
Duvivier, toujours aux aguets en 1960, engage le jeune acteur découvert par Truffaut avec Les 400 Coups pour un film étonnamment libre pour du cinéma classique (mais les talents de Duvivier sont nombreux) sans pour autant s'assujettir aux codes tout nouveaux de la Nouvelle Vague. Boulevard est un film à la fois écrit et libre, à la fois classique et moderne, tourné avec rigueur et une grande liberté. J'allais écrire une belle curiosité, mais c'est beaucoup plus que ça, c'est la monstration qu'un grand cinéaste est capable de se renouvellement même en fin de carrière (immense) et qu'il est aussi capable d'ingérer l'avancée de son medium sans pour autant renier son oeuvre passée.

Je n'avais vu ce Cronenberg que deux fois, à sa sortie puis chez moi fin des 90"s, quand j'avais organisé dans mon petit 35m² une grande rétrospective Cronenberg (c'était pour préparer la sortie de Crash de mémoire). Il y avait un ou deux films de Cronenberg diffusés chaque soir, en vhs de mémoire, chez moi, venait qui voulait, on pouvait amener des amis à soi, j'ai eu des soirs à 3 ou 4 personnes, d'autres où on était 25 tous assis par terre sur la moquette en picolant du vin, c'est un souvenir merveilleux qui m'est revenu en revoyant ce film, pas vu depuis plus de 25 ans donc. Il appartient à la veine classique du cinéaste, celle où il n'y a a priori pas de monstruosité évidente, à l'instar d'un Dangerous Method par exemple, mais ce n'en est pas moins un film très fort et important dans son oeuvre. Le cinéaste s'empare d'un fait divers célèbre, qu'il simplifie quelque peu pour aller à l'essentiel et traiter d'usurpation d'identité, de changement de sexe, de transformation corporelle. En sous-texte c'est donc un pur film cronenbergien, très important dans sa filmo d'ailleurs, dans lequel brillent Irons et Lone, tout deux absolument extraordinaires.

Premier long métrage d'Almodovar en langue anglaise (et sans doute le dernier, pour moi Almodovar n'a aucune intention de faire carrière aux USA et souhaitait juste tenter une expérience), La Chambre d'à côté n'est pas un film américain pour autant. Les USA n'ont pas avalé Almodovar, c'est plutôt lui qui a avalé les USA transposant son cinéma dans un autre pays mais en conservant toutes les caractéristiques (un peu comme Weerasethakul et Memoria tourné en Colombie). C'est donc un vrai, pur, film d'Almodovar, fin de carrière, avec ses couleurs, son rythme, son obsession pour la mort, sa passion pour les actrices, ses petites incohérences scénaristiques, son esthétique marquée. Et le sujet est très lourd puisqu'il aborde ici le droit à l'euthanasie. Evidemment, on n'y croit pas, car même si Moore et Swinton sont extraordinaires, tout ceux, et nous sommes malheureusement nombreux, qui ont accompagnés une personne en phase terminale d'un cancer savent qu'on ne se comporte pas de cette manière tranquille, à boire un petit thé, feuilleter une revue, parler d'art contemporain, en admirant la vue sublime, avec juste un peu mal au ventre de temps en temps pour rappeler la maladie. Non, la mort aspire tout, et détruit tout. Mais tant pis, on lui pardonne, Almodovar n'est pas Cassavetes, et on sait que ses personnages ne souffriront pas vraiment. C'est un film assez bancal, dont j'admire la première partie, avec tous ces films dans le film, partie durant laquelle il en profite pour glisser plein de références picturales, et dont j'aime aussi beaucoup la fin, j'y reviens. Le centre du film est en revanche un ventre mou assez chiant où l'on sent le temps passer. Mais on y survit et l'on accompagne Almodovar qui n'a qu'une envie, nous monter la fin de son histoire. J'ai lu pas mal que le film évoquait Persona, et pour moi c'est une belle connerie, il n'y a rien de Bergmanien dans ce film (Almodovar est l'anti Bergman par essence), et au contraire la fin du film m'a pas mal fait penser à Douglas Sirk et notamment à tout ce que le ciel permet. Une belle maison, une baie vitrée et une sublime vue, un amour impossible par différence de classe (pour cacher un amour homosexuel que Sirk n'avait pas le droit de film à Hollywood), tout est là, à commencer par cet amour entre deux femmes qui ne matérialisera pas, non pas à cause des moeurs, Almodovar est un coutumier du genre, mais à cause de la mort, qui aspire tout comme je l'écris plus haut. Les personnages attendent donc, paisiblement, avec un renoncement qui a même quelque chose de Houellebecquien, que la mort vienne faire son travail. Et ça y est, la mort est là, elle gagne la partie, et les personnages n'essaient même pas de lutter, elles se contentent de l'attendre.

