Le Centre de Visionnage : Films et débats

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sokol
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B-Lyndon a écrit :
jeu. 26 août 2021 16:29
je suis fâché avec l'écriture sur le cinéma en ce moment, je n'arrive pas à aligner deux lignes.
Excellent signe ! (dans ton cas, bien sûr)
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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sokol
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asketoner a écrit :
jeu. 26 août 2021 10:31
A l'ignorance, Dumont ne peut opposer que la solennité.
Je sais que tu n'aimes pas Tony Erdmann mais c'est exactement le contraire de ça (la tendresse des roumains opposée à l'ignorance).
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Jean-Marie Straub
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B-Lyndon
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sokol a écrit :
ven. 27 août 2021 10:40
asketoner a écrit :
jeu. 26 août 2021 10:31
A l'ignorance, Dumont ne peut opposer que la solennité.
Je sais que tu n'aimes pas Tony Erdmann mais c'est exactement le contraire de ça (la tendresse des roumains opposée à l'ignorance).

Aaah, quel merveilleux défenseur de Toni Erdmann asky serait, s'il aimait le film ; pas vrai sokol ? :D
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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B-Lyndon
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groil_groil a écrit :
ven. 27 août 2021 08:38

Merci ami, pour mettre des mots si justes sur ce que je pense de Dumont depuis des années. C'était l'un de mes cinéastes préférés sur ses deux premiers films, et surtout sur L'Humanité qui est un chef-d'oeuvre bouleversant, mais je pense ce que tu écris depuis Flandres en fait (même si j'avais plutôt aimé Flandres à sa sortie d'ailleurs, mais je ne me souviens que de ses défauts, et je ne veux surtout pas le revoir). En fait, comme tu l'écris, je pense que désormais Dumont s'en fout. Il s'en fout de ce qu'il filme, il sait qu'il a une signature, que la presse le reconnait pour cela, et il impose cette signature partout, de manière systématique et irréfléchie, il pourrait presque y avoir une Citroën Dumont comme il y a une Citroën Picasso.
Et ce que tu dis sur les conditions de production et, ce qui en découle, sur le manque d'implication d'une grande partie des cinéastes français dits "auteurs", est tellement juste. Il y a une solution pour sortir de ça, sans doute, mais comment la trouver...
Tu cernes merveilleusement bien, sans avoir vu le film, ce que j'ai le plus détesté dans France.
Dumont attaque un système "ennemi" en esquivant, en se protégeant, en ne se mettant jamais en cause ni en danger. Le pire c'est qu'il semble en être conscient car c'est la façon dont le système met en scène le réel qu'il met en cause. Mais lui, il fait quoi ? La pirouette finale (surgissement odieux de l'arbitraire dans la vie de France que je ne révèlerai pas tellement c'est scandaleux et dégueulasse), ça sert à quoi, à part créer un choc nerveux, qui ne produit ni récit ni pensée ?
J'ai toujours détesté ces cinéastes bidons qui enseignent le documentaire à la Fémis et n'ont que l'injonction "faut-pas-faire-comme-la-télé" dans la bouche. A force de pas-faire-comme-la-télé, eux ne font rien du tout, s'opposent bêtement, en se mettant de facto dans le camp du bien. France est malhonnête car il nous fait croire à la confusion alors que tout est bien dessiné.
Pour moi il n'y a rien de plus révoltant qu'un metteur en scène qui regarde les autres de haut, perché sur sa tour d'Ivoire Cinéma. Il y a toute l'arrogance du cinéma quand il oublie qu'il est un art dialectique dans ce film. C'est là que je dis que tu as bien cerné le problème : au système médiatique devenu fou et malin, Dumont n'oppose que son talent, que sa signature justement. Mais une griffe n'a jamais suffit - Godard, par exemple, n'aurait jamais fait une chose pareille. Pourtant le père Jean-Luc, s'y connait niveau griffe (et sait les sortir, ses griffes :D ) mais jamais il ne nous aura fait croire qu'il suffit de passer les choses à la moulinette Cinéma pour que survienne beauté et vérité (d'ailleurs je me disais, en 1975 on a eu Ici et ailleurs, en 2021 on a France, on a ce qu'on mérite - et puis en 1975, un grand cinéaste n'avait pas peur de nommer les guerres qui existaient, et les pays qui ne sont pas la France)
Et puis, sur cette question de griffe : Dans une scène du film, on demande à France pourquoi elle se met en scène autant dans ses reportages, et France répond : "bah...parce que c'est mon style". S'il était devant moi, je poserai la même question : dis nous, pourquoi Bruno, pourquoi ce récit troué de tous les côtés, cette absence de ton vraiment choisi, cette musique dégueulasse, ces travellings pompeux qui ne percent rien, ces acteurs qui n'articulent pas ? eh bien je suis sûr qu'il me répondrait pareil : "parce que c'est mon style".
Mais le style sans le désir, c'est non seulement de la branlette ; c'est la mort. Dumont tue à chaque plan. Voilà pourquoi à mon avis, il trahit, pour la première fois (et j'espère la dernière :( )

PS : pour reprendre les mots d'asketoner, Hamaguchi lui choisit toujours la dramaturgie plutôt que l'accumulation de chocs. Et paradoxalement, dans Drive My Car, les chocs qui finissent par advenir nous arrivent de plein fouet, nous émeuvent et nous donnent à penser.
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Tyra
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groil_groil
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B-Lyndon a écrit :
ven. 27 août 2021 14:04
groil_groil a écrit :
ven. 27 août 2021 08:38

Merci ami, pour mettre des mots si justes sur ce que je pense de Dumont depuis des années. C'était l'un de mes cinéastes préférés sur ses deux premiers films, et surtout sur L'Humanité qui est un chef-d'oeuvre bouleversant, mais je pense ce que tu écris depuis Flandres en fait (même si j'avais plutôt aimé Flandres à sa sortie d'ailleurs, mais je ne me souviens que de ses défauts, et je ne veux surtout pas le revoir). En fait, comme tu l'écris, je pense que désormais Dumont s'en fout. Il s'en fout de ce qu'il filme, il sait qu'il a une signature, que la presse le reconnait pour cela, et il impose cette signature partout, de manière systématique et irréfléchie, il pourrait presque y avoir une Citroën Dumont comme il y a une Citroën Picasso.
Et ce que tu dis sur les conditions de production et, ce qui en découle, sur le manque d'implication d'une grande partie des cinéastes français dits "auteurs", est tellement juste. Il y a une solution pour sortir de ça, sans doute, mais comment la trouver...
Tu cernes merveilleusement bien, sans avoir vu le film, ce que j'ai le plus détesté dans France.
Dumont attaque un système "ennemi" en esquivant, en se protégeant, en ne se mettant jamais en cause ni en danger. Le pire c'est qu'il semble en être conscient car c'est la façon dont le système met en scène le réel qu'il met en cause. Mais lui, il fait quoi ? La pirouette finale (surgissement odieux de l'arbitraire dans la vie de France que je ne révèlerai pas tellement c'est scandaleux et dégueulasse), ça sert à quoi, à part créer un choc nerveux, qui ne produit ni récit ni pensée ?
J'ai toujours détesté ces cinéastes bidons qui enseignent le documentaire à la Fémis et n'ont que l'injonction "faut-pas-faire-comme-la-télé" dans la bouche. A force de pas-faire-comme-la-télé, eux ne font rien du tout, s'opposent bêtement, en se mettant de facto dans le camp du bien. France est malhonnête car il nous fait croire à la confusion alors que tout est bien dessiné.
Pour moi il n'y a rien de plus révoltant qu'un metteur en scène qui regarde les autres de haut, perché sur sa tour d'Ivoire Cinéma. Il y a toute l'arrogance du cinéma quand il oublie qu'il est un art dialectique dans ce film. C'est là que je dis que tu as bien cerné le problème : au système médiatique devenu fou et malin, Dumont n'oppose que son talent, que sa signature justement. Mais une griffe n'a jamais suffit - Godard, par exemple, n'aurait jamais fait une chose pareille. Pourtant le père Jean-Luc, s'y connait niveau griffe (et sait les sortir, ses griffes :D ) mais jamais il ne nous aura fait croire qu'il suffit de passer les choses à la moulinette Cinéma pour que survienne beauté et vérité (d'ailleurs je me disais, en 1975 on a eu Ici et ailleurs, en 2021 on a France, on a ce qu'on mérite - et puis en 1975, un grand cinéaste n'avait pas peur de nommer les guerres qui existaient, et les pays qui ne sont pas la France)
Et puis, sur cette question de griffe : Dans une scène du film, on demande à France pourquoi elle se met en scène autant dans ses reportages, et France répond : "bah...parce que c'est mon style". S'il était devant moi, je poserai la même question : dis nous, pourquoi Bruno, pourquoi ce récit troué de tous les côtés, cette absence de ton vraiment choisi, cette musique dégueulasse, ces travellings pompeux qui ne percent rien, ces acteurs qui n'articulent pas ? eh bien je suis sûr qu'il me répondrait pareil : "parce que c'est mon style".
Mais le style sans le désir, c'est non seulement de la branlette ; c'est la mort. Dumont tue à chaque plan. Voilà pourquoi à mon avis, il trahit, pour la première fois (et j'espère la dernière :( )

