La mer et les jours - Alain Kaminker, Raymond Vogel - 1958
Documentaire magnifique sur la communauté de pécheurs de l’ile de Sein. Les images sont incroyables et décrivent un mode de vie d'une rudesse extrême paraissant d'un autre âge et datant pourtant d'il y a seulement 60 ans... La voix-off est un commentaire de Chris Marker, ce qui n'est pas pour rien dans la réussite du projet.
Il est ici :
https://chrismarker.org/la-mer-et-les-jours/
Les hommes de la nuit - Henri Fabiani - 1952
Dans la même veine que le précédent, sidérant documentaire sur le premier jour de travail de gamins destinés à devenir mineurs de fond dans le bassin houiller lorrain. Le documentaire suit leur brève formation jusqu'à leur première descente à plus de 700 mètres de fond. La pénombre des lieux, couplé au gros grain de la pellicule, donne un résultat incroyable.
Puis l'occasion de renouer avec un cinéaste expérimental incroyable, Stefen Dwoskin, dont je n'avais vu jusqu'à présent que deux films.
Désormais j'ai vu aussi :
Des corps, des tas de corps, qui s’entremêlent, qui se touchent, qui s'habillent, se déshabillent, qui se parlent, qui s'éloignent, qui se confrontent. Sans son direct 95 % du temps. La bande-son, magnifique, est une composition de Gavin Bryars. Le tout dure 2h20. Le projet est extrêmement 70s dans l'idée, puisqu'il s'agissait de réunir des acteurs/performeurs sur une scène, avec quelques accessoires (du maquillages, des costumes) et de les laisser faire ce qu'ils voulaient, scruter leurs interactions et l'évolution de la situation. Le tout sur plusieurs sessions d'après un entretien que j'ai lu de Dwoskin. Mais la force du film est qu'il n'y a aucune contextualisation et que ce découpage temporel "réel" n'est jamais ressenti ou expliqué. Et on à l'impression qu'à chaque plan les corps se démultiplient, apparaissent et disparaissent comme des spectres, au détour d'un incompréhensible labyrinthe invisible. Le travail, tant de captation que de montage, est pharamineux. Il faut garder à l'esprit que Dwoskin, atteint de polio, est handicapé. La question du désir, du corps féminin notamment mais pas seulement, est toujours là, fascinante, et doublé d'un rapport extrêmement sensuel à la chair. Il est dur de parle de ce film, car il est indéscriptible, purement cinématographique d'une certaine façon, et surtout profondément hypnotisant, les plus de 2h de film passant en un temps éclair.
Outside In - Stefen Dwoskin - 1981
Comme dans Behindert, il s'agit de la veine plus intime de Dwoskin. Outside In est un enchainement de scénettes durant 1h50 dans lesquelles Dwoskin se met en scène. Certaines reviennent parfois deux ou trois fois créant ainsi une simili-linéarité. Ou plus exactement il met en scène son handicap et la rapport que cela crée entre lui et le monde, entre le monde et lui, entre son cinéma et le monde. Il est sidérant de voir à quel point son film atteint à la fois une honnête frontale mais aussi une pudeur dénuée de tout misérabilisme ou apitoiement. Ces propositions de réflexion et de cinéma me semble unique (je ne crois pas connaitre d'autres réalisateurs handicapés, ou du moins qui le revendiquent autant pour en faire une matière première de leurs créations).
Si le film me captive moins que Central Bazaar vu la veille je crois qu'il m'aide à comprendre comment Dwoskin a construit son rapport au médium et pourquoi il y excelle. Je crois qu'il a trouvé dans la caméra de cinéma un medium, un outil, qui est déjà un être au monde à part entière, qui s'y inscrit pleinement (au contraire, par exemple, du dessin ou de l'écriture qui surgissent quand on "les active" (pour dire cela rapidement et très mal)), mais qui s'y inscrit pleinement "très mal" ou "très pauvrement". La caméra est un peu comme un corps handicapé qui ne pourrait que voir mais qui ne peut ni penser, ni se déplacer etc... Il se crée ainsi un rapport de compréhension entre l'auteur et son médium, une sorte de connivence qui démultiplie le pouvoir de la caméra. Et qui, en se complétant étrangement, n'a jamais aussi bien filmé les corps et leur mystérieuse façon d'être des masses de chair animées et engoncés dans la société qu'ils composent. Incroyable, une fois encore.
Succédant deux ans plus tard à La Salamandre, "Le Retour d'Afrique" (1973) est déjà la 11ème réalisation d'Alain Tanner (si on compte ses courts). Le film s'inscrit totalement dans la mouvance de la Nouvelle Vague, mais dans son versant désenchanté. Je pense par exemple à Week-End de Godard, qui est une sorte de départ in-fine impossible, à qui il emprunte il me semble quelques idées au passage, des discussions en baignoire, aux discussions en foret ou aux extraits de poésie qui émaille le film (ici : Cahier d'un retour au pays natal de Césaire).
Sur un coup de tête, ou presque, un jeune couple décide de partir vivre en Algérie pour y rejoindre un ami et s'y inventer une nouvelle vie. Mais la veille du départ arrive un télégramme : "Ne venez pas, problème sur place. Plus d'information par lettre". Problème : la lettre d'explication tarde à arriver et, le couple s'enferme (se confine !) dans son ancien appartement, n'osant plus se confronter à ceux à qui ils ont dit au revoir... Retour d'Afrique est donc un film sur la perte des idéaux de mai 68 (soudain, déjà...), avec ce départ, cette lettre, qui, comme le grand soir, semble ne jamais arriver, mettant à rude épreuve idéaux et réalité quotidienne. Comme souvent chez Tanner la structure de son film et de sa pensée est assez claire, évidente. Mais la meilleure idée du film est qu'une fois le choc passé (si il n'y a pas départ, si il n'y a pas changement, il faut pourtant bien continuer à vivre) l'idéal révolutionnaire n'est plus porté vers l'au-delà de l'étranger et de la nouveauté inconnue, mais se recentre au sein de la cellule familiale elle même : comment se vie le couple, quelle est la place de la femme dans le foyer, dans le travail, dans l'éducation de l'enfant qui va arriver ? Et si la première et essentielle bataille à mener était avant tout ici dans le cercle intime ? Et cela malgré les incessants bruits d'avions qui survolent sans cesse le nouvel HLM du couple, pénibles échos d'un futur idéal que l'on n'a pas vécu.
Soft & Hard - Jean Luc Godard & Anne-Marie Miéville
Si la vidéo à permis de révolutionner la communication du monde entier et de faire surgir ses quatre coins dans les salons, elle à également, en sens inverse, permis d'observer au plus proche l'intimité du quotidien. Godard et Miéville l'ont bien compris durant leurs années de réflexion sur leur médium et se prêtent donc à l'exercice. Le "couple" (forme particulière du "montage", bien sur - on parle d'ailleurs ici des liens entre "faire œuvre" et "faire un enfant"...) ayant été le moteur de tous le cinéma de Godard, ils se prêtent ainsi à l'expérience en filmant leur foyer et leur intimité. Tout d'abord en se mettant ouvertement en scène ( entre promenade-lecture-tache ménagère-tennis en intérieur) puis en laissant la place totale à la parole, comme une sorte de thérapie de couple ou chacun semble se découvrir (vraiment ?!) durant une longue conversation. Si je conseillerai ce film avant tout aux aficionados des deux auteurs, le résultat est néanmoins un intéressant making-off de leurs pensées, parfois assez réjouissant dans ce qu'il laisse à voir ou à imaginer.