Je me souviens quand sortant de la salle le jour de sa sortie, j'avais l'impression d'être dans un monde virtuel, que les passants allaient soudain me tirer dessus avec un pistolet en chair humaine, je me tenais aux murs, pour ne pas trébucher. C'était une expérience unique, et vraiment déstabilisante. 25 ans et de nombreux visionnages plus tard, ce film fonctionne encore. Et c'est là ou Cronenberg est vraiment le film : il avait tout prédit, la réalité virtuelle, la réalité augmentée, les jeux connectés à plusieurs, les pods, les connexions neuronales, etc. Déjà le mec était visionnaire, mais alors que tout cela existe ou presque aujourd'hui, son film n'est pas ringard pour autant et continue à fonctionner parfaitement.

Après Existenz, j'ai forcément remonté le temps en revoyant aussi Videodrome, l'un de ses plus grands films. Bon ça aussi c'est toujours aussi génial aujourd'hui, même si c'est assez différent. Visionnaire, oui, ça l'est tout autant, mais le film est plus à voir comme une farce grotesque et monstrueuse. Déjà la patine de l'image renvoie beaucoup à Dead Zone, même si l'image est un peu moins classique, c'est le même grain, et le contenu, critique de la TV poubelle et du virage snuff, porno hardcore que prendra vite internet qui est loin d'exister au moment où le film sort, vire au grotesque de la monstruosité, assez proche d'un Stuart Gordon (on dirait le film jumeau de From Beyond) voire d'un Brian Yuzna. Cela reste encore aujourd'hui une expérience très intense.

Avant de voir le nouveau Wallace & Gromit avec les enfants, j'ai voulu leur montrer ou remontrer le chef-d'oeuvre du duo, soit Un Mauvais Pantalon, qui est sans doute mon film d'animation préféré, notamment parce que le nouveau en est la suite directe. Et c'est toujours un chef-d'oeuvre, et qui fonctionne même sur un nouveau public, ma fille qui le découvrait, passant du rire aux larmes en quelques secondes.

Un nouveau long métrage de Wallace & Gromit est déjà une satisfaction en soi, mais quand il est réalisé par Nick Park et qu'en plus il est la suite direct d'Un Mauvais Pantalon, le meilleur épisode de la série, il y a vraiment de quoi se réjouir. Et le résultat est une franche réussite, amusante, maligne et enjouée. Même si l'on peut regretter de ne plus sentir la pâte à modeler triturée à la main et à l'ancienne comme dans les premiers opus et que l'image est plus lisse ici, cela reste une prouesse et un résultat final assez complet et réjouissant.

Unique long-métrage de Paul Gégauff, important scénariste, notamment de Claude Chabrol dont il a écrit plusieurs des grands films, Le Reflux propose un mix original emmenant la Nouvelle Vague à Tahiti. On retrouve donc Roger Vadim, Michel Subor ou Serge Marquand, embarqués dans une histoire de pirates modernes, dans un film (un peu trop) libre et original qui, c'est marrant mais c'est ainsi, ne brille pas forcément par son scénario. C'est souvent le cas des films de scénaristes d'ailleurs, comme si ça les bloquait créativement de passer à la réal en même temps.

Un beau Zampa, même si un peu trop scénario filmé sur toute une partie du métrage, sur la corruption via la Mafia, et la manière dont celle-ci parvient à avoir l'assentiment même muet de l'ensemble d'une population, totalement anémiée, et souvent par peur ou par conformisme.

Pour singer Hitler, Mussolini s'était mis en tête lui aussi d'envahir des pays et avait jeté son dévolu sur la Grèce, avant que les combats ne se déplacent sur l'Albanie. Il a fait beaucoup de dégâts dans ces deux pays pour un résultat nul. Le film raconte l'histoire vraie de convois de femmes grecques capturées et envoyées comme prostituées pour assouvir les besoins de ces bons soldats italiens. C'est un film intéressant, une relecture de Convois de Femmes néo-réaliste, mais je ne suis pas tellement convaincu au final, comme un peu avec toute l'oeuvre de Zurlini, qui est un cinéaste italien assez surestimé en France à mes yeux (c'est un débat à part). Il fait mine de donner la belle part aux femmes, gros casting féminin, sujet engagé, etc. mais au final la femme est ici souvent cantonnée à son rôle de prostituée, et le schéma n'est pas inversé comme il devrait l'être, la femme restant au service de l'homme, au service du scénario et du cinéaste.

