Pendant la longue après-midi d'attente du réveillon du 31 j'ai finalement pu voir deux courts métrages :
Diane Wellington - Arnaud des Pallieres - 2010
Sur un procédé rebattu (peut-être un peu moins à l'époque) d'images d'archives retrouvées sur internet, Des Pallières invente le portrait tragique d'une femme dans l'Amérique rurale des années 30. Du drame il fait une élégie, fine et sensible. Il invente un au-delà également. Du voyage imaginé par les amies de la victime il fait le rêve d'un rêve, en couleur, paradis où il ferait peut-être meilleur vivre.
Bel hommage à toutes les victimes des préjugés et normes sociales.
Blight - John Smith - 1996
Tête de file d'un cinéma structuraliste "déviant", John Smith à su rajouter à ce mouvement la question du langage (oral, textuel) et de son imprécision.
Blight ne déroge pas à l'affaire. D'une construction métronomique folle, le film finit par se transformer en réquisitoire contre la construction d'une nouvelle autoroute nécessitant la destruction d'un quartier populaire de Londres. Des corps, des voix, des objets, des surfaces, des couleurs, des véhicules appraissent les uns après les autres mais semblent surtout surgir les uns des autres, réunis par un travail sonore impressionnant. Le résultat fini presque par ressembler à l'illustration d'une magnifique pièce de musique concrète
Tout cela me permet de me trainer difficilement à 97 films vus dans l'année 2023 ! Cela fait longtemps que je n'avais pas vu aussi peu de film, mais il faut dire que j'ai été très pris professionnellement parlant, amoureusement parlant, et que j'ai également compensé par plus de livres et d'expos et même spectacles (la musique étant elle aussi un peu en berne).
Tout cela pour dire :
Bonne année les ami.e.s du forum, continuez à nous poster vos avis et découvertes, c'est toujours un plaisir !
J'ai pu commencer l'année de visionnage dès le 1er janvier au soir avec :
Tout au long du Gang du bois du temple, le territoire semble instable et incertain. Facétieux même. Tandis que l'on pense être à Marseille, surgit soudain un bout de Paris puis de Bordeaux sans qu'aucune rupture ne soit marquée. Si le réalisateur ne met pas cet aspect en avant, il ne s'en cache pas non plus. Lui en faire le reproche serait comme se moquer d'Akerman qui situe sans rien en dire son "Portrait d'une jeune fille à la fin des années 60" dans le Bruxelles des années 90. Comment pouvons nous analyser ce choix ?
Malgré les noms de villes semblant apparaitre aléatoirement sur les panneau routiers, une cohérence visuelle domine en imprimant à l'écran barres d’immeubles, troquets, rocades, et autres architectures périphériques et génériques. L'imaginaire visuel lie la narration, tandis que la géographie réelle virevolte d'un bout à l'autre de la carte de France. Serait-ce alors l'espace qui joue mal son rôle de territoire ? Ou le territoire qui joue mal son rôle d'espace ? Mais qu'est-ce que "mal jouer" dans une forme d'art se basant sur l'illusion, la croyance et la "suspension d'incrédulité" ?
Ce "territoire qui joue mal" m'évoque, à sa manière, Bresson. Comme si ses théories et le célèbre (non-) jeu si particulier de ses acteurs avait été transposé à une autre problématique, à une autre échelle. Quoi de moins surprenant de la part d'un film semblant rejouer Pickpocket en version XL ? Si le hippisme sert de dénominateur commun entre les deux œuvres, nous passons d'un petit voleur isolé à un gang, d'un vol de porte-feuille au braquage d'un prince arabe. Cette relecture contemporaine, élargie et mise à jour, se permet même de rejouer en son centre et presque au plan prêt, la scène finale de "confessional" du film de Bresson.
En toute logique, Le Gang... serait donc lui aussi un film sur l'acte criminel mais aussi sur la foi, le chemin de foi peut-être, en tout cas la marche vers la croyance en un monde nouveau et meilleur. "Oh Jeanne, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre pour arriver jusqu'à toi..." nous déclarait à l'époque le héros de Pickpocket.
Une force quasi-mystique semble ainsi innerver tout le film. Que l'on pense seulement aux deux scènes musicales ( le chant à l'enterrement, dont le plan se conclue sur une croix catholique en arrière plan ; et plus tard la danse du prince) ou encore à la façon dont sont menés "les enquêtes" dans la deuxième partie du film, chaque personnage semblant avancer sans ambages et comme mu d'une mystérieuse force propre. Je ne peux enfin m'empêcher de songer à l'ouverture et à la fermeture même du film, quant apparait ce personnage mystérieux mais central, ancien tireur d'élite, perché sur son balcon comme un curé dans sa chaire.
Ce personnage qui "domine" l'espace, qui observe ce qui l'entoure, semble correspondre à la position du réalisateur lui-même. Le décès du début du film pourrait ainsi évoquer une certaine "crise de foi" de RAZ envers son médium et son style habituel. Une théorie que confirmerait la scène clé et centrale du film : quand le "gang amateur" incarné par des "acteurs amateurs" vient se faire décimer en un clin d’œil par une équipe de professionnel... L'équilibre sera rétabli quand le tireur d'élite "amateur" (il est en effet à la retraite) exécutera sa vengeance en éliminant d'une seule balle le commanditaire-professionel. Ou comment faire d'un film de braquage un film de lutte des arts, des styles, des classes. Enfin, le dernier plan du film remplacera "l'aura de mort" du début par la course et le jeu d'un enfant, signe certain d'un renouveau possible.
Si cette lecture "théorique et bressonienne" n'est peut-être pas des plus évidentes à la vue du film, elle ne me parait pas non plus totalement farfelue... Quoi qu'il en soit, même si il peut apparaitre abscons et imparfait, le cinéma de Rabah Ameur-Zaimeche continue d'être passionnant car revêche et riche en interprétations nébuleuses.