Le Centre de Visionnage : Films et débats

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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mar. 11 janv. 2022 10:43
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J'étais à la maison, mais... Angela Schanelec

C'est le syndrome du film biocoop : bien achalandé, bien rangé, mais un peu trop en accord avec le monde tel qu'il est pour être honnête. J'en ai vraiment marre des films où les gens n'arrivent pas à exprimer leurs émotions parce qu'ils vivent dans un pays riche. J'ai juste envie de leur dire : bon, faites au moins un effort. J'en ai marre aussi des films où les acteurs jouent un peu terne - on dirait qu'ils ont peur de jouer faux (comme si c'était vulgaire).
Qu'attends-tu pour aller voir Licorice Pizza ?
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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asketoner
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B-Lyndon a écrit :
mar. 11 janv. 2022 10:57

Qu'attends-tu pour aller voir Licorice Pizza ?
Je vais sans doute y aller mais j'ai tellement haï l'interview du cinéaste dans Libé que ça m'a beaucoup refroidi.

(Et puis j'ai déjà vu Ham on rye il y a deux semaines, j'ai eu ma dose de teen movie.)
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mar. 11 janv. 2022 11:07
B-Lyndon a écrit :
mar. 11 janv. 2022 10:57

Qu'attends-tu pour aller voir Licorice Pizza ?
Je vais sans doute y aller mais j'ai tellement haï l'interview du cinéaste dans Libé que ça m'a beaucoup refroidi.

(Et puis j'ai déjà vu Ham on rye il y a deux semaines, j'ai eu ma dose de teen movie.)
Qu'est-ce qui est haïssable dans cette interview ?
Mais oublie là et fonce voir cette merveille ! :D
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asketoner
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B-Lyndon a écrit :
mar. 11 janv. 2022 11:32

Qu'est-ce qui est haïssable dans cette interview ?
Ben c'est tout ce que je reproche au cinéma américain, ici exposé sans scrupule : une certaine façon de se barricader dans sa propre culture, sans jamais aller voir ailleurs, sans un microgramme de curiosité pour le monde. Alors je me suis dit, ben oui, quand on ne veut plus sortir à ce point, on fait un film sur des ados dans les années 70. Et ça ne m'a pas du tout donné envie d'y aller. :D
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
mar. 11 janv. 2022 12:22
B-Lyndon a écrit :
mar. 11 janv. 2022 11:32

Qu'est-ce qui est haïssable dans cette interview ?
Ben c'est tout ce que je reproche au cinéma américain, ici exposé sans scrupule : une certaine façon de se barricader dans sa propre culture, sans jamais aller voir ailleurs, sans un microgramme de curiosité pour le monde. Alors je me suis dit, ben oui, quand on ne veut plus sortir à ce point, on fait un film sur des ados dans les années 70. Et ça ne m'a pas du tout donné envie d'y aller. :D
Je comprends. Mais bon c'est un argument qui ne tient pas par rapport à l'appréciation d'un film. Pedro Costa lui aussi il se barricade depuis 20 ans, si tu vas par là.
Ce qui compte c'est quand même le désir et l'amour de filmer non ? La politique c'est l'amour dirait Pedro Costa.
D'ailleurs PTA filme des gens qu'il aime et ça se voit. Ca pourrait suffire d'ailleurs.
Mais c'est en plus loin d'être un film barricadé, au contraire il est très libre, et traversé par beaucoup de choses (je ne veux pas en dire trop)
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len'
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Drunk de Thomas Vinterberg

Comme un lendemain de cuite... sans cuite.
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groil_groil
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Effectivement, le fait d'avoir fait l'horrible "Les Amants Passagers" aura sans doute permis à Almodovar de toucher le fond et surtout de s'en rendre compte, et de se ressaisir. Julieta est un beau film, dans les deux sens du terme. Beau plastiquement déjà, au niveau du décor et de l'image il est l'un des plus soignés de sa filmographie. Beau par ce qu'il raconte et la façon dont il le raconte ensuite. On sent qu'il est entré dans une nouvelle phase de son oeuvre, plus mûre, moins axée sur la provocation à tout prix. Il entame ici le crépuscule de son cinéma, et je suis persuadé que des films magnifiques sont à venir dans cette période. Seul souci, majeur, de Julieta, ses nombreuses incohérences. Il y a les incohérences plastiques innombrables, la déco, les vêtements, qui sont le top de la tendance des années 2010, très marqués temporellement, et qui sont censés illustrer des scènes des 70's ou des 80's, ça passe moyennement mais on lui pardonne parce que c'est joli. Et les incohérences scénaristiques qui sont nombreuses ici, trop de hasard, de raccourcis, de choses qu'il fait volontairement "pour ne pas s'emmerder", oui, le spectateur est censé y croire, mais pas toujours, et ça empêche ce beau film d'être encore plus que ça, mais c'est déjà un beau début de retour en grâce.

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J'avais peur de l'exercice de style chiant mais en fait c'est pas mal du tout. En 30 minutes à peine, Almodovar rejoue le texte de Cocteau mais ne se contente pas de faire un truc théâtral. Pourtant il n'y a qu'une actrice, géniale Tilda Swinton (je le précise car j'en ai marre du bashing permanent la concernant alors que c'est une immense comédienne), et un lieu clos, mais il fait tout pour faire du cinéma. L'histoire de cette femme attendant en vain le retour de l'homme qui l'a quittée est en effet aérée par une séquence d'ouverture en extérieure (dans un magasin de bricolage où elle achète la hache) et surtout c'est la mise en scène de l'appartement qui est géniale. C'est un appartement entièrement reconstitué dans un hangar (un studio ?) et très vite Almodovar nous dévoile l'envers du décor en nous révélant que c'est un décor factice. ça donne au film une énergie et une abstraction qui sont purement des effets de mise en scène, qui peuvent parfois rappeler, même si ce n'est pas la même chose, ce que Von Trier a pu faire sur Dogville ou Manderlay.

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L'impression ressentie lors de sa sortie en salle se confirme au revisionnage : c'est bien l'un des plus beaux et des plus grands films d'Almodovar. C'est aussi son film le plus sombre, le plus mélancolique, le plus triste, et aussi sans doute le plus sobre. L'âge fait du bien au cinéaste, la provocation s'efface et reste ce qu'il y a de plus beau chez lui : la noirceur, la tristesse, la solitude, le constat d'une vie passée, des échecs, des regrets. C'est bouleversant à en pleurer. C'est de loin le film le plus personnel du cinéaste, il a fort à parier que tout ce qu'il met dedans est un portrait en creux de ce qu'il est profondément, et le voir se livrer ainsi, avec autant d'honnêteté, est tout simplement bouleversant.
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groil_groil
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Jusqu'à il y a peu, j'ignorais que l'écrivain Norman Mailer avait aussi réalisé 4 films, et je découvre donc ce néo-noir fin 80's, inspiré d'un de ses livres, qui est un objet aussi intéressant que foutraque. Il a toute l'exubérance des 80's, un peu comme un polar de Dennis Hopper, et il est assez mal branlé dans sa narration : on sent qu'il ne savait pas trop comment condenser un livre en un film, alors il enlève des pans entiers, ce qui fait que des bouts te manquent pour comprendre, et puis finalement tu finis par tout remettre en place. Ca pourrait être grotesque mais ça ne l'est pas parce que ça transpire l'exubération totale de l'époque, le film est produit par Coppola, ça pue la coke à chaque plan, ça met en scène deux stars mondiales, Ryan O'Neal et Isabella Rossellini, dans un polar cru, vulgaire, vaguement introspectif et assez noir, que c'est cette originalité là qui séduit en premier lieu.
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asketoner
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merci pour tous ces textes sur Almodo ! :love2:


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Mes Frères et moi, Yohan Manca

La justesse du ton est flagrante, le récit déjouant la plupart des pièges du scénario à la Billy Elliott. Pour ce qui est de la mise en scène, c'est très ambitieux dès le premier plan, sans être énorme. Il y a une attention au cadre, à la lumière et à la durée des scènes qui est évidente (c'est surtout ce rapport à la durée qui m'a impressionné, toujours juste, pas systématiquement long ni systématiquement court : toujours sensible en somme). Il y a aussi beaucoup de rigueur dans cette façon de faire du cinéma - même l'usage de la musique est très correct. Et les acteurs sont parfaits, dirigés pour qu'ils soient à la fois violents, entravés, perdus d'avance, et beaux quand même, luttant chacun à sa façon pour ne pas perdre toute dignité. Seul bémol : la voix off à la Amélie Poulain, qui survient à 3 reprises, et qui est parfaitement inutile. Autrement, c'est un beau film plein d'espoir et pas plein de mensonges, qui porte en lui une vérité, celle du vivant - et une autre : celle de la mort.
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groil_groil
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Un magnifique et érudit exercice de style, dans lequel on sent l'amour du genre chez le cinéaste, ainsi que sa cinéphilie certaine (du giallo jusqu'à L'Enfer de Clouzot, la palette est large). L'ensemble est ravissant, déroule sous tes yeux comme une bande de velours ensanglantée, mais le film, malgré ses nombreuses qualités et son charme certain, peine tout de même à dépasser son envie de bien faire. Ce n'est pas très grave, car le plaisir est omniprésent.
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Little Palestine, journal d'un siège, Abdallah Al Khatib