PS : pour reprendre les mots d'asketoner, Hamaguchi lui choisit toujours la dramaturgie plutôt que l'accumulation de chocs. Et paradoxalement, dans Drive My Car, les chocs qui finissent par advenir nous arrivent de plein fouet, nous émeuvent et nous donnent à penser.
Merci, je partage cela, et ce que disait Asky, à 100%
et c'est pour les mêmes raisons que je déteste P'tit Quinquin qui pour moi est le sommet de cette imposture (en attendant de voir France), que je n'aime pas Coin Coin où les deux Jeanne, mais même sur les précédents après les deux premiers cela se sent (sauf sur Claudel),
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B-Lyndon
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Je pense qu'au fond, le problème, c'est qu'il a fait son chef-d'oeuvre trop tôt.
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groil_groil
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oui mais certains l'ont fait aussi et n'ont pas renoncé pour autant au cinéma.
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sokol
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@B-Lyndon Eh merde, en te lisant, j'ai l'impression que je vais sortir du cinéma au bout de 15 minutes (car tu parles meme de musique degeulasse, de travelling pompeux etc etc). Comment faire ?

Cela dit, j'ai vu un très beau et très très rare film, un ovni, un film iranien de 1976 et que l'on croyait disparu à jamais : L'échiquier du vent. C'est du Paradjanov et du Bunuel en même temps, avec une bonne touche Viscontienne. Magnifique flm qu'il ne faut pas rater. Iranien de surcroît. Et ahurissament prémonitoire !!

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Modifié en dernier par sokol le mar. 31 août 2021 11:09, modifié 1 fois.
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B-Lyndon a écrit :
ven. 27 août 2021 19:43
Je pense qu'au fond, le problème, c'est qu'il a fait son chef-d'oeuvre trop tôt.
Modestie à part, en 2011, après le visionnage de Hors Satan, ici sur ce forum je m'étais lâché et javais dit qu'il était temps que Bruno Dumont retourne à renseigner au lycée (puisque à la base il est prof de philo). Pourtant, depuis, j'ai aimé parfois certains moments de certains de ces films, certains trucs etc etc. Mais je pense que je ne m'étais pas trop trompé à l'epoque... .
Donc si cette fois-ci je n'arrive même pas voir en entier "France", je serais bien triste car ça sera la dernière fois que je vois un film de lui.
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Un film d'action axé sur une recherche de trésor mythique assez plaisant, toujours en mouvement, et même trop car l'obsession du rythme permanent fait qu'il a beaucoup plus recours à la pyrothechnie et aux scènes de bagarres chorégraphies qu'à une exploration minutieuse du genre, pourtant riche en promesses.
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yhi
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sokol a écrit :
ven. 27 août 2021 22:54
L'échiquier du vent.
:jap: Un truc de fou ce film. D'une beauté et d'une cruauté ahurissante.
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asketoner
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Drive my Car, Ryusuke Hamaguchi

Comme je n'avais pas pu rentrer dans la salle de Drive my car l'autre soir, je pensais beaucoup à Hamaguchi en voyant France de Bruno Dumont, et je me disais que je commençais peut-être à comprendre ce mot, dramaturgie, et sa nécessité.
La dramaturgie ce n'est pas le scénario. Ce n'est pas l'accident de voiture qui va tout changer (Drive my Car comme France ont chacun leur accident de voiture). Et ce n'est pas non plus le changement qui en résulte : Drive my Car n'est pas meilleur que France parce que les personnages sont un peu plus bouleversés par ce qui leur arrive, un peu plus contraints à modifier leur existence et se remettre en question. La dramaturgie, c'est plutôt le tremblement du temps face à la complexité des enjeux contenus dans les scènes. Peu à peu la scène cesse de surprendre : elle étonne. Et notre attention la soutient d'un bord à l'autre de sa durée. Il s'agit d'épaisseur, de difficulté, de risque : une scène qui tremble, et semble risquer quelque chose (ou se risquer elle-même). Avec une telle scène, on traverse une émotion : c'est-à-dire que nous recevons cette émotion, nous l'explorons, mais aussi nous passons de l'autre côté. (Touchés et libres de ne plus l'être.) Et Drive my Car est excellent pour cette raison : malgré ses coups du sort incessants, ses révélations de dernière minute, son mouvement perpétuel, Hamaguchi, par son sens de la dramaturgie absolument unique (on pourrait peut-être lui trouver une étoile secrète du côté de Kiarostami), qui passe par la direction d'acteurs, orchestre un film qui tremble de partout, et de mille manières.

Drive my car nous donne à penser la fiction comme le lieu d'une relation. (La fiction comme religion sans métaphysique, église sans Dieu, place publique.)
D'abord dans le couple : Oto, en faisant l'amour, raconte à son mari une histoire, qui tente de la retenir pour la lui rappeler ensuite, car elle oublie en même temps qu'elle dit.
Et une fois les corps désunis, reste la voix d'Oto, enregistrée sur une cassette, disant pour son mari toutes les répliques de la pièce Oncle Vania de Tchekhov, sauf celles de Vania, pour qu'il puisse lui répondre et ainsi répéter son rôle tout en conduisant.
Quand Oto meurt, cette cassette où elle donne la réplique est tout ce qui reste d'elle (un présent sans cesse ressuscitable). Tout, jusqu'à ce qu'un amant vienne donner au veuf, dans une série de champ/contrechamp qui tombe à pic, la dernière partie de l'histoire que racontait la femme en jouissant. Les deux hommes partageaient non pas un amour, ni même un être, mais la fiction que cet être voulait bien leur distribuer, depuis cet orgasme amnésique dans lequel elle essayait de remonter jusqu'à ses vies antérieures.

Le couple, puis le théâtre : sur le plateau, autour de la table, un texte s'échange, se distribue, se répartit. Chacun signale la fin de sa réplique en tapant du poing légèrement, car de nombreuses langues se côtoient sans se comprendre. L'homme est metteur en scène et aime travailler avec des acteurs de nationalités différentes. C'est l'utopie d'une Babel inversée : remonter Babel et trouver au sommet non pas Dieu mais Tchekhov qui parle de Dieu, de la consolation qu'il nous donnera lorsque nous serons morts (car alors nous pourrons tout lui dire, et nous serons enfin compris - c'est la fin d'Oncle Vania).
Les comédiens ne se comprennent pas (et le metteur en scène les a choisis précisément pour cette raison), mais ils comprennent Tchekhov et c'est l'endroit où ils peuvent se rencontrer. Et s'ils ne comprennent pas Tchekhov, Tchekhov les comprend, et alors ils se rencontreront quand même.
L'autre est l'étranger, désigné d'emblée comme tel, et choisi pour cette raison-même. Hamaguchi pousse assez loin le multilinguisme puisque parmi toutes les langues en présence, l'une d'entre elles ne se parle pas : c'est la langue des signes. Une actrice muette a passé l'audition, le metteur en scène l'a engagée. Sophistication suprême : il s'agit de la langue des signes coréenne, pas japonaise. L'étranger de l'étranger ultime.
Autre grand étranger : le metteur en scène donne à l'amant de sa femme le rôle qu'il aurait dû lui-même interpréter. Il s'agit d'aller le plus loin possible vers l'autre, pour le piéger peut-être, mais pour qu'il nous enseigne aussi ce que nous n'avons pas été, ce que nous nous refusons à être.
Sur le théâtre et ses répétitions, Hamaguchi est très précis, moderne et inspiré. Il n'y a bien que Rivette à ma connaissance qui ait su montrer le théâtre autrement que comme la caricature qu'on en fait généralement. Et dans le rapport entre le texte de Tchekhov et ce qui arrive aux personnages, il avance sans systématisme : parfois les répliques semblent raconter la vie, parfois au contraire elles paraissent lointaines, inaccessibles et froides. Or c'est précisément cette série d'écarts et d'accords, de distances et de coïncidences exactes, qui constitue la matière avec laquelle travaillent les comédiens.

