Le Centre de Visionnage : Films et débats

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yhi
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cyborg a écrit :
lun. 29 mars 2021 23:37
@yhi : mais t'es pas sur la loupe ?
Non, c'est un fil facebook c'est ça ? Je suis arriéré, j'ai jamais eu de compte facebook :D

Merci pour les liens en tout cas
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asketoner
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cyborg a écrit :
mar. 30 mars 2021 16:16
@asketoner : ayant vu la trilogie complète récemment je ne serais pas aussi rude que toi (même si je vois que j'avais écrit que le récit était "inutilement alambiqué") mais j'avais tout de même mis ce film en dernier des trois, si jamais tu avais prévu de (re)voir les autres...
Dans mon souvenir Le Sang d'un poète est bien meilleur, non ?
Et Le Testament d'Orphée m'avait semblé un peu vaseux dans ses considérations sur l'art, mais plutôt beau quand même, peut-être parce que Cocteau y apparaît lui-même.
(Et je crois que j'aimais bien La Belle et la bête. Mais je ne les reverrai pas. Je ne cherchais pas tant Cocteau que la France tout de suite après la guerre.)
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groil_groil
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L'un des rares Tavernier que je n'avais pas vus et l'un des meilleurs. Piccoli joue le rôle d'un cinéaste (il est aisé d'y voir Tavernier en creux) qui quitte le domicile familial, avec l'accord de son épouse, pour louer un appartement dans un quartier populaire de Paris, afin de s'isoler pour écrire son prochain film. Il y a fait la rencontre des habitants qui ont des préoccupations éloignées des siennes : joindre les quatre bouts chaque fin de mois, et surtout une lutte acharnée contre le propriétaire de l'immeuble, riche industriel possédant plus de 800 immeubles dans Paris, qui les exploite via des bails honteux et n'hésite pas à expulser à la moindre remarque. Parmi ces voisins, le cinéaste rencontre une jeune femme, divine Christine Pascal, dont il tombe éperdument amoureux. Cet amour et cette lutte nouvelle qu'il fait sienne rapidement vont littéralement changer sa vie. Très bon film, donc, au ton libre et attachant, à la mise en scène sans cesse inventive, et servi par des acteurs prodigieux, notamment toute la troupe du Splendid, au début de sa carrière, et en pleine forme, et une excellente musique jazz dont l'un des musiciens n'est autre que John Surman. Le film est formidable parce qu'il joue sur plusieurs tableaux à la fois, drame, comédie, histoire d'amour, combat social, et il est convaincant sur tous, et ces derniers se mêlent admirablement bien pour créer un ensemble d'une grande homogénéité.
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asketoner
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Je t'attendrai, Léonide Moguy, 1939

L'histoire se tient pendant la première guerre mondiale, mais le film a été tourné à la veille de la seconde. On suit deux heures dans la vie d'un soldat, dont le train s'est arrêté à cause d'un rail défectueux à deux pas du village où il a passé son enfance et son adolescence. Il retrouve ses deux parents, puis sa fiancée, qui croit qu'il ne lui a pas écrit pendant la guerre car sa mère cachait ses lettres, folle de jalousie. Il a deux heures pour convaincre la jeune femme de son amour et expliquer à sa mère qu'il est seulement son fils, pas son amant. La trame est simple, limpide, les acteurs sont tous émouvants, Jean-Pierre Aumont en tête. L'image est d'une beauté folle, avec sa voie ferrée pleine de brume, son village boueux mais qui tente de tenir bon, sa cantine enfumée, ses chambres modestes où traînent des petits chats faméliques. Le son lui-même est très particulier : on entend les bombardements, comme un roulement de tambour très lent, participant à l'intensité du récit. La mise en scène est spectaculaire, hollywoodienne à souhait (j'ai pensé au Dunkerque de Christopher Nolan, puis en cherchant des infos sur le film je me suis aperçu que Tarantino l'adore), mais toujours au service du récit, qui parvient, à la toute fin, par sa candeur, à émouvoir. Je ne sais pas ce qui émeut le plus : que tout finisse bien et que les héros aient grandi d'un coup, dénouant en deux heures ce que d'autres mettraient plusieurs années à détricoter, ou que l'on sache, quand on sait combien de soldats sont morts pendant la première guerre mondiale, que les deux amants réconciliés ne se retrouveront sans doute jamais.
(Sinon, ce Léonide Moguy est un cas étonnant, puisqu'il est russe d'origine et a appris le cinéma là-bas, mais est venu tourner en France, puis aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale, puis en Italie, et de nouveau en France.)
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groil_groil
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Un magicien un peu pourri et un peu psycho devient célèbre à partir du moment où il fait ses tours accompagné d'une marionnette dont il devient le ventriloque. Fuyant le succès, il se réfugie dans son village natal où il retrouve son amour (non consommé) de jeunesse, avec qui il vit une grande passion. Mais cette femme est mariée. Et la marionnette prend tant d'emprise sur son psychisme qu'elle va le pousser à commettre l'irréparable. Ma première surprise devant ce beau film d'Attenborough, c'est que j'étais persuadé de voir un film fantastique, il est depuis toujours vendu comme tel, mais il ne l'est absolument pas. Je pensais cette marionnette parente de Chucky, mais non, elle n'a pas de vie propre, elle n'existe que parce que Hopkins la fait parler. Aucun surnaturel. Lui devient fou, ok, mais le film est totalement réaliste dans sa manière d'appréhender les événements. Et c'est un bon point, ça évite les partages en couilles. Ensuite c'est un beau film de genre, venant d'un cinéaste classique, pour ne pas dire académique, et je ne l'attendais pas sur ce registre. Le film m'évoque une ambiance entre Richard Brooks et Richard Fleischer, la folie du personnage n'étant pas sans rappeler celle de l'Etrangleur de Rillington Place par exemple.
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asketoner
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Le Jour se lève, Marcel Carné, 1939

Ce film est une aube, triste et terrible. Le jour se lève (il n'y avait pas de titre plus parfait que celui-ci) sur l'âme tourmentée d'un homme réfugié dans son appartement, que le monde a fini d'écoeurer. Le début est très lent, presque prudent, feutré, on croit voir un polar avec des sons qui manqueraient, légèrement décousu. Puis on assiste à la naissance d'une histoire d'amour d'une grande pureté, avec deux idées géniales : la première fois qu'ils se rencontrent, Gabin et la jeune fille doivent hurler, car ils sont à l'usine de sable ; la deuxième fois, ils chuchotent, se trouvant dans la maison de la jeune fille où tout le monde dort. Tous deux sont orphelins, ils ne parlent pas comme les autres, n'ont pas le ton approprié, doivent toujours adapter leur comportement aux situations. Les dialogues de Prévert sont extrêmement beaux : ils donnent à entendre à la fois les sentiments des personnages, mais aussi leur origine sociale, et la façon dont ils rêvent, pensent, espèrent, tentent de se sortir d'affaire. (On s'est beaucoup moqué de Prévert dialoguiste, prétendant que ça sonnait faux, que c'était trop écrit, mais je crois que c'était surtout par anticommunisme qu'on le conspuait. Car Prévert ne sonne pas faux du tout : peut-être qu'il sonne trop fort, oui, mais pas faux.)
Alors survient le doute : un homme, dresseur de chiens, envenime toutes les relations possibles avec ses rêves de Riviera et ses mensonges glauques. Pour le plaisir d'un seul, la joie de tous s'effondre. Son assistante, Arletty, est le personnage le plus sublime, le plus ambigu, le plus tragique. Elle reste constamment en marge de l'histoire. Elle est déjà défaite, sûre d'échouer avant même que ceux qui espèrent encore se livrent bataille. Tout cela est filmé très simplement, avec beaucoup de concision : une rue séparée d'une voie ferrée par un mur au-dessus duquel s'envole la fumée des trains, un petit immeuble parisien tout en hauteur entouré d'un désert urbain, une serre, une chambre, un cabaret... Les objets circulent d'un plan à l'autre, comme les mots, tissant d'autres relations que celles dont on parle. J'ai beaucoup aimé.

