Le Centre de Visionnage : Films et débats
Posté : lun. 21 août 2023 09:29
Est-ce que tu l'as vu en entier ?
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Est-ce que tu l'as vu en entier ?
Ah ok, tu ne l'as pas vu au ciné. Car, si on voit ce que tu as vu (une heure trente de tapisseries vintage), c'est impossible. Or, je l'avais adoré car j'ai vu ce que Critikat le dit très bien :
.La mise en scène du film trouve sa cohérence dans cette façon de plier le décor à la faveur d’une rencontre qui fend l’espace-temps
sokol a écrit : ↑lun. 21 août 2023 10:20Ah ok, tu ne l'as pas vu au ciné. Car, si on voit ce tu as vu (une heure trente de tapisseries vintage), c'est impossible. Or, je l'avais adoré car je vu ce que Critikat le dit très bien :
.La mise en scène du film trouve sa cohérence dans cette façon de plier le décor à la faveur d’une rencontre qui fend l’espace-temps
il est expliqué ici :
C'est 3 fois rien : https://www.critikat.com/actualite-cine ... -daughter/Comme dans la théorie de la relativité, l’espace se courbe pour rendre possible la rencontre de personnages n’appartenant pas tout à fait au même plan d’existence. C’est au fond la fonction du champ-contrechamp, où le montage opère alors la collision entre deux images filmées selon un angle de 90°. Par l’adjonction d’images tournées indépendamment les unes des autres (puisque Tilda Swinton n’a pu se répondre à elle-même dans les deux rôles de Julie et Rosalind), un espace commun et fugace se créé, à l’intérieur duquel les morts et les vivants parviennent à converser.
Par l’adjonction d’images tournées indépendamment les unes des autres (puisque Tilda Swinton n’a pu se répondre à elle-même dans les deux rôles de Julie et Rosalind), un espace commun et fugace se créé, à l’intérieur duquel les morts et les vivants parviennent à converser.
Dupieux filme Yannick comme un dieu !! Il est hyper beau, sexy, une tchatche pas possible (éloquent comme personne !!) ! Comment tu peux dire que Dupieux filme avec mépris ??
Ah je trouve qu'il filme la parole avec beaucoup de mépris au contraire. Il met les opinions dos à dos comme à la télé, comme chez Hanouna. Je ne trouve pas le personnage éloquent du tout, il y a plein de moments où ses répliques le coincent, justement, l'acculent dans une sorte de bêtise, et c'est assez net en regard de Chien de la casse où le même acteur déploie ce qui s'apparente aussi à de la tchatche, mais autrement plus fine et inventive à mon avis.
Mais si ma mémoire est bonne, dans Chien de la casse, il écrit des poésies (ou des textes de chansons) n’est ce pas ? Là, c’est juste un spectateur !asketoner a écrit : ↑ven. 25 août 2023 16:22il y a plein de moments où ses répliques le coincent, justement, l'acculent dans une sorte de bêtise, et c'est assez net en regard de Chien de la casse où le même acteur déploie ce qui s'apparente aussi à de la tchatche, mais autrement plus fine et inventive à mon avis.
B-Lyndon a écrit : ↑sam. 26 août 2023 07:35
Fermer les yeux, Victor Erice, 2023.
Seconde vision, et le film m'a cette fois paru splendide. J'ai bien fait d'y retourner, j'étais vraiment trop fatigué la dernière fois pour goûter à toutes ses subtilités, et - petite note parisiano-centrée - la salle 1 du Louxor (qu'on peut aisément nommer pire salle de Paris ), avec son écran mal étalonné et le son dégueulasse, n'a pas aidé.