Pour dire à quel point c'est la curiosité qui anime Drive my Car (la curiosité et l'attention extrême à tout ce qui diffère), on peut parler du personnage du chauffeur, une jeune femme silencieuse, secrète mais qui répond à toutes les questions, qui aime conduire ses passagers à destination, et qui ne se plaint pas de devoir les attendre dans le froid au-delà des horaires indiquées. Hamaguchi aurait pu en faire un second rôle idéal (un personnage qui donne la réplique, comme la femme du metteur en scène avec sa cassette). Mais pas du tout : le cinéaste ne cesse de la placer au centre de notre attention, de nous ramener à elle dès que le scénario l'oublie. (Même lors de ce fabuleux dîner entre la muette, son mari, le metteur en scène et elle ; bien qu'elle se précipite sur le chien, gênée, sans rien dire, alors qu'on est en train de lui parler.)
Dans la belle voiture rouge, le metteur en scène, qu'on reconduit jusqu'à son appartement, demande au chauffeur de lancer la cassette où sa femme défunte continue de lui donner la réplique. Au début du film, cette cassette est ce qui permet aux personnages de ne pas trop s'adresser la parole. Mais peu à peu, bien entendu, la cassette au contraire fait le lien, et, au lieu de recouvrir la relation, la permet. C'est toute la qualité du travail dramaturgique de Ryusuke Hamaguchi qui apparaît ici, posant un signe et le décalant peu à peu de son principe, laissant la vie, l'imaginaire et le désir le transformer.

Au physique le plus lisse, le plus conforme, Hamaguchi confie le rôle le plus trouble.
J'aime cette idée (souvent présente dans son cinéma) que le danger viendrait de l'image la plus impénétrable, de la surface la plus parfaite. On ne sait pas (on ne peut pas savoir) ce qu'il y a derrière. "Je me sens vide", gémit le jeune premier auquel le metteur en scène a donné, contre toute logique, le rôle de Vania.
Ce jeune premier, non content d'avoir ravi sa femme au metteur en scène (et la fin de l'histoire qu'elle racontait en jouissant), lui prend aussi son rôle. Mais c'est tout le contraire qui se produit (comme la cassette qui s'interpose entre le metteur en scène et le chauffeur) : le jeune homme permet au metteur en scène de retrouver son rôle ainsi que son amour pour sa femme.
Le film joue sans cesse avec l'idée du tiers, sa puissance de séparation et de lien : marquer la distance, c'est en faire prendre conscience et ainsi donner la possibilité de réunir ceux qui insensiblement s'éloignaient.

De beaux gosses et une belle voiture rouge : Hamaguchi ne s'interdit pas la séduction la plus basique. Je dirais même que c'est cette séduction immédiate qui nous permet d'entrer dans la complexité de sa dramaturgie.
Pour en revenir à la dramaturgie, il n'y a qu'à voir comment le cinéaste s'empare de l'adultère. Le scénario montre une femme qui trompe son mari, et son mari qui le découvre. La dramaturgie, quant à elle, filme l'homme interdit face à cette découverte. Pas en colère, ni triste, ni déçu. Il consent à allumer une cigarette, mentir aussi un peu de son côté (dire qu'il est à Vladivostok alors que son avion n'a pas décollé) : c'est le maximum de clichés auxquels il peut prétendre. Mais il n'y a pas de scène d'éclats, de jalousies, de filatures ou de je ne sais quoi. La vie est bien plus complexe que cela. Au contraire : l'adultère semble renforcer l'admiration que le mari éprouve pour sa femme.
L'adultère est une chose qui survient dans la vie du personnage (comme l'accident de voiture), qui tente de lui dire quelque chose de son amour, et qu'il lui faut à présent comprendre. C'est tout. Ce n'est rien d'autre que ça.
La complexité plutôt que le stéréotype, la vie plutôt que le comportement : je partage mille fois (et mille fois plus aujourd'hui que jamais) ce goût-là.

Comment finir un tel film ?
Par la dernière scène d'Oncle Vania bien sûr. Dernière scène, dont la dernière réplique est dite en langue des signes, par la comédienne muette qui agite ses mains au-dessus du visage de celui qui ne voulait plus jouer, dont le visage a vieilli et qui pourtant retrouve son enfance (la langue devient le mobile au-dessus de lui, qui l'émerveille et l'anime), et face à un public parmi lequel s'est glissé le chauffeur, attentif, tendu comme un ange sur le point de disparaître.
Le noir tombe sur la scène, les applaudissements retentissent - Hamaguchi les coupe brutalement.
Mais ce n'est pas tout : il y a une autre dernière scène. Le chauffeur fait les courses dans un supermarché, elle porte un masque, puis elle monte dans une voiture rouge en tout point semblable à celle du metteur en scène, où l'attend un chien. J'ai alors imaginé que tout cela n'était rien d'autre que l'histoire que se raconte une femme tandis qu'elle fait ses courses, ayant changé son chien en veuf dont la sagesse l'empêche de se laisser bouleverser par la vie. La fiction qu'on s'invente encore malgré les masques, l'épidémie et l'injonction à la consommation.
Drive my Car est un film d'espoir : le rêve est toujours possible (la fiction le conduit), l'imagination toujours vive (comme un orgasme). D'ailleurs quand le noir est tombé sur la scène d'Oncle Vania, il restait une flamme à l'écran, d'une vieille lampe à huile, une flamme minuscule, mais tenace.
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Tyra a écrit :
mer. 25 août 2021 14:20
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La grosse douche froide. C'est donc ça, la dernière sensation cannoise "qui méritait mieux au palmarès". Jusque là j'étais plutôt gentil, sur la réserve, concernant les précédents films du cinéaste, mais ici, trop c'est trop. Marre de ce cinéma frigide (oui, bien que l'acte sexuelle soit montré comme moteur de la création dans la première partie), et plat, terriblement plat. En résumé (si vous me permettez l'outrage de séparer fond et forme), je dirais : plat formellement, plein de platitudes sur le fond. Le parcours laborieux sur plusieurs d'années d'un homme pour arriver à la conclusion qu'il n'aimait pas l'infidélité de sa femme et qu'il se taisait par lâcheté. Epiphanie et surmontement du deuil à la toute fin qui viennent par le travail du théâtre. Vision thérapeutique de l'art que je déteste.
Le film hésite constamment entre le développement de longues séquences théâtrales d'un coté, de longues séquences de voiture avec la "réincarnation" de sa fille morte de l'autre. Or il n'arrive rien du tout des deux cotés. Coté voiture, parce que Hamaguchi n'est pas Kiarostami, et qu'il ne sait que faire d'une voiture, comment construire tout un film sur cet espace restreint, comment filmer l'intérieur, comment filmer l'extérieur qu'on y voit.
Les séquences théâtrales de l'autre coté, qui sont décevantes, parasités par un personnage irritant, l'amant de la femme défunte, qui éclipse toute la troupe de comédiens qu'on aimerait voir, laisser vivre un peu. A un moment du film, après une répétition, les personnages principaux sortent de la pièce, et on assiste quelques minutes au débrief des comédiens, on les laisse vivre enfin, déborder un peu du scénario, et puis plus rien, retour au ron-ron programmatique du trauma à surmonter. J'ai l'impression que c'est souvent ça le cinéma d'Hamaguchi, plusieurs scènes pourraient être biens, faire basculer le film vers autre chose, mais ça n'arrive jamais.

Si un défenseur du film veut bien parler de ce qu'il a aimé, j'en serais très curieux. :)
Ok :D

(Je n'avais pas du tout pensé que le chauffeur pouvait être l'incarnation de la fille morte du metteur en scène : c'est bien vu !
Mais comme pour moi le metteur en scène est le double fictif du chien du chauffeur...)

