Bon attention, c'est rare que je poste un lien vers écran large... mais pour une fois j'ai trouvé un intérêt. Ca raconte les coulisses... du film D&D sorti en 2000.
Pour rappel, le film raconte la quête de deux voleurs, Snails et Ridley, en compagnie d'une magicienne novice, Marina, qui doivent permettre à l'empire d'Izmer d'éviter de sombrer dans le chaos. Le terrible Profion, accompagné de son homme de main Damodar souhaite se servir du pouvoir des dragons pour obtenir le sceptre de l'impératrice Savina et s'emparer de son empire.
Et parce qu'on aime bien se souvenir de cette fois où on a bu l'eau des toilettes pendant près de dix ans, on a décidé de revenir en détail sur l’histoire très chaotique de la production de ce naufrage.
L’intérêt pour une adaptation sur grand écran de Donjons & Dragons (qu'on raccourcira par la suite en D&D) ne date pas des années 2000. Avant la sortie de la série animée éponyme en 1983, le créateur du jeu, Gary Gygax, avait déjà pris attache avec de nombreux studios, sans parvenir à trouver un arrangement.
En 1990, un jeune canadien de 19 ans, Courtney Solomon, se demande pourquoi son jeu favori n’a pas encore reçu d’adaptation au cinéma. Il décide d’appeler TSR, société publiant le jeu et détenant ses droits, et prétexte un devoir en sciences économiques afin de glaner quelques informations. Il parvient à rester en contact avec l’entreprise, et apprend trois mois plus tard que les droits pour une adaptation sur grand écran seraient disponibles. Une réunion plus tard, les cadres hilares de TSR dissuadent le jeune Canadien de se lancer dans l’aventure.
Il va pourtant contacter un avocat, se servir de toutes ses économies pour rédiger un contrat, et une première mouture de proposition d'une trentaine de pages, dans laquelle il détaille comment il compte fidèlement respecter l'héritage du jeu et le traduire dans un long-métrage.
Une fois cette ébauche de scénario achevée et les droits du jeu obtenus, Corey (une version raccourcie du nom Courtney, préférée par ce dernier et que nous utiliserons par la suite) Solomon fait ses bagages et quitte le Canada pour un voyage de 18 mois, au cours duquel il compte bien trouver des investisseurs. Il se rend rapidement compte qu'il a écrit "un film à 100 millions de dollars", selon ses propres mots, dont il a les droits pour une durée limitée. C'est le début d'un compte à rebours : s'il ne commence pas le tournage à temps, il les perdra.
Dans cette tâche, il trouve assistance auprès d'Allan Zeman, un businessman hong-kongais touche-à-tout. Introduit à Corey Solomon quelques années plus tôt, Zeman sent immédiatement qu'il y a un gros coup à jouer. Ils fondent ensemble Sweetpea Entertainment, une société de production dont l'unique but est de produire le film.
Ce film à 100 millions de dollars (dont personne ne sait de quelle poche ils sortiront) doit maintenant trouver un réalisateur. Soit une tâche pas si éprouvante compte tenu de l'attractivité de la franchise D&D. Le hic, c'est que lorsque Corey Solomon a obtenu les droits du jeu pour un film, il a accepté un droit de regard de TSR sur le scénario, mais aussi sur le choix du réalisateur. Sans l'accord de l'entreprise, il ne peut valider ni l'un ni l'autre. Il va donc devoir conjuguer avec Lorraine Williams, la manager générale de TSR de l'époque, qui a remplacé Gary Gygax.
Corey Solomon va pourtant amener du beau monde à Lorraine Williams. Un nom logique pour le début des années 90 : Renny Harlin, révélé par Le Cauchemar de Freddy et 58 minutes pour vivre, qui a le vent en poupe puisqu'il vient de filmer Stallone dans Cliffhanger. Des noms complètement dingues, peu importe l'époque : Francis Ford Coppola et James Cameron, tous reçus chez TSR... et rejetés.