J'ai surtout été plus sensible à son art délicat des scènes dialoguées, qui forment à chaque fois une sorte de chemin précis et méticuleux pour aller jusqu'au gros plan. Et lorsque le gros plan surgit, sur Miguel ou ses interlocuteurs, il serre le cœur. A chaque fois il intervient lorsque la courbe de la vie qui continue manque de se briser mais ne rompt pas tout à fait. Hier matin j'ai vu pour la première fois un film très moyen, Tous les matins du monde, dans lequel Marielle lance cependant une réplique sublime lorsqu'on vient le chercher pour jouer de la viole de gambe à la cour du roi : "Je ne suis qu'un sauvage et mes amis sont les souvenirs". Magnifique trait, cependant plein d'arrogance. D'ailleurs la figure du roi est très présente dans le film d'Erice, mais il filme un roi qui abdique, souverain du pays de ses souvenirs qui apprend à rompre et se confronter à la persistance de la vie, à aller plus loin que là où sa vie l'a semble-t-il arrêté. Ce n'est à mon sens pas un hasard que le film se passe en 2012, avant l'abdication de Juan Carlos, et qu'on voit furtivement à la télévision celui-ci, sortant vraisemblablement d'un hosto, une canne à la main. Une dimension d'humilité qui m'avait échappé la première fois : apprendre à se débarrasser de la puissance rassurante des souvenirs, qui est une prise de pouvoir sur l'existence des absents, et que la figure de la présentatrice télé montre bien. Mais en même temps ce n'est pas si simple : se souvenir est aussi le moyen d'atteindre l'autre à nouveau (l'amante d'autrefois partie sans se retourner, le fils disparu, le monteur qu'on a pas vu depuis deux ans...). La télévision, qui manipule le réel pour créer des "moments", finit par mener Miguel vers son dernier voyage, voyage à plusieurs escales, voyage vers lui-même, solitude peuplée par les autres. Ainsi prendre le temps d'aller jusqu'au gros plan, jusqu'au nom donné à cet état de l'existence où l'on s'apprête à vivre "sans peur et sans espoir" comme le dit Max en parlant de la vieillesse. Ainsi décrit-il peut-être le rythme étrange du film, sa façon d'avancer sans en avoir tout à fait l'air, convoquant mille fantômes pour mieux leur redonner un corps, un visage, de la peau et de la chair, des mains de travail. De fait les bouffées de splendeur plastiques du film m'ont paru encore plus saisissantes, et concernent surtout le personnage de Julio / Gardel, tantôt lorsqu'il se place dans la cage de foot au petit matin face au soleil levant, tantôt lorsqu'il blanchit un mur de l'hospice avec Miguel, les draps blancs volant au vent derrière eux. Des tableaux qui évoquent à chaque fois la surface plane de l'écran de cinéma, et ce qui le peuple lorsqu'il est au plus fort de sa puissance : des corps, des gestes, du travail, le trajet d'une âme, la mémoire qui persiste ou qui s'abandonne.
Ce que je pouvais reprocher un peu au film avant de le comprendre un peu mieux, c'était de chercher l'acmé du souvenir et puis passer à autre chose, et renouveler l'opération lourdeusement, scène après scène. Les personnages me semblaient un peu caricaturaux : Max le vieil ami monteur ronchon qui ne parle que par citation de John Ford, Lola le sublime amour de jeunesse qui faisait tourner les têtes...Mais il faut savoir tendre l'oreille au mystère de chacun : Lola, par exemple, est une femme à la fois très claire sur son parcours de vie et très évasive quant aux motivations de ses différente trajectoires, elle est souvent partie, sans se retourner, elle a aimé disparaître, et il me semble que c'est un trait qui fonde tous les personnages, jusqu'à la fille de Julio qu'on sent toujours mesurée devant le fait de retrouver son père (elle ne le dit jamais, mais on sent son empressement à ne pas rester ici, sa résignation à la disparition totale du père qu'elle a connu). Il me semble d'ailleurs qu'Erice ne joue jamais la carte de la sidération (carte facile, et piste naturaliste du jeu d'acteur, là où le film invente une manière de jouer à la fois très intense et distanciée, souvent splendide à observer). Chaque personnage est un peu à côté du choc que devrait représenter pour soi le retour de Julio. Parce que Julio ne revient pas tout à fait : Julio a toujours été là, dans la mémoire ou dans le réel, et peut-être est-ce la même chose. Ainsi les souvenirs ne sont pas l'acmé, ils sont ce qui aide les personnages à ne pas s'emballer devant les retrouvailles, car de ses retrouvailles il y a peut-être quelque chose à faire. Cela me semble si juste dans ce que ça dit de l'existence : au fond, nous sommes prêts à tous, car, comme le dit le neurologue (et j'aime que ce soit le neurologue qui dise ceci) : "nous ne sommes pas que des êtres de mémoire", autrement dit la mémoire est ce qui permet autre chose : de considérer pleinement l'autre, son corps, sa présence physique, qu'importe qu'on l'ait quitté hier, avant-hier, il y a deux ans ou deux décennies.
