Le film du moment, celui dont tout le monde parle qu'il l'ait vu ou pas, et où tout le monde veut se positionner, avoir à tout prix un avis. Je ne sais pas s'il marche en salles, en tout cas je suis halluciné de voir une distribution si vaste pour un film aussi exigeant, avec un sujet pareil : 880 salles ! Non mais vous vous rendez compte ? c'est du niveau d'un Avengers... Tant mieux hein, mais n'est-ce pas un peu disproportionné ? Car le film de Glazer reste un film d'art et essai, assez conceptuel dans son dispositif. La première chose que je veux dire, c'est que le film n'est absolument pas problématique au niveau moral. Glazer est clair avec ce qu'il dit, pas de souci. J'ai entendu dire que des cons dans des parodies d'émissions critiques type Le Masque et la Plume disaient que le film était négationniste parce qu'il refusait de montrer les camps, c'est d'une connerie sans nom. Je ne sais pas qui a dit ça, je ne veux pas le savoir, mais franchement, en disant une connerie pareille, on ne devrait plus avoir le droit d'écrire la moindre ligne sur le cinéma de sa vie. Le film ne fait absolument pas de négationnisme, c'est tout le contraire, et d'ailleurs on dit beaucoup que les camps sont hors champ dans le film, mais c'est faux, ils sont là, dans le champ, dans les perspectives, ils sont simplement derrière le mur, et ce n'est pas du tout la même chose. Je trouve que le film respecte parfaitement le précepte Lanzmannien d'ailleurs, et même qu'il le transcende. Je suis persuadé que Lanzmann aurait adoubé le film. C'est à dire que Glazer réussit la double difficulté de ne pas faire de cinéma de fiction dans un camp de concentration (principe de Lanzmann) mais grâce à ce mur, il ne les met pas hors-champ non plus, ils ne les élude pas. Ils sont là, dans chaque plan ou presque, et c'est nous spectateurs qui savons ce qu'il s'y passe, et qui remplissons cet espace avec nos propres images mentales. Quelle intelligence. Et quel respect face à la Shoah. Rien que pour cela le film est un grand film. Ensuite, mise en scène, image, rien à dire, c'est parfait, notamment l'image, qui est d'une "beauté" incroyable, Glazer et son chef-op ayant réussi à reproduire une texture chromatique qui évoque vraiment l'idée qu'on se fait des photographies de l'époque, je ne sais pas comment mieux dire ça, mais la sensation de réalisme est totale et en même temps il y a un choix très fort dans les dominantes chromatiques qui font que ces images sont à la fois belles et réelles.
Après le film ne m'a pas bouleversé non plus. Ni terrassé, ni choqué. Je pense qu'on m'en a trop parlé avant, que le film a été trop vendu, et je pense aussi que Glazer aurait pu y aller plus fort. Disons que ça reste un film conceptuel (comme Under the Skin mais tout de même beaucoup plus réussi) et que le concept du film est un peu le piège du réalisateur. Sa prison à lui. Le concept du film est à la fois sa qualité, la juxtaposition du camp et de la villa avec jardin, la banalité du mal, etc., tout ça est parfaitement métrique, carré, et ne peut exister que par le concept, mais en même temps, cette maitrise a priori empêche Glazer de se laisser aller et d'aller chercher des choses plus profondes, viscérales. Quand il s'échappe c'est pour recourir à un nouveau concept (celui des 'rêves' en négatif, un peu gratuits, même si pas scandaleux pour autant.)
Bon on lui doit quand même une des plus belles fins de cinéma vues depuis des années. Celle du retour au contemporain, où nous voyons les femmes de ménage qui viennent nettoyer les salles du musée d'Auschwitz avant son ouverture matinale. Elles passent de longues minutes à nettoyer les grandes baies vitrées qui abritent les chaussures, les valises, les prothèses des déportés qui ont été gazés. C'est filmé comme un documentaire, et c'est ce qui m'a le plus bouleversé du film, et qui a contribué à me faire aimer, et à me convaincre de défendre le film.
Cette scène, qui m'a immédiatement fait penser à la fin du Goût de la Cerise de Kiarostami, est brillante à bien des égards. Déjà parce qu'elle vient rejoindre le documentaire, et dire, si jamais on avait pu le penser durant le film qui est interprété, il le faut bien, par des acteurs, que nous ne sommes pas devant de la fiction, que cela est bien réel, que cela s'est passé. Mais ensuite, et surtout, parce que la banalité de cette scène, des femmes de ménage font leur travail en somme, vient résonner avec la banalité du mal qui nous est montré durant tout le film. Glazer aurait pu choisir de finir son film en nous montrant les visiteurs du musée d'Auschwitz s'émouvoir (il y a de quoi !) devant ces vestiges terribles, c'est par exemple ce qu'aurait fait Spielberg (cf. l'immonde fin de l'immonde Liste de Schindler qui vient nous dire aussi "eh ho tout est vrai !"). Mais non, Glazer lui, dit, qu'à un geste que Höss considérait comme banal (tuer des centaines de milliers de juifs n'était que son travail), il faut répondre par un autre geste banal (des femmes de ménage font leur travail). C'est la meilleure réponse à apporter pour ne pas céder au spectaculaire, et donc au mensonge.
I like your hair.