@Narval : oui je n'aurais pas revu aussi vite que toi Eureka. Même si j'ai beaucoup aimé, je n'y suis pas près. Et je comprends tout à fait la faiblesse que tu pointes, les "faiblesses d'écritures" qui peuvent apparaitre. Moi je pense que c'est la faute des scénaristes plus que d'Alonso
Bref.
D'aucun auront remarqué que j'essaie de regarder un maximum de cinéma "du monde". J'ai aussi envie de voir plus de cinéma réalisé par des femmes (ce que je fais depuis longtemps dans mes lectures). Je dois bien avouer que lier les deux n'est pas facile du tout ! J'avance et flaire pas à pas...
Récemment :
La métamorphose des oiseaux - Catarina Vasconcelos - 2020
Je n'avais jamais entendu parler de ce film, et je crois qu'il n'a pas atteint les écrans français... Sa parution (diffusion en festival j'imagine) en 2020 n'a sans doute pas joué en sa faveur. J'espère que cela ne causera pas de tors à la réalisatrice car ce premier long métrage est très beau.
Qu'est-ce qui, en 2020, peut pousser une artiste à faire un film en pellicule (en 16mm j'imagine, pardon je ne suis pas sur de savoir nommer exactement le choix de la réal. A moins que ce ne soit que des filtres d'effets ? Mais ce n'est pas trop grave pour le cas présent...) ? Outre la question esthétique (tonalité des couleurs, format d'image...) nous pouvons songer à la présence de l'image elle même. Tandis que la course vers la "haute définition" tend à faire "oublier l'image" qui se présente alors comme une inquestionnable "représentation du réel", le 16mm, lui, le met à distance.
De la même façon, en choisissant la forme du conte, ou plutôt de la somme de petites histoires, Vasconcelos se et nous détache de l'illusion classique du cinéma et ne prétend à aucune véracité évidente.
C'est avec cet alliage poussant à l'observation et à la méditation qu'elle nous entraine dans l'histoire d'une mystérieuse famille (la sienne, peut-être ?) qui s’entremêle avec l'Histoire du Portugal moderne.
Un père et une mère qui s'aiment et donnent naissance à 7 enfants, 6 garçons et une fille, la narratrice et voix-off. Le père est absent, au loin, marin de par le monde, ne rentre presque jamais et ne voit grandir ses enfants que par les photographies ou les lettres qu'il reçoit. La mère, seule et forte, tente d’élever sa famille comme elle le peut. Le temps passe, les enfants deviennent adultes et les rôles s'échangent, la mort frappe, les époques, les souvenirs, les désirs se mélangent.
Il y a quelque chose du territoire dans La Métamorphose des Oiseaux : territoire géographique, mais plus encore de territoires intimes, de territoire des perceptions, des imaginations et des savoirs. Chacun se superpose et se redéfinit, évoluant les uns des autres sans forme définitive.
Tout le film est un agrégat de petites scènettes, d'expériences visuelles, de sensations, passant de l'infiniment petit au paysage, de l'anecdote intime à la politique internationale. Pris séparément, les bouts n'auraient pas grand intérêt, et l'on aurait l'impression d'une juxtaposition d'idées approximatives, comme dans le jury d'un étudiant en art. Car il y a quelques choses de l'art contemporain dans l'essai réalisé par Catarina Vasconcelos, par ses explorations plastiques et narratives. On pense d'ailleurs, pour rester dans les références lusophone, à une rencontre entre le duo de plasticien João Maria Gusmão & Pedro Paiva avec Miguel Gomes, période extensive des Milles et Unes Nuits. Il est néanmoins évident qu'ici le tout est davantage que la somme de ses parties, aboutissant à un résultat doux et envoutant, dont l'aspect vaporeux n'oublie néanmoins pas de poser des questions politiques importantes.
