Le Cercle des profileurs disparus
Posté : sam. 9 déc. 2023 18:15
EL n'a pas trop aimé Les Trois Mousquetaires : Milady (2 étoiles) :
Aux côtés d’Astérix & Obélix : L’Empire du Milieu, le diptyque des Trois Mousquetaires a représenté le plus gros pari de Pathé en 2023. Budget massif, casting cinq étoiles et promesse de remettre au goût du jour le film de cape et d’épée : tous les ingrédients semblaient réunis pour relancer une certaine idée du cinéma populaire à la française. Après une première partie en demi-teinte, Martin Bourboulon complète son adaptation d’Alexandre Dumas avec Les Trois Mousquetaires : Milady, toujours avec François Civil, Eva Green et Vincent Cassel.
PRÉCÉDEMMENT, DANS LES TROIS MOUSQUETAIRES...
Avec son résumé introductif tout droit sorti d’un téléfilm, la seconde partie des Trois Mousquetaires nous rappelle l’incongruité du projet, coincé entre deux mondes. D’un côté, le blockbuster en costumes noble et populaire, adapté d’un classique de la littérature. De l’autre, l’objet faussement hype et opportuniste, dont la modernité brouillonne jure avec son ambition initiale.
À vrai dire, Milady confirme la direction qu'aurait dû prendre cette nouvelle version du classique d’Alexandre Dumas : celle d’une série télévisée. La première partie avait déjà peiné à introduire organiquement ses personnages dans son riche contexte historique, avant de laisser l’intrigue autour des ferrets de la reine phagocyter le rythme du récit.
Et pour être clair, ce n’est pas dévaloriser la production de Pathé que de l’imaginer sur petit écran. Au contraire, face aux deux films de Martin Bourboulon, on se plaît à imaginer ce qu’une écriture au long cours aurait pu offrir à ses nombreuses figures, réelles comme fictives. Un peu à la manière d’un Game of Thrones, Les Trois Mousquetaires propulse ses héros dans un univers politique et militaire qui les dépasse, où la ligne morale ne cesse d’évoluer selon les camps, les complots, et les associations plus ou moins attendues entre les protagonistes.
Ce second chapitre joue d’ailleurs cette carte maîtresse dès son premier quart d’heure, lorsque D’Artagnan (François Civil, qui surjoue toujours le boy-scout) est contraint de s’associer avec Milady (Eva Green, qui surjoue toujours la femme fatale) dans leur quête de survie saupoudrée d’attraction-répulsion.
Sauf qu’encore une fois, Pathé a voulu mixer cette apparente complexité avec l’énergie d’un grand film d’aventures familial “à l’ancienne” pour la salle obscure. Là réside le problème : Les Trois Mousquetaires vise un renouveau artificiel pour justifier son existence, alors que ses référents sont clairement les classiques du genre des années 90, à commencer par Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau.
UN BEAU DUMAS SANS GOUVERNAIL
Résultat, si le premier film vivotait, il avait au moins le mérite d’une entrée en matière efficace de son quatuor (complété par Vincent Cassel, Pio Marmaï et Romain Duris) et de sa camaraderie naissante. En comparaison, Milady suppose que le gros du travail est fait et jette donc toute forme de caractérisation par la fenêtre. D’aucuns mettront sans doute en avant une forme de fidélité à la dimension feuilletonnante du livre, bien que sa mécanique se montre inadaptée à une transposition au cinéma.
Le film court après ses péripéties comme autant de set-pieces négligemment assemblés les uns à la suite des autres. La démarche est d’ailleurs parfaitement encapsulée par le dispositif majeur de Martin Bourboulon : le fait de filmer toutes ses scènes d’action en plan-séquence, à l’image des combats du premier chapitre. Cette fois, on a même droit à cette absence de coupe dans l’échappée inaugurale de D’Artagnan, tendance The Revenant du pauvre.
Au-delà de la vulgarité de l’effet de frime, qui a perdu toute originalité depuis sa vampirisation par le cinéma d’action contemporain, il devient surtout un contresens. Le film de cape et d’épée, c’est par définition un cinéma du découpage, où chaque angle choisi doit mettre en lumière les entrechoquements des lames et la stratégie de chorégraphies en perpétuel renouvellement. Ce n’est pas un hasard si Hollywood en a fait un genre important de son Âge d’or. On assiste à du drame cinématographique à l’état pur, où le ressenti des corps s’exprime seulement par les mouvements.
En voulant se démarquer par l’artifice du plan-séquence, Bourboulon met moins l’accent sur la virtuosité des joutes que sur celle, supposée, de sa caméra. Si on considère ce genre d’action virevoltante comme un ballet, passe encore. Après tout, l’opérateur pourrait être un danseur à part entière, en phase avec la scène et son déroulé (cf. La scène de l’église de Kingsman).