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Boudu sauvé des eaux, Jean Renoir, 1932

Renoir offre une série de situations défiant toute banalité. Il semble chercher l'étonnement à chaque scène. Michel Simon est l'acteur rêvé pour ce décalage permanent. On dirait l'ancêtre de Monsieur Merde, subversif jusque dans les appartements des gentils bourgeois, jamais compromis.
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asketoner
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Riff-Raff, Ken Loach, 1991

Un ouvrier du bâtiment tout juste sorti de prison trouve un sac sur le chantier où il travaille et le remmène à sa propriétaire, de laquelle il tombe amoureux. La jeune fille en question est une chanteuse qui a du mal à payer son loyer. Mille mésaventures tristes s'ensuivent. Après Le Jour se lève, ce mélodrame thatcherien m'a semblé manquer de complexité. Peut-être Ken Loach a-t-il un peu trop chargé le personnage féminin en faisant d'elle une très mauvaise chanteuse et une fille de bourgeois totalement inconséquente, au point qu'elle finit ensevelie sous un discours de classe définitif la rendant particulièrement antipathique.
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sokol
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asketoner a écrit :
dim. 4 avr. 2021 11:18
.
C'est un de mes 2 films préférés de Loach, l'autre étant Rainîg Stones
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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asketoner
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Hôtel du Nord, Marcel Carné, 1938

Cette fois-ci les dialogues, d'Henri Jeanson, sont vraiment lourds. Un mélange de bons mots et d'explications redondantes. Rien à voir avec ce que fait Prévert. L'histoire n'est pas très passionnante, mais on retrouve ce qui fait la spécificité du cinéma de Marcel Carné : un sens certain du décor (quel bonheur de retrouver le canal Saint-Martin, de pouvoir comprendre qui y vivait dans les années 30 et ce qu'on venait y faire ; mais le parloir de la prison de la Santé, moins charmant a priori, est investi avec la même fièvre cinématographique) et de la diversité des moeurs et des classes sociales.
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groil_groil
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Je n'avais jamais entendu parler de la première version du film, je me fiche du cinéma de super-héros, mais cette version longue a suscité ma curiosité par sa longueur, justement : plus de 4 heures. Je me dis que si Znyder a voulu entièrement refaire un film décrit comme raté, et en proposer une version de plus de 4 heures, c'était parce qu'il avait quelque chose à dire. En me renseignant, j'ai appris quelque chose de boulversant, et qui remet tout le film en perspective. En 2017, la fille de Zack Snyder, âgée de 20 ans, s'est suicidée, alors qu'il était en plein tournage de Justice League. Il a donc quitté précipitamment le tournage, d'un film qui a été terminé par un certain Joss Whedon, et dont Snyder a totalement perdu le contrôle, comment pourrait-il en être autrement ? J'ai donc compris que si Snyder voulait refaire ce film, et le faire si long, c'était aussi et surtout, une manière de redonner vie à sa fille. Enfin, j'entends par là de recréer ce moment où sa fille était encore envie, et de prolonger ce moment au maximum en faisant le film le plus long possible. Et le film, très réussi, est hanté par la mort. Le centre du film c'est la réunion de 5 amis qui vont tout faire pour redonner vie à l'un d'eux, mort récemment, en l'occurence Superman, mais qu'importe. Le film est dédié à sa fille, Autumn, et se termine sur un plan automnal de manière éloquente. On peut tout aussi bien lire le film sans connaitre cette triste anecdote personnelle, et je le trouve franchement réussi. L'image est en 4/3, inédit, incroyable pour un film de cette puissance marketing, c'est très audacieux, mais je trouve cela très réussi, on oublie vite le format, et l'on garde le fait d'être constamment proche des personnages, ils sont au centre de l'image, en permanence, alors que le cinéma de super-héros crée de l'horizontalité et écrase ses personnages. Là on est avec eux, physiquement, mais aussi humainement, puisque Snyder privilégie des scènes très longues, construites par chapitres, plutôt que de virevolter d'un personnage à l'autre. On passe donc du temps avec chacun d'eux, et chaque destin est émouvant et assez profond, ce qui pour moi est rarissime dans ce genre de cinéma. Evidemment, je me passerai bien des scènes de baston, mais c'est un passage obligé du genre, et il n'y en a pas tant que ça. On peut trouver l'image moche, c'est l'esthétique Snyder, mais il est indéniable de voir comment le mec croit en ce qu'il fait, ainsi que la cohérence de son univers. Bref, ces quatre heures sont passées en un instant, et j'aurais même pu en enchainer deux ou trois autres.

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Un des rares Tavernier que je n'avais pas vu, et c'est un excellent film. On suit un prof de primaire/directeur d'école (excellent Torreton) qui se bat contre les inégalités sociales qui accablent les enfants de son école et leurs parents, dans une banlieue de Valenciennes extrêmement pauvre et abandonnée. Sur un sujet qui peut paraitre scolaire, Tavernier à la grande intelligence de filmer cela avec une caméra emportée, dans un mouvement permanent, caméra-épaule, donnant un dynamisme fort et l'impression de courir au même rythme que le protagoniste pour tenter de réaliser l'impossible. Cette mise en scène rappelle celle d'Holy Lola, le chef-d'oeuvre du cinéaste à mon avis, où ces points forts sont encore plus aboutis.

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J'oublie de dire sur le Snyder que j'ai adoré Gal Gadot, actrice qui y joue Wonder Woman. Du coup, ça m'a donné envie de voir ce récent Wonder Woman... Et j'ai trouvé ça génial ! ultra réjouissant. Outre Gadot qui est absolument magnifique du premier au dernier plan, j'ai aimé beaucoup de choses dans ce film, notamment son encrage spatio-temporel. Le fait de situer l'intrigue au milieu des 80's permet à la cinéaste de jouer avec tous les codes graphiques de l'époque, et c'est réjouissant de couleurs, sans pour autant tomber dans le fétichisme morbide d'un Stranger Things, rien à voir avec ça. Ce que j'ai aimé se joue dans la simplicité de l'intrigue, le fait que ça aille aux antipodes des films de super-héros ultra-bodybuildés actuels, que ce soient des femmes qui soient les deux héroïnes. D'ailleurs je loue les mérites de Gal Gadot, mais Kristen Wiig est exceptionnelle dans le film, son personnage change du tout au tout, n"arrête pas d'évoluer, et elle est excellente à chaque étape, c'est un vrai tour de force. Je trouve le film drôle, léger, et entrainant, un peu comme les Spider-Man de Sam Raimi de l'époque, et encore, je trouve ici le méchant plus réussi, car mû par une vraie problématique. En fait, la construction du film m'évoque un film des 80's, et c'est pour moi en cela qu'il s'appelle WW1984, plus que pour un décorum qu'elle ne fétichise jamais, et c'est ça qui me séduit le plus.

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Un bon Coppola, assez méconnu, que je revoyais avec plaisir, mais dont le plaisir a été en deça de mes attentes. C'est bien, mais c'est tout.

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Grosse découverte, je crois que je ne connaissais pas encore les films réalisés par Le Chanois, et celui-ci est magnifique. ça raconte l'histoire d'un docteur parisien qui vient s'installer dans un petit village des Alpes Maritimes et qui va bouleverser le quotidien des femmes en leur apprenant la nouvelle méthode d'accouchement sans douleur (qui date de 52, le film est de 57) alors considérée comme expérimentale et complètement snobée par les médecins qui considérent que souffrir pendant l'accouchement c'est normal. Le film est génial parce qu'il ne parle que de ça, et que c'est narrativement ambitieux et courageux de traiter d'un sujet pareil, qui plus est dans les années 50. Alors bien sûr c'est idéalisé, on n'expulse pas un enfant en respirant calmement trois fois de suite, mais je pense que lorsque ce film est sorti, beaucoup de femmes (et a fortiori d'hommes) ignoraient cette méthode, et le film a sans doute fait évoluer les mentalités sur la question. Sinon la mise en scène est belle, souvent construite comme un thriller, et Gabin est magnifique dans un rôle à contre-emploi.