Le témoignage est terrible, poignant.
Le cinéaste filme les habitants de Yarmouk, un quartier de Damas où vivent de nombreux réfugiés palestiniens, soumis à l'isolement et à la faim par le régime syrien.
Deux scènes sidèrent : celle où les habitants décident ensemble de franchir le mur (puis doivent rebrousser chemin), et celle de la petite fille qui ramasse les mauvaises herbes dans un terrain vague tandis que les tirs éclatent autour d'elle.
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B-Lyndon
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Personne ne va voir Vitalina Varela ? :D
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asketoner
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B-Lyndon a écrit :
ven. 14 janv. 2022 15:43
Personne ne va voir Vitalina Varela ? :D
eh oh la police de la cinéphilie ! :D

j'irai dans quelques jours ;)
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Narval
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B-Lyndon a écrit :
ven. 14 janv. 2022 15:43
Personne ne va voir Vitalina Varela ? :D
J'irai le revoir sur grand écran en y emmenant un max de monde ça c'est certain ! :love:
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Narval
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Licorice Pizza - Paul Thomas Anderson
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Il faut être encore plus exigeant avec les auteurs qu'on aime alors je vais râler. Navré, mais ça n'a pas marché sur moi. Au bout d'1h environ je me suis rendu compte que je n'étais attaché à rien, que le film me passait devant - qu'il était plaisant et bien exécuté certes -,mais qu'il me passait devant. Et plus ça avançait, plus j'avais la désagréable sensation d'être piégé dans un film sans structure, où de grandes gueule du cinéma venaient apparaître 5 minutes à l'écran pour incarner des personnages secondaires haut en couleur qu'on ne reverrait pas ensuite, histoire de faire une apparition dans un rôle de pure performance (cf Once upon a time in Hollywood, j'ai eu le même problème). Tout est là pour faire le show autour du couple central qui s'en trouve lésé. Et comme il n'y a plus la mise en scène habituellement si fine et marquante, cette recherche des cadrages, de jeux sur les échelles qui caractérise le cinéma de PTA, comme il n'y a plus vraiment de cinéma car il s'efface totalement au profil de ses acteurs, moi je ne suis plus du tout ému ni retenu par ce qui se passe à l'écran. Même la musique originale composée par Greenwood est totalement sous-utilisée et oubliable. Où sont passées les flutes, les percussions magiques et envoûtantes de The Master ? Où sont les violons superbes de Phantom Thread ? A la place on a droit à un vieux juke box des années 70 complètement usité (y'a ce passage avec Life On Mars, déjà entendu ça dans plein d'autres films notamment chez Wes Anderson en mieux, à un moment ça suffit). Et le plus grave : où est la sensualité incroyable de Inherent Vice (qui contient une des scènes les plus érotiques de ces dernières années), sur un film sensé capter le désir fuyant et revenant d'un couple, c'est dingue à quelle point je trouve qu'ils n'ont pas d'alchimie.

Je peux concevoir pour un sujet pareil qu'on puisse mettre en arrière la mise en scène, pour être au plus près des personnages, mais pour moi ce couple c'est du déjà vu et ça ne m'intéresse pas. Je ne suis pas fan de leurs petits jeux de séduction où ils passent leur temps à se jauger, à tester leur jalousie, ni du jeu d'acteur qui accompagne tout ça. Ils sont tous dans l'affichage, dans les mimiques, dans l'apparence et les surréactions (mais ça c'est un soucis que j'ai avec le cinéma américain en général). L'argument sensé rendre leur relation un peu "unique", c'est la différence d'âge de 10 ans qui nous ait rappelée plusieurs fois, mais ça n'a aucun impact. Premièrement car le gars ne fait pas 15 ans mentalement et ne vit pas comme un gamin de 15 ans, et ce n'est pas elle qui l'influence au fur et à mesure du film, il est déjà comme ça dès le début, avec son assurance un brin naïve un brin arrogante. En fait c'est plutôt elle qui a un caractère d'ado, à lâcher des insultes pour tenter de se faire une place parmi les autres. Leur jeu du chat et de la souris ne fonctionne pas, il est forcé, trop écrit, les scènes de retrouvailles où ils courent dans tous les sens pour se réunir à cause de rendez-vous manqués sont clichées (et cela arrive plusieurs fois), leur évolution n'est pas cohérente pour moi. Ils flirtent de temps à autres à droite ou à gauche (elle c'est tout le temps), mais le récit ne permet jamais à ces rencontres d'avoir de l'impact, de laisser des questionnements, des traces. Au fond leurs errements sont des justifications à d'avantage de scène avec des grands acteurs en seconds rôles.
La fin du film est révélatrice : ça pourrait se finir à n'importe quel autre moment mais pourquoi pas là. Ok, balancez la musique émouvante, faites les courir l'un vers l'autre (encore) et faites-les s'embrasser pour la 1ère fois, ça sera notre fin. En plus ce baiser est raté. Remboursé quoi ! Tout ça pour ça !
J'aime tout de même ces scènes où ça ne parle pas et où il y a enfin un peu d'ambiguïté (le coup de téléphone muet), leur repos sur le matelas à eau.
Bref c'est pas désagréable mais c'est totalement inoffensif. Premier PTA qui me passe un peu par dessus.
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
ven. 14 janv. 2022 16:35
B-Lyndon a écrit :
ven. 14 janv. 2022 15:43
Personne ne va voir Vitalina Varela ? :D
eh oh la police de la cinéphilie ! :D

j'irai dans quelques jours ;)
:lol: :lol: :lol:

Je me demandais qui allait me fermer mon clapet à juste titre :D
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cyborg
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Œuvre la plus connue de Van Der Keuken, Amsterdam Global Village est un long documentaire de plus de 4h tentant de dresser le portrait de la capitale des pays-bas. Pour ce faire le réalisateur suit une série d'habitants (essentiellement des hommes soit dit en passant...) de façon plus ou moins approfondies (allant de quelques instants avec un SDF jusqu'à un long détour par le Pérou pour suivre un immigrant rendant visite à sa famille).
Le plus surprenant étant que d'une part on a finalement plus l'impression de se retrouver face au portrait d'une époque (les années 90) que d'une ville, et d'autre part qu'avec 25 ans de décalage, l'ensemble des portraits dépeints qui étaient peut-être alors encore cantonnés aux grandes capitales européennes pourrait sans doute maintenant se dupliquer sur n'importe quelle ville de province. Comme son titre l'indique il s'agit donc bien d'un film du début de la "globalisation" concrète de notre planète.

L'ambition de Van Der Keuken est bien entendu démesurée (le film se clôt sur la citation de Bert Schierbeek "'J'ai toujours pensé que la vie, c'est 777 histoires à la fois") ce qui est tout autant une force qu'une faiblesse (pourquoi cette personne en particulier plutôt qu'une autre ? Par exemple que viennent vraiment rajouter les 15 minutes avec le boxeur dont on ne sait absolument rien vers la fin du film ?). Entre ces différents personnages, VDK se permet quelques décrochages sur la ville et les flux d'énergie qu'elle contient, semblant renouer avec les portraits de ville typique du cinéma muet des années 20, et n'hésitant pas à se revendiquer chef d'orchestre (VDK va même filmer quelques minutes de répétition d'un orchestre à la fin du film).

J'ai au final la même impression que pour d'autres documentaires fleuves (je songe à Wiseman bien entendu, même si le style est très différent) dont je peine à percevoir les motivations et envies profondes de l'auteur.


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Ni génial ni mauvais, le West Side Story de Spielberg est essentiellement à mes yeux un divertissement de qualité sachant s'adapter aux évolutions de son époque.

Mais si le film peut m’intéresser c'est pour son rapport au cinéma lui-même et la façon dont il est possible de faire du cinéma de nos jours depuis la première version d'il y a près de 60 ans.
Si le film de Wise tient davantage d'un rapport classique à la danse avec une représentation des corps sur un espace scénique et chorégraphique très concret, le film de Spielberg est dans une forme de déréalisation totale de ses images et par la même occasion de sa vision de l'espace, de la durée, des corps (les visages sont tous plus fous les uns que les autres, presque cartoonesques)... Et les flares quasi-permanent à l'écran sont bien là pour nous rappeler l'illusion cinématographique à laquelle nous assistons, et appuyer le statut d'image de ce que nous regardons. Spielberg se fait ainsi plaisir comme un fou, ses images chatoient en permanence et s'articulent autour d'incroyables plans-séquences d'une complexité sidérante. Ici la chorégraphie ne tient presque plus tant des corps filmés (j'exagère, évidemment) que de la caméra elle-même. Sidérant basculement entre l'importance de ceux qui sont filmés et de ce (la caméra et sa manipulation, donc) qui les filme.


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Pourtant friand du cinéma iranien je n'avais encore jamais trouvé la motivation de regarder les films de Farhadi. Cette découverte confirme ce que je craignais, un cinéma très écrit, imposant des cas de conscience moraux toujours plus allambiqués aux spectateurs tout en étant porté par une mise en scène sans éclat, presque médiocre. Peu de chance que je me rue sur ses autres films.

