J'ai commencé l'année par deux revoyures :
Ayant revu Stalker il y a trois mois à peine, je réalise à quel point Tarkoski déplie ici exactement le même film, s'en est sidérant. On pourrait simplement dire qu'il rebat à nouveau des motifs tarkovskiens, mais plus encore Nostalghia me semble vraiment un dédoublement de Stalker (qui est d'ailleurs sont précédent film), ceci passant tant par la mise en scène souvent très proche, que par toute une série de détails (celui qui m'a fait tilt : la tâche blanche dans les cheveux du personnage principal, exactement similaire à celle présente sur la tête du stalker).
Dans cette variation "le coeur de la zone" est atteint à la quasi-ouverture du film (les oiseaux s’échappant du manteau de la Vierge). Après un point mystique atteint de façon aussi prématurée (et plate !) que reste t-il, si ce n'est la pure errance et le désespoir qui ronge le personnage principal ? L'ancienne zone, étrange mélange entre ruines industrielles et nature sauvage, est ici bien concrète, dans ce petit village italien en décrépitude, où le brouillard ne dissimule pas tant qu'il n'oppresse. Plus de guide non plus, plus de dynamique de groupe à trois, le héros a pour comparses son assistante avec qui il semble vivre une vague histoire d'amour à laquelle on ne croit guère et qui disparait bien vite, et un fou pris dans ses propres pensées, mais qui sera au final le seul à tenir un vrai discours, sur l'art et la société. Même les dialogues et leurs dialectiques qui servent de moteurs habituels à ses films (dans Stalker, mais aussi dans Solaris par exemple) ne semblent plus possible. A quoi bon ? Il ne reste que le doute et la solitude, plongé entre présent et souvenirs. C'est un film terriblement triste non pas sur la mort des illusions mais constitué par la mort des illusions elle même.
Après le miroir il s'agit sans doute de l’œuvre la plus autobiographique de l'auteur, dépeignant indirectement l'exil auquel est contraint le réalisateur. Tarkoski réalise en effet ici son premier film loin de sa terre natale. Le documentaire "Tempo di Viaggio", sorte de making-off du film que j'ai regardé juste après semble le confirmer, montrant un Tarkoski totalement désabusé, apathique presque durant son repérage de l'Italie et répétant sans cesse ne pas savoir ce qu'il fait là...
Nouvelle vision, 14 ans après la première...
Je ne m'en souvenais que dans les grandes lignes, alors que ce sont ses multiples détours qui donnent toute la saveur au film.
Le lieu ou se déroule le film est très beau : on se croirait sur une île ou l'on arrive sans cesse en bateau, mais l'isolation n'est que relative : on est bien sur une rive sur laquelle pèse d'imposantes montagnes que l'on fait semblant d'oublier.
C'est un film qui repose entièrement sur la parole et qui se construit comme une somme d'aller-retour entre le dire et le faire : il se passe un évènement, puis on en fait le récit à quelqu'un d'autre. Et il se déploie ainsi tout un jeu entre ce qui est vu, ce qui est dit, ce qui est fait, ce qui est imaginé, ce qui est pensé, tant pour les personnages que pour les spectateurs. Personne n'a jamais vraiment tort et personne n'a jamais vraiment raison. Et si le film s'ouvre en montrant une fresque représentant Don Quichotte, livre basé entièrement sur un équilibre entre des aventures et le récit qui en est fait, ce n'est pas pour rien...
J'avais oublié également, que derrière ce petit théâtre des relations, il y a tout un fil rouge sur le vieillissement ou la "maturation" du personnage de Brialy, venu sur place pour vendre sa maison de jeunesse, qui se laisse tout d'abord questionner par une (très) jeune fille, puis éprouve un béguin pour une fille un peu plus âgée, avant de finalement se transformer en conseiller quasiment paternel... Une tournure qu'il ne s'avouera bien sur jamais ! Mais la photographie qui semble épouser cette évolution, passant de l'éclat chaud aux tons gris et éteints (alors qu'on est toujours au cœur de l'été !), ne nous y trompera pas, elle...