Sinon, il ne me semble pas qu'il y ait de vision thérapeutique de l'art. J'ai plutôt eu l'impression que l'art force ceux qui le pratiquent à comprendre, entendre, réaliser des choses auxquels ils voulaient échapper. C'est autre chose qu'une thérapie, me semble-t-il.
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asketoner a écrit :
sam. 28 août 2021 14:26
Mais ce n'est pas tout : il y a une autre dernière scène. Le chauffeur fait les courses dans un supermarché, elle porte un masque, puis elle monte dans une voiture rouge en tout point semblable à celle du metteur en scène, où l'attend un chien.
Je pense que la voiture est celle du metteur en scène. Et le chien celui du couple Coréen.

Durant la discution entre le metteur en scène et la fille-chauffeur devant la maison sous la neige ils disent C'EST VRIAMENT UN SPOILER !!!!!! : qu'ils ont tue respectivement : lui sa femme et elle sa mère. Bien évidement que ce n'est qu'une métaphore mais SPOILER !!! : la fille, në serait-elle passée à l'acte, c'est à dire, tuer carrément le metteur en scène et s'emparer de sa voiture ainsi que les coréens et s'emparer de leur chien ? Je reconnais que c'est de la pure fantaisie ce que j'écris mais il faut reconnaître que le versant (le fait d'acheter une voiture identique à celle de metteur en scène et un chien identique à celui des coréens n'est pas très convaincant non plus, même si je vois un peu mieux la raison pourquoi elle aurait fait ça
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asketoner a écrit :
sam. 28 août 2021 14:39

(Je n'avais pas du tout pensé que le chauffeur pouvait être l'incarnation de la fille morte du metteur en scène : c'est bien vu !
Non, ce n'est pas bien vu du tout. La fille n'est pas du tout l'incarnation de la fille morte, on n'est pas dans un cinéma de métaphore, pas du tout meme. La fille-chauffeur est celle qu'elle est et point barre.
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sokol a écrit :
dim. 29 août 2021 01:09
asketoner a écrit :
sam. 28 août 2021 14:39

(Je n'avais pas du tout pensé que le chauffeur pouvait être l'incarnation de la fille morte du metteur en scène : c'est bien vu !
Non, ce n'est pas bien vu du tout. La fille n'est pas du tout l'incarnation de la fille morte, on n'est pas dans un cinéma de métaphore, pas du tout meme. La fille-chauffeur est celle qu'elle est et point barre.
Pas forcément la réincarnation, mais la fille qu'il aurait eu si elle n'était pas morte, puisqu'elle a exactement le même âge, c'est précisé dans un dialogue.
Kahled
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sokol a écrit :
dim. 29 août 2021 01:04
asketoner a écrit :
sam. 28 août 2021 14:26
Mais ce n'est pas tout : il y a une autre dernière scène. Le chauffeur fait les courses dans un supermarché, elle porte un masque, puis elle monte dans une voiture rouge en tout point semblable à celle du metteur en scène, où l'attend un chien.
Je pense que la voiture est celle du metteur en scène. Et le chien celui du couple Coréen.

Durant la discution entre le metteur en scène et la fille-chauffeur devant la maison sous la neige ils disent C'EST VRIAMENT UN SPOILER !!!!!! : qu'ils ont tue respectivement : lui sa femme et elle sa mère. Bien évidement que ce n'est qu'une métaphore mais SPOILER !!! : la fille, në serait-elle passée à l'acte, c'est à dire, tuer carrément le metteur en scène et s'emparer de sa voiture ainsi que les coréens et s'emparer de leur chien ? Je reconnais que c'est de la pure fantaisie ce que j'écris mais il faut reconnaître que le versant (le fait d'acheter une voiture identique à celle de metteur en scène et un chien identique à celui des coréens n'est pas très convaincant non plus, même si je vois un peu mieux la raison pourquoi elle aurait fait ça
Salut ! Vu le film hier et beaucoup aimé.

Je ne l’avais pas compris en voyant la scène de fin mais mon amie qui était avec moi au cinéma me l’a précisé à la fin de la séance :le chauffeur est en fait en Corée du Sud (elle a reconnu la langue quand la caissière du supermarché s’est exprimée, moi je suis passé à côté). Je pense donc plutôt qu’elle a suivi le couple (la muette et l’interprète) en Corée, l’actrice muette étant coréenne, et le couple a finalement fini par lui laisser le chien. Pareil pour le metteur en scène qui lui a laissé la 🚗. Ça ferait sens au vu de la relation qui s’est nouée entre eux et qui a amené le metteur en scène à lâcher prise : accepter l’infidélité de sa femme, accepter de jouer à nouveau Oncle Vania et donc accepter, pourquoi pas, de léguer sa voiture ! Au début, il ne voulais pas qu’un(e) autre la conduise, puis il a accepté, puis il ne voulait pas qu’on fume dedans, puis il a accepté. La suite logique c’est donc qu’il la donne.
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A noter aussi que la voiture a un volant à gauche, alors qu'on roule à gauche au Japon et que les volants sont à droite (comme en Grande Bretagne). C'est donc une voiture continentale.
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Kahled a écrit :
dim. 29 août 2021 10:34


Je ne l’avais pas compris en voyant la scène de fin mais mon amie qui était avec moi au cinéma me l’a précisé à la fin de la séance
Parfait ! Et c'est la bonne et unique explication !! Un grand merci meme !!!

Je me disais bien : on n'est pas vraiment au Japon mais pris par le film, je n'ai sans doute pas eu le temps de réaliser qu'on est en Corée du Sud (pourtant, au bout de 5-6 secondes je reconnais les 2 langues qui sont bien différentes phonétiquement).
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à propos de langue : même les quelques minutes des dialogues parlés par la taïwanaise suffisent pour réaliser à quel point la langue chinoise est un langue tonale mais pas le japonais ou le coréen
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Langue_à_tons
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sokol a écrit :
dim. 29 août 2021 16:36
à propos de langue : même les quelques minutes des dialogues parlés par la taïwanaise suffisent pour réaliser à quel point la langue chinoise est un langue tonale mais pas le japonais ou le coréen
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Langue_à_tons
Oui et je reverrais bien le film d’ailleurs rien que pour le travail qu’il fait sur l’utilisation des langues. C’est un sujet à lui seul !
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@Kahled : merci pour cette précision !

@sokol : si, je pense que c'est tout de même un enjeu, et c'est précisément là que le film me semble grand : tous les enjeux sont présents, mais l'emphase est esquivée (la métaphore n'est jamais privilégiée). Ce qui est montré, c'est la vie, c'est tout. C'est que cette fille qui conduit le metteur en scène pourrait être sa fille, mais ne l'est pas.
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Les Sorcières d'Akelarre, Pablo Agüero

Jeunes femmes en nuisette éclairées par des feux de camp, dissertant sur le sabbat et la pleine lune en chuchotant, et violentées par des hommes plus âgés qu'elles toutes les deux minutes, dans un mélange de montage dynamique, de bruitages suggestifs et de grands violons...
J'avais plutôt aimé le premier film de Pablo Agüero, Eva ne dort pas - dommage.
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asketoner a écrit :
dim. 29 août 2021 23:53
C'est que cette fille qui conduit le metteur en scène pourrait être sa fille, mais ne l'est pas.
Oui, dit comme ça, je suis d'accord. (c'est moi même d'ailleurs qui dis dans le petit commentaire qui accompagne le film sur la liste top-2021 que la chauffeuse c'est la fille de Stalker).
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Vive L'Amour !, Tsai Ming-Liang, 1995