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Film et livre que je fantasme depuis des années, en étant persuadé que c'est un livre, un film-monde, un peu à la manière d'un Apocalypse Now / Au coeur des ténèbres. Je l'ai vu sans même connaitre le sujet, et j'ai donc été fort surpris, mais j'ai trouvé ça magnifique. C'est évidemment un film sur les ravages de l'alcoolisme, mais c'est filmé avec tant de jusqu'au boutisme par Huston que ça en devient un film de fin du monde, et qu'il est bouleversant d'assister à la destruction plus ou moins consciente de cet individu, ex-consul, paumé au fin fond d'un Mexique hanté par les fantômes, les superstitions et les brigands. Je trouve que ce film est un pendant masculin de l'univers durassien, le consul étant tout droit sorti d'un livre / film de Duras, dans la même torpeur climatique, sauf qu'au lieu d'être bercé par la langueur et l'humidité de l'Asie du Sud-Est ou de l'Inde, les personnages sont ici confrontés à la violence et aspects rugueux de la culture Mexicaine. Film étonnant, que je reverrai souvent. Ceux qui ont lu le livre, considéré longtemps comme inadaptable, je veux bien savoir si Huston est fidèle à son esprit ? et je pense que je le lirai enfin. Sinon bémol sur le bluray de Carlotta sorti cette semaine qui est de piètre qualité, du niveau d'un dvd milieu de gamme, c'est vraiment rageant de ne pas avoir financé une vraie restauration et de devoir se contenter de ça. L'image est d'une grande médiocrité, les noirs pas profonds du tout, et qui fourmillent de manière violente, c'est dégueulasse.
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Tyra
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Pour Wonder Woman et Justice League, le poisson d'avril a quelques jours de retard... :ninja:

J'avais adoré aussi l'adaptation d'Au dessous du Volcan, pourtant pas très réputé dans la filmo de Huston. Cinéaste qui est d'ailleurs un habitué des adaptations de "grande littérature", ce qui est rarement gage de réussite à l'image de son Moby Dick. Mais là oui c'est vraiment bouleversant. Pas encore lu le bouquin par contre.
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Mr-Orange
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Je suis un peu surpris par le retour de Groil sur Justice League aussi. Je ne l'ai pas vu, mais tout le brouhaha autour de ce "Snyder's cut" m'a poussé à m'intéresser à l'univers, via Batman vs Superman. J'ai trouvé ça extrêmement long, prétentieux (les gros sabots sur la démocratie, la justice, la figure de l'homme providentiel), et surtout très bancal.

Puis j'ai appris que, encore une fois, il existait un director's cut qui rendait apparemment justice au film. Or, le film est déjà très long, beaucoup trop long, et malgré ça il n'installe rien, et ne dit rien à part 2-3 trucs poseurs !

Donc, moi, je me demande un peu si ce n'est pas Snyder le problème, plus que les producteurs (ce que j'entends partout depuis des semaines). S'il lui faut toujours plus de 4h pour dire tout ce qu'il veut, alors que les 2h et quelques paraissent déjà une éternité, j'ai l'impression que c'est surtout parce que Snyder est très mauvais au montage, et que le médium filmique ne lui convient plus. C'est le caprice de l'ère de la série télévisuelle et de Netflix : on s'en fout de plus en plus du montage et du rythme, car les gens regardent désormais les oeuvres en petits bouts d'1h ou moins (c'est certainement le cas de ce Justice League, j'aimerais bien savoir quel % de la population l'a vu d'une traite), les fragmentant eux-mêmes en des épisodes. D'ailleurs, Groil semble lui-même le dire puisqu'il nous dit que le film fonctionne par chapitre-personnage. Les films deviennent des séries qui ne disent pas leur nom.
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asketoner
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Uski Roti, Notre Pain quotidien, Mani Kaul, 1969

J'ai d'abord été saisi par le silence, la façon dont le cinéaste assourdit ses plans. Puis j'ai aimé qu'il passe avec tant de facilité d'une dimension à une autre, du vaste paysage au brin d"herbe microscopique, de l'humain à l'animal, du jour à la nuit. Par contre le récit m'ennuie un peu, son éclatement m'agace - j'ai l'impression que ce signe flagrant de modernité esthétique est aujourd'hui révolu, et que si ça marche encore pour moi dans Marienbad de Resnais par exemple (mais l'éclatement était le sujet même de Marienbad), ce n'est plus systématiquement le cas pour d'autres films, qu'on qualifiait de puzzles alors qu'ils étaient seulement embrouillés... -, ni les personnages, dont la soumission me lasse. La simplicité évidente des plans jure avec le dédale compliqué du récit, lequel me semble un peu trop simple justement, un peu trop convenu. Mais oui, c'est beau, c'est vrai. Si je retiens une scène, c'est celle, particulièrement troublante, où un homme trouve une chenille sur le manche de son outil et la jette dans l'eau. Le temps accordé à la chenille, cet événement dans la vie champêtre, me fait penser à Rilke : "O félicité de la menue créature, ô bonheur du moucheron qui toujours demeure dans le sein qui le porta jusqu'à son terme - car être dans le sein, c'est tout."
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yhi
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Mr-Orange a écrit :
mar. 6 avr. 2021 17:09
C'est le caprice de l'ère de la série télévisuelle et de Netflix : on s'en fout de plus en plus du montage et du rythme.
Alors c'est sûr que c'est diffusé direct pour être vu chez soi, et probablement en plusieurs morceaux. Après l'ensemble fournit un tout qui s'apparente plus à un film unitaire tout de même. Les enjeux sont posés dès le début et le film évolue autour de ça sans trop s'éparpiller, c'est juste que beaucoup plus de temps est accordé à chacun des membres de la ligue (alors que certains faisaient un peu figuration dans la version d'origine). En fait c'est le montage de la version Whedon qui était vraiment lamentable, car il essayait de faire rentrer à la masse dans 2h de temps un contenu qui débordait de partout.
Pour ce qui est du chapitrage, beaucoup de films longs sont chapitrés (du Tango de Satan à Nymphomaniac), ça ne casse pas particulièrement le rythme.


Par contre, autant je comprends qu'on puisse trouver le Snyder cut de Justice league intéressant, autant sur WW84 je suis plus circonspect :blase:
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cyborg
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@asketoner : je t'avoue que je suis un peu surpris par ce que tu dis sur l' "éclatement" du film... Je pense que quand on le replace dans son contexte (époque, pays) c'est quand même assez épatant comme réponse/prolongation à ce qui se faisait en Europe, et qu'il ne faut pas forcément juger ça à l'aune de notre époque.
Ce côté embrouillé me parait plus une sorte d'ampleur que de confusion.
Le seul truc ou j'ai tiqué est effectivement cette déconstruction temporelle ou l'on apprend le suicide avant la fin mais elle apporte au final tant à l’œuvre son côté spectral, son personnage central comme déjà mort, et cette dernière scène... que je trouve que c'est en fait très juste.
Mais au final ce qui me plait le plus dans le film, tu le dis, c'est cette fluidité d'une "dimension à l'autre", l'attention à la nature, aux plantes, aux animaux, qui ont toute leur place au même titre que les personnages ou les objets, et que le film entre ainsi dans des perspectives autres qui, pour le coup, ne sont pas du tout là dans le cinéma occidental de la même époque. On sent vraiment un autre "rapport au monde" (pour dire cela vite) dans les préoccupations du réalisateur, et c'est ça qui m'a le plus ému/touché/impressionné je crois.
Ça m'avait un peu fait le même effet à la découverte de Why Has Bodhi-Dharma Left for the East du coréen Bae Yong-kyun vu à la fin de l'an passé.
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groil_groil
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Mr-Orange a écrit :
mar. 6 avr. 2021 17:09
Je suis un peu surpris par le retour de Groil sur Justice League aussi. Je ne l'ai pas vu, mais tout le brouhaha autour de ce "Snyder's cut" m'a poussé à m'intéresser à l'univers, via Batman vs Superman. J'ai trouvé ça extrêmement long, prétentieux (les gros sabots sur la démocratie, la justice, la figure de l'homme providentiel), et surtout très bancal.

Puis j'ai appris que, encore une fois, il existait un director's cut qui rendait apparemment justice au film. Or, le film est déjà très long, beaucoup trop long, et malgré ça il n'installe rien, et ne dit rien à part 2-3 trucs poseurs !