Impostors - Mark Rappaport - 1979
Déception devant l'avant dernier film de fiction de Rappaport. Ou lassitude, peut-être, devant cette tentative d'enrober d'une vague fiction les schémas (ces micro-fictions quasi sitcomesques, ces décors pauvres, ces dédoublements des acteurs...) qu'il explore depuis ses débuts. Rappaport ne manque pas d'idées, parfois drôles, et toujours soutenues pas un sens visuel impeccable, mais l'ensemble à malheureusement fini par me désintéresser.
L'emmurée vivante - Lucio Fulci
Découverte (ou presque... je m'y connais très peu en tout cas) du Giallo et il faut bien avouer que l'esthétique est assez incroyable, par son sens du kitch mais surtout par son espèce de relecture moderne de l’expressionnisme incorporant jeux de couleurs et effets d'appareil.
L'emmurée vivante est un thriller assez réjouissant ou le medium cinématographique est sans cesse mis en parallèle, ou plutôt confronté, à l'appareil psychique, l'un semblant sans cesse jouer des capacités de l’autre : possibilité de sauter du passé au futur, de recomposer, de déformer... Jusqu'à ce que les deux finissent par se compléter en s'imbriquant parfaitement. Réjouissant.
Tongues Untied - Marlon Riggs - 1989
Beau documentaire expérimental sur la communauté noire homosexuelle aux Etats-Unis et la double difficulté qu'elle rencontre pour exister. La parole ici est toujours rythmé, proche de la poésie ou du slam, venant donner une contenance incroyables aux nombreux témoignages. Les images sont quant à elle pleines de corps, de l'intimité sensuelle à la manifestation dans les rues. Le résultat est très sensible, jamais illustratif et au contraire complétement intégré à la cause qu'il défend. D'ailleurs le Voguing y est évoqué, et l'on se prend à rêver que "Paris is burning" ait été fait de la même façon...
The Catch - Shinji Somai - 1983
Encore un incroyable film de Shinji Somai dépeignant avec âpreté des personnages qui semblent tous constitués de solitudes pures, dans un style formel incroyable. Somai excelle et utilise sa maestria à bon escient, par ses choix visuels, son sens des temporalités et ses plans-séquences démesurés.
Improbable, The Catch est un mélodrame dans le milieu de la pèche au thon, le portrait d'un vieux loup de mer moins adroit en pleine mer que l'on ne voudrait le croire et qui se révèle tout aussi peu à l'aise sur terre entouré de ses semblables. Comme le dit son ex-femme après une très longue course-poursuite à pied, le héros s'est toujours comporté avec les autres comme avec des proies, comme des thons qu'il devait harponner et tirer à lui. C'est d'ailleurs sur cette équivalence que semble reposer le film : que l'on soit sur la terre ferme ou sur la mer, les déséquilibres sont les mêmes car reposant avant tout sur de profondes failles intérieures.
Autour de lui gravitent quelques autres pécheurs avec qui il magouille, sa fille qui l'aide à sa vie quotidienne, et son beau fils qui le suppliera de lui apprendre à pécher. Mauvaise idée bien sur, la solitude des flots n'aidant nullement à desserrer les impossibles nœuds de la transmission et de la filiation. Dans ce petit port de pèche personne ne semble savoir se parler, si ce n'est sous l'influence de l'alcool ou par l'anecdote ou alors pile trop tard, juste sur le point du départ. Filmé le plus souvent en plan large, ce ne sont pas tant les espaces qui paraissent grands que les personnages qui paraissent petits, isolés sur eux-même. Et quand nous passons dans l'intimité, que les plans se resserrent, que l'on espère voir surgir une tendresse, c'est pour mieux régler de vieilles rancœurs ou imposer sa force à l'autre, criant alors ce que l'on a ni le courage de dire ou d'assumer. The Catch est un film ou les feux d'artifices se transforment en feux de détresse, un film peuplé d'êtres torturés par la seule idée d'exister et ou la solitude est une lâcheté car elle ne permet jamais d'accéder totalement à une liberté pourtant tant désirée.