Voilà le récit de la rencontre entre James Cameron et Lorraine Williams que fera Corey Solomon en 2006 auprès de Devin Faraci pour le site Chud : "J'ai eu, vous savez, l'accord de James Cameron en 1993 pour faire le film. Elle est assise dans le restaurant de l'hôtel Bel Air avec Cameron, elle croise les bras, le regarde et dit (on est en 1993) 'Quelles sont vos qualifications pour réaliser le film ?' J'étais là à me dire 'Okay, Jim, s'il te plaît, ne me tue pas maintenant. Je sais que c'est ton tempérament, mais ne me tue pas. Ok.'"
En 1997, le producteur Joel Silver (Matrix, 58 minutes pour vivre) embarque dans le navire. Il convainc Corey Solomon de faire de D&D une série télévisée pour minimiser les risques. Malheureusement, l'accord passé avec TSR ne prévoyait pas que les droits du jeu servent sur le petit écran. Corey Solomon doit alors retourner négocier avec TSR pour une extension de ces derniers. Ces derniers ont malheureusement été vendus à Wizards of the Coast (la société qui a fait fortune avec Magic : The Gathering), qui s'oppose fermement à leur utilisation pour une série.
Corey Solomon est alors forcé de faire un film, sans droit de regard sur son scénario (malgré une réécriture complète, il sera forcé de partir d'une mouture antérieure et moins complète), en assurant par défaut la réalisation. Il a alors 3,5 millions de dollars seulement, et se prépare à tourner un direct-to-video sans grande envergure, afin d'éviter un procès, après environ huit ans à batailler pour donner vie à son jeu de rôle favori, une journée pas facile donc. En puisant dans ses propres deniers, ceux de sa famille et d'Allan Zeman, il parvient à accumuler entre 30 et 35 millions de dollars, et entame un tournage à Prague afin d'être le plus économe possible.
L'espoir fait vivre et l'histoire est remplie de bons films nés dans la douleur, mais Donjons & Dragons n'en fait pas partie, même si le choix des acteurs et actrices avait à l'époque intrigué. La jeune Thora Birch (qui sortait triomphante d'American Beauty) incarnait ainsi la monolithique, mais bienveillante, impératrice Savina, tandis que l'oscarisé Jeremy Irons était Profion, l'antagoniste qui en fait des caisses. À l'époque, l'acteur a justifié son arrivée au casting par son envie de sortir de sa zone de confort et par la présence de Joel Silver qui l'avait convaincu. Il est toutefois revenu avec un récit différent auprès du Guardian en 2010 : "Vous rigolez ? Je venais d'acheter un château, je devais le payer d'une façon ou d'une autre".
On retrouve également Richard O'Brien (Rocky Horror Picture Show) ou Tom Baker (Doctor Who) parmi les comédiens les plus connus. Le groupe de protagonistes est quant à lui interprété par Zoe McLellan, Marlon Wayans (qui tournait dans Requiem for a Dream en même temps, deux salles, deux ambiances) et Justin Whalin.
Ce casting plutôt créatif n'était d'ailleurs pas la seule raison de faire confiance au film. La bande-son est réalisée par Justin Burnett, qui a travaillé au sein du studio d'Hans Zimmer, dont il est finalement devenu l'assistant. À la demande de Corey Solomon, il devait produire une bande-son ressemblant aux travaux de John Williams, en particulier ceux qu'il livrera pour Indiana Jones et Star Wars.
Cette volonté se prolonge avec la présence de l'excellent George Gibbs, qui avait planché sur les effets visuels et spéciaux de Qui veut la peau de Roger Rabbit ou encore des deuxièmes et troisièmes volets des aventures d'Indiana Jones. Il aura à sa disposition les infrastructures locales de la République tchèque pour faire de la magie. L'antre de Profion est par exemple une église prêtée pour l'occasion.
À ce moment, D&D jouit d'une certaine excitation, son site de news non officiel a enregistré 1,5 million de visites en moins d'un an, et la présence en convention des acteurs et de son réalisateur rassure les fans. Signe de bonne santé du projet : la société de production New Line Cinema s'offre pour 5 millions de dollars ses droits de distribution domestique, mais aussi la primeur pour réaliser une suite et un prequel.
Pour tout le monde, c'est donc potentiellement un énorme coup, et le début d'une grande saga. Il s'agit pour la société de préparer la sortie du Seigneur des Anneaux, qui interviendra un an plus tard. Le premier film de la trilogie, La Communauté de l'anneau est en production depuis 1997, et 2001 marque l'arrivée d'une première bande-annonce. C'est l'heure d'appâter les fans de fantasy et de faire découvrir le genre aux autres.