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Light Sleeper semble être l'heureuse rencontre entre deux œuvres précédentes de Schraeder : Taxi Driver (scénario) et American Gigolo (réalisation).
Willem Dafoe, dont la face osseuse n'a jamais aussi bien convenu à un rôle, endosse le job d'un dealer traversant une profonde remise en question tant morale (il essaie de sauver ses clients) que professionnelle (sa fournisseuse veut stopper son business). Dans un New-York tout en psychogéographie, Schraeder réalise un film incroyablement spectrale, hanté par la mort dont les jours débordent autant de doutes que les nuits. Sa mise en scène est d'une finesse et d'une précision épatante, toujours attentive à l'espace autour mais aussi entres les corps. Belle découverte.
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yhi
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Les autres Farhadi sont encore pire en terme de ce que décris. 😁
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groil_groil
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Les rétrospectives de cinéastes c'est génial, mais le faire sur des acteurs, c'est très bien aussi. ça permet de comprendre plein de choses d'un comédien, surtout si on adopte la Politique des Acteurs, merveilleuse théorie élaborée par Luc Moullet. J'ai donc envie en ce moment de voir ou revoir plein de films avec Sigourney Weaver, sublimissime actrice, parmi mes préférées ever. Je ne vais pas tout revoir, ni revoir les films que je connais par coeur (quoi que je vais sans doute me refaire les 3 derniers Alien), mais piocher parmi ses films moins connus, voire oubliés (et de préférence parmi ses premières années). Je commence par ce Escort Girl réalisé par Bob Swaim (La Balance) et ce n'est pas une réussite (on est loin du magnifique Working Girl...). Pourtant, c'est peu dire que Sigourney est sublime, que la voir jouer avec Michael Caine fonctionne à merveille, que c'est un bonheur de retrouver ce New York 80's qu'on aime tant voir au cinéma, visuellement, c'est parfait. Mais le film est faible, et surtout un peu limite dans son sujet et le traitement d'icelui. Puisqu'on nous montre une brillante universitaire, elle est docteur, qui ne parvient pas à vivre de son travail, et qui décide donc d'être escort girl, de vendre son corps au plus offrant, afin de bien gagner sa vie. On imagine donc que le personnage va vivre une descente aux enfers, que le réalisateur va décrire les travers de ce métier sordide, émettre un jugement moral, mais non rien de tout cela, au final, elle va rencontrer l'amour avec un de ses clients ! ah ben top alors !

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Guédiguian change de décor pour aller poser sa caméra au Mali, en 1962, mais son discours et son propos restent les mêmes. Il porte à la fois la voix du socialisme et celle du désenchantement que la croyance en celui-ci entraine. Son film est beau pour plein de raisons, mais notamment parce qu'il n'est pas manichéen et tente de se mettre à hauteur de chacun des points de vue. On se réjouit de la fin du colonialisme, on croit à l'arrivée du socialisme, on se désole en constatant les abus avec lesquels celui-ci est appliqué, et on regrette parfois la présence française malgré tout. On voit bien que Guédiguian n'est pas dupe, et qu'il n'y a pas de solution pour soigner un pays qui a été coloniser, que la seule solution aurait été que le pays ne soit jamais colonisé, mais ce constat, comme souvent chez Guédiguian, se fait a posteriori, et qu'on n'y peut rien changer. La fin du film est très belle, lorsque notre héroïne, devenue vieille femme, ôte son foulard et se met à danser devant des Djihadistes, laisser espérer qu'un avenir radieux est possible, même si les conséquences pour y parvenir peuvent être tragiques.

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Comme souvent Soderbergh n'essaie même pas de faire un film, mais se contente de traiter d'un sujet, pour vite passer au suivant, sans s'y intéresser autrement que par le cynisme. Ici, on est censé revenir sur les Panama Papers, mais plutôt que de traiter le sujet intelligemment (comme il a prouvé qu'il savait le faire autrefois, avec Erin Brokovich ou Contagion), il préfère s'attarder sur un cas particulier, et remonter le fil d'un exemple avec pas mal de bouffonnerie à tel point qu'on voit sans fard que faire ce film ne l'intéresse pas.

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Le troisième et sans doute le moins intéressant des trois (désolé Tamponn), alors que les deux autres ne m'intéressent pas du tout non plus. Là, c'est aussi chiant qu'un épisode de Battlestar Gallactica, on est quasiment toujours sur Sion, et c'est de la bagarre contre des robots volants avec des effets spéciaux tout moche. Tous ces efforts pour voir le 4, qui est sans doute aussi nul...

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Revu avec les enfants. Clairement pas mon Anderson préféré, mais c'est plus mignon à voir avec des mômes.

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Premier Tsai Ming-Liang, et je ne l'avais jamais vu, et je me suis pris une grosse calotte tellement c'est magnifique, hallucinant de maitrise et de lâcher-prise (c'est dire la confiance en soi) pour un premier film, tellement beau et tellement bien narré, tout ce que j'aime dans le cinéma d'auteur et dans le cinéma asiatique sont ici réunis.

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Deuxième film de Tsai Ming-Liang, et là aussi très beau, même si je préfère le premier. Celui-ci, narrant la solitude de trois personnages qui se retrouvent par hasard à squatter dans un appartement non occupé, est superbe de maitrise, mais je le trouve déjà un peu froid, abstrait, par rapport au précédent plus charnel. En tout cas avec celui-ci, le style s'affirme et on voit très bien l'oeuvre en dévenir.

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C'est rare de tomber sur une curiosité pareille. C'est un film de Daniel Vigne, qui sort tout juste du merveilleux "Retour de Martin Guerre", avec deux immenses superstars, le Gégé Depardieu alors au firmament, et la magnifique Sigourney Weaver, juste avant qu'elle ne tourne Aliens avec Cameron, et sans doute au moment où elle est la plus sublime... Avec un sujet qui parle d'anthropologie, puisque notre Gégé est en train de déterrer un squelette de Lara, la première femme française, squelette vieux de plus de 2 millions d'années, et qu'il a besoin d'une mécène pour financer ces recherches. Lorsque celle-ci arrive à l'aéroport, il y a erreur sur la personne (on voit un rabbin qui attend à côté de lui pour citer Rabbi Jacob et on comprend ainsi l'usurpation d'identité en amont, lol), et la belle Sigourney en fuite d'un homme qui lui veut du mal, se fait passer pour elle. S'en suit une heure et demie de quiproquos, de portes qui claquent (et qui grincent) et de romance à l'eau de rose, dans un film qui évoque parfois du pur Max Pécas 80's tant son amateurisme et sa futilité son grande. Mais que diable sont-ils allés foutre dans cette galère, alors qu'ils sont tous les deux les rois du pétrole à ce moment-là ? J'avoue que je n'ai pas la réponse à cette question, mais j'avoue aussi avoir tout de même pris du plaisir face à ce nanar naphtaliné, uniquement grâce aux acteurs, au fait de les voir jouer ensemble, et de voir Sigourney dans son seul rôle en Français. Palme d'Or du weird digging haut la main !
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C'est magnifique Les Rebelles du Dieu Néon !


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Vitalina Varela, Pedro Costa

Joaquim est mort au Portugal, avant d'avoir vu le fruit de son amour, cette maison du Cap Vert que sa femme a fini de bâtir sans lui, au milieu des montagnes rouges. Vitalina arrive à Fontainhas après l'enterrement, et dès son arrivée, on lui dit qu'il n'y a rien pour elle ici. Et c'est vrai : personne n'est là pour l'accueillir, pas même la cahute où vivait Joaquim, où les portes sont trop basses, où la pluie fait un vacarme épouvantable sur le toit de tôle, où le plafond s'écroule tandis qu'elle prend une douche. Vitalina se cogne aux portes - tel est le réel de cet amour déchu : Joaquim n'avait pas prévu qu'elle le rejoindrait un jour. Elle doute d'avoir été aimée, puis peu à peu comprend : ce n'est pas Joaquim qui ne la reçoit pas, mais le Portugal tout entier. Ce pays ne veut pas d'elle, comme il n'a pas voulu que Joaquim vive librement, dignement, et continue de porter cet amour qu'il éprouvait pour sa femme.
Le paradoxe sur lequel le film tient en équilibre est le suivant : comment le cinéma pourrait-il accueillir ceux qui ne l'ont jamais été ? Pedro Costa répond : par la lumière, le cadre, le temps et la parole. Cerné par le béton presque doré d'une porte trop basse, le visage de Vitalina apparaît et dit que l'amour compte plus que tout. Elle le dit dans un murmure, comme un tableau - on n'est pas sûr qu'elle ait ouvert la bouche. Elle le dit alors même que l'homme qu'elle a aimé vient de mourir en laissant derrière lui quelques preuves de ses trahisons. Costa laisse place à cette parole, ce visage inoubliable, ce corps mal adapté, ces yeux brillants, cette douleur folle, cette foi malgré tout, cette histoire, ces quelques mots. Le film est à la fois sombre et coloré. Si les scènes sont moins denses qu'à l'accoutumée (le récit semble un peu délité), chaque plan rend le spectateur curieux. Majoritairement obscur, des taches de couleur surgissent, très vives, presque électriques. C'est un cauchemar troué par des intensités. Et peu à peu les personnages sortent de la nuit, et vont parmi les chiffres d'un cimetière, sous un ciel bleu. Pedro Costa met en scène la levée du jour - levée d'un corps aussi, auquel on attribue enfin une tombe, et auquel Ventura aux mains tremblantes offre une étrange cérémonie. Puis les amis s'élèvent sur le toit de la cahute pour le réparer. On pense alors à la phrase de Tchekhov dans Platonov : "il faut enterrer les morts et réparer les vivants". C'est toute l'ambition de ce beau film.
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B-Lyndon
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asketoner a écrit :
lun. 17 janv. 2022 12:04
C'est magnifique Les Rebelles du Dieu Néon !