Le monde est à vendre : tous les appartements du film sont à vendre (sauf celui de la vendeuse), pour vivre il faut vendre ou acheter, et pour mourir aussi il faut acheter (une bonne place au columbarium). Même le grand parc est en travaux, aux mains d'un paysagiste pas pressé de rendre aux habitants la beauté qui leur fait défaut.
Alors sans territoire, comment reconnaître l'autre, comment appréhender sa présence, son absence, ses passages ? L'amour est impossible, pense-t-on. Mais c'est sans compter les cendriers - toute cette fumée qu'on produit, tous ces mégots qu'on laisse derrière soi, manière de dire : "je vis". Si les baies vitrées sont muettes, les corps nous révèlent. Ainsi l'amour subsiste, dans les paysages mis à prix, les appartements qui ne témoignent que d'eux-mêmes, ou sur les trottoirs couverts de robes vides attendant qu'un corps s'en empare.
N'importe quel corps, n'importe quel amour. Il y a chez Tsai Ming-Liang une certaine insistance sexuelle. Mais c'est la même insistance avec laquelle il filme les larmes de son actrice à la fin du film : sa caméra replace l'organique (et donc le pulsionnel) au coeur de la ville si fonctionnelle qu'elle pourrait fonctionner sans nous.
C'est magnifique, cette résistance de l'amour dans un décor qui voudrait étouffer tout affect. Lee Kang-Sheng balance une pastèque contre un mur nu, elle s'ouvre, il frotte sa bouche sa joue son front contre la chair verte. Il y aura toujours du désir.
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asketoner a écrit :
mar. 31 août 2021 01:15
C'est magnifique, cette résistance de l'amour dans un décor qui voudrait étouffer tout affect. Lee Kang-Sheng balance une pastèque contre un mur nu, elle s'ouvre, il frotte sa bouche sa joue son front contre la chair verte. Il y aura toujours du désir.
C'est quelque chose ce film. Quand je l'ai (re)revu durant la confiture, je suis encore (et encore) tombé de très haut.
La chance que @groil_groil a : il doit le découvrir (et aussi d'autres films de Tsai de la même période).
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:love:
sokol a écrit :
mar. 31 août 2021 10:28
asketoner a écrit :
mar. 31 août 2021 01:15
C'est magnifique, cette résistance de l'amour dans un décor qui voudrait étouffer tout affect. Lee Kang-Sheng balance une pastèque contre un mur nu, elle s'ouvre, il frotte sa bouche sa joue son front contre la chair verte. Il y aura toujours du désir.
C'est quelque chose ce film. Quand je l'ai (re)revu durant la confiture, je suis encore (et encore) tombé de très haut.
La chance que @groil_groil a : il doit le découvrir (et aussi d'autres films de Tsai de la même période).
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Peaux de Vaches, Patricia Mazuy, 1988

Totalement épaté par ce film, qui m'explique un peu mieux ce que beaucoup de gens ont trouvé si bien dans Paul Sanchez est revenu.
Les hiatus entre la musique et l'image sont ici donnés d'emblée, avec le gros plan sur l'oeil de la vache. Ensuite, c'est le chaos très humain, le débordement permanent (et puis le retour à l'ordre, permanent lui aussi : le mariage de l'épilepsie et de l'inertie), le lyrisme des mouvements saccadés de la vie, la grandiloquence aussitôt ramenée à la raison (c'est-à-dire à la boue).
La boue, les champs, la campagne du Nord, servent de décor hyper-français à ce drame qui cherche toujours l'envergure et l'intensité, même lorsqu'il cède à la divulgation des petits secrets de son scénario.
Pour autant, la mise en scène ne tremble pas, précise, pointue, jamais complaisante. Au moins une idée par plan. Et mieux qu'une idée : du désir. Et mieux qu'un plan : un surgissement.
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Autre chose : on a beaucoup dit dans les années 90 que le cinéma français ne s'intéressait qu'aux beaux quartiers de Paris et à la bourgeoisie de province. Ce film est une preuve du contraire. Mais personne n'a voulu le voir.
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@asketoner : merci pour ce très beau texte Aski :love2:
Je crois que j'ai beaucoup aimé Drive My Car, en tout cas il m'a bouleversé en profondeur, même si je sens que je vais avoir du mal à dire pourquoi dans un texte.
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@asketoner Oui, Peaux de vaches est extraordinaire mais si ma mémoire est bonne, tu ne l'aimais pas celui-ci (ou tu n'aimais pas trop les films de Mazuy).

Pour moi, c'est une des plus dignes héritières de Godard. C'est comme tu l'écris ("Les hiatus entre la musique et l'image", "Au moins une idée par plan", "Et mieux qu'une idée : du désir. Et mieux qu'un plan : un surgissement" etc). Je pense qu'elle s'en sort beaucoup mieux que Claire Denis (sans faire de sexisme, mais c'est un peu logique de comparer 2 réalisatrices je pense).
Puis, tu l'as vu en copie neuve. Ça doit être quelque chose car en plus, la lumière c'est du Coutard non ?
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asketoner a écrit :
mer. 1 sept. 2021 22:09
Autre chose : on a beaucoup dit dans les années 90 que le cinéma français ne s'intéressait qu'aux beaux quartiers de Paris et à la bourgeoisie de province. Ce film est une preuve du contraire. Mais personne n'a voulu le voir.

Autre contre exemple : Y aura t'il de la neige à noel de Sandrine Veysset !
Que des films peu vu et/ou oublié, j'imagine...
Tu me donnes envie de voir Peaux de Vaches en tout cas, j'espère qu'il ressortira en Belgique.
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cyborg a écrit :
jeu. 2 sept. 2021 09:34
Je crois que j'ai beaucoup aimé Drive My Car, en tout cas il m'a bouleversé en profondeur, même si je sens que je vais avoir du mal à dire pourquoi dans un texte.
De plus en plus, je pense que c'est "du Kiarostami". Non seulement pour la voiture (même si, sans aucun doute, il s'en est largement inspiré) mais pour le coté "double culture" cinématographique : Hamaguchi est autant oriental (le Japon comme l’Extrême Orient) et occidental, c'est à dire, tout comme Kiarostami, c'est des Platoniciens : ils pense que l’homme est une abstraction platonicienne * en lui-même. Après, derrière Kiarostami veille Rossellini. Mais pas que (et c'est ça qui est intéressant).

*Ousia de Platon
Modifié en dernier par sokol le jeu. 2 sept. 2021 10:02, modifié 1 fois.
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sokol a écrit :
jeu. 2 sept. 2021 09:36
@asketoner Oui, Peaux de vaches est extraordinaire mais si ma mémoire est bonne, tu ne l'aimais pas celui-ci (ou tu n'aimais pas trop les films de Mazuy).

Pour moi, c'est une des plus dignes héritières de Godard. C'est comme tu l'écris ("Les hiatus entre la musique et l'image", "Au moins une idée par plan", "Et mieux qu'une idée : du désir. Et mieux qu'un plan : un surgissement" etc). Je pense qu'elle s'en sort beaucoup mieux que Claire Denis (sans faire de sexisme, mais c'est un peu logique de comparer 2 réalisatrices je pense).
Puis, tu l'as vu en copie neuve. Ça doit être quelque chose car en plus, la lumière c'est du Coutard non ?
Je ne l'avais jamais vu : c'est Saint-Cyr que je n'aime pas, et Paul Sanchez ne m'avait pas passionné.
C'est sûr qu'elle s'en sort mieux que Claire Denis. :D Je dirais même : elle s'en sort mieux que Varda avec Sans toit ni loi (que Mazuy a monté).
La copie était superbe, les couleurs fantastiques (alors que c'est très difficile, la campagne sous la pluie : vert et marron...)
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cyborg a écrit :
jeu. 2 sept. 2021 09:37
asketoner a écrit :
mer. 1 sept. 2021 22:09
Autre chose : on a beaucoup dit dans les années 90 que le cinéma français ne s'intéressait qu'aux beaux quartiers de Paris et à la bourgeoisie de province. Ce film est une preuve du contraire. Mais personne n'a voulu le voir.

Autre contre exemple : Y aura t'il de la neige à noel de Sandrine Veysset !
Que des films peu vu et/ou oublié, j'imagine...
Tu me donnes envie de voir Peaux de Vaches en tout cas, j'espère qu'il ressortira en Belgique.
:hello:


Absolument, j'y ai pensé pendant le film !
Et Passe-Montagne aussi.
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asketoner a écrit :
jeu. 2 sept. 2021 09:53
elle s'en sort mieux que Varda avec Sans toit ni loi
Varda c'était une photographe, pas une cinéaste : tu crois que Godard ne lui a pas ouvert la porte de sa maison pour rien ? :D
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Comme d'hab, peu de films en été mais tout de même, le long du mois d'aout :

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Revu cet immense classique que j'ai vu au tout début de ma cinéphilie, il y a quelque chose comme 15 ans, et que je n'avais pas particulièrement aimé.