The Company of Strangers - Cynthia Scott - Canada - 1990
Un bus de tourisme tombe en panne au beau milieu de la nature canadienne. A son bord : 7 femmes âgées (de 70 à 80 ans) et une conductrice d'une 30aine d'années. Elles se retrouvent contraintes de trouver refuge dans une petite maison abandonnée et devront s'entraider pour trouver un minimum de confort pour dormir, trouver de quoi manger, essayer d'appeler à l'aide etc, le temps que le bus soit réparé par la plus mécanicienne du groupe.
Tout cet habillage "story telling" du film est totalement à la sauce américaine, dans sa mise en scène, ses choix esthétiques etc et n'a rien d'enthousiasmant.
Mais c'est néanmoins seulement à travers lui que nous pouvons atteindre ce qui constitue le cœur véritable - et l'intérêt même - du film : à savoir les discussions libres entre les personnages. Ce que j'ignorais (je l'ai appris en lisant après le film) est que ces 8 femmes ne se connaissaient pas et font donc connaissances durant le tournage et devant la caméra, donnant soudainement au film une dimension documentaire. En naissent des témoignages très touchant sur leurs vies, leurs choix, leurs conditions de travail, leurs orientations sexuelles, etc... au beau milieu du cadre atypique des grands espaces nord-américains. Il y a bien sur un gros travail de montage et sans doute de la prépa etc, mais néanmoins l'effet fonctionne et leurs histoires/témoignages accèdent à une véritable existence.
Ce type de personnages et de discours étant si rare au cinéma (qui filme sérieusement la parole du 3ème - pour ne pas dire 4ème - age au cinéma, et de femmes de surcroit ?) que le film se révèle beaucoup plus précieux qu'il n'en avait l'air au premier abord. The Company of Strangers (également nommé '"Strangers in Good Company") a semble-t-il connu un beau succès populaire à l'époque de sa sortie. Et quand on y pense, il est assez fou de constater la lourdeur de l'appareillage narratif et "entertainement" qu'il faut mettre en place pour rendre audible/visible/acceptable des corps et paroles habituellement totalement invisibilisé. Ceci ferait presque du film un cas d'école pour comprendre le rapport à l'image et à la création de notre époque et culture.
Revu, à l'occasion d'un festival de performance :
que j'avais déjà eu la chance de voir en salle et que j'ai donc revu dans les mêmes bonnes conditions.
Toujours aussi génial, d'une radicalité indécrottable tendant à l'hypnose. Quelques points que j'avais oublié ou qui m'avait échappé à l'époque :
-le son. Peut être était-il un peu trop fort lors de cette projection, mais j'avais oublié qu'il était aussi envahissant, excessivement pressant jusqu'à l'excés, bien qu'il participe à la force du film
-j'avais oublié qu'en quasi hors-champs il y avait (ce qu'on suppose être) un meurtre, puis un coup de fil à ce sujet. Génial. Le film est donc "narratif" et en choisissant le motif du crime/enquête il est donc possible avec Wavelenght de faire rentre le cinéma structurel dans la discussion sur les images qui traverse le cinéma moderne de la même époque et de la même manière (j'ai en tête Blow up et Profession : Reporter)
-je croyais qu'à la toute fin la fameuse image de mer se mettait en mouvement. Ou du moins qu'on entendait soudainement le bruit de la mer. Ce n'est pas le cas et peut être tant mieux, car le film aurait alors raconté tout à fait autre chose.
Là encore, la sortie du film début 2020 n'a pas du aider à en entendre parler, mais il faut aussi dire qu'on est loin de ce que Porumboiu à fait de mieux.
Le pitch et le titre (mais ce n'est pas celui choisi pour la version roumaine qui est "La Gomera", soit l'ile ou se passe un bout de l'intrigue et annonce donc une autre tonalité) laisse espérer que la fascinante "langue sifflée" soit un vrai enjeu cinématographique, or elle n'est que largement secondaire. Assez dommage de la part d'un cinéaste qui s'intéresse à la question du langage depuis ses débuts.