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Vitalina Varela, Pedro Costa

Joaquim est mort au Portugal, avant d'avoir vu le fruit de son amour, cette maison du Cap Vert que sa femme a fini de bâtir sans lui, au milieu des montagnes rouges. Vitalina arrive à Fontainhas après l'enterrement, et dès son arrivée, on lui dit qu'il n'y a rien pour elle ici. Et c'est vrai : personne n'est là pour l'accueillir, pas même la cahute où vivait Joaquim, où les portes sont trop basses, où la pluie fait un vacarme épouvantable sur le toit de tôle, où le plafond s'écroule tandis qu'elle prend une douche. Vitalina se cogne aux portes - tel est le réel de cet amour déchu : Joaquim n'avait pas prévu qu'elle le rejoindrait un jour. Elle doute d'avoir été aimée, puis peu à peu comprend : ce n'est pas Joaquim qui ne la reçoit pas, mais le Portugal tout entier. Ce pays ne veut pas d'elle, comme il n'a pas voulu que Joaquim vive librement, dignement, et continue de porter cet amour qu'il éprouvait pour sa femme.
Le paradoxe sur lequel le film tient en équilibre est le suivant : comment le cinéma pourrait-il accueillir ceux qui ne l'ont jamais été ? Pedro Costa répond : par la lumière, le cadre, le temps et la parole. Cerné par le béton presque doré d'une porte trop basse, le visage de Vitalina apparaît et dit que l'amour compte plus que tout. Elle le dit dans un murmure, comme un tableau - on n'est pas sûr qu'elle ait ouvert la bouche. Elle le dit alors même que l'homme qu'elle a aimé vient de mourir en laissant derrière lui quelques preuves de ses trahisons. Costa laisse place à cette parole, ce visage inoubliable, ce corps mal adapté, ces yeux brillants, cette douleur folle, cette foi malgré tout, cette histoire, ces quelques mots. Le film est à la fois sombre et coloré. Si les scènes sont moins denses qu'à l'accoutumée (le récit semble un peu délité), chaque plan rend le spectateur curieux. Majoritairement obscur, des taches de couleur surgissent, très vives, presque électriques. C'est un cauchemar troué par des intensités. Et peu à peu les personnages sortent de la nuit, et vont parmi les chiffres d'un cimetière, sous un ciel bleu. Pedro Costa met en scène la levée du jour - levée d'un corps aussi, auquel on attribue enfin une tombe, et auquel Ventura aux mains tremblantes offre une étrange cérémonie. Puis les amis s'élèvent sur le toit de la cahute pour le réparer. On pense alors à la phrase de Tchekhov dans Platonov : "il faut enterrer les morts et réparer les vivants". C'est toute l'ambition de ce beau film.
:love2: :love2: :love2:

(Je ne crois pas que les scènes soient moins denses qu'à l'accoutumée - le regard s'est resserré, il est moins éparpillé que dans les films précédents. Mais l'attention portée au visage de Vitalina qui emplit le cadre semble d'une intensité nouvelle et singulière dans son cinéma)
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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Narval
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:jap: Oui, les couleurs dans le film sont criantes, vives et belles, cela m'a beaucoup rappelé les tableaux du Caravage, dans la façon dont elles jaillissent en clair-obscur. Les deux incursions au cimetière et au Cap Vert sont un tel contraste avec le reste que ça me reste encore en mémoire.
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B-Lyndon
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Narval a écrit :
lun. 17 janv. 2022 15:30
:jap: Oui, les couleurs dans le film sont criantes, vives et belles, cela m'a beaucoup rappelé les tableaux du Caravage, dans la façon dont elles jaillissent en clair-obscur. Les deux incursions au cimetière et au Cap Vert sont un tel contraste avec le reste que ça me reste encore en mémoire.
C'est un truc de fou les séquences dans le cimetière
Sans déconner c'est tellement au dessus de tout ce qu'on voit en ce moment...
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Mr-Orange
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Vous donnez vraiment envie avec le Costa. J'espère qu'il sera encore dans les salles parisiennes quand je retournerai à la capitale, car il n'est pas programmé dans ma ville actuelle.
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sokol
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groil_groil a écrit :
lun. 17 janv. 2022 11:23

Premier Tsai Ming-Liang, et je ne l'avais jamais vu, et je me suis pris une grosse calotte tellement c'est magnifique, hallucinant de maitrise et de lâcher-prise (c'est dire la confiance en soi) pour un premier film, tellement beau et tellement bien narré, tout ce que j'aime dans le cinéma d'auteur et dans le cinéma asiatique sont ici réunis.
Oui, parce que c'est un premier film d'un cinéaste que perso, je considère comme un des 4-5 plus grands du cinéma de ces 30 dernières années (ce n'est pas peu !) donc, assez souvent, ils disent "tout" dès le premier coup.
N’empêche, "Vive l'Amour" je le considère comme un sommet, un peu comme avec Antonioni : dans "Le cris", même si ce n'est pas son tout premier (mais l'époque était différente, le poids du cinéma classique était encore énormissime) il y a tout-Antonioni. Mais "L'Avventura" est évidement un sommet.
Mais peut être, comme ton approche est différent du mien (ce n'est que tardivement que j'ai découvert le tout premier long de Tsai, tout en ayant vu et revu tous ses autres films donc, comme tu es en train de voir ses premiers films par ordre chronologique, il se peut que tu es un peu plus proche de la vérité. Cela dit, comme on dit dans ma langue maternelle, il faut peut-etre qu'on arrête aussi de "chercher les poils sur les œufs", :D
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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groil_groil
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sokol a écrit :
mar. 18 janv. 2022 09:41
groil_groil a écrit :
lun. 17 janv. 2022 11:23

Premier Tsai Ming-Liang, et je ne l'avais jamais vu, et je me suis pris une grosse calotte tellement c'est magnifique, hallucinant de maitrise et de lâcher-prise (c'est dire la confiance en soi) pour un premier film, tellement beau et tellement bien narré, tout ce que j'aime dans le cinéma d'auteur et dans le cinéma asiatique sont ici réunis.
Oui, parce que c'est un premier film d'un cinéaste que perso, je considère comme un des 4-5 plus grands du cinéma de ces 30 dernières années (ce n'est pas peu !) donc, assez souvent, ils disent "tout" dès le premier coup.
N’empêche, "Vive l'Amour" je le considère comme un sommet, un peu comme avec Antonioni : dans "Le cris", même si ce n'est pas son tout premier (mais l'époque était différente, le poids du cinéma classique était encore énormissime) il y a tout-Antonioni. Mais "L'Avventura" est évidement un sommet.
Mais peut être, comme ton approche est différent du mien (ce n'est que tardivement que j'ai découvert le tout premier long de Tsai, tout en ayant vu et revu tous ses autres films donc, comme tu es en train de voir ses premiers films par ordre chronologique, il se peut que tu es un peu plus proche de la vérité. Cela dit, comme on dit dans ma langue maternelle, il faut peut-etre qu'on arrête aussi de "chercher les poils sur les œufs", :D
;)
yes, surtout que pour moi, la vérité est tout simplement dans l'oeil de celui qui regarde.
Il y en a donc plusieurs.
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sokol
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groil_groil a écrit :
mar. 18 janv. 2022 10:01

yes, surtout que pour moi, la vérité est tout simplement dans l’œil de celui qui regarde.
Tout à fait, et c'est pour cela que, la vérité, je l'avais mis en italique :
sokol a écrit :
mar. 18 janv. 2022 09:41
il se peut que tu es un peu plus proche de la vérité
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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sokol
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groil_groil a écrit :
mar. 18 janv. 2022 10:01
Il y en a donc plusieurs.
Cela dit, en bon Badiouien, puisque "la vérité est une construction, un processus singulier, une création, une œuvre et non pas une interprétation ou un jugement", je pense que au final, il n'y a qu'une vérité. Autrement dit, ton point de vue et le mien ne font, au final, qu'un.

(je sais, je suis chiant quand je m'y mets :D mais on vient ici avant tout pour cela, non ? - pour découvrir la vérité).

:love2:
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sokol a écrit :
mar. 18 janv. 2022 10:31
groil_groil a écrit :
mar. 18 janv. 2022 10:01
Il y en a donc plusieurs.
Cela dit, en bon Badiouien, puisque "la vérité est une construction, un processus singulier, une création, une œuvre et non pas une interprétation ou un jugement", je pense que au final, il n'y a qu'une vérité. Autrement dit, ton point de vue et le mien ne font, au final, qu'un.

(je sais, je suis chiant quand je m'y mets :D mais on vient ici avant tout pour cela, non ? - pour découvrir la vérité).

:love2:
on est d'accord ;)
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groil_groil
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Fin 18ème, un excellent cuisinier est renvoyé par le Duc chez qui il travaille pour insolence, et en s'installant dans un relais va sans le savoir créer le premier restaurant. Délicieux est un archétype d'un cinéma bien pépère et conventionnel, mais il faut noter qu'il est particulièrement réussi et que, dans le genre, c'est un bon film. Pour plein de raisons, des acteurs convaincants, un excellent rendu visuel, décors, costumes, etc., et puis quelque chose d'assez rare dans ce genre-là : Eric Besnard est l'auteur de son scénario et réalisateur du film, ce qui signifie qu'il fait le film qu'il désire, et même dans un genre on va dire populaire, ça se sent et ça fait du bien.