Si Varda. est peu ou prou la seule femme de la nouvelle vague, elle en est aussi la membre dont les films (fictionnels du moins !) sont d'une certaine façon les plus simples, voir les plus humbles. Pas de policier comme chez Godard, pas de science-fiction comme chez Resnais, pas de dualité théatre-vie comme chez Rivette etc etc. Juste une proximité au quotidien, ce qui explique sans doute sa direction prise vers le documentaire assez rapidement.
Cléo de 5 à 7 est peut-être la quintessence du cinéma de Varda : l'attente d'une jeune femme, durant 2h, de ses résultats médicaux pendant qu'elle erre dans Paris.
Tout se joue donc sur la gestion du temps, que la réalisatrice ne cherche jamais à remplir inutilement, adoptant le flux naturel des évènements ou de l'ennui. Il y a quelque chose d'un peu "Woolf" dans ces flots de vie, équilibre entre le personnage et son environnement dont l'un puis l'autre apparaissent plus ou moins en avant. La mise en scène, adroite, vient parfaitement compléter les humeurs et états qui traversent Cléo. Comble de l'audace, la fin est ouverte ou, du moins, n'est pas positive : la maladie est bien là. C'est grâce à cette note suspendue que l'exercice de style qu'aurait pu être Cléo de 5 à 7 gagne en grandeur.


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Daguerréotypes - Agnès Varda

Varda filme au plus près de chez elle : les commerçants qui entourent son logis dans la rue Daguerre à Paris. Mignon mais aussi un peu ennuyant, malgré les 50 ans du film présentant une France totalement disparue. Je n'ai pas réussi à aller au bout.

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La bataille de Culloden - Peter Watkins - 1964

Premier long-métrage de Watkins dans lequel il invente son style, alors révolutionnaire pour l'époque : le film d'époque tourné sur un mode documentaire, exactement ce qui deviendra sa signature tout au long de sa carrière. Cett forme est parfaite pour éviter toute romantisation du chaos que fut la bataille de Culloden et valoriser une approche humaniste, au plus proche des souffrances des participants.
Il ne s'agit bien sur pas du meilleur film de Watkins, ni son plus bouleversant, mais il me semble néanmoins incontournable pour les amateurs de son travail.




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La loi de Téhéran s'ouvre comme un polar poisseux et nerveux, sous l'égide de tous les cadors du genre du Hollywood moderne. La présence de la citation de Friedkin sur l'affiche n'est pas un hasard, mais on pense aussi à Schrader et surtout à Mann, pour la gestion de l'espace, du temps, de la tension. Si la première partie est efficace, le film se révèle véritablement dans sa deuxième partie comme si le réalisateur semblait soudain se rappeler qui il était et où il situait ton film et qu'il introduisait alors une touche "culturelle". Les langues se délient et deviennent très bavardes, la fragilité des corps et des esprits se révèlent (que de larmes !), l'âge de l'enfance est porté aux nus, venant donner une inattendue tournure sociale et politique au film, bien loin de ses débuts très bad-ass. Belle réussite.

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Belarmino - Fernando Lopes - 1964

Documentaire sur Belarmini, boxeur portuguais raté ou presque, aux prises entre sa vie privé et la société de l'époque. Dans un style "cinéma-direct", le film alterne des scènes très "film-noir" (ambiance club de sport, errances urbaines et cabarets enfumés), et de long échange face caméra avec Belarmini. Il en ressort un beau portrait, fragile et franc.


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"Elève des corbeaux et ils te crèveront les yeux" nous dit l'expression du titre (cría cuervos y te sacarán los ojos).
Précisément. Jamais je n'ai vu un film ou le regard, celui des protagonistes et celui du réalisateur, avait une place aussi centrale. Les yeux, immenses et devenus iconiques, de l'enfant du rôle titre, mais aussi ceux de tous les personnages ont une puissance incroyable. Mais le film ne les crève pas, il les laisse nous transpercer. Ces regards qui portent tous les gestes, toutes les photos, toutes les bibliothèques que nous sommes. Si nous nous accordons avec Derrida pour dire que le cinéma est l'art de la fantomachie, alors Cria Cuervos en est la quintessence. Magnifique.


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Si je m'accorde avec Sokol pour dire que le film ne contient pas véritablement d’éléments métaphoriques, il n'en a pas moins des éléments symboliques. La voiture, bien sur, ou le héros se retrouve passager, mais aussi la conductrice (le "drive", en anglais "la motivation") et le jeune acteur dont la proximité physique avec le personnage principal en fait un double rajeuni porteur de pulsions qui se seraient taries au fil du temps.
Ces considérations mises à part, très axés sur "l'acte de création", Drive My Car me semble un grand film sur nos solitudes et la nécessité de nos liens, essentiels malgré la difficulté à les faire émerger, exister, perdurer. La communication est au centre de toutes les scènes, dans l'union et les possibles qu'elle fait naître.
Je ne sais pas quel part de réussite on peut imputer à Murakami (que je n'ai jamais lu mais le scénario s'en inspire) mais la mise en scène de Hamaguchi est d'une très grande justesse et précision, venant porter avec évidence certains passages qui auraient pu se ratatiner de balourdise.
Je crois que j'aimerais déjà revoir le film, et en tout cas découvrir les premiers films du réalisateur.
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cyborg a écrit :
jeu. 2 sept. 2021 12:57
Je ne sais pas quel part de réussite on peut imputer à Murakami
Si tu veux tu peux lire un peu ça : ils ont fondé leur critique uniquement sur la comparaison entre les 3 nouvelles de Murakami et le film :
https://www.cineclubdecaen.com/realisat ... emycar.htm
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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FRANCE

Putaing, c'est cong, j'y ai cru pendant un moment. Pas à un grand film, mais à quelque chose qui se tient très bien sur ses deux jambes, une satire efficace, étonnante aussi, vu que le personnage principal est plus empathique que prévu, son parcours s'avérant être une dépression amenant à une remise en question. Le truc, c'est que j'y suis allé sans m'être renseigné sur sa durée. Et vu comment cela avançait, j'ai très vite pensé qu'on était devant un film court, 1h30 ou 40 à tout péter.
Le film dure 2h15...
La descente aux enfers de la seconde partie du film est un cas d'école. Une vraie contre-leçon de scénario et montage, les deux étant particulièrement liés. J'ai passé mon temps à croire que j'assistais à la fin du film, je voyais des portes de sorties partout. Mais à chaque fois il remet une pièce et c'est le grand 8 qui tourne en rond. Par exemple, quand elle reprend le boulot et retourne au Moyen Orient, j'ai cru à sa mort, une forme de suicide car sa dépression a définitivement pris le dessus. Ca aurait été pas mal. Bon, finalement, l'idée était d'amener cette scène de migrants qui traversent la mer, qui aurait pu être intéressante, mais bien plus tôt dans le film. Là, ça sonne comme une régression, un bégaiement, bref ça n'a rien à foutre là à ce moment là. Et ce n'est que le début de cette fin immonde. J'ai un aveu, cela dit. J'ai beaucoup aimé la scène de l'accident de voiture. J'ai presque honte de le dire, mais elle a quelque chose d'assez singulier. La musique de Christophe fonctionne très bien, d'ailleurs. Mais pareil : dans le contexte du film, What the fuck ? Où tu vas, Dumont ? Clairement, nulle part.
Je pense que l'expérience sérielle ne lui a pas fait du bien. Parce que c'est ça, en fait : c'est structuré comme une série alors que ça avait parfaitement la gueule d'un film court sans fioritures. C'est dommage. Y a vraiment un bon film possible caché dans ce raté.