Donc, moi, je me demande un peu si ce n'est pas Snyder le problème, plus que les producteurs (ce que j'entends partout depuis des semaines). S'il lui faut toujours plus de 4h pour dire tout ce qu'il veut, alors que les 2h et quelques paraissent déjà une éternité, j'ai l'impression que c'est surtout parce que Snyder est très mauvais au montage, et que le médium filmique ne lui convient plus. C'est le caprice de l'ère de la série télévisuelle et de Netflix : on s'en fout de plus en plus du montage et du rythme, car les gens regardent désormais les oeuvres en petits bouts d'1h ou moins (c'est certainement le cas de ce Justice League, j'aimerais bien savoir quel % de la population l'a vu d'une traite), les fragmentant eux-mêmes en des épisodes. D'ailleurs, Groil semble lui-même le dire puisqu'il nous dit que le film fonctionne par chapitre-personnage. Les films deviennent des séries qui ne disent pas leur nom.
Salut !
alors je me branle de Znyder (à part Sucker Punch que j'aime bien) et de toute la mythologie de super héros, mais là ça fonctionne. et oui c'est construit par chapitres, mais ça reste un vrai film comme le dit Yhi ci-dessous. Et c'est plus inspiré de la construction d'un roman que d'une série tv.
Yhi salut aussi !
pour WW84 disons que j'aime ces deux films pour des raisons différentes (non Tyra, pas de poisson :D , on m'a fait la même blague sur FB), ils ne se ressemblent pas, mais je les aime car dans leur genre ils sont des réussites. Ce WW84 ressemble plus pour moi à un Ghostbusters ou un Flic de Beverly Hills dans l'esprit.
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Une femme offre une voiture à l'anniversaire de son mari. En l'essayant, ils ont un accident. Il meurt, elle se réveille paralysée des deux jambes après avoir vécu une EMI (expérience de mort imminente, NDE en anglais) Elle y voit une lumière, des fantômes de gens disparus. En convalescence dans sa cambrousse natale, elle réapprend peu à peu à marcher, mais elle se découvre également de nouveaux talents : elle est atteinte de pouvoirs paranormaux qui lui permettent de guérir des gens handicapés ou malades, par simple apposition de ses mains sur les corps des malades. Dans les cas les plus graves, elle accueille leur mal pour les en débarrasser. Ce film pourtant primé à Avoriaz en 1981 a depuis totalement disparu des radars et il faut sincèrement remercié l'éditeur Elephant de l'avoir ressorti, dans une belle copie qui plus est. Porté par une Ellen Burstyn absolument exceptionnelle du premier au dernier plan (le dernier plan étant l'un des plus bouleversants vus depuis longtemps), Résurrection est un film extraordinaire, magnifiquement mis en scène par un cinéaste lui aussi disparu des radars, Daniel Petrie, et dont je vais au moins tâcher de voir au moins Le Policeman (Fort Apache the Bronx) avec Paul Newman, son film suivant, et apparemment son autre grande réussite. C'est un film fantastique, oui, bien sûr, mais traîté de manière ultra réaliste, l'image et l'ambiance sont plus celles d'un film du Nouvel Hollywood. Il ne s'y passe rien de fantastique hormis les pouvoirs de guérisseuse de Burstyn et son EMI qui est représentée, et magnifiquement, par le cinéaste. Mais cela crée un climat d'étrangeté permanent, qui s'associe pourtant parfaitement avec l'ambiance roots / redneck très inspirée par le Nouvel Hollywood. D'ailleurs cette association correspond bien au film qui symbolise quelque part la fin du Nouvel Hollywood (1980) et l'entrée dans le cinéma fantastique à grande échelle qui connait son apogée dans les 80's. C'est une superbe découverte, une merveille, qui va me hanter longtemps et que j'ai déjà envie de revoir.

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Un ancien soldat défroqué, Stewart, comme toujours parfait, tente d'instaurer la paix entre les Yankees et les Apaches qui se livrent alors une guerre meurtrière et approchant et en sympathisant avec leur chef, Cochise, tout en tombant amoureux d'une jeune indienne. Evidemment, il sera la victime de la folie meurtrière des hommes. Beau western, un grand Daves.
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B-Lyndon
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Numéro Deux, JLG, 1975.

J'ai été profondément bouleversé par ce film, et plus encore par deux plans de Godard lui-même. Au début, le cinéaste parlant, debout dans un coin du cadre, la tête coupée, adossé contre une télévision filmant son visage, soliloquant. Son texte est magnifique, c'est un véritable marabout-bout de ficelle oral. Il parle de lui, des machines, de l'exil, du temps, de ce que c'est que quitter Paris, d'être vraiment ailleurs, il dit "bon, écoute, je te parlerai de tout ça", avec ce tu qui est si bouleversant quand il le prononce, ce tu qui est adressé, je crois, à la part humaine de chacun d'entre nous (dans ce tu, il y a la pudeur de ne pas dire nous...il lui faudra encore quelques décennies avant de dire nous, notre, et c'est précisément ce trajet que commence à suivre Numéro Deux, et le fait qu'il se termine sur une chanson magnifique de lyrisme de Léo Ferré qui s'appelle L'Oppression le montre bien). Il y a bien un trajet, puisque le deuxième plan qui me terrasse, c'est à la fin du film, quand Godard est prostré sous ces petites télévisions qui s'agitent, prostré par la somme d'images, toutes plus dures et impitoyables les unes que les autres. Je me dis qu'il y a peu de cinéastes aussi monstrueusement géniaux qui ont su se filmer ainsi : dépassé par le mystère et la cruauté de ce qu'ils nous ont forcé à regarder, dépassé par cette incapacité à dire nous, mais pas assez cynique et mesquin pour dire eux, et pas moi. Je crois qu'ainsi prostré Godard se regarde, qu'ainsi prostré il nous dit que nous pouvons aussi baisser les yeux, qu'il n'existe aucune fatalité au regard, que nous avons le droit de continuer à vivre, même si c'est difficile (toute la dialectique du film est simplement là : vivre, même si c'est difficile ; c'est peut-être simple comme bonjour mais pas si facile à filmer).

Car entre ces deux plans, il y a cette histoire de famille sinistre, cette famille aliénée par le travail et le manque de travail, le sexe et la frustration du sexe. Une petite fille écrit sur un tableau "avant d'être née, j'étais morte", ses parents lui expliquent le sexe de papa et maman, ils disent que c'est comme deux bouches qui s'embrassent et se referment, et puis qu'il faut aller à l'école maintenant. Maman marche dans le quartier, rencontre une femme qui veut lui parler mais elle ne veut pas l'écouter, c'est trop pour elle, rencontrer quelqu'un, sortir de soi, de la petitesse de sa vie. La dignité du film ne tient à rien, rien qu'à la connaissance qu'ont les personnages de l'horreur qu'est leur vie. Plus ils le savent, plus la lutte est difficile, mais plus elle donne lieu à du grand cinéma. Le film est d'une noirceur littérale (l'image est réduite à un petit carré cathodique au fond de l'écran, à peine perceptible), mais il permet de trouver une place, et de fait nous invite toujours à penser.