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Une bande de pieds nickelés condamnés à des travaux d'intérêts généraux sont initiés à la dégustation de whisky par leur instructeur débonnaire. Ensemble ils décident d'aller voler le whisky le plus rare du monde, dont l'unique tonneau est estimé à plus d'un million de £. Un Loach mineur, parce que l'ensemble est relativement assez peu crédible, mais tout de même très plaisant à suivre.

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Quelques années après la version US avec Jackie, Larrain nous offre le pendant GB avec Spencer, soit trois jours dans la vie de la princesse Diana à un moment où ça ne va pas du tout du tout... On a vraiment l'impression de voir le même film, les mêmes inspirations, les mêmes tics aussi, c'est toujours très beau, très soigné, c'est un biopic qui est un anti-biopic car on ne raconte vraiment rien de la vie de cette femme ni de son entourage, on est juste embarqué dans 3 jours de dépression et de pétage de plomb, mais je ne peux pas m'empêcher de trouver l'exercice un peu vain, un peu répétitif et puis, même si Stewart joue très bien, je suis un peu gêné par la façon qu'à Larrain de présenter ces femmes comme des petits être dépressifs et hystériques...

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Les films en costumes de Loach ne sont souvent pas les plus réussis, mais celui-ci est pas mal, s'attardant sur un Irlandais idéaliste et communiste qui sera banni de son pays pour simplement ouvrir un dancing au début des années 30, car celui-ci déplait aux hautes autorités de l'Eglise, et aux fascistes alors en pleine effervescence. C'est loin d'être son meilleur film, mais c'est du vrai pur Loach.
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Tamponn Destartinn
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Une satyre efficace.
J'ai eu peur au début qu'elle soit à côté de la plaque, too much dans la débilité des responsables devant l'urgence. Car la vérité est que peu d'entre eux aujourd'hui jouent à ce point aux cons devant la crise du climat et, justement, le drame est que cela ne change pas grand chose. Mais le film est plus malin que ça, car cette histoire de comète à détruire en 6 mois est juste une façon d'accélérer la mise en parallèle sur comment on gère la crise climatique depuis des décennies. Le début du film est donc équivalent aux années 80 ou 90. Et le film justifie son existence à notre époque en se situant, je pense, à peu près au moment où la décision d'envoyer des fusées pour détruire la comète se pose dans le monde politique, et où les milliardaires viennent mettre leur grain de sable pour faire des décisions absurdes. Donc, le moment charnière, là où le point de non retour est atteint et qui nous amène à cette fin. Je ne sais pas si le message du film va servir à quelque chose, mais comme le dit le personnage de Jennifer Lawrence : "au moins, on l'a dit".
Voila. A côté, d'un point de vue cinéma, disons que la présence sur Netflix ne m'a pas dérangé pour le coup. Ne pas le voir en salle ne dérange pas, qu'il soit plus vu ainsi, c'est pas plus mal. On est face à un bon téléfilm. Et je dis ça en dehors de tout l'aspect péjoratif que ce mot se trimbale. C'est à dire que, tout bêtement, c'est un film qui est fait pour la télé, pas forcément le cinéma.
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Tamponn Destartinn
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Ah oui, et c'est tellement anecdotique que j'ai oublié avoir vu les Olympiades de Jacques Audiard.
Ben c'est nul, hein. J'ai quasi cru que ça pouvait être pas mal durant 10 min, on va dire, et puis finalement non.
Y a un truc qui m'a fasciné, ce sont les dialogues. C'est à dire que dans certaines scènes, ils sont bien écrit et assez naturaliste, et dans d'autres ils sont pompeux et irréalistes au possible. Du coup, évidemment, on se demande qui est responsable de quoi entre Sciamma et Audiard... Aucune idée.
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Tyra
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Tamponn Destartinn a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 14:02

Y a un truc qui m'a fasciné, ce sont les dialogues. C'est à dire que dans certaines scènes, ils sont bien écrit et assez naturaliste, et dans d'autres ils sont pompeux et irréalistes au possible. Du coup, évidemment, on se demande qui est responsable de quoi entre Sciamma et Audiard... Aucune idée.
Il faut dire que les deux se tirent la bourre dans le domaine de la médiocrité, ils se sont bien trouvés pour ce film.
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Je n'ai pas parlé de West Side Story, mais il faut dire que je suis d'accord avec les mots de Cyborg, notamment cette dernière remarque :
cyborg a écrit :
sam. 15 janv. 2022 16:56

Ici la chorégraphie ne tient presque plus tant des corps filmés (j'exagère, évidemment) que de la caméra elle-même. Sidérant basculement entre l'importance de ceux qui sont filmés et de ce (la caméra et sa manipulation, donc) qui les filme.
Impression d'un film qui s'agite beaucoup (c'est le principe d'une comédie musicale dansée bien sûr), et dont la caméra participerait à cette danse et à cette agitation, mais tout cela en vain, sans créer grand chose qu'une réactualisation d'un grand succès public qui n'était déjà pas un grand film. On loue la technique du film, mais je la trouve écrasante, froide, même lorsqu'il y a de la couleur à l'écran. Si le film a un climax final assez réussi, plus émouvant que dans l'original, il ne m'en reste pas grand chose deux semaines après, j'en ai bien peur.
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groil_groil
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Tamponn Destartinn a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 14:02
Ah oui, et c'est tellement anecdotique que j'ai oublié avoir vu les Olympiades de Jacques Audiard.
Ben c'est nul, hein. J'ai quasi cru que ça pouvait être pas mal durant 10 min, on va dire, et puis finalement non.
Y a un truc qui m'a fasciné, ce sont les dialogues. C'est à dire que dans certaines scènes, ils sont bien écrit et assez naturaliste, et dans d'autres ils sont pompeux et irréalistes au possible. Du coup, évidemment, on se demande qui est responsable de quoi entre Sciamma et Audiard... Aucune idée.
je n'en aime aucun des deux mais à choisir c'est Sciamma la plus nulle, haut la main.
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Tamponn Destartinn
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groil_groil a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 17:39
Tamponn Destartinn a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 14:02
Ah oui, et c'est tellement anecdotique que j'ai oublié avoir vu les Olympiades de Jacques Audiard.
Ben c'est nul, hein. J'ai quasi cru que ça pouvait être pas mal durant 10 min, on va dire, et puis finalement non.
Y a un truc qui m'a fasciné, ce sont les dialogues. C'est à dire que dans certaines scènes, ils sont bien écrit et assez naturaliste, et dans d'autres ils sont pompeux et irréalistes au possible. Du coup, évidemment, on se demande qui est responsable de quoi entre Sciamma et Audiard... Aucune idée.
je n'en aime aucun des deux mais à choisir c'est Sciamma la plus nulle, haut la main.

Je pense le contraire.
Audiard, il pousse les meilleurs à faire de la merde, même malgré lui parfois.
Genre, je sais de source sûr que si y a soudainement mille scènes de cul dans la saison 5 du Bureau des Légendes, ça vient d'Audiard qui a annoncé à Rochant qu'il voulait mettre du cul dans ses deux derniers épisodes parce qu'il trouvait que c'est quelque chose qui manquait dans la série. Et Rochant s'est dit "merde, il doit avoir raison" et a donc ajouté toutes ces scènes dans les 8 premiers épisodes au dernier moment ! Et c'est complétement gratuit et contribue à faire de cette saison 5 la moins bonne de loin.
D'ailleurs, pour rebondir sur cette anecdote, Audiard est donc très chaud lapin en ce moment. Les Olympiades est très cul aussi. Mais ce n'est pas un reproche, pour le coup.
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Mr-Orange
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Revu sur grand écran (pour la première fois).
La scène commence par le plan d’un band, tout en strass et paillettes et cheveux laqués, qui se desserre progressivement, pour révéler dans un mouvement de caméra langoureux tout un univers technique, tout un monde de fabrique cinématographique. Le mouvement prend de la hauteur, s’élève comme pour trouver un peu d’air pur dans cette surenchère de toc et d’artifices, dans lequel un homme, le réalisateur, apparait de dos, absent à ce qui s’y passe. Contre-champ : dans un bain de lumière irréel, apparait une figure bleutée lumineuse, Betty. Aucun son, sinon le tube enchanteur et aérien de Connie Stevens. Le plan suivant, c’est le réalisateur, troublé, qui se retourne pour apercevoir Betty. Leurs yeux se rencontrent. Quel est le connecteur logique entre l’arrivée de Betty et le réalisateur qui se tourne vers elle, au comportement manifestement illogique, alors qu’aucun son ne surgit à l’écran pour indiquer à ce dernier la présence de cette blonde angélique ? Le seul lien qui vient entremêler ces deux regards, c’est le tube, aussi bien intradiégétique qu’extradiégétique, de Connie Stevens : à la fois, pudique, amoureux, joueur, boudeur, en cadence majeure quand les deux êtres prennent connaissance de la présence de l’autre : bref, l’incarnation de la séduction et du ravissement. La séduction irrigue toute cette séquence absolument extraordinaire. La caméra opère alors un mouvement serpentin — magnifique, l’un des plus beaux mouvements de caméra de l’histoire — pour se rapprocher du visage de Betty, tourné vers le réalisateur. Contrechamp : le réalisateur est perturbé. Contrechamp : Betty fait un bref mouvement de lèvre, détourne la tête, d’un air gêné. Quelques temps plus tard : gros plan sur les lèvres d’Adam, le réalisateur, cette zone hyper sensible et sensuelle du corps.
Cette séquence me bouleverse encore et encore, c’est la plus belle rencontre du cinéma. Balzac a encapsulé la rencontre amoureuse en une sentence : « Nos yeux se rencontrèrent ». Et Flaubert lui a emboité le pas : « Ce fut comme une apparition ». Au cinéma, Lynch a trouvé sa propre formule. Cette scène de rencontre est merveilleuse, c’est la quintessence du charme et de l’emballement, de la naissance du désir.
Et pourtant, cette scène ne mène narrativement à rien. Elle est sans conséquence, la relation entre les deux personnages est manquée. Tout semble si vrai dans cette séquence isolée, elle est l’incarnation de la rencontre amoureuse, mais c’est un cul de sac, une illusion.