J'aime la dureté des personnages quant au mystère de l'existence, qui n'est pas contraire à leur immense bonté, le souci qu'ils ont en permanence de l'autre. Et par eux je crois qu'au contraire, Erice cherche le moment où les souvenirs se dégèlent, où la parole donne lieu à un état des lieux de la vie présente. C'est l'anti-Herbes sèches : pas d'aigreur chez ces gens, mais le regard est tout aussi lucide, complexe et vrai. Parce qu'Erice, qui s'y connait, ne triche pas avec le cinéma, cette pute pour l'existence. "Le plus beau des chefs-d'œuvre est la vie qu'on mène" écrit Miguel sur son ordinateur dans sa caravane recluse sur la côte, Erice de rappeler qu'il faut se méfier des artistes, car l'art véritable est celui de mener sa vie. Miguel n'a pas connu le succès, la gloire et l'estime, n'a pas terminé son deuxième film, n'a pas mis sur le chantier un troisième film, n'en a pas eu l'occasion mais ne l'a pas cherché. Il semble qu'il a, comme disait Godard, beaucoup aimé le cinéma, mais peu été aimé par le cinéma en retour. Mais sa tranquillité devant l'existence, peut-être, le lie pour toujours à l'art qu'il a si peu pratiqué : un art de mémoire et d'empathie. Bien se souvenir et considérer les autres, et le cinéma restera toujours ce chien noir qui poursuit sa vie. Voilà le travail, patient, méticuleux, engageant, de son existence, et c'est déjà énorme.
C'est peut-être ce qui rend la dernière séquence si puissante : elle est un moment d'épiphanie pour tout le monde, un point de cristallisation pour son public entier, tout le monde est là, les deux nonnes, la présentatrice, Anna, Max, Miguel, Julio...Ce public qui peuple la salle de cinéma désaffectée est fondé par des corps et des visages que nous avons appris à connaître, il n'est pas la masse obscure endormie qui ouvre Holy Motors par exemple. Erice, à 82 ans, abandonne la question de la masse, et c'est pourquoi il me semble qu'il est injuste de lui reprocher de débarquer à nouveau avec "les outils classiques du cinéma". Pourrait-il faire autrement ? C'est d'une autre époque qu'il vient, d'une autre façon de faire, cependant sa pensée du cinéma me paraît ici furieusement actuelle. Cette dernière séquence n'est pas l'expérience d'un miracle, et Max le dit sans détour, "les miracles au cinéma, c'est fini depuis que Dreyer est mort". Cette dernière séquence, c'est l'expérience du minoritaire. La vision extraordinairement habitée du public de demain : quelques personnes qui se connaissent dans une salle désaffectée, attendant de quelques images qu'elles viennent déposer en eux un souvenir nouveau. Un regard caméra qui vient trouver les yeux qu'il visait vingt ans après avoir été lancé, et voilà qu'un pacte avec la vie est de nouveau scellé : Miguel comprend ainsi pourquoi il a fait, pourquoi il n'a pas fait, pourquoi toute sa vie n'a été qu'attente. Le cinéma sait frapper juste quand il frappe peu. Une image fabriquée aujourd'hui ne résonnera peut-être que dans vingt ans, dans une obscure salle désaffectée, au fond du cœur d'un homme qui a oublié. Et alors ? Peut-être que cela suffit, parce que cela est vrai. Parce que ne compte que la vérité des sentiments, leur épaisseur sculptée et éprouvée par le temps. La séquence boucle le récit, mais donne à penser sur la nature particulière de l'émotion cinématographique. On en revient à Carax, citant cette fois Musil : "la beauté est le signe qu'une chose a été aimé". La beauté, c'est ce qui est passé, irrémédiablement perdu. Mais ce qui est passé est forcément aussi passé en nous, en toi, en moi. Lorsqu'un film émeut, on croit se voir sur l'écran à la place de celui qu'on regarde. Lorsqu'un homme pleure de ne plus être aimé, lorsqu'un enfant crie d'être arraché à sa mère, et que nous sommes émus, je crois que c'est profondément ça qu'il se passe. "J'étais là, sur l'écran, il y a longtemps. Et je ne le savais pas". Julio lui y était vraiment, mais il ne s'en souvient plus. Peut-être y étions-nous aussi.