Malheureusement, Les Trois Mousquetaires préfère capter un chaos par des effets de secoués et des panoramiques rapides qui ne font que passer d’un assaillant à un autre. La laideur du procédé reflète l’incapacité de la caméra à trouver sa place, et à s’attarder sur le moindre enchaînement chorégraphique. Dès lors, les scènes de bataille attendues, à commencer par la prise du fort de La Rochelle, deviennent aussi pauvres et désincarnées qu’un spectacle de parc à thème.
MY FAIR MILADY ?
L’échec est néanmoins intéressant et interroge sur ce projet tiraillé par ses inspirations. Le plan-séquence se transforme en tunnel qu’on traverse sans s’attarder sur l’action, en passage obligé dont le systématisme prive le film à la fois de surprise et de crescendo. Or, comme dit plus tôt, Les Trois Mousquetaires 2 se montre encore plus radin que le premier en ce qui concerne le développement de ses personnages, à commencer par son antagoniste éponyme, pourtant présentée comme le cœur émotionnel de cette suite.
La véritable modernité du diptyque semblait se trouver du côté de Milady, chez cette femme dont la morale complexe est finalement en accord avec celle de son monde, qui lui a tant pris par le passé. Mais mis à part un rapide flashback et les susurrements d’Eva Green, la narration bazarde cette ambition en quelques dialogues lapidaires, au point où certaines situations semblent évoluer dans le hors-champ.
On passera sur le sort de Porthos et Aramis, laissés sur le banc de touche de manière presque comique, pour en arriver à la question importante : que filme Les Trois Mousquetaires ? Les relations et le parcours de ses protagonistes ne l’intéressent pas, la faute à une histoire qui file pour enchaîner ses scènes majeures. Et en même temps, les scènes majeures en question ne cherchent aucunement à montrer l’action, et encore moins à raconter quelque chose de ses héros au sein de ses batailles.
Donc que reste-t-il ? Pas grand-chose, si ce n’est de l’argent jeté par les fenêtres dans une étonnante pornographie du vide. Un oxymore qui définit plutôt bien le paradoxe de cette méga-production, moins vendue sur ce qu’elle offre à l’écran que sur le fantasme d’un retour au cinéma de papa boosté aux hormones. À vouloir parler à tout le monde, pas sûr que la démarche de Pathé s’adresse à qui que ce soit.
Si le premier chapitre peinait déjà à choisir une direction claire, Milady s’écroule sous le poids de ses ambitions. Sans personnage, le film accumule péripéties et scènes d’action poussives pour, au final, ne même pas donner de l’ampleur à son grand spectacle familial.
https://www.ecranlarge.com/films/critiq ... jahv85r-Cw
Je n'étais déjà pas hypé
Aux côtés d’Astérix & Obélix : L’Empire du Milieu, le diptyque des Trois Mousquetaires a représenté le plus gros pari de Pathé en 2023. Budget massif, casting cinq étoiles et promesse de remettre au goût du jour le film de cape et d’épée : tous les ingrédients semblaient réunis pour relancer une certaine idée du cinéma populaire à la française. Après une première partie en demi-teinte, Martin Bourboulon complète son adaptation d’Alexandre Dumas avec Les Trois Mousquetaires : Milady, toujours avec François Civil, Eva Green et Vincent Cassel.
PRÉCÉDEMMENT, DANS LES TROIS MOUSQUETAIRES...
Avec son résumé introductif tout droit sorti d’un téléfilm, la seconde partie des Trois Mousquetaires nous rappelle l’incongruité du projet, coincé entre deux mondes. D’un côté, le blockbuster en costumes noble et populaire, adapté d’un classique de la littérature. De l’autre, l’objet faussement hype et opportuniste, dont la modernité brouillonne jure avec son ambition initiale.
À vrai dire, Milady confirme la direction qu'aurait dû prendre cette nouvelle version du classique d’Alexandre Dumas : celle d’une série télévisée. La première partie avait déjà peiné à introduire organiquement ses personnages dans son riche contexte historique, avant de laisser l’intrigue autour des ferrets de la reine phagocyter le rythme du récit.
Et pour être clair, ce n’est pas dévaloriser la production de Pathé que de l’imaginer sur petit écran. Au contraire, face aux deux films de Martin Bourboulon, on se plaît à imaginer ce qu’une écriture au long cours aurait pu offrir à ses nombreuses figures, réelles comme fictives. Un peu à la manière d’un Game of Thrones, Les Trois Mousquetaires propulse ses héros dans un univers politique et militaire qui les dépasse, où la ligne morale ne cesse d’évoluer selon les camps, les complots, et les associations plus ou moins attendues entre les protagonistes.
Ce second chapitre joue d’ailleurs cette carte maîtresse dès son premier quart d’heure, lorsque D’Artagnan (François Civil, qui surjoue toujours le boy-scout) est contraint de s’associer avec Milady (Eva Green, qui surjoue toujours la femme fatale) dans leur quête de survie saupoudrée d’attraction-répulsion.