Je crois qu'il y a un malentendu concernant Godard, ses films les plus écrasants ne sont pas ceux que l'on croit. De ce point de vue, le titre est génial, Numéro Deux, car le film a été réalisé avec le même producteur et la même économie qu'A bout de souffle. Et il montre réellement tout ce qu'A bout de souffle esquissait : Jean Seberg demandait "qu'est-ce que c'est dégueulasse?" sans jamais répondre à la question, on dirait que tout ce film est une tentative, ou du moins un exposé de ce que ça serait, filmer dégueulasse. Et si Michel Poiccard n'était pas mort, s'il s'était installé avec Patricia, peut-être auraient-ils terminé dans ce petit quartier de Grenoble où j'ai moi-même grandi, ils auraient peut-être eu des gosses, ils auraient continué à s'aimer tout en se haïssant à mort, ils auraient construit cette famille qui ressemble à la mienne, pas malheureuse, simplement aliénée. Godard en finit pour de bon sa période anar de droite qui m'agace tant : il regarde enfin les gens vivre, il sait enfin que la liberté coûte chère et n'est pas qu'une question de bagnoles et de cavale, il a enfin réussi à traiter les militants révolutionnaires de pauvres idiots aveugles et sourds, triomphe enfin politiquement et de fait ne perd ni en sécheresse, ni en romantisme, ni en poésie. Je crois même qu'il s'agit du Godard qui articule le plus finement la question la fondamentale de son cinéma : est-ce que nous pouvons être libre, existe t-il une image de la liberté ? Le film n'est pas simplement bouleversant, il est important.
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cyborg
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@B-Lyndon : merci pour ton texte, cela donne envie de voir ce Godard !
Pourrait-on élargir la question en disant que ce n'est pas "l'image" même qui est la première source d'aliénation ? Serait-ce là que se tient le cinéma de Godard ?
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asketoner
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cyborg a écrit :
mar. 6 avr. 2021 22:01
@asketoner : je t'avoue que je suis un peu surpris par ce que tu dis sur l' "éclatement" du film... Je pense que quand on le replace dans son contexte (époque, pays) c'est quand même assez épatant comme réponse/prolongation à ce qui se faisait en Europe, et qu'il ne faut pas forcément juger ça à l'aune de notre époque.
Ce côté embrouillé me parait plus une sorte d'ampleur que de confusion.
Le seul truc ou j'ai tiqué est effectivement cette déconstruction temporelle ou l'on apprend le suicide avant la fin mais elle apporte au final tant à l’œuvre son côté spectral, son personnage central comme déjà mort, et cette dernière scène... que je trouve que c'est en fait très juste.
Mais au final ce qui me plait le plus dans le film, tu le dis, c'est cette fluidité d'une "dimension à l'autre", l'attention à la nature, aux plantes, aux animaux, qui ont toute leur place au même titre que les personnages ou les objets, et que le film entre ainsi dans des perspectives autres qui, pour le coup, ne sont pas du tout là dans le cinéma occidental de la même époque. On sent vraiment un autre "rapport au monde" (pour dire cela vite) dans les préoccupations du réalisateur, et c'est ça qui m'a le plus ému/touché/impressionné je crois.
Ça m'avait un peu fait le même effet à la découverte de Why Has Bodhi-Dharma Left for the East du coréen Bae Yong-kyun vu à la fin de l'an passé.
Justement, je vois ça comme une réponse ou un écho, donc une façon de s'inscrire dans un mouvement sans en faire quelque chose de personnel. Du moins c'est ce que je ressens en voyant Notre pain quotidien : j'ai l'impression que le puzzle n'a rien à faire là, mais alors rien du tout, sinon pour dire à ceux qui en ont fait une marque de fabrique : eh oh, moi aussi j'existe.
Je ne juge pas ça à l'aune de notre époque, seulement l'époque actuelle permet de se débarrasser de la fascination pour ce genre de forme et d'y voir clair à présent, voir ceux qui avaient vraiment quelque chose à y chercher, et ceux qui voulaient seulement être dans le coup.
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cyborg
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Pour ma part, j'ai continué Mani Kaul avec

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Arising from the surface - ਸਤਹ ਸੇ ਉਠਤਾ ਆਦਮੀ’ - Mani Kaul - 1980

Avec Arising from the surface Mani Kaul semble se détacher des grands noms que l'on a pu identifier comme influence dans ses premiers films (Bresson, Antonioni, Marker...) pour aboutir à un style qui semble être le sien propre, dans sa gestion des cadres, du temps, de la narration.

Le film s'inspire des textes de l'auteur hindi Gajanan Madhav Muktibodh (dont je ne connais rien, je l'avoue !) en se déployant dans le quotidien d'un homme qui semble être l'auteur lui même (sans que cela soit ouvertement dit, il me semble) et les réflexions qu'il échange avec deux amis. Plusieurs situations et temporalités semblent s'emmêler, ce qui rend l’œuvre particulièrement abstraite et compliquée à suivre. De plus je ne suis pas sur que le niveau de traduction des sous-titres rendent honneur aux textes d'origine...

Le film est en effet basé sur un rapport entre l'image/la mise en scène et le texte, leur rapport de force évoluant et finissant par s'inverser, comme si le réalisateur finissait par se laisser dicter sa mise en scène par la poésie même, le dernier segment du film étant un poème lu en voie-off tandis que des images tentent de l'accompagner.
Projet compliqué donc, mais intéressant. Si on accepte de voir "Arising from the surface" comme une expérimentation biographique je pense qu'on peut le classer au côté d'Edward Munch de Peter Watkins par exemple.



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Before My Eyes - Mani Kaul - 1988

Court-métrage de commande d'une agence de tourisme national désirant promouvoir la vallée du Kashmir.
Les plans sont magnifiques, ainsi que le travail sur le son. Dans ces paysages sublimes surgissent parfois des corps d'animaux ou d'homme, dont les rapports d'échelles réduisent la taille et l'importance. Quand un corps apparait de manière rapproché, c'est une femme qui joue de la musique sur un instrument traditionnel. Mais alors, en arrière plan c'est le monde qui semble bouger, et ce n'est que plus tard que nous comprenons que nous sommes sur une barge. Les rapports entre musique et bruits de la nature sont également essentiels, et ce jusqu'au plan final durant lequel Mani Kaul décide de faire entendre les palles de l'hélicoptère dont il s'est grandement servi depuis le début...

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Nazar - Mani Kaul - 1990

Adaptation libre de la nouvelle "La Douce" de Dostoïevski. Le suicide qui ouvre le livre est ici essentiellement suggéré. Néanmoins le film est totalement spectral et on peine à comprendre comment existent les personnages. Leurs désincarnations semblent totales et pourtant il y a une attention extrême porté à leur façon d'être dans l'espace, à leur rapport à leur environnement immédiat, c'est très troublant. Il y a également de nombreux jeux de profondeur de champ faisant se superposer ou se succéder les corps, les espaces intérieurs et extérieurs. La solitude qui marque les premiers films de Kaul semble ici s'être radicalisé définitivement car elle est désormais purement mentale.
Pour un film de 1990, Nazar n'est pas d'une originalité folle mais la rigueur de la réalisation en fait une très bonne variation de thèmes déjà vu et traités de la sorte.

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Le dernier saut - Edouard Luntz - 1970

L'épatant Les Cœurs Verts m'a donné envie d'en voir plus de Luntz.
Si son premier film s'intéressait aux jeunes loubards de banlieues parisiennes, celui-ci s'arrête sur l’extrême inverse de la société : un ancien para tue sa jeune compagne mais réussit à ne pas se faire prendre. Il développe alors une étrange amitié avec l'inspecteur en charge de l'affaire.
Les deux personnages centraux sont hautement détestables (incarnés à merveille par Maurice Ronet et Michel Bouquet) et le réalisateur ne leur concède rien. Ce faux thriller se mue en observation des rapports de pouvoirs entre classes dominantes et expose la sclérose qui les maintient en place. L'ignominie de l'un et de l’autre, dont on peine à dissimuler des racines pas si ancienne (la collaboration pour l'un, Indochine-Algérie pour l'autre) ne semble pouvoir être supportable que dans le regard de l'autre. Même lors de ces improbables scènes peuplés de lion et de hyènes l''air est vicié et les corps transpirent la tradition machiste et raciste. Luntz excelle à créer une ambiance en quelques plans et l’ensemble ressemble à un Chabrol (Le Boucher parait la même année) qui s'attaquerait bien plus frontalement aux maux de son époque.
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B-Lyndon
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C'est marrant que tu parles de ce film de Luntz que j'ai pas vu. J'ai découvert La Femme infidèle de Chabrol il y a peu de temps et je me disais que la plus belle scène était celle avec avec Ronet et Bouquet ! ce sont deux acteurs qui ont une belle alchimie je trouve.

et carrément pour ton "élargissement" concernant Godard !
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groil_groil
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Un professeur de biologie ramène dans son université un coelacanthe, poisson préhistorique. A son contact, animaux et humains retrouvent leur état "préhistorique". Notre professeur devient donc une sorte de Jekyll & Hyde qui se transforme en singe préhistorique agressif semant la mort autour de lui. Arnold étant un très bon cinéaste il arrive à faire de ce scénario absurde un bon film, et ce malgré un budget quasi inexistant, et seulement 12 jours de tournage. Mais malheureusement, ces nombreuses contraintes font que le film ne dépasse pas le rayon des séries B passables, habituellement transcendé par les grands films du cinéaste, comme La Météore de la Nuit ou surtout son chef-d'oeuvre, L'Homme qui rétrécit.

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Alors que la guerre touche à sa fin et que les alliés doivent libérer Paris dans quelques jours, les Nazis vident le musée de l'Orangerie de ses plus belles oeuvres pour les emmener par train en Germanie avant la débacle. Une équipe de résistants internationale (entre Burt Lancaster et Michel Simon) va tout faire pour empêcher le train d'arriver à destination, tout en préservant son contenu, en attendant la Libération. Le film est en noir et blanc alors qu'il sort en 64... Etonnant choix, il aurait été en couleurs on aurait juré du Gérard Oury sérieux, une sorte de croisement du Cerveau et de la Grande Vadrouille avec la gueule de Bourvil en moins.
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sokol
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B-Lyndon a écrit :
mer. 7 avr. 2021 11:26
Le film est d'une noirceur littérale (l'image est réduite à un petit carré cathodique au fond de l'écran, à peine perceptible), mais il permet de trouver une place, et de fait nous invite toujours à penser.