Et il parle de gens qui en viennent, de cette époque perdue.il me semble qu'il est injuste de lui reprocher de débarquer à nouveau avec "les outils classiques du cinéma". Pourrait-il faire autrement ? C'est d'une autre époque qu'il vient,
Perso, je pense qu’il n’a pas beaucoup beaucoup participé au tournage du film ou au moins, pas autant qu’il aurait voulu (Godard a fait pareil avec ses 2-3 derniers films mais… Godard n’avait pas arrêté de faire du cinéma depuis 30 ans - j’ai pas dit que ‘pas tout le monde s’appelle Godard’ ok ? )
Oui, mais dans ce cas, il n’était pas obligé de le faireyhi a écrit : ↑dim. 27 août 2023 19:18SI j'ai bien compris, ça faisait un moment qu'il ne bossait plus qu'à son rythme en faisant des courts métrages ou des oeuvres pour des musées. Se relancer dans un gros projet a du lui remettre des contraintes financières, calendaires etc... qui peuvent être accablantes, je l'imagine bien.
B-Lyndon a écrit : ↑sam. 26 août 2023 07:35
Fermer les yeux, Victor Erice, 2023.
Seconde vision, et le film m'a cette fois paru splendide. J'ai bien fait d'y retourner, j'étais vraiment trop fatigué la dernière fois pour goûter à toutes ses subtilités, et - petite note parisiano-centrée - la salle 1 du Louxor (qu'on peut aisément nommer pire salle de Paris ), avec son écran mal étalonné et le son dégueulasse, n'a pas aidé.
sokol a écrit : ↑dim. 27 août 2023 11:39À propos de “Fermer les yeux” de Erice :
Dans son interview au Cahiers que je ne l’avais pas encore lu, le réalisateur dit :
La mise en scène était très déterminée par les conditions de tournage. Il m'a semblé que le plus raisonnable était de déployer la réalisation la plus simple possible, toujours au service des acteurs, sans plans-séquences ni grands mouvements de caméra. C'était probablement le seul moyen de respecter un plan de travail qui fut à certains moments véritablement exténuant.
Je m’étais pas trompé : le film était gavé de champ-contrechamp mais je ne comprend pas pourquoi ce tournage a été si exténuant. Où était le problème ?? Quelqu’un a une idée ?
plus que d'accord, pense bien !
et bien, j'ai pas trop aimé les gros plans. , je suis honnête. Celui de Ana Torrent par ex. Je ne le trouve pas très beau. On dirait qu'on est devant "mère et fils" de Sokurov
Que Erice sait où il se tient mieux que Triet, ça c'est une évidence. Mais le cinéma est un 'truc' tordu : ça peut produire l'inverse parfois (je me suis ennuyé devant Erice, je suis honete une fois de plus) : je ne me suis pas ennuyé devant Anatomie
Estimes-toi heureux ! Tout simplement parce que elle sait bien que mais, comme c'est une maman (d'ailleurs, je doute très fortement que Justine Triet n'ait pas d'enfant !) .
