aspect en avant, il ne s'en cache pas non plus. Lui en faire le reproche serait comme se moquer d'Akerman qui situe sans rien en dire son "Portrait d'une jeune fille à la fin des années 60" dans le Bruxelles des années 90. Comment pouvons nous analyser ce choix ?

Malgré les noms de villes semblant apparaitre aléatoirement sur les panneau routiers, une cohérence visuelle domine en imprimant à l'écran barres d’immeubles, troquets, rocades, et autres architectures périphériques et génériques. L'imaginaire visuel lie la narration, tandis que la géographie réelle virevolte d'un bout à l'autre de la carte de France. Serait-ce alors l'espace qui joue mal son rôle de territoire ? Ou le territoire qui joue mal son rôle d'espace ? Mais qu'est-ce que "mal jouer" dans une forme d'art se basant sur l'illusion, la croyance et la "suspension d'incrédulité" ?

Ce "territoire qui joue mal" m'évoque, à sa manière, Bresson. Comme si ses théories et le célèbre (non-) jeu si particulier de ses acteurs avait été transposé à une autre problématique, à une autre échelle. Quoi de moins surprenant de la part d'un film semblant rejouer Pickpocket en version XL ? Si le hippisme sert de dénominateur commun entre les deux œuvres, nous passons d'un petit voleur isolé à un gang, d'un vol de porte-feuille au braquage d'un prince arabe. Cette relecture contemporaine, élargie et mise à jour, se permet même de rejouer en son centre et presque au plan prêt, la scène finale de "confessional" du film de Bresson.

En toute logique, Le Gang... serait donc lui aussi un film sur l'acte criminel mais aussi sur la foi, le chemin de foi peut-être, en tout cas la marche vers la croyance en un monde nouveau et meilleur. "Oh Jeanne, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre pour arriver jusqu'à toi..." nous déclarait à l'époque le héros de Pickpocket.

Une force quasi-mystique semble ainsi innerver tout le film. Que l'on pense seulement aux deux scènes musicales ( le chant à l'enterrement, dont le plan se conclue sur une croix catholique en arrière plan ; et plus tard la danse du prince) ou encore à la façon dont sont menés "les enquêtes" dans la deuxième partie du film, chaque personnage semblant avancer sans ambages et comme mu d'une mystérieuse force propre. Je ne peux enfin m'empêcher de songer à l'ouverture et à la fermeture même du film, quant apparait ce personnage mystérieux mais central, ancien tireur d'élite, perché sur son balcon comme un curé dans sa chaire.

Ce personnage qui "domine" l'espace, qui observe ce qui l'entoure, semble correspondre à la position du réalisateur lui-même. Le décès du début du film pourrait ainsi évoquer une certaine "crise de foi" de RAZ envers son médium et son style habituel. Une théorie que confirmerait la scène clé et centrale du film : quand le "gang amateur" incarné par des "acteurs amateurs" vient se faire décimer en un clin d’œil par une équipe de professionnel... L'équilibre sera rétabli quand le tireur d'élite "amateur" (il est en effet à la retraite) exécutera sa vengeance en éliminant d'une seule balle le commanditaire-professionel. Ou comment faire d'un film de braquage un film de lutte des arts, des styles, des classes. Enfin, le dernier plan du film remplacera "l'aura de mort" du début par la course et le jeu d'un enfant, signe certain d'un renouveau possible.

Si cette lecture "théorique et bressonienne" n'est peut-être pas des plus évidentes à la vue du film, elle ne me parait pas non plus totalement farfelue... Quoi qu'il en soit, même si il peut apparaitre abscons et imparfait, le cinéma de Rabah Ameur-Zaimeche continue d'être passionnant car revêche et riche en interprétations nébuleuses.
5 x :jap:


La meilleure critique que j'ai lu à propos de ce film et, une des 2-3 meilleures lues ici depuis l'existence de ce site (au même titre que, par exemple, le fabuleux papier de @B-Lyndon à propos de Jeanne Dielman.
Quel dommage que tu l'aie vu si tardivement : je suis sur et certain que les Cahiers l'auraient publié dans leur numéro de janvier (qui est sorti il y a quelques jours) dans la catégorie des top10 des lecteurs des Cahiers. Merde, comment faire ? Envoie-le tout de même, ils publient parfois des papiers qui concernent des films pas forcement sortis en cours du mois passé.