Sauf qu’encore une fois, Pathé a voulu mixer cette apparente complexité avec l’énergie d’un grand film d’aventures familial “à l’ancienne” pour la salle obscure. Là réside le problème : Les Trois Mousquetaires vise un renouveau artificiel pour justifier son existence, alors que ses référents sont clairement les classiques du genre des années 90, à commencer par Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau.
UN BEAU DUMAS SANS GOUVERNAIL
Résultat, si le premier film vivotait, il avait au moins le mérite d’une entrée en matière efficace de son quatuor (complété par Vincent Cassel, Pio Marmaï et Romain Duris) et de sa camaraderie naissante. En comparaison, Milady suppose que le gros du travail est fait et jette donc toute forme de caractérisation par la fenêtre. D’aucuns mettront sans doute en avant une forme de fidélité à la dimension feuilletonnante du livre, bien que sa mécanique se montre inadaptée à une transposition au cinéma.
Le film court après ses péripéties comme autant de set-pieces négligemment assemblés les uns à la suite des autres. La démarche est d’ailleurs parfaitement encapsulée par le dispositif majeur de Martin Bourboulon : le fait de filmer toutes ses scènes d’action en plan-séquence, à l’image des combats du premier chapitre. Cette fois, on a même droit à cette absence de coupe dans l’échappée inaugurale de D’Artagnan, tendance The Revenant du pauvre.
Au-delà de la vulgarité de l’effet de frime, qui a perdu toute originalité depuis sa vampirisation par le cinéma d’action contemporain, il devient surtout un contresens. Le film de cape et d’épée, c’est par définition un cinéma du découpage, où chaque angle choisi doit mettre en lumière les entrechoquements des lames et la stratégie de chorégraphies en perpétuel renouvellement. Ce n’est pas un hasard si Hollywood en a fait un genre important de son Âge d’or. On assiste à du drame cinématographique à l’état pur, où le ressenti des corps s’exprime seulement par les mouvements.
En voulant se démarquer par l’artifice du plan-séquence, Bourboulon met moins l’accent sur la virtuosité des joutes que sur celle, supposée, de sa caméra. Si on considère ce genre d’action virevoltante comme un ballet, passe encore. Après tout, l’opérateur pourrait être un danseur à part entière, en phase avec la scène et son déroulé (cf. La scène de l’église de Kingsman).
Malheureusement, Les Trois Mousquetaires préfère capter un chaos par des effets de secoués et des panoramiques rapides qui ne font que passer d’un assaillant à un autre. La laideur du procédé reflète l’incapacité de la caméra à trouver sa place, et à s’attarder sur le moindre enchaînement chorégraphique. Dès lors, les scènes de bataille attendues, à commencer par la prise du fort de La Rochelle, deviennent aussi pauvres et désincarnées qu’un spectacle de parc à thème.
MY FAIR MILADY ?
L’échec est néanmoins intéressant et interroge sur ce projet tiraillé par ses inspirations. Le plan-séquence se transforme en tunnel qu’on traverse sans s’attarder sur l’action, en passage obligé dont le systématisme prive le film à la fois de surprise et de crescendo. Or, comme dit plus tôt, Les Trois Mousquetaires 2 se montre encore plus radin que le premier en ce qui concerne le développement de ses personnages, à commencer par son antagoniste éponyme, pourtant présentée comme le cœur émotionnel de cette suite.
La véritable modernité du diptyque semblait se trouver du côté de Milady, chez cette femme dont la morale complexe est finalement en accord avec celle de son monde, qui lui a tant pris par le passé. Mais mis à part un rapide flashback et les susurrements d’Eva Green, la narration bazarde cette ambition en quelques dialogues lapidaires, au point où certaines situations semblent évoluer dans le hors-champ.
On passera sur le sort de Porthos et Aramis, laissés sur le banc de touche de manière presque comique, pour en arriver à la question importante : que filme Les Trois Mousquetaires ? Les relations et le parcours de ses protagonistes ne l’intéressent pas, la faute à une histoire qui file pour enchaîner ses scènes majeures. Et en même temps, les scènes majeures en question ne cherchent aucunement à montrer l’action, et encore moins à raconter quelque chose de ses héros au sein de ses batailles.
Donc que reste-t-il ? Pas grand-chose, si ce n’est de l’argent jeté par les fenêtres dans une étonnante pornographie du vide. Un oxymore qui définit plutôt bien le paradoxe de cette méga-production, moins vendue sur ce qu’elle offre à l’écran que sur le fantasme d’un retour au cinéma de papa boosté aux hormones. À vouloir parler à tout le monde, pas sûr que la démarche de Pathé s’adresse à qui que ce soit.
Si le premier chapitre peinait déjà à choisir une direction claire, Milady s’écroule sous le poids de ses ambitions. Sans personnage, le film accumule péripéties et scènes d’action poussives pour, au final, ne même pas donner de l’ampleur à son grand spectacle familial.
https://www.ecranlarge.com/films/critiq ... jahv85r-Cw
Je n'étais déjà pas hypé