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DRIVE MY CAR

J'aime moins que Senses et Asako (mes deux films préférés de leur année de sortie, c'est dire si je suis fan)
Je l'ai trouvé plus programmatique et moins étonnant. La faute à quoi ? Peut être parce que, cette fois, la disparition du proche (car ses films parlent toujours de ça) est un deuil direct ? Ou que le héros est un homme de son âge ? J'imagine que c'est parce que c'est une adaptation, surtout... Quoiqu'il en soit, tout ça a amené Hamaguchi a faire son film en mode "facile", amenant beaucoup de choses téléphonées, pour moi. Chaque évolution de l'histoire est prévisible minimum 2 scènes plus tôt. Pas grave, si ce n'est que c'est pas le cas dans ses précédents films. Asako a des "twists" un peu soapesque, mais a un personnage principal aux réactions imprévisibles. Senses est étonnant de bout en bout. Bref, le prix du scénario cannois n'est pas usurpé, mais ce n'est pas ce qu'il a écrit de mieux.
Par contre c'est super beau comme d'hab ! Je ne sais pas comment il fait, surtout dans ce cas précis, avec des décors aussi plat à la base, Hiroshima n'étant pas la ville la plus esthétique qui soit. Et là commencent les compliments, parce que quand même, quel auteur contemporain on a ! C'est le seul mec aujourd'hui qui peut faire des films de 3h ou plus et où j'y vais ravi. Déjà, parce qu'on ne les sent pas. Ensuite, parce que c'est totalement nécessaire dans ce qu'il veut faire. Le but est toujours de parler d'une absence qui bouscule la vie du/des personnages principaux. Et pour que ça marche, il faut une intro qui est un film en soi, avec cette personne au centre, pour que nous même spectateurs ressentons cette absence. Senses est son oeuvre qui fait le plus fort, avec ces 5h30, il faut attendre le 2e film selon le découpage français pour percevoir cela. Ca et cette façon de s'attarder sans cesse sur des détails, quitte à faire durer des scènes 15 minutes, alors que dans d'autres films elles en auraient duré 15 secondes. Evidemment, ici j'ai en tête les répets. Mais aussi tout ce qui concerne les personnages secondaires. Hamaguchi a ce don de donner la sensation que chaque personnage secondaire pourrait être le principal d'un autre film à faire. (Lucas Belvaux m'avait appris ça avec sa trilogie, je trouve ça prodigieux quand on y arrive en un seul film). Et tout cela, en faisant du cinéma, jamais du scénario filmé. Chapeau.
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asketoner a écrit :
lun. 30 août 2021 13:47
La seule réserve que j'ai sur le film tient justement au fait que ce soit une adaptation, et que si au début il parvient à nous le faire oublier,
la scène dans la neige où le chauffeur et le metteur en scène se prennent dans les bras l'un de l'autre me semble trop collée au livre duquel elle vient (mais ce n'est qu'une impression, car je n'ai pas lu le livre).
sokol a écrit :
lun. 30 août 2021 15:01
J'ai la même réserve. Pour faire très très simple : ça donne au film un coté "Eureka" (et automatiquement, de "déjà vu"). Le catharsis quoi...
Nous nous sentirons moins seul : François Bégaudeau (qui a tout de même aimé le film, tout en pensant qu'il aurait pu être un chef d’œuvre) dit exactement la même chose, sauf que, notre ressenti, il l’appelle, très justement, la scénarisation de la dernière partie du film (selon lui, le personnage de la chauffeure scénarise donc ficèle le film). Ou comme il dit, l'art du scénario est un art médiocre, la preuve : la dernière partie de ce film.

A écouter : https://soundcloud.com/la-gene-occasion ... ive-my-car
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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Tyra
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Précision : j'ai lu sur un autre forum que la fin à Hokkaido n'est pas dans la nouvelle de Murakami.
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sokol
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Tyra a écrit :
lun. 6 sept. 2021 10:20
Précision : j'ai lu sur un autre forum que la fin à Hokkaido n'est pas dans la nouvelle de Murakami.
Merci.
Mais peu importe : ce qui compte c'est qu'on a eu le même sentiment vis à vis de la fin (trop scénarisé ?) du film et je trouve que Bégaudeau argumente vraiment bien
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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groil_groil
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Salut les amis.

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Mélodrame parfois larmoyant mais globalement assez juste et émouvant. Quelques moments rappellent un croisement entre James Ivory (Hopkins y est pour beaucoup) et Tendres Passions (une Debra Winger condamnée y est pour beaucoup également).

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Un Curtiz milieu de tableau, dans le milieu de la presse, assez en avance sur la place de la femme dans un milieu alors essentiellement masculin.

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Très bon thriller 90's, sans doute le meilleur Apted, situé en réserve indienne et qui, tout en évoquant de loin le Sunchaser de Cimino, se présente plus comme une version indienne de Mississippi Burning (c'est parfois assez flagrant).

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Extraordinaire film documentaire (inséré dans le livre de Francis Dordor tout aussi extraordinaire nommé "Disquaires") qui retraçe en détail et avec de nombreux entretiens (d'Elton John à Dave Grohl) l'ascension et le déclin du magasin (et très vite de la chaine de magasins) de disques Tower Records.

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J'ai toujours et depuis sa sortie aimé et défendu l'Esprit de Caïn, chef-d'oeuvre incompris du cinéaste. Incompris car son montage était notamment parfois assez expérimental. Or il se trouve qu'un fan hollandais a complètement remonté le film d'après le scénario original de De Palma, respectant tous les jeux de flashes-back alors que le cinéaste avait opté pour une lecture linéaire (mais qui bizarrement compliquait la compréhension), et changeant assez radicalement le sens du film, puisqu'il s'ouvre désormais sur la femme de Caïn qui devient le personnage principal (tout le début du film est son histoire d'amour adultère et devient quasiment un remake de celui de Pulsions, c'est aussi troublant que sublime) et la folie de son mari arrive progressivement au lieu d'être montrée d'emblée. Ce montage a été vu par De Palma, qui l'a tellement adoré qu'il a vu d'un coup le film qu'il rêvait alors de faire (on ne sait pas pourquoi il n'a au montage, absolument plus suivi le scénario prévu) et l'a nommé, sans rien foutre, Director's Cut, et ce montage est désormais présent sur le bluray aux côtés de la version cinéma. Ce nouveau montage en fait l'un des grands thrillers de Palma, à classer entre Pulsions et Obsession, et je vous invite vraiment à le redécouvrir ainsi. Mais entendons-nous bien : hors de question pour moi de renier le montage initial que je continue à adorer, mais à l'instar d'un Apocalypse Now, c'est désormais un film qui existe et que l'on aime sous plusieurs versions, avec le même amour.

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Le western n'est pas le genre où Fulci est le plus à l'aise, mais celui-ci est assez réussi. Le cinéaste parvient à créer un quatuor qui a du corps, de la consistance, et évite les clichés grâce à sa cruauté.

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Fan de Duval, acteur comme réal, il est parfois difficile de mettre la main sur les films qu'il a réalisés. Merci donc à l'éditeur Rimini d'avoir publié, dans une copie sublime, cette rareté vraiment étonnante basée sur une relation compliquée et réelle entre Duval et son meilleur ami. Le film met en scène un trio formé d'un casting aussi original qu'exemplaire, Marie-Christine Barrault, Jean Carmet et Daniel Duval, et s'il se présente au départ comme une comédie, est in fine un film assez sombre et désespéré. Le personnage central est joué magnifiquement par Carmet, un paumé, ancien acteur comique sur le déclin, qui ne trouve pas sa place au monde, et qui s'éloigne progressivement et volontairement de son meilleur ami lorsque celui-ci tombe amoureux. La façon dont Duval filme le Paris de 1980 est magnifique.

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Bonjour, Monsieur La Bruyère - Jacques Doniol-Valcroze - 1956

Un des premiers courts de Doniol-Valcroze à la fois vieillot et moderne (c'est assez marrant de voir ça d'ailleurs, comme si des choses étaient en train de se jouer, de changer ;) ) sur la figure de La Bruyère, dont on se demande bien pourquoi DV a eu l'envie de lui consacrer un film.

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Les Surmenés - Jacques Doniol-Valcroze - 1958

Un autre court de Doniol-Valcroze, mais beaucoup plus réussi, totalement réjouissant, en plein esprit Nouvelle Vague, presque aussi dense qu'un petit long-métrage et avec un casting savoureux : Jean-Claude Brialy, Jean-Pierre Cassel, Hubert Deschamps, et une courte apparition de Claude Chabrol.

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J'attendais beaucoup de ce Anthony Mann et quelle déception : le film n'est en rien le grand film noir qu'on est en droit d'espérer mais un pauvre film de commande du Département du Trésor des États-Unis fait pour vanter les mérites de ses équipes d'enquêteurs. L'intégralité du film est accompagnée d'une assomante et sempiternelle voix-off qui casse toute tentative d'action ou de mise en scène en racontant ce que vont faire les personnages et en expliquant pourquoi c'est bien et comment ils servent bien les intérêts des Etats-Unis.