Je m'incruste mais il n'y a pas de tels plans dans Mère et fils tu dois confondre avec un autre film (ou faire un nouveau procès à ce film - je sais que tu l'aimes pas mais n'invente pas des plans ). S'il y a un truc qu'on retient de Mère et fils par ailleurs ce ne serait clairement pas les gros plans (peut-être 2 ou 3 en tout) mais les plans larges.et bien, j'ai pas trop aimé les gros plans. , je suis honnête. Celui de Ana Torrent par ex. Je ne le trouve pas très beau. On dirait qu'on est devant "mère et fils" de Sokurov
Tu as raison sur ce fait : Lav Diaz a tendance à élaborer ses personnages avec plein d'idées qui ne sont pas toujours abouties, c'est parfois flagrant dans certains de ses autres films comme Halte qui brassait beaucoup d'intrigues secondaires et encore plus d'idées lancées ça et là (et donc souvent non abouties). Je pense que cela a à voir avec la méthode d'écriture : le scénario est écrit au fur et à mesure du tournage, généralement tard le soir, et les acteurs reçoivent tout le matin même (il me semble que HHS fait à peu près la même chose, corrigez-moi si je me trompe). C'est le meilleur moyen pour introduire plein d'idées en fonction du jeu des acteurs de la veille et de parfois dévier des trajectoires initiales - ou même d'obtenir des incohérences. Personnellement je trouve que c'est justement plaisant d'avoir des caractérisations qui ne vont pas nécessairement se résoudre d'un point de vue logique (scénaristiquement parlant) plus tard, comme on a l'habitude avec tellement d'autres réals. Cela pourrait être frustrant mais je trouve qu'il tient toujours bien la plupart de ses idées. Cela rend entre autre les personnages plus vivants puisqu'ils ne sont pas "déterminés" par quelques traits ou caractéristiques et qu'il peut développer plein de pistes et donc d'idées au sein d'un seul film, lui donnant une dimension romanesque/épique. Dans quand les vagues se retirent par ailleurs, il se restreint à très peu de personnages et je trouve justement que la question du psoriasis est tout de même bien développée. Il y a la question du soin (personnel avec les nombreuses séquences où il se couvre de crème ou bien quand il se baigne, ou administré), et du regard des autres : celui de sa famille - la sœur qui l'acceptera grâce à sa maladie, un proche de la région qui au contraire ne lui parlera plus une fois qu'il aura vu ses plaques. Et il y a les inconnus - les prostituées et autres oiseaux de nuit - qui changent de regard en fonction de sa propre attitude.asketoner a écrit : ↑mer. 23 août 2023 09:57L'autre corps, celui d'Hermes, est un peu plus confus, un peu plus noyé sous un paquet d'histoires et d'idées pas toutes abouties, alors que ce qui est le plus intéressant, c'est sa peau qui pèle à cause du psoriasis. Tsai Ming-Liang (par exemple, mais pas tout à fait au hasard) se serait contenté de ce détail, il aurait tout articulé autour de ça, Lav Diaz est plus brouillon, plus superficiel aussi : j'ai l'impression qu'il donne beaucoup d'idées au lieu d'en choisir une, de s'y tenir et de voir où elle le conduit.
La narration en parallèle rend justement le film très rythmé pour moi. On est dans l'attente/anticipation des ruptures temporelles et/ou spatiales entre les deux protagonistes, on est souvent surpris par les tournures de certaines scènes (notamment du côté de Primo qui a vraiment passages déconcertants qui alternent entre plusieurs états d'esprit et donc d'émotions), et il y a des changements importants en termes de durée de séquence (par exemple le film décélère durant la partie en bord de mer et s'accélère vers la fin sur le port jusqu'au climax -, de manière générale d'ailleurs la partie Primo est plus nerveuse).
C'est vrai, Lav Diaz est un cinéaste très engagé pour son pays, et cela transparaît souvent au travers de ses dialogues, notamment des monologues. On peut lui reprocher son manque de subtilité pour véhiculer ses positions, mais je trouve que le côté quasi militant de certaines séquences est très fort. Ici encore plus lorsqu'il est proféré par les salauds eux-mêmes, face à une ville qui n'écoute pas et ne voit pas. Depuis plusieurs films, il a commencé à mettre les bourreaux, les présidents malades et les policiers pourris sur le devant, je trouve la démarche très intéressante. Le fait de voir ce type qui est dans les forces de l'ordre, mettre fin à ses jours, dans l'indifférence la plus totale, et de cette manière (ritualisée), est hautement troublante.asketoner a écrit : ↑mer. 23 août 2023 09:57Et le fou se suicide après avoir hurlé "pays de merde !" & "pays plein d'assassins !", je comprends pourquoi il hurle ça, je trouve plutôt logique qu'un cinéaste philippin finisse son film sur ces répliques, mais je ne vois pas vraiment ce qui l'y conduit, je reçois un message encore une fois, et pas un parcours. D'ailleurs le film lui-même est parfois très complaisant avec la violence qu'il expose.