...

Je crois même qu'il s'agit du Godard qui articule le plus finement la question la fondamentale de son cinéma : est-ce que nous pouvons être libre, existe t-il une image de la liberté ? Le film n'est pas simplement bouleversant, il est important.
En te lisant j'ai eu des larmes aux yeux or, en (re)regardant ce film (deux fois, récemment : je l'avais vu il y a un moment mais unë très mauvaise copie) on est sidéré, donc on ne pleur pas (en fait, on pleur d'intérieur).

Je le cite souvent (qui citer d'autre ??) mais je parle quasiment jamais de Godard car je me sens pas capable. Mais en même temps j'avance donc, je peux dire 2-3 choses que je sais de lui :
Si on résume un peu : dans les années 60 Godard a fait des films parisiens, cinéphiliques (avec des plans séquences compliqués), etc etc etc. Puis, à partir de 1980, il a fait des films presque pastorales, avec des plans fixes bien plus proche des Beaux-Art que de la rigueur bazinienne etc etc etc.

Mais il y a eu un 'entre les deux' (il y en a toujours, en tout cas) et 'Numéro deux' est le film annonciateur de ce 'entre les deux'. C'est un film ahurissament pessimiste mais il nous invite à penser (comme tu l'as dit) donc il est on ne peut plus important. Et, comme on dit "le diable se cache entre les parenthèses", le vrai Godard (ou le meilleur Godard ?) se cache entre les deux (ce n'est pas un hasard non plus que sa contribution à la télé est extrêmement intéressante et passionnante : elle appartient exactement à la même période !).

S'il continuait à faire des films comme celui-ci, inévitablement Godard se suiciderait, impossible autrement.
D'où 'le retour au 'cinema d'exploitation' avec 'Sauve qui peut la vie'.
D'où ce 'entre deux' capital.
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cyborg a écrit :
mer. 7 avr. 2021 13:42
@B-Lyndon : merci pour ton texte, cela donne envie de voir ce Godard !
Pourrait-on élargir la question en disant que ce n'est pas "l'image" même qui est la première source d'aliénation ? Serait-ce là que se tient le cinéma de Godard ?
Il est ici aussi : http://derives.tv/numero-deux/
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B-Lyndon a écrit :
mer. 7 avr. 2021 11:26
Je crois qu'ainsi prostré Godard se regarde, qu'ainsi prostré il nous dit que nous pouvons aussi baisser les yeux
Je crois que , au fond, c’est LE sujet principal de tout le cinéma godardien : l’image n’existe pas. Donc, on peut baisser les yeux, comme si on était aveugle. Probablement, c’est ce rapport avec l’image qui a fait de lui un extraordinaire filmeur de son car il a compris assez tôt : l’image n’existe pas (Godard avait dit une fois qu’il faut les chercher dans le désert). Ou, dans «Adieu au langage » (Numéro Trois, en quelque sorte !), j’étais stupéfié par le nombre des écrans noirs. Et c’est sans doute aussi la raison pour laquelle Serge Daney a eu de ses cotés, durant un de ses entretiens, une personne aveugle, grande fan des films du maître, durant un de ses entretiens :

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Modifié en dernier par sokol le ven. 9 avr. 2021 00:28, modifié 1 fois.
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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Jeunes gens : comment se fait-il que, il a fallu une aveugle pour dire cette vérité extraordinaire : Godard c’est le contraire de Bresson !
Écoutez-la, c’est du jamais vu (ou plutôt : du jamais entendu) :
https://www.franceculture.fr/emissions/ ... quun-qui-0
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sokol a écrit :
jeu. 8 avr. 2021 19:33
Jeunes gens : comment se fait-il que, il a fallu une aveugle pour dire cette vérité extraordinaire : Godard c’est le contraire de Bresson !
Écoutez-la, c’est du jamais vu (ou plutôt : du jamais entendu) :
https://www.franceculture.fr/emissions/ ... quun-qui-0
Elle est géniale cette femme ! C'est drôle parce que je pensais beaucoup à elle justement devant Numéro Deux. Je me disais : elle a dû adorer ce film. (Je me suis même demandé si ce n'était pas elle qui jouait la mère de famille, parce qu'elles ont le même accent et les mêmes intonations.)
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Tyra
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J'aimerais tellement voir ce que voyez chez Godard. Je me sens vraiment privé de quelque chose.
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Le parfait polar du dimanche soir des 90's.
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On dit de Clouzot qu'il est le maitre du suspense Français, pourtant ici il montre certaines limites qui l'empêchent de tutoyer Hitchcock ou le film noir américain (notamment dans Quai des Orfèvres). A chaque fois j'adore le début de ses films, très drôles, assez crus aussi pour l'époque. Mais à chaque fois des dispositifs anti-cinématographiques viennent tout gâcher : le whodunnit pour l'Assassin, l'enquête à la Columbo dans Quai des orfèvres. Dans ce dernier notamment, on démarre sur une intrigue noire, où un triangle amoureux, aussi trouble qu'attachant va s'empêtrer dans des histoires de jalousie, allant jusqu'au meurtre que l'on croit commis par l'un des membres du trio. Arrive Louis Jouvet, en insupportable inspecteur, qui vient prendre en hottage tout le film en nous imposant son enquête, ses interrogatoires, bref tout ce processus répétitif qui parasite très souvent les films policiers à mes yeux. Reléguant nos beaux protagonistes du débuts en matière à intrigue et coup de théâtre final. La gouaille et les dialogues de l'époque devenant le seul atout de ce film finalement très bavard, sauvé par une belle fin tout de même (avec la révélation d'un amour caché d'une femme pour une autre femme).
L' Assassin lui ne parvient guère à sortir de l'ornière théâtrale qui empêche le film de décoller. J'aime toujours autant Pierre Fresnay par contre.
A noter une étrange symétrie entre les deux films : dans L'Assassin, les trois coupables sont arrêtés puis relâchés chacun leur tour, ce qui permettra de les confondre, dans Quai des orfèvre, les trois innocents sont arrêtés puis relâchés chacun leur tour, ce qui permettra de les innocenter.


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Les films "ok boomer" de 2020.
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Europe 51, Roberto Rossellini

On pourrait voir ce film comme une tentative de récupération du marxisme par le christianisme, mais on pourrait aussi le voir dans le sens contraire, comme la façon dont le marxisme prend sa source dans le christianisme. Alors c'est un film qu'on peut regarder avec deux yeux, ce qui est plutôt rare.
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Quai des brumes, Marcel Carné, 1938

Plusieurs choses :

Qu'est-ce qui change un archétype (le déserteur, l'ivrogne, l'orpheline, ...) en personnage de film de Marcel Carné ? C'est simple : il ne dort pas. Il traverse une nuit en restant éveillé, et sa vie s'en trouve transformée.

Carné est un grand cinéaste des lieux. Il sait mettre en scène un espace, le faire vivre, organiser les croisements, ménager des recoins, des hors-champs denses, des contre-champs inespérés, etc... Il a le goût des vestibules, des caves, des arrières-cuisines et des grandes fenêtres. Il y a toujours un monde derrière le monde. Le Panama, café perdu au bout d'un terrain vague avec vue sur la mer, où se réfugient ceux qui ne trouvent pas le sommeil, est la merveille, le rêve de Quai des Brumes, la créature la plus saisissante. Qu'il est doux de penser qu'il existe un refuge où se rencontrent les suicidaires, les hommes pourchassés et les jeunes femmes qu'on empêche de vivre. S'il y a quelque chose de théâtral dans le cinéma de Carné, c'est moins par goût de la scène que par celui des coulisses.

Belle idée d'avoir pris Gabin pour jouer un déserteur de l'armée coloniale. Parce qu'on ne peut pas douter du fait qu'il aurait pu être un bon soldat si l'armée elle-même n'avait pas été mauvaise. Ce parti-pris est très fort, subversif, éminemment politique.
L'unir à un petit chien perdu est une autre forme de subversion. On ne voit pas seulement un soldat qui se promène en ville, mais un soldat suivi par un animal émotif duquel il n'arrive pas à se débarrasser. L'image échappe ainsi à sa banalité : elle raconte une histoire. (L'origine de cette idée est à chercher du côté de Chaplin : ceux qui errent se rencontrent.)