Mais qu’importe, la scène se suffit à elle-même. Elle est sans conséquence, elle n’est pas rationnelle, mais elle porte en elle une quintessence sensorielle et émotionnelle.
Et Mulholland Drive, en dépit des mille massores qui tentent de rationaliser narrativement et psychanalytiquement le film, ce n’est que ça : une générosité sensorielle à chaque scène, portée par une inspiration artistique, celle de Lynch, absolument inouïe. Par un désir vital de créer et de faire ressentir.

Alors Mulholland Drive, c’est aussi

L’émerveillement absolu —Angelo Badalamenti délivrant des notes féériques de bruit blanc porté par une paix intérieure, Betty arrivant à la cité des anges, le plan se resserrant vers son sourire béat et son mouvement d’épaules connivent avec celui d’Irène, le « Welcome to Los Angeles » en plongée et sa réception par Bettis en contre-plongée, la lumière irradiant la scène.

La terreur — Les hurlements de Diane, les vieux qui surgissent en gros plan dans une agression de lumière, en totale contradiction avec la scène précédemment évoquée.

Le rire ¬— Adam Kesher en cocu, brutalisé par l’amant neurasthénique de sa femme, le light jazz en fond ; le mastodonte mafieux qui se ramène quelques minutes plus tard, avec un son tout aussi funky. La musique légère et fifties/sixties comme assonance connectant ces deux scènes et donnant une cohérence rythmique à l’ensemble, une sorte de mélodie harmonieuse et entêtante qui parcourt tout ce périple cinématographique

Les rimes et la cohésion rythmique — la mélodie mélancolique entêtante lorsque Diane ne peut plus échapper au constat de l’échec de sa relation avec Rita. Je ne sais comment l’expliquer, mais du réveil de Diane à sa masturbation désespérée, en passant par la scène de la voiture entre Adam et son actrice, parfumée de cruauté, tout fonctionne comme un poème, parfaitement ordonné, tout fonctionne rythmiquement avec régal, et pourtant tout conserve son mystère. La poésie.

La sidération — Le coup de feu. Le gros plan sur le spectre du Winkie’s. Diane et Rita se fondant à jamais dans le ciel étoilé de Los Angeles. La puissance paroxystique de Badalamenti. Encore une fois, la succession de chaque plan est une leçon magistrale. Tout fonctionne brillamment, et je ne sais pas pourquoi. Le « silencio ». L’état d’hébètement.

De bout en bout, le film défile comme de la musique. Liquide comme de l’eau, cet élément à partir de laquelle l’imagination fait émerger les rêves.
Je m’arrête là. Lynch a vaincu le langage traditionnel. Il ne reste plus qu’à s’asseoir, se taire, contempler, et se laisser asséner de toutes les sensations les plus contradictoires (la scène du passage secret, les mains qui se tiennent, les regards qui se croisent, non mais franchement...). Chapeau l'artiste.

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Au bout du conte — Agnès Jaoui — 2013
Qu'est-ce que c'est laid et sans intérêt, et qu'est-ce que ça sent le renfermé.


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La Sentinelle — Arnaud Desplechin — 1992

Après avoir vu son dernier film, purge gâteuse et nombriliste, je découvre son premier long-métrage. Qu'il doit porter comme sa croix, car c'est à mon sens impossible qu'il puisse faire mieux après ça. Contrairement à beaucoup, je trouve ce film bien au-dessus de Comment je me suis disputé (filmer le normalien et ses élucubrations sentimentales et sexuelles est plus casse-gueule, d' ailleurs je pense que ça a fini par perdre Desplechin, qui nourrit de toute évidence un complexe vis-à-vis de l'ENS, son prestige intellectuel, son soufre et son importance dans la mythologie germano-pratine) et Trois souvenirs de ma jeunesse. Je suis impressionné par la radicalité du projet, presque bressonienne, sa richesse thématique qui permet au film d'être au croisement de tous les genres cinématographiques, et la précision de la sociologie des corps d'Etat et de ses enfants à qui il donne vie pendant plus de deux heures. Et il faut quand même une grande habileté, une grande sensibilité et une grande intelligence, pour rendre palpitantes, tout en conservant un naturalisme extrêmement rigoureux, les péripéties d'une caste aussi immiscible à la société et peu cinégénique que celle des énarques, médecins, diplomates et rejetons de diplomates. Et la grande force de ce film, par rapport à d'autres peintres fascinés de la grande bourgeoisie comme Mouret, c'est qu'il n'oublie jamais, malgré ce milieu, la présence des corps et l'irruption des conditions matérielles de vie. Grand film assurément.

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Devine qui vient dîner... — Stanley Kramer — 1967

Mouais, c'est bien joué, mais je trouve que ça manque un peu d'intérêt, de conflits. C'est du "Oui, mais..." entre les personnages du début à la fin. Un film marmonné. On dirait un peu les prémices du statut sentimental "C'est compliqué" sur Facebook, avec en toile de fond les contradictions intérieures de démocrates bienveillants et la difficulté du mariage ethnique mixte.

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Les Derniers jours du disco — Whit Stillman — 1999

Je vois totalement ce que ce film, tout comme Metropolitan du même réalisateur, peut avoir d'irritant, dans sa profusion de dialogues intellos-chics et mondains, dans cette galerie de personnages tout droit sortis de romans bourgeois (les yuppies cyniques, les assistantes d'édition qui vivent au-dessus de leurs moyens, les jeunes gens perdus qui ne vivent que pour les chroniques nocturnes), qui se laissent aller mélancoliquement, qui se paluchent sur la fin d'un monde, qui ne luttent jamais contre rien, qui ne font rien pour se prendre en main. Moi, j'ai trouvé l'écriture du film délicieuse. Et outre cela, Whit Stillman aurait pu faire l'ascèse de tous ces dialogues que le film conserverait toute sa grâce. Une raison : Chloé Sévigny. Le cinéaste joue prodigieusement avec le "body-language" de son actrice : sa moue boudeuse, sa manière de rentrer la tête dans son épaule, ses hésitations devant des tentations, sa manière de se tordre de malaise en dansant... Les plans de Chloé Sevigny dansant expriment tout, et sont d'une grâce inouïe. Le film est rythmé comme un tube de Donna Summers : à la fois élégiaque et langoureux, vif et entraînant.
Modifié en dernier par Mr-Orange le jeu. 20 janv. 2022 18:04, modifié 2 fois.
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Tamponn Destartinn
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Tyra a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 14:58
Je n'ai pas parlé de West Side Story, mais il faut dire que je suis d'accord avec les mots de Cyborg, notamment cette dernière remarque :
cyborg a écrit :
sam. 15 janv. 2022 16:56

Ici la chorégraphie ne tient presque plus tant des corps filmés (j'exagère, évidemment) que de la caméra elle-même. Sidérant basculement entre l'importance de ceux qui sont filmés et de ce (la caméra et sa manipulation, donc) qui les filme.
Impression d'un film qui s'agite beaucoup (c'est le principe d'une comédie musicale dansée bien sûr), et dont la caméra participerait à cette danse et à cette agitation, mais tout cela en vain, sans créer grand chose qu'une réactualisation d'un grand succès public qui n'était déjà pas un grand film. On loue la technique du film, mais je la trouve écrasante, froide, même lorsqu'il y a de la couleur à l'écran. Si le film a un climax final assez réussi, plus émouvant que dans l'original, il ne m'en reste pas grand chose deux semaines après, j'en ai bien peur.

Mais c'est pas plus généralement un truc propre aux comédies musicales d'aujourd'hui ?
Genre Lalaland, ça m'avait fait ça. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on ne prend plus des danseurs pour faire les acteurs désormais, mais plus des acteurs pour faire les danseurs. Parce qu'on s'en fout qu'ils aient le niveau de Gene Kelly. Et c'est sûr qu'on perd un truc dans le processus.
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groil_groil
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Tamponn Destartinn a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 17:47
groil_groil a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 17:39
Tamponn Destartinn a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 14:02
Ah oui, et c'est tellement anecdotique que j'ai oublié avoir vu les Olympiades de Jacques Audiard.
Ben c'est nul, hein. J'ai quasi cru que ça pouvait être pas mal durant 10 min, on va dire, et puis finalement non.
Y a un truc qui m'a fasciné, ce sont les dialogues. C'est à dire que dans certaines scènes, ils sont bien écrit et assez naturaliste, et dans d'autres ils sont pompeux et irréalistes au possible. Du coup, évidemment, on se demande qui est responsable de quoi entre Sciamma et Audiard... Aucune idée.
je n'en aime aucun des deux mais à choisir c'est Sciamma la plus nulle, haut la main.