Je sais que @yhi avait déjà fait part de ce sentiment notamment pour Heremias (que je n'ai pas terminé d'ailleurs), et c'est vrai qu'il y a des séquences très violentes dans ses films, qui sont parfois filmées en intégralité (le plan séquence étant roi). Mais pour moi il n'y a pas de plaisir derrière la caméra durant ses moments, ni de clin d’œil, ni d'effort pour choquer. Je trouve qu'il a une bonne distance de manière générale, et qu'il n'occulte pas la violence en la sur-esthétisant ou en cadrant d'une certaine manière. Oui la violence est parfois détournée, comme dans son film musical, parfois cruellement absurde comme dans ce film où rites de baptêmes se mêlent à torture, mais elle est avant tout là pour véhiculer le contexte sociétal - la violence est endémique dans le pays. Il y a cette phrase du reporter Raffy qui compare la vie des philippins à celle des poulets de combat.D'ailleurs le film lui-même est parfois très complaisant avec la violence qu'il expose.
Tu as raison ! Ce n’est pas les plans larges mais la qualité de l’image de ces plans larges (elles bavent on dirait) qui m’a fait penser à Mère et filsNarval a écrit : ↑lun. 28 août 2023 20:18
Je m'incruste mais il n'y a pas de tels plans dans Mère et fils tu dois confondre avec un autre film (ou faire un nouveau procès à ce film - je sais que tu l'aimes pas mais n'invente pas des plans ). S'il y a un truc qu'on retient de Mère et fils par ailleurs ce ne serait clairement pas les gros plans (peut-être 2 ou 3 en tout) mais les plans larges.
Ah OK mais du coup j'ai encore plus envie de le voir
Tu as raison ! Ce n’est pas les plans larges mais la qualité de l’image de ces plans larges (elles bavent on dirait) qui m’a fait penser à Mère et fils
asketoner a écrit : ↑mer. 30 août 2023 10:31
Ama Gloria, Marie Amachoukeli
C'est l'histoire d'une petite fille qui a perdu sa mère, et dont la nourrice décide de retourner au Cap-Vert s'occuper de ses propres enfants. La petite fille obtient de pouvoir partir la voir, seule, l'été suivant, et réalise ainsi ce qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire avec sa mère : le deuil de la relation en présence de la personne aimée.
Le film est ouvertement mélodramatique, bouleversant dans sa manière d'endosser une large palette de sentiments, pas tous très positifs. Il se risque à exposer la jalousie d'une enfant, la façon dont l'argent circule dans la relation, et les rapports de classe et de race qui la sous-tendent. Pourtant tout est très beau : il ne s'agit pas de dénoncer, mais de ne pas cacher ce qui existe et explique bien des choses.
Ama Gloria fait penser à Party Girl, que Marie Amachoukeli avait coréalisé, mais aussi à ces films français des années 70 à 90 qui cherchaient l'émotion avant tout, dans un geste nerveux, emporté.
+1 (Bégaudeau, surtout à partir de la 50e minute - à propos, il a beaucoup aimé le film https://on.soundcloud.com/auDE8jd6VTNbETtf6
Là aussi, pas de star, pas de spectateur (je crois).B-Lyndon a écrit : ↑jeu. 31 août 2023 16:03asketoner a écrit : ↑mer. 30 août 2023 10:31
Ama Gloria, Marie Amachoukeli
C'est l'histoire d'une petite fille qui a perdu sa mère, et dont la nourrice décide de retourner au Cap-Vert s'occuper de ses propres enfants. La petite fille obtient de pouvoir partir la voir, seule, l'été suivant, et réalise ainsi ce qu'elle n'a pas eu l'occasion de faire avec sa mère : le deuil de la relation en présence de la personne aimée.
Le film est ouvertement mélodramatique, bouleversant dans sa manière d'endosser une large palette de sentiments, pas tous très positifs. Il se risque à exposer la jalousie d'une enfant, la façon dont l'argent circule dans la relation, et les rapports de classe et de race qui la sous-tendent. Pourtant tout est très beau : il ne s'agit pas de dénoncer, mais de ne pas cacher ce qui existe et explique bien des choses.