Michel Simon, dans son rôle de commerçant malhonnête et de tuteur pervers, est génial.
Brasseur, quant à lui, joue quelque chose de très étrange, pas vraiment abouti mais intéressant pour cette raison justement : un malfrat qui ne parvient pas tout à fait à l'être, auquel on ne parvient jamais à croire.
Ces deux figures du mal (la première par statut (et par classe), la deuxième par aspiration) s'opposent entre elles et s'unissent contre le soldat déserteur (figure du bien, certes, mais figure de l'illégalité aussi). Il n'y a pas de manichéisme chez Carné, mais au contraire une grande complexité des rapports de force, un goût pour l'ambivalence et la nuance. (On trouve toujours plus petit, plus opprimé.)

Cette fois-ci, je reconnais volontiers que les dialogues de Prévert sont un peu trop envahissants. Carné lui laisse trop de place pour les bons mots et les tirades...
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Skipper Mike
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En parlant de Godard, un film rare visible ici jusqu'à lundi seulement.
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La Fin du jour, Julien Duvivier, 1939

Un film qui laisse tout le monde à sa place, ridiculisant les faibles et excusant les ordures ; un film de droite, en somme.
J'essaierai quand même de voir Panique...
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sokol
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Tyra a écrit :
ven. 9 avr. 2021 12:20
J'aimerais tellement voir ce que voyez chez Godard. Je me sens vraiment privé de quelque chose.
Perso, je pense toujours que, pour parler d’un film (ou d’un auteur, dans le cas échéant) il faut parler d’un autre film (ou d’un autre auteur ou les films d’un autre auteur).
Concrètement : essaye de regarder cette scène de «Numéro deux» (http://derives.tv/numero-deux/) durant laquelle Godard utilise de la musique diégétique (de 0:58:59 au 01:02:15, donc toute la scène - elle dure 3 minutes) puis, comment ce faquin de Coppola utilise la même chose, c’est à dire la musique diégétique, en glorifiant (malgré lui, sans doute, car il ne sait pas ce qu’il fait) la puissance de l’armée américaine en ne coupant jamais le son du magnétophone de son personnage mais en la laissant en musique additionnelle (la scène d’ouverture de Apocalypse Now, 3-4 minutes également) : https://youtu.be/nZ_zNUmr8fM

Compare les deux et tu verras ‘ce que nous voyons chez Godard’.
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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sokol a écrit :
dim. 11 avr. 2021 14:21
Tyra a écrit :
ven. 9 avr. 2021 12:20
J'aimerais tellement voir ce que voyez chez Godard. Je me sens vraiment privé de quelque chose.
Perso, je pense toujours que, pour parler d’un film (ou d’un auteur, dans le cas échéant) il faut parler d’un autre film (ou d’un autre auteur ou les films d’un autre auteur).
Concrètement : essaye de regarder cette scène de «Numéro deux» (http://derives.tv/numero-deux/) durant laquelle Godard utilise de la musique diégétique (de 0:58:59 au 01:02:15, donc toute la scène - elle dure 3 minutes) puis, comment ce faquin de Coppola utilise la même chose, c’est à dire la musique diégétique, en glorifiant (malgré lui, sans doute, car il ne sait pas ce qu’il fait) la puissance de l’armée américaine en ne coupant jamais le son du magnétophone de son personnage mais en la laissant en musique additionnelle (la scène d’ouverture de Apocalypse Now, 3-4 minutes également) : https://youtu.be/nZ_zNUmr8fM

Compare les deux et tu verras ‘ce que nous voyons chez Godard’.
Je vois oui (j'avais vu le film après le retour de BL), enfin je crois voir, mais ça ne me touche pas plus que ça. D'ailleurs pour toi qu'est ce que raconte cette scène ?

Je trouve la comparaison avec Apocalypse Now de Coppola abusive, car les deux scènes ne montrent pas la même chose. Mais puisque tu fais cette comparaison, je rebondis dessus.
Dans cette scène Coppola ne glorifie pas l'armée, et à mon sens il ne le fait à aucun moment du film, mais en revange il exprime une fascination. Mêlée de dégout, mais fascination tout de même. Coppola ne se place pas au dessus de son sujet, ni au dessus de son film, il accepte cette ambiguïté, cette "impureté morale", il accueille cette folie de la guerre et celle du tournage. Il ne fait qu'un avec ses personnages qui le dégoutent et le fascinent. Et d'ailleurs, tu dis probablement juste lorsque tu dis "il ne sait pas ce qu'il fait". Probablement pas toujours en effet si on en croit les images du tournage. :crazy:
Pas d'ambiguïté en revanche chez Godard, lui qui sait qui sont les salauds et les gentils, les bourreaux et les victimes, et il sait où se placer, toujours du coté de ces derniers. Dans son studio sombre enfumé par son cigare, sûr de son fait, il distribue les bons et les mauvais points. Tout en n'était pas exempt lui non plus, on le voit dans Histoire(s) du cinéma entre autre, d'une certaines fascination pour les images des horreurs de la guerre.
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Tyra
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Puisqu'on parle des images de la guerre, j'ai vu aujourd'hui :
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Formidable que Wilder et les studios hollywoodiens aient pu filmer Berlin après la guerre, c'est à dire complètement détruite. Commencer une comédie (car s'en est une, même si moins légère que d'autres Wilder, sujet oblige), par le survol et les vrais images, absolument estomaquantes et cauchemardesques, des ruines de la ville, pendant que les officiels américains s'écharpent sur la manière de redresser le pays, voilà le genre "d'impuretés" qui donnent le ton du film à venir.
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sokol
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Tyra a écrit :
dim. 11 avr. 2021 19:01
Et d'ailleurs, tu dis probablement juste lorsque tu dis "il ne sait pas ce qu'il fait". Probablement pas toujours en effet si on en croit les images du tournage.
Il est évident qu'il a fallu couper "La chevauchée des Walkyries" et ne surtout pas la laisser comme musique additionnelle (de surcroit, quand on sait que l'épouse du fils de Wagner était une amie personnelle de Hitler, il est plus que délicat d'utiliser une telle musique).
Tyra a écrit :
dim. 11 avr. 2021 19:01
Dans son studio sombre enfumé par son cigare, sûr de son fait, il distribue les bons et les mauvais points.
C'est tout sauf cela car "Numéro deux" est une vraie plaidoirie contre le cinéaste démiurge (contre le drame bourgeois de Claude Sautet ou le cinéma introspectif d’Ingmar Bergman), contre l’exploitation, contre l'aliénation à la famille, de l'enfance, de la femme, l’aliénation au travail et donc dans le cinéma aussi ("Mon rôle est terminé. Mais à quoi on joue bordel !" - dit l’héroïne du film, à 1:16:29). D'ailleurs, c'est le plus beau moment du film (qu'il faut revoir et revoir en fait. Mais seulement si on a envie, bien sur).
Tyra a écrit :
dim. 11 avr. 2021 19:01
Tout en n'était pas exempt lui non plus, on le voit dans Histoire(s) du cinéma entre autre, d'une certaines fascination pour les images des horreurs de la guerre.
Ça, franchement, c'est faux. On voit des images de guerres dans plein de films de Godard ("Notre musique", tout un chapitre d’ailleurs : "Royaume 1: enfer". Et c'est la guerre. Puis, dans "Le livre d'image") et pas seulement dans "Histoire(s) de cinéma". Mais je n'ai jamais, o grand jamais vu de la fascination pour la guerre. Un enfer, OUI.
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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yhi
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Interpréter la chevauchée des Walkyries comme une glorification de l'armée américaine, c'est ne pas franchement voir plus loin que le bout de son nez.

Quand la musique Wagnérienne est jouée par les soldats en mode diégétique, les soldats s'auto proclament d'une faction guerrière (avec tout l'héritage que sous entend cette musique, comme tu le dis). Quand Coppola garde la musique de façon extra diégétique, ce n'est en aucun cas pour glorifier la position de ces soldats ou montrer un quelconque accord avec eux. Au contraire, il retourne la musique contre eux en leur renvoyant et en proclamant lui même metteur en scène "regardez les cette bande de fascistes". Enfin, ça me semble évident...

Rappelons aussi que contrairement à ce que tu dis, ce n'est pas "l'ouverture" d'Apocalypse now, mais que l'ouverture se fait sur un morceau qui accompagne les bombardements au napalm en disant "This is the end". Faut vraiment être tordu pour y voir une glorification.
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Mr-Orange
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yhi a écrit :
lun. 12 avr. 2021 19:13
Interpréter la chevauchée des Walkyries comme une glorification de l'armée américaine, c'est ne pas franchement voir plus loin que le bout de son nez.