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Content après La Brigade du Suicide d'enquiller avec un bon Mann, un des ses westerns classiques, où il retrouve son alter ego James Stewart. Ce n'est cependant pas le meilleur film du duo (on est loin de L'Homme de la Plaine par exemple) et je dirais que c'est juste un "bon western", ce qui n'est déjà pas si mal. Le plus du film étant bien évidemment le personnage de Stewart qui pour une fois est super ambigu, pingre, individualiste, et d'un égoïsme surprenant pour un acteur habitué à jouer les humanistes.

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Enfin vu ce sommet de film d'aventures des 70's, réalisé par l'enfant terrible du Nouvel Hollywood, John Milius himself (c'est son second long, on est en 1975, il a travaillé sur le scénar de Jaws et pas encore sur celui d'Apocalypse Now). C'est un film vraiment très étonnant car il mêle deux genres. Le film d'aventures à l'ancienne, entre Lawrence d'Arabie et l'Homme qui voulut être roi pour aller vite, c'est à dire un cinéma à grand spectacle, mais un cinéma adulte, dur, parfois assez violent. Et de l'autre côté, quelque chose qui n'existe pas encore, mais qui est ici en germe, on va appeler ça le cinéma à la Amblin, un cinéma qui explosera avec Lucas et Spielberg, un côté Indiana Jones donc, qui reste un cinéma d'aventures, mais qui y incorpore de l'humour, du second degré, et qui infantilise le genre, le transforme en un cinéma pop-corn accessible à toute la famille. Le Lion et le Vent est un film passionnant car c'est une sorte de film Amblin mais où on coupe des têtes et où on enlève des enfants dans un degré de violence qu'on ne voit pas chez Amblin. Idem pour le personnage joué par Sean Connery. Il faut certes accepter le fait qu'un lord écossais puisse jouer un sultan arabe (c'est assez facile en fait), mais ce qu'il y d'osé c'est qu'il joue le grand méchant du film. Il est méchant mais en même temps sympa. D'ailleurs Milius le ridiculise dès sa première scène. Tout le film joue là-dessus, sur cet entre deux, entre deux genres, entre humour et cruauté, et même entre film d'auteur et cinéma de divertissement. Car s'il est un vrai divertissement, le film de Milius est magnifique plastiquement et en terme de mise en scène. Milius aurait pu être un des plus grands cinéastes d'Hollywwod, mais l'histoire en a décidé autrement.

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Des aléas de la cinéphilie : quand ce film est sorti (1988), il représentait absolument tout ce que je détestais, du cinéma commercial sans âme, putassier. Je l'ai revu il y a 10 ans et j'ai trouvé que c'était un bon thriller domestique. Aujourd'hui j'en viens à l'acheter en bluray, la copie est superbe d'ailleurs, et à trouver le film remarquable. Acteurs démentiels, jusque dans les moindres détails, scénario superbement construit (je croyais qu'il en faisait trop mais en fait non, c'est l'un des meilleurs thrillers de l'époque) et la mise en scène a pris avec le temps une pâtine qui la rend agréable. New York est magnifiquement filmé, et le film nous renvoie l'image de ce qu'était la ville il y a 30 et quelques années. Plus que ça, ce genre de films nous renvoient à ce que nous étions à l'époque, et c'est aussi ce qui rend le film aimable, c'est l'image qu'il nous renvoie de nous. Le temps passant transforme les films, les fait vieillir, parfois c'est dommageable et quand les films sont bons ils sont mieux avec de l'âge.

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Si j'ai un cinéaste hollywoodien à creuser dans l'année à venir, c'est bien Delmer Daves, dont cette découverte est une fois de plus saisissante : sous couvert d'un (magnifique) western, Daves ouvre son film comme un mélodrame Sirkien pour l'achever comme une grande tragédie grecque où le fatum décide à ta place. Brillant.
I like your hair.
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asketoner
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24 Frames, Abbas Kiarostami, 2017

Je ne sais pas trop comment considérer ce film posthume.
A en croire les cartons introductifs, il semblerait qu'à la fin de sa vie Kiarostami se soit mis en tête de rendre au cinéma quelques photographies qu'il avait prises ici ou là, comme l'exercice d'imagination d'un cinéaste immobilisé.
Ainsi, il inventait, pour chacune de ses photos, un avant et un après. Il remettait du temps dans l'image. Du son, du mouvement, de la neige, de la fumée, des événements, du récit. De façon minimale, évidement. Donc de façon sensible.
Ce qui est intéressant, c'est que ce cinéaste si peu métaphysicien ait délaissé l'humain. Le coeur de chaque séquence (ou presque) de ces 24 Frames est un animal - souvent un oiseau. Et je me suis dit, en voyant cela, que Kiarostami n'avait jamais triché sur la distance à laquelle il se plaçait de la vie des humains pour les observer. Le cinéaste a toujours été l'étranger radical : celui qui regarde, questionne et met en scène, intervient quelquefois, mais ne fait pas semblant de savoir.
En filmant des animaux, il filme le mystère de la vie sur terre. Le mystère : c'est-à-dire la beauté et la drôlerie mêlées. Mais en filmant les humains, Kiarostami ne racontait pas autre chose. Il n'a jamais eu la prétention de nous mettre "dans la tête de" ses personnages. Ni de nous faire ressentir ce qu'ils ressentent. Ou de nous immerger... Nous n'avions pas, spectateurs, pour mission de prendre la place des personnages, de nous identifier à eux. Et pourtant il y a de l'empathie chez Kiarostami. Il y a même de l'amitié - mais celle-ci naît précisément de la distance.
Les personnages sont de la même espèce que nous, mais nous les comprenons aussi peu (donc aussi bien) que la vache sur la plage ou l'oiseau à la fenêtre, le loup dans la neige ou l'agneau sous l'arbre. Ils nous semblent toujours bizarres. Le cinéma ne les dévoile pas, ne les prive pas de leur secret. C'est la vie elle-même qui est bizarre. (D'ailleurs elle "continue", comme le dit le deuxième film de la trilogie de Koker, et il y a de quoi s'en étonner.)
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Tyra
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Beau texte. ^^
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asketoner
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merci :hello:

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La Vallée de la peur, Raoul Walsh, 1947

C'est un film magnifique sur l'innocence et ses complications, où l'innocence est précisément le problème.
len'
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Le voleur de Louis Mallle

Les meubles qui craquent, les pas sur le parquet, Belmondo avec sa voix atone (la plus belle, la plus insaisissable), le crayon qui gratte le papier... c'est un film qui s'écoute mais aussi un film silencieux. Cette ambivalence n'est pas la seule, entre ce parfum de Révolution qui plane et cette solitude désabusée d'un personnage non moins lumineux.
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asketoner
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Serre-moi fort, Mathieu Amalric

Dans la première partie, le montage enchâssé, très vif, puzzle, donne vraiment à sentir à quel point est impossible à la fois la séparation et la re-fusion de la mère avec sa famille. Mais dès que nous sont révélées les causes de cette bizarrerie formelle (les enfants posent une question dans une maison, la mère répond dans sa voiture), tout devrait changer. Or Amalric s'accroche à ce qu'il prend pour un style, et qui n'est rien d'autre qu'une technique, une façon de beaucoup agiter les images pour nous donner l'impression du temps insaisissable et des mille impressions vécues (c'est ce que le cinéaste développe depuis Tournée à peu près). Et pour moi, ça ne tient plus vraiment. Je vois l'agitation, la facticité, les coups du scénario, les scènes un peu choc, la folie surlignée.
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Tamponn Destartinn
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Ce que j'apprécie le plus dans le cinéma d'Amalric est sa simplicité (sauf Barbara, d'où ma déception à l'époque). Malgré les premières apparences, ce film en est une nouvelle belle illustration. Je crois même que c'est mon film préféré du réalisateur. Parce qu'il raconte la pire des tragédies de la meilleure façon qui soit. Sans détourner le regard, mais sans injonctions aux larmes. En bref, dans le fond c'est comme le-film-avec-Casey-Affleck-là, mais en faisant l"inverse d'un point de vue Cinéma. Par exemple, moi j'ai pensé pas mal à Lynch.


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J'ai trouvé l'intro gentiment chiante, mais une fois le thriller lancé, ça devient assez intense. Du divertissement pur et même temps politique, dans le bon sens. John David Washington is the new Harrison Ford ?
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