Je pense le contraire.
Audiard, il pousse les meilleurs à faire de la merde, même malgré lui parfois.
Genre, je sais de source sûr que si y a soudainement mille scènes de cul dans la saison 5 du Bureau des Légendes, ça vient d'Audiard qui a annoncé à Rochant qu'il voulait mettre du cul dans ses deux derniers épisodes parce qu'il trouvait que c'est quelque chose qui manquait dans la série. Et Rochant s'est dit "merde, il doit avoir raison" et a donc ajouté toutes ces scènes dans les 8 premiers épisodes au dernier moment ! Et c'est complétement gratuit et contribue à faire de cette saison 5 la moins bonne de loin.
D'ailleurs, pour rebondir sur cette anecdote, Audiard est donc très chaud lapin en ce moment. Les Olympiades est très cul aussi. Mais ce n'est pas un reproche, pour le coup.
ah mais qu'Audiard soit nul et qu'il ait salopé Le Bureau des Légendes c'est certain, on est d'accord, mais je trouve Sciamma encore plus nulle, c'est dire :D
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groil_groil
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Fin de la trilogie, que je revoyais donc, dans d'excellentes conditions, les blurays sont merveilleux, et le seul réalisé par Grangier, cinéaste que j'aime bien, malgré ses mauvais films (j'ai prévu dans voir deux trois dans les jours qui viennent). Ce film est clairement le moins bon des trois, mais ce n'est pas de la faute du cinéaste, qui fait un boulot parfait, mise en scène comme ambiance de film à noir à la française sont tout à fait réussis. Ce qui cloche (un peu hein, tout est relatif, cela reste un très bon divertissement), c'est que c'est clairement une trilogie de film 50's dans l'ambiance, et que celui-ci est un film totalement 60's (sorti en 63) où tout le decorum sent les années 60, musique, jeu, mise en scène, enjeux. Ce petit décalage semble nous dire que le film arrive trop tard, qu'il est presque une anomalie chronologique, et même Gabin qui rempile pour la 3ème fois à l'air de le sentir. Autre chose, le scénario, et ses enjeux, est moins bon que ceux des deux premiers. Mais bon, cette trilogie reste dans son ensemble hautement recommandable dans sa globalité.

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Merci à JB Thoret d'avoir exhumé cette pépite méconnue dans sa collection, car c'est un pur joyau. C'est un film de maison hantée à la Amityville mixé avec un Don't Look Now de Nicolas Roeg au niveau des enjeux, de la structure et de l'ambiance. Un homme (génialissime George C. Scott) perd sa femme et sa fille dans un tragique accident de voiture en montagne, et déménage pour s'installer à Seattle dans une grande bâtisse gothique inhabitée depuis 12 ans et qui s'avère vite hantée par la présence fantomatique d'un enfant qui semble lui aussi avoir tragiquement disparu dans son enfance au début du vingtième siècle. Je n'en dis pas plus pour préserver le suspense, mais ce film est une prodigieuse réussite à la fois dans le genre, mais hors du genre aussi, c'est un grand film tout court. Le film sort en 1980 mais ressemble vraiment dans sa forme à un classique des 70's, et après L'Exorciste ou les films cités plus haut, semble clore un genre réservé aux adultes, et qui se transformera en un genre pour teenagers dans les 80's. C'est un film beau, terrible, bouleversant, hyper dur, et avec des scènes marquantes à vie (notamment la plus belle, la plus captivante et la plus flippante scène de spiritisme que j'ai vu dans ma vie, j'en avais des frissons sur tout le corps...)

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J'aime toujours autant le cinéma roumain, et je n'avais pas encore vu Baccalauréat, le dernier Mungiu en tête qui est là encore une parfaite réussite. On y suit les mésaventures d'un médecin qui tente d'influencer le jury du bac pour que sa fille l'obtienne. Celle-ci est pourtant une brillante élève et est accepté à Cambridge pour des études supérieures à condition qu'elle ait une mention très bien à son bac. Or, elle s'est fait agressée sexuellement la veille, elle se retrouve avec le bras avec lequel elle écrit dans le plâtre et un beau traumatisme psychologique. La voyant diminuée, son père va tâcher d'arranger les choses, mais, alors que sa vie personnelle est également un enfer, les conséquences de son geste vont s'enchainer en cascade et le faire sombrer d'avantage. Comme toujours Mungiu nous embarque littéralement avec ses personnages, nous donnant l'illusion de vivre les événements avec eux, et transforme de simples tractations administratives en tragique suspense, accentué par l'absurdité et la corruption qui semble légion dans son pays et qu'il dénonce avec force et ironie.
Que devient Mungiu d'ailleurs ? Il n'a rien réalisé depuis...
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Tamponn Destartinn
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groil_groil a écrit :
ven. 21 janv. 2022 10:57

Que devient Mungiu d'ailleurs ? Il n'a rien réalisé depuis...
J'allais te dire que Baccalauréat n'était pas si vieux que ça pour s'en inquiéter, mais je viens de vérifier et 2016 en fait... Putain mais le vortex, le temps est une pute :cry:
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groil_groil
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Tamponn Destartinn a écrit :
ven. 21 janv. 2022 11:20
groil_groil a écrit :
ven. 21 janv. 2022 10:57

Que devient Mungiu d'ailleurs ? Il n'a rien réalisé depuis...
J'allais te dire que Baccalauréat n'était pas si vieux que ça pour s'en inquiéter, mais je viens de vérifier et 2016 en fait... Putain mais le vortex, le temps est une pute :cry:
oui oui ça fait 6 PUTAINS d'ANNEES :cry: :cry: :cry: :cry: :D
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Tamponn Destartinn
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2016
Si près et si loin
La sortie de mon premier gros projet professionnel
La rencontre avec ma femme
La peur d'un nouvel attentat tous les 6 mois

Quelle nostalgie :cry: :cry: :D
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groil_groil
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Tamponn Destartinn a écrit :
ven. 21 janv. 2022 11:30
2016
Si près et si loin
La sortie de mon premier gros projet professionnel
La rencontre avec ma femme
La peur d'un nouvel attentat tous les 6 mois

Quelle nostalgie :cry: :cry: :D
tous les 6 jours ouais :lol: :poop: :cry:
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Tyra
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Tamponn Destartinn a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 17:51
Tyra a écrit :
jeu. 20 janv. 2022 14:58
Je n'ai pas parlé de West Side Story, mais il faut dire que je suis d'accord avec les mots de Cyborg, notamment cette dernière remarque :
cyborg a écrit :
sam. 15 janv. 2022 16:56

Ici la chorégraphie ne tient presque plus tant des corps filmés (j'exagère, évidemment) que de la caméra elle-même. Sidérant basculement entre l'importance de ceux qui sont filmés et de ce (la caméra et sa manipulation, donc) qui les filme.
Impression d'un film qui s'agite beaucoup (c'est le principe d'une comédie musicale dansée bien sûr), et dont la caméra participerait à cette danse et à cette agitation, mais tout cela en vain, sans créer grand chose qu'une réactualisation d'un grand succès public qui n'était déjà pas un grand film. On loue la technique du film, mais je la trouve écrasante, froide, même lorsqu'il y a de la couleur à l'écran. Si le film a un climax final assez réussi, plus émouvant que dans l'original, il ne m'en reste pas grand chose deux semaines après, j'en ai bien peur.

Mais c'est pas plus généralement un truc propre aux comédies musicales d'aujourd'hui ?
Genre Lalaland, ça m'avait fait ça. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on ne prend plus des danseurs pour faire les acteurs désormais, mais plus des acteurs pour faire les danseurs. Parce qu'on s'en fout qu'ils aient le niveau de Gene Kelly. Et c'est sûr qu'on perd un truc dans le processus.
Il me semble qu'il y a pas mal de danseurs "pros" dans le WSS de Spielberg, en dehors des deux rôles principaux (d'ailleurs aux US il y a souvent cette double formation danseur/acteur). La La Land n'est pas vraiment un film de danse comme celui-ci donc difficile de comparer.
Le Spielberg me fait penser à ces requins obligés de nager et d'être en mouvement constamment pour ne pas mourir. Peur du surplace, de poser les choses, à raison d'ailleurs parce que je trouve les séquences non chantées assez plates.
Bon, je suis sévère avec le film, mais rien de honteux, il y a bien pire cette année évidemment. :)
len'
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Mohamed Ali de Ken Burns, Sarah Burns et David McMahon