Quand la musique Wagnérienne est jouée par les soldats en mode diégétique, les soldats s'auto proclament d'une faction guerrière (avec tout l'héritage que sous entend cette musique, comme tu le dis). Quand Coppola garde la musique de façon extra diégétique, ce n'est en aucun cas pour glorifier la position de ces soldats ou montrer un quelconque accord avec eux. Au contraire, il retourne la musique contre eux en leur renvoyant et en proclamant lui même metteur en scène "regardez les cette bande de fascistes". Enfin, ça me semble évident...

Rappelons aussi que contrairement à ce que tu dis, ce n'est pas "l'ouverture" d'Apocalypse now, mais que l'ouverture se fait sur un morceau qui accompagne les bombardements au napalm en disant "This is the end". Faut vraiment être tordu pour y voir une glorification.
Je ne pense pas comme Sokol qu'il y a une glorification de l'armée américaine dans cette scène. Toutefois, on peut quand même y voir un problème de morale : le passage du diégétique à l'extra-diégétique semble quand même vouloir dire "bordel un assaut aérien visant des civils sur du Wagner, c'est dégueulasse, mais ça a de la gueule !". Au fond Coppola s'en fout de la morale, du politique, il cherche juste à maximiser la force baroque de son film. En passant à l'extra-diégétique, le réalisateur embrasse le sordide pour faire du "grand cinéma", qui en fout plein la figure, qui fait de l'épate. Je ne pense pas qu'il y ait d'idéologie abjecte dans Apocalypse Now (Coppola n'a pas fait le film en conscience politique, c'est pas Godard), c'est juste du baroque, du baroque et encore du baroque. Mais je comprends que certains y voient un problème moral.
Modifié en dernier par Mr-Orange le lun. 12 avr. 2021 22:57, modifié 1 fois.
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yhi
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Mr-Orange a écrit :
lun. 12 avr. 2021 22:17
"bordel un assaut aérien visant des civils sur du Wagner, c'est dégueulasse, mais ça a de la gueule !"
Je vois ce que tu veux dire, mais j'ose espérer qu'il y a plus que ça derrière quand même.

Puis rien ne t'empêche d'utiliser une forme forte pour dénoncer. Au moins, ça crée chez le spectateur une permanence de l'image (et du son ici) qui l'invite à y réfléchir
Kahled
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yhi a écrit :
lun. 12 avr. 2021 22:46
Mr-Orange a écrit :
lun. 12 avr. 2021 22:17
"bordel un assaut aérien visant des civils sur du Wagner, c'est dégueulasse, mais ça a de la gueule !"
Je vois ce que tu veux dire, mais j'ose espérer qu'il y a plus que ça derrière quand même.

Puis rien ne t'empêche d'utiliser une forme forte pour dénoncer. Au moins, ça crée chez le spectateur une permanence de l'image (et du son ici) qui l'invite à y réfléchir
Alors sur le papier, tout ça c'est très bien, mais on ne m'enlèvera pas de l'esprit que Coppola, avec sa personnalité de gros mégalo, visait bien plus l'esbrouffe avec cette scène qu'une quelconque dénonciation (et d'ailleurs tout le côté ultra dénonciatif du film est contredit en permanence par la forme du film - franchement on a parfois l'impression que la guerre du Vietnam pour Coppola c'est Woodstock 1969)...

Juste histoire de la ramener moi aussi sur ce film.
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sokol
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yhi a écrit :
lun. 12 avr. 2021 19:13
Au contraire, il retourne la musique contre eux en leur renvoyant et en proclamant lui même metteur en scène "regardez les cette bande de fascistes". Enfin, ça me semble évident...
Donc tu veux dire que tout est deuxième dégrée, c’est ça ?
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Mr-Orange a écrit :
lun. 12 avr. 2021 22:17


Je ne pense pas comme Sokol qu'il y a une glorification de l'armée américaine dans cette scène. Toutefois, on peut quand même y voir un problème de morale : le passage du diégétique à l'extra-diégétique semble quand même vouloir dire "bordel un assaut aérien visant des civils sur du Wagner, c'est dégueulasse, mais ça a de la gueule !". Au fond Coppola s'en fout de la morale, du politique, il cherche juste à maximiser la force baroque de son film.
J’ai dis la même chose, puisque j’ai écrit : il glorifie sans savoir ce qu’il fait. Ça revient au même sauf que tu l’as dis plus finement : il s’en fout de la morale
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yhi a écrit :
lun. 12 avr. 2021 22:46
Au moins, ça crée chez le spectateur une permanence de l'image (et du son ici) qui l'invite à y réfléchir
Tout le contraire. Car pas tous les spectateurs s’appellent yhi, loin de là.
Et n’oublie pas la force des images : une des raisons principales de la capitulation de la France en 1940 était justement la puissance des images de la propagande de l’armée allemande.
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Kahled a écrit :
lun. 12 avr. 2021 22:59
histoire de la ramener moi aussi sur ce film
Tu ne la ramène pas du tout, tu as raison sur toute la ligne
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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yhi
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C'est plus une question de forme que de second degré.

Appuyer un acte immoral par une forme renforcée, ça me semble pas immoral en soi tant que le contexte est bien posé (et là, dans Apocalypse now, ça me semble évident qu'on n'est pas sur de la glorification - @Kahled, on n'a pas du voir le même film).

Ok, quand c'est machin chouette qui reprend les hélicos militaires sur soleil couchant pour mettre dans une connerie du genre Kong : Skull island, là c'est différent, parce que le mec sort le plan de son contexte pour n'en garder que le côté "cool" ou "épate" donc c'est sûr que ça n'a plus le même sens.

Mais si tu dégages l'ensemble des cinéastes qui ont utilisé le genre de procédé que tu décris pour le Coppola, il me semble que tu jettes quand même pas mal de monde aux oubliettes.
Tiens : un réalisateur qui glorifie autant l'armée américaine que Coppola : https://www.youtube.com/watch?v=SMTz9nI ... l=RERLTuna
Tu vas pas me dire que les spectateurs peuvent bien se rendre compte de l'ironie de celui-ci mais devraient tomber dans le panneau pour Apocalypse now ?
Kahled
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yhi a écrit :
mar. 13 avr. 2021 00:11
C'est plus une question de forme que de second degré.

Appuyer un acte immoral par une forme renforcée, ça me semble pas immoral en soi tant que le contexte est bien posé (et là, dans Apocalypse now, ça me semble évident qu'on n'est pas sur de la glorification - @Kahled, on n'a pas du voir le même film).

Ok, quand c'est machin chouette qui reprend les hélicos militaires sur soleil couchant pour mettre dans une connerie du genre Kong : Skull island, là c'est différent, parce que le mec sort le plan de son contexte pour n'en garder que le côté "cool" ou "épate" donc c'est sûr que ça n'a plus le même sens.

Mais si tu dégages l'ensemble des cinéastes qui ont utilisé le genre de procédé que tu décris pour le Coppola, il me semble que tu jettes quand même pas mal de monde aux oubliettes.
Tiens : un réalisateur qui glorifie autant l'armée américaine que Coppola : https://www.youtube.com/watch?v=SMTz9nI ... l=RERLTuna
Tu vas pas me dire que les spectateurs peuvent bien se rendre compte de l'ironie de celui-ci mais devraient tomber dans le panneau pour Apocalypse now ?
Pour ma part, je n'ai pas parlé de glorification mais d'esbrouffe. Pour Coppola, la guerre est comme un spectacle. Et au final, c'est presque pire...
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cyborg
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yhi a écrit :
mar. 13 avr. 2021 00:11
Avec Verhoeven je pense que tu donnes probablement le pire exemple : oui le sous-texte de ses films est globalement illisible pour le "grand public" mais à la différence de Coppola on peut-être sur à 100% qu'il sait ce qu'il fait; comment il le fait et pourquoi il le fait.
Mais en écrivant ça; même sans "savoir lire les images" je pense que Startship Troopers est tellement outrancier qu'il est peut-être, in fine, dans une ironie plus lisible que toute dénonciation que pourrait vouloir formuler Coppola ( je pense que pour beaucoup de gens cette scène des hélicos dans Apocalypse Now est juste très cool et stylé...)
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