Le tout est enrobé d'un décorum de film policier (autre point récurrent du travail du réalisateur) mais qui n'est jamais traité de façon convaincante, Porumboiu préférant le mettre en abyme pour tenter d'élaborer un discours sur le cinéma et la mise en scène. Le problème est qu'aucun des deux niveaux ne fonctionne, le réalisateur se moque de son intrigue (et nous aussi) tandis que ses tentatives conceptuelles semblent lourdingues et diligente ( les caméras de surveillances, la réunion au cinéma devant "The searchers", la prise d'otage dans un décor de cinéma, le réalisateur-touriste qu'on exécute sans sommation, etc etc).
J'ai fini par penser à un autre film vu récemment, Péril en la demeure de Michel Delville. Les deux films sont extrêmement différents évidemment, mais tous les deux partagent cette envie de conceptualiser leur approche et partage le même regard tourné vers De Palma, sans lui arriver à la cheville. Porumboiu se permet même une référence directe à la "scène de la douche", tandis que je suis certain que son plan final sur les dégoutant "arbres lumineux" de Singapour sont un clin d'oeil aux feux d'artifices finaux de Blow Out, dans une version encore plus artificialisée et spectaculaire. Pourquoi pas, mais à quoi bon, et surtout quel construction laborieuse pour déboucher là. Bref ce virage quasi-pop (les personnages par couleur...) du réalisateur n'est pas des plus convaincants et on lui souhaite de revenir à l'ascèse captivante qui avait fait la force de Policier, adjective il y a quelques années.
Swayamvaram (Son propre choix) - Adoor Gopalakrishnan - 1972
Gopalakrishnan fait partie de mes meilleures découvertes du cinéma indien. Je me rend compte qu'une bonne part de mes découvertes se concentrent en réalité sur la région du Kerala qui semble dotée d'une riche scène cinématographique.
Premier long-métrage du réalisateur, Swayamvaram contient déjà ce qui fera le fil rouge de tout son travail (du moins ce que j'en ai vu), à savoir l'aliénation et plus précisément l'aliénation sociale.
Un jeune couple, marié librement et contre l'avis de leurs familles, passe d'une lune de miel idyllique aux dures réalités de leur installation et de leur nouvelle vie quotidienne. Très pessimiste, le film est une longue et lente descente descente aux enfers pour les deux personnages. Les trois trames récurrente du cinéma indien (l'amour, l'art, la politique) sont bien présentes ici, mais toujours repoussés comme des idéaux inatteignables, mis à mal par la matérialité du quotidien. La mise en scène très précise du réalisateur fonctionne déjà à merveille et soutien avec adresse le commentaire politique amer qui est ici présenté.
Flamenco at 5:15 - Cynthia Scott - 1983
Une des rares autres création de Cynthia Scott, réalisatrice de "The company of strangers" cité ci-dessus, un cancer ayant semble-t-il compromis la suite de sa carrière.
Court-métrage documentaire adoubé d'un oscar, Flamenco at 5:15 se concentre sur une classe de haut niveau de flamenco donné par un vieux couple de professeur. Les jeunes danseur.se.s sont uniquement présents par leurs corporéités et leurs positions d'apprenants mais n'ont aucune autre existence à l'image : ils ne sont pas interviewés et on ne les entend jamais parler. Au contraire, ils servent à mettre en avant le couple de professeur et tout particulièrement Susana Robledo, qui incarne le véritable point d'intéret de la réalisatrice.
Comme dans son long métrage il y a donc à nouveau tout un appareillage (les images sont très travaillés avec des mouvements d'appareils et il y a surement de nombreux éclairages en hors champ) afin de faire apparaitre le corps, la voix et l'histoire d'une femme du 3ème age. Il en ressort un beau jeu de mise en espace entre ce corps vieillissant mais magnifique du quel déborde le savoir, l'énergie, la passion qui vient se démultiplier dans les corps jeunes et frais des élèves.