Ama Gloria fait penser à Party Girl, que Marie Amachoukeli avait coréalisé, mais aussi à ces films français des années 70 à 90 qui cherchaient l'émotion avant tout, dans un geste nerveux, emporté.
C'est vrai que ça a l'air super beau, la bande-annonce donne (c'est rare) sacrément envie.
Il n'était pas passé il y a quelques mois à la tv ? Parce que je l'ai vu, et pas au cinéma, c'est sûr. C'est vrai que c'était bien, maladroit mais bien, avec de merveilleuses actrices.asketoner a écrit : ↑dim. 3 sept. 2023 11:51
Sages-femmes, Léa Fehner
Le film se passe presque exclusivement en salle d'accouchement, et suit le parcours de deux jeunes femmes qui débutent comme sages-femmes dans un hôpital. Il ne s'agit pas exactement d'une histoire d'amitié, les premières scènes nous donnent quelques aspects de la vie privée des personnages, mais cette vie privée s'efface bientôt au profit de la rencontre avec un milieu. On voit le privé se dissoudre progressivement dans le public, avec plus ou moins d'accrocs (en fait, je dirais même qu'on voit l'aliénation à l'oeuvre, nécessaire, en tout cas inévitable). Les deux femmes ne deviendront pas seulement de grandes amies, mais aussi (et c'est ce qui nous est montré) des collègues. Elles apprendront à travailler ensemble et parmi les autres. Et tout ce que nous connaîtrons d'elle, tout ce qui nous permettra de les connaître, ce sera leur façon d'être au travail.
La réalisatrice est très courageuse, elle multiplie les scènes d'accouchement et donne à toutes une tonalité particulière. Chaque nouvelle entrée dans le service est comme une histoire à saisir à toutes vitesses. Quelques scènes sont plus fabriquées que d'autres (la migrante n'est pas une réussite). Certaines m'ont semblé un peu inutiles, surtout celles (très rares) où l'on quitte l'hôpital, qui viennent diluer la radicalité du film.
Enfin, il n'y a aucun comédien connu. Tous les acteurs sont des élèves du conservatoire. A aucun moment ne surgissent Isabelle Huppert ou François Cluzet avec une charlotte sur la tête. (Juste avant le film, était diffusée la bande-annonce du prochain Thomas Lilti, qui a décidé de filmer un collège où les profs sont tous joués par des acteurs qui ont eu au moins un César.) C'est peut-être ce qui permet à la cinéaste de faire un film très politique, où se pose sans cesse la question des conditions de travail, et qui se termine par des images de manifestations. (Il y a d'ailleurs une blague géniale sur le salaire, à mi-chemin du film, qu'il aurait été difficile de faire dire à Adèle Exarchopoulos par exemple.) Et le film en paye le prix : il est diffusé dans 3 salles et demi, même pas toute la journée, et personne ne va le voir. Ce n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est un film assez droit, touchant, qui pose quelques questions. Mais on s'en fout, on veut juste voir un collège dirigé par François Cluzet (je parie que cette saleté fera un million d'entrées). J'ai l'impression qu'on ne verra bientôt plus de films français tournés sans la caution d'une star.
Effectivement, ça a été diffusé sur Arte, je ne savais pas. Ca explique la très chiche diffusion en salles.len' a écrit : ↑lun. 4 sept. 2023 16:29
Il n'était pas passé il y a quelques mois à la tv ? Parce que je l'ai vu, et pas au cinéma, c'est sûr. C'est vrai que c'était bien, maladroit mais bien, avec de merveilleuses actrices.
Pour les stars, je suis bien d'accord, c'est franchement plus possible. Sûrement qu'ils sont sincères, mais c'est comme d'entendre Dicaprio parler d'écologie, j'hésite toujours entre rire et pleurer. Il paraît que c'est ce que le public demande.
De manière générale, je préfère les documentaires pour ces questions. Même si là aussi, c'est souvent trop prudent, trop neutre, pas assez cinéma.