"L'enchantement est terminé, mais le charme demeure" et le charme c'est Mohamed Ali, magnifié par ce documentaire fleuve rythmé comme un match de boxe. Sa longueur laisse le temps de s'interroger, au-delà de la simple biographie, sur cette étrange fascination que suscite une personne plutôt qu'une autre : est-ce la beauté ? La force ? L'assurance ? La générosité ? La façon de parler ? Est-ce la croyance absolue en ses convictions ? Un peu de tout ça et un peu d'autre chose. Le point d'orgue est atteint dans la rivalité entre Mohamed Ali et Joe Frazier, une lutte à mort qui aurait très bien pu être une amitié à vie, s'il n'y avait eu cette éternelle question à régler de la supériorité de l'un par rapport à l'autre. Mais avant toute confrontation, Frazier a d'emblée le second rôle et peu importe les efforts ou les coups qu'il prendra, il sera toujours perdant pour le public. C'est aussi ça le charme, qui illumine autant qu'il piétine, et qui ressemblerait presque à une illusion quand il ne s'agit plus que de communication. Mais Ali n'est pas que ça, et Frazier n'est pas qu'un faire valoir ; c'est quand ils s'affrontent que la vérité éclate, au-delà du résultat final qui n'a finalement que peu d'importance. Le dernier match entre les deux dégage une intensité à la fois fascinante et effrayante : il se joue là ce qui fait la force et le drame de toute l'humanité : la lutte incessante, les chocs, la considération mutuelle noyée sous le mépris, le temps qui éreinte les corps et abîme l'esprit... L'essentiel n'est pas tant de rester debout que de tomber, se relever, tomber, se relever, et continuer à danser, à trembler, à exister.
Modifié en dernier par len' le jeu. 27 janv. 2022 19:04, modifié 1 fois.
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asketoner
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Memory Box, Joana Hadjithomas & Khalil Joreige

Les souvenirs des années 80 sont matériels : des cahiers, des cassettes, des images découpées, des tickets de cinéma, des pellicules, des planches contact. C'est cette matière que filment Hadjithomas et Joreige, non sans fétichisme, mais en la décalant. Une jeune femme d'aujourd'hui découvre une boîte pleine de souvenirs de la jeunesse de sa mère, et s'en empare avec ses moyens, en partageant des storys sur ses réseaux, en lançant des discussions sur le chat avec ses amis. Les cinéastes n'opposent pas mais font des ponts entre des coutumes différentes : la seule question qui compte est celle de ce qui se transmet.
On voit que Hadjithomas et Joreige ne sont pas seulement cinéastes. Il y a dans leur film une innocence qui est très surprenante, une manière de faire durer les concepts et d'aller toujours chercher dans le récit l'endroit le plus brutal, le plus direct et fiévreux. Ils n'ont pas peur d'être naïfs. Certaines scènes sont même assez ratées (celles entre la fille et la mère, la faute à des dialogues artificiels), mais ça n'a aucune importance, car l'essentiel est là : l'émotion (tout le temps, à vif) et le sens (le film est riche d'idées, d'histoires, de choses à dire et à montrer). Le moment où les photographies s'animent pour la première fois, par exemple, est très réussi et vraiment bouleversant. Quelque chose s'y joue, de l'ordre de la possibilité qu'a le cinéma de redonner vie à ce qui a été perdu à tout jamais, sans en être dupe : cette vie sera toujours la deuxième. De même, lorsque les deux amoureux filent en mobylette la nuit à travers les rues de Beyrouth tandis que tous les bâtiments derrière eux s'embrasent de façon totalement irréaliste et presque purement plastique, les cinéastes atteignent une forme de joie et d'intelligence créatrice très audacieuse qui ne manque pas de m'emporter. Ici rien n'est convenu, tout est ajusté au propos et à son émotion particulière (même les effets spéciaux !).
L'audace est aussi celle d'un récit extrêmement intime (le film est un travail à partir des archives personnelles de Joana Hadjithomas), qui pour autant ne s'interdit pas la fiction et ses codes (les scènes entre la mère et la fille au Québec, justement, qu'on accepte malgré leur maladresse). Le but n'est pas de s'inscrire dans la lignée d'un cinéma à la première personne, mais de voir ce que le cinéma peut apporter à nos vies, et ce qu'il peut leur rendre enfin maintenant qu'il s'est installé pour de bon dans notre culture. Le film est d'autant plus troublant qu'il a été tourné avant la grande explosion du port de Beyrouth, où a lieu le dénouement final. Dénouement qui est une réconciliation avec le passé, après plusieurs années de silence et de déni - mais en un lieu désormais dévasté, où, justement, Hadjithomas et Joreige avaient leur atelier, et toutes leurs archives, que l'explosion aura fait disparaître. Ce film les sauve à sa façon (c'est-à-dire qu'il ne sauve rien du tout mais témoigne de ce qui n'est plus). La coïncidence de ce dernier plan et de l'Histoire du pays (bien que le plan soit à l'exact opposé d'une éventuelle prémonition) ouvre un gouffre inouï, qui dit bien l'intuition des deux cinéastes, et la justesse de leur regard.

Dernière chose : Manal Issa est remarquable, comme dans le beau Peur de rien de Danielle Arbid.
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Tamponn Destartinn
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Autant de talents au service d'un aussi petit film, ça me dépasse. C'est un problème chez Desplechin depuis au moins 10 ans (exception sur Trois souvenirs de ma jeunesse) et c'est de pire en pire.
Une fois encore, à un moment, il y a toujours le même sujet qui surnage : la guerre froide et l'espionnage côté Est. C'était déjà le seul truc intéressant dans Les fantômes d'Ismaël. Et si l'histoire d'amour est pour le coup réussie dans Trois souvenirs de ma jeunesse, le court chapitre russe donnait aussi envie d'en voir plus. Alors, BORDEL DE MERDE, pourquoi Arnaud tu ne fais pas un film là dessus et tu arrêtes de nous emmer.der avec tes histoires de cul et d'amour de plus en plus hors sol ?

(d'ailleurs, je passe du coq à l'âne, mais la seule facon de rendre le film intéressant aurait été d'assumer le côté hors sol et de transformer le film autour du fantasme et d'un vrai doute quant à la véracité des histoires de cul de Podalydès. Mais évidemment, bêtement, non)
( et quand je dis "autant de talents", je parle essentiellement de la mise en scène, du montage et de la photo)
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cyborg
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En parlant des Rebelles du Dieu Néon (que j'avais apprécié mais moins que vous), vous m'avez donné envie de voir

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Je n'avais jamais autant perçu la dimension burlesque du cinéma de Tsai Ming-Liang. Tout y est ici, dans les rapports des corps et des espaces qui se croisent, s'ignorent, se complètent, s'éludent, avec une force comique indéniable. Et on se prend à songer à FILM de Samuel Beckett, ouvrant son film avec la citation "Esse est percipi aut percipere" qui pourrait constituer le motto de ce style cinématographique.
Mais les corps chez TMS sont bien plus complexes, ils ne font pas que s'agiter et existent au delà de leurs physicalités. Ils sont remplis de dimensions plus riches et complexes : parcourus de pulsions (on y mange, on y copule) et de spiritualité (la mort est très présente, l'amour aussi). Et même si elles semblent à première vue invisibles, ils sont surtout remplis d'émotions comme en témoigne ce trop-plein qui déborde durant cette incroyable et interminable scène finale de larmes.
Magnifique.

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Un jeune homme perd son travail d'employé de banque et sombre dans la dépression et la drogue.
Un Guy Gilles qui me semble plutôt mineur bien que doté de son style adroit et implacable pour évoquer les tourments de l'âme.
Nous ne sommes qu'en 1972 mais les espoirs qu'on pu porter les années 60 semblent déjà bien loin...

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Melville ayant été résistant, et venant adapter un livre d'un autre résistant, il m'est impossible de dire que le sujet et la reconstitution historique qu'il mène ne l'intéresse pas.
Mais je ne peux m'empêcher de voir derrière ce décorum une sorte de film absolu sur le mal-être, l'amour impossible et l'incommunicabilité, grands thèmes d'une certaine modernité cinématographique. Dur de ne pas penser à Antonioni dans la mise en scène et la façon dont sont filmés les corps, leurs déplacements et les espaces qu'ils traversent. Le film est même très abstrait dans ce qu'il construit, tandis que les personnages parlent assez peu "d'eux-même" et que beaucoup d'éléments passent par une narration en voix-off ou en monologues intérieurs. L'intrigue de la première partie (près d'1h15 quand même) est extrêmement congrue et culmine dans une longue et incroyable scène de saut en parachute. Dans la dernière heure apparait une intrigue plus précise, bien que très simple, et c'est aussi là que grandit le personnage de Mathilde qui vient donner une nouvelle dimension au film.
Si les corps sont très présents dans L'Armée des Ombres ils ne se touchent pas ou presque (ou alors ils apparaissent monstrueusement tuméfiés par des coups qu'on imagine) et conservent leurs distances respectives. Et c'est exactement pour ceci que la main que glisse Signoret dans celle de Ventura qu'elle vient de sauver de la mort (la scène de fusillade-course est tout aussi sidérante que le saut en parachute) est aussi bouleversante, témoignage fugace et inopiné d'un amour aussi absolu qu'impossible. Ce point culminant du film est peut-être la plus belle poignée de main qu'il m'ait été donné de voir au cinéma.
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asketoner
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Nightmare alley, Guillermo del Toro

Pas si mal !
J'avais détesté La Forme de l'eau, mais Nightmare alley est beaucoup moins mièvre. L'imaginaire de la fête foraine est poussé du côté de la monstruosité et des rapports de pouvoir plus que de celui du parc d'attractions plein de surprises. D'une certaine façon, c'est exactement le même genre de récit que celui de First Cow : des gens trouvent un truc qui leur rapporte de l'argent, mais quand ils sont riches ils ne peuvent pas s'arrêter, il leur faut toujours plus, quitte à ce que tout s'effondre. On comprend très vite, mais c'est vrai que ça tient en haleine, en jouant sur la question des limites dans un monde libéral.
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