J'aime énormément certains passages :
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12
Serait-ce alors l'espace qui joue mal son rôle de territoire ? Ou le territoire qui joue mal son rôle d'espace ? Mais qu'est-ce que "mal jouer" dans une forme d'art se basant sur l'illusion, la croyance et la "suspension d'incrédulité" ?
ou
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12
Si le hippisme sert de dénominateur commun entre les deux œuvres
ou
cyborg a écrit :
lun. 8 janv. 2024 01:12
Une théorie que confirmerait la scène clé et centrale du film : quand le "gang amateur" incarné par des "acteurs amateurs" vient se faire décimer en un clin d’œil par une équipe de professionnel.
:love: :love: :love:

Et maintenant, j'ai envie de revoir le film (de toute façon, il était bel est bien premier de ma liste "Je les reverrais bien un jour")
Merci encore !

C'est clair, fabuleux papier ! Moi qui m'en voulais de ne pas avoir pu écrire sur le film, c'est bon, il est écrit !
Il y a un truc qui me touche beaucoup dans le film et l'article de cyborg m'y fait penser, c'est qu'au fond le gang ne se fait pas buter pour la thune du Prince, mais pour cette mallette pleine de documents tops secrets.
Or, c'est la thune qui importe, pas le secret des puissants, qu'ils crament alors dans un petit feu avant de se faire avoir.
Le seul secret qui importe, c'est le secret des crêpes de la mère de Monsieur Ponce, le seul secret qui se partage, qui continue de générations en générations, que Ponce fait circuler dans la cité.
Le film est à la fois matérialiste (comme je l'ai dit : c'est la thune qui importe) et il a le sens du sacré, de l'immanence (ces pigeons et ces secrets qui ont toujours été là, la beauté du jour, toujours renouvelée que chante la vieille femme). Alliage délicat mais fécond. Comme les derniers Straub et, donc, les films de Bresson.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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B-Lyndon a écrit :
mar. 9 janv. 2024 15:36
C'est clair, fabuleux papier ! Moi qui m'en voulais de ne pas avoir pu écrire sur le film, c'est bon, il est écrit !
Il y a un truc qui me touche beaucoup dans le film et l'article de cyborg m'y fait penser, c'est qu'au fond le gang ne se fait pas buter pour la thune du Prince, mais pour cette mallette pleine de documents tops secrets.
Or, c'est la thune qui importe, pas le secret des puissants, qu'ils crament alors dans un petit feu avant de se faire avoir.
Le seul secret qui importe, c'est le secret des crêpes de la mère de Monsieur Ponce, le seul secret qui se partage, qui continue de générations en générations, que Ponce fait circuler dans la cité.
Le film est à la fois matérialiste (comme je l'ai dit : c'est la thune qui importe) et il a le sens du sacré, de l'immanence (ces pigeons et ces secrets qui ont toujours été là, la beauté du jour, toujours renouvelée que chante la vieille femme). Alliage délicat mais fécond. Comme les derniers Straub et, donc, les films de Bresson.
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sokol a écrit :
lun. 8 janv. 2024 15:05
groil_groil a écrit :
jeu. 4 janv. 2024 12:59
Très peu de chansons de King du coup, aucune scène de concert si ce n'est un bref instant fugitif mais très marquant, et pourtant le film est imprégné jusqu'à la moëlle par l'aura de Presley dont la présence, malgré sa violence et son abjection, m'a littéralement fasciné.
Ben, c'est l'anti-Marie-Antoinette par excellence, non ? De surcroit, la presse parle de "ascèse stylistique presque clinique", de "dépouillement", de "renoncement à l’éclat" de "film chuchoté" etc etc, tout le contraire de Marie-Antoinette (que je déteste, d’ailleurs)
Non les films sont très proches, ce sont deux histoires de petites princesses enfermées dans des prisons dorées.
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groil_groil a écrit :
mer. 10 janv. 2024 10:00

Non les films sont très proches, ce sont deux histoires de petites princesses enfermées dans des prisons dorées.
Oui, mais je parlais de mise en scène :
la presse parle de "ascèse stylistique presque clinique", de "dépouillement", de "renoncement à l’éclat" de "film chuchoté" etc etc, tout le contraire de Marie-Antoinette (que je déteste, d’ailleurs)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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