Alors, ce film dans les cartons depuis dix ans, mis en scène par un réalisateur novice, mais passionné, il s'en est sorti comment ? Déjà, il est sorti à la toute fin de l'année 2000 (le 27 décembre en France, contre le 8 au pays de l'oncle Sam), contre l'avis de ses producteurs, qui souhaitaient le faire sortir au printemps ou durant l'été 2001. Warner Bros, dont New Line Cinema est une filiale, s'y est opposé, car il aurait alors empiété sur Le Signeur des anneaux dont la bande-annonce sortait justement durant le printemps.
Pour rappel, notre bébé resté en gestation dix ans durant a eu un budget final de 45 millions de dollars. Aux États-Unis, le film récolte durant son démarrage 7,2 millions de dollars, et 15,3 en tout. Il glanera 18,5 autres millions à l'international. Bilan de sa carrière au box-office : 34 millions de recettes, une somme bien inférieure à son budget. En France, près de 745 000 âmes sont allées se perdre devant cette horreur. Les spectateurs ont largement boudé ce repompage ce qui a souvent été qualifié par ces derniers de Star Wars en plus cheap, et se sont précipités devant Incassables à la place, qui sortait durant la même semaine, et qui enregistre en France plus de 3,4 millions d'entrées (l'époque de notre dieu Shyamalan).
L'une des critiques majeures (outre le manque d'originalité du scénario et le casting très éclectique où tout le monde semble avoir été laissé en roue libre) portées au film est la qualité ses effets spéciaux. En effet, l'éparpillement des équipes entre l'Allemagne, la République tchèque et l'Angleterre a entrainé de nombreux quiproquos et impasses créatives, faute de coordination. Il en ressort, faute d'outils adaptés (certains logiciels d'imagerie ont été développés spécialement pour le film), que de nombreux effets spéciaux sont particulièrement laids.
Si certains irréductibles ont apprécié et ont parlé d'une "fabuleuse saga médiévale" ou d'un film bourré de "dragons effrayants" (désolé Le Journal du Dimanche et Télérama, mais on ne pouvait pas laisser passer ça), D&D s'est fait majoritairement bien cartonner à sa sortie. 3,1/10 sur Senscritique, 1,2/5 sur Allociné, et il ne récolte pas plus d'amour auprès des spectateurs que de la presse, qui l'honore d'un magnifique 14% sur Metacritic avec la mention "Aversion écrasante". La classe.
Et Corey Solomon ? S'il est monnaie courante pour les réalisateurs qui ont accouché d'un monstre de noyer le poisson, le réalisateur canadien a au contraire souhaité rendre la monnaie de leur pièce à quelques-uns de ses partenaires commerciaux (et évidemment, on adore les règlements de compte).
De Gary Gygax, le cocréateur de D&D et grand manitou à la tête de TSR, il dira qu'il était dans un "coke binge", ou une frénésie de cocaïne. C'est la raison qui l'aurait poussé à laisser sa place à l'incompétente (toujours selon lui) Lorraine Williams, que Corey Solomon qualifie de "trust fund baby", et dont il est très content qu'elle fût rapidement virée.
Corey Solomon n'est toutefois pas clair sur le rôle qu'il aurait souhaité endosser au sein de l'aventure D&D. Il explique parfois avoir désiré réaliser le film malgré son inexpérience (comme dans le Cinefantastique de décembre 2000), tandis qu'il a depuis changé sa version en expliquant n'avoir jamais voulu endosser la réalisation. Il en a toutefois produit la suite avec Sweetpea, Donjons & Dragons : La puissance suprême, qui s'est avéré, comme on l'expliquait plus haut, être un obscur direct-to-video qui ne mérite pas de sortir de son donjon.
Auteur : Matthias Mertz
Au-delà de la prose d'Ecran large manquant pas mal de "respect pour une œuvre de création" (c'est pas du nanarland), je trouve que découvrir les coulisses d'un tel nanar (que j'ai vu au cinéma) est assez intéressant. Et en dis long sur la nature troll des employés de TSR des années 90... qui étaient en fait les pires interlocuteurs à avoir dans le cadre d'un projet cinéma.