Il est bon régulièrement de se reconfronter avec ses films préférés. Celui-ci est encore et toujours, et toujours plus même, un chef-d'oeuvre absolu strictement imbattable et indépassable à tous niveaux. Je ne vais pas me lancer dans une analyse du film, soit tu enfonces des clichés, soit il faut carrément en écrire un livre, je dirai juste qui si certains d'entre vous ne l'ont pas encore vu, foncez, il est de ceux qui changent une vie, de ces films qui contiennent tout le cinéma en eux, tous les films qui ont été faits avant et qui seront fait après sont là-dedans. Notamment toute l'oeuvre de Lynch (un des personnages s'appelle Gordon Cole, nom de Lynch dans Twin Peaks pour rappel), et c'est vraiment étrange d'avoir revu ce film quelques jours seulement avant son décès.

Revisionnage annuel.

Si le nouveau Jia Zhang-Ke est une vraie proposition de cinéma, c'est indéniable, ça ne l'empêche pas d'être à mes yeux un film totalement raté. Ce film c'est un aveu d'échec : il l'a fait encore bloqué par le covid, ne pouvant pas voyager, pas filmé, et il a donc décider d'utiliser plein d'extraits de ses anciens films, les mêlant avec des nouveaux plans tournés pour l'occasion, afin de raconter une histoire, qui se veut un regard contemporain sur l'évolution de la Chine, mais aussi un portrait de sa femme qui joue dans quasiment tous ces films et qui tient une fois de plus le premier rôle, à des âges différents du coup, tout en étant un grand autoportrait qui revient sur toute son oeuvre. Le souci c'est que le résultat est complètement stérile : soit tu as déjà vu tous les films cités, et tu n'y vois qu'une grosse compilation comme l'horrible L'Amour en Fuite de Truffaut, soit tu ne connais pas l'oeuvre et tu ne comprends strictement rien au film, ne sachant pas ce qui est emprunté et ce qui est nouveau et ne pipant que dalle à la construction du cinéaste. Donc c'est un film qui ne s'adresse ni aux fans ni aux néophytes. JZK l'a donc fait pour lui, et voir ce film donne l'impression d'un mec qui feuillette son album de photos-souvenirs pour lui-même.

Là aussi, revisionnage d'un grand classique, qui n'est pas mon Mankiewicz préféré mais que j'aime beaucoup. Le film vaut beaucoup pour son duo d'acteurs, et se perd parfois dans la facilité, et dans la longueur (y avait vraiment de quoi couper 30 mn), voire dans le cliché masculiniste à outrance, mais ça fonctionne quand même très bien. Marrant de voir que Carlotta a privilégié dans son bluray le côté technicolor à outrance pour sans doute retrouver la sensation de l'époque, mais au final c'est assez moche, l'image n'est pas nette et les couleurs bavent.

Long film de montage de 3h dans lequel Thom Andersen raconte l'histoire de la ville de Los Angeles par des plans de cinéma de films (ultra légendaires ou plus méconnus) qui ont été tournés là-bas. Donc à part de très rares plans tournés par Andersen pour des raisons bien précises, l'ensemble des images de ce film sont des extraits d'autres films tournés à LA. C'est une oeuvre pharaonique et monumentale, qui rappelle beaucoup les films expérimentaux et compilatoires de Christian Marclay, mais la voix off omniprésente d'Andersen fait que ce n'est pas juste un plaisir visuel : le film et le cinéaste ont plein de choses à dire sur la construction et l'évolution de la ville, et par extension du pays et du monde. Une oeuvre-monde, c'est un terme qui pour une fois sera utilisé à bon escient.
Et merci à @cyborg qui me bassine avec ce film depuis des lustres et que j'ai enfin vu


Soir de la mort de David Lynch.
Impossible de regarder autre chose qu'un film de lui.
Afin de repousser cette nouvelle et de le conserver vivant auprès de soi.
Toujours aussi hypnotique, ce Lost Highway, que je connais par coeur plan par plan et souvent dialogue par dialogue...

Un cheffe d'entreprise très directive et autoritaire, assoiffée de sexe et insatisfaite avec son ami, se lance dans une histoire sexuelle avec un jeune stagiaire beau gosse mais insupportable. Elle qui domine dans la vie, à besoin de se faire dominer au lit, et leur relation vire de suite à une sorte de SM soft où le jeune homme jouera des pulsions masochistes de sa patronne avec délectation et sadisme. Le film est plutôt réussi dans sa mise en scène. Kidman y est absolument géniale, elle ose comme Demi Moore ose dans The Substance (je crois que c'est un peu devenu la norme pour réexister à Hollywood, après avoir fait refaire son corps en plastique de A à Z, il faut désormais le montrer), et surtout elle joue de ça : elle se moque d'elle-même et le film invective pas mal le personnage sur le fait qu'elle s'injecte du botox, qu'elle est vieille etc... Bref tout ça est la partie réussie du film. Ce qui est plus difficile à avaler, c'est l'absence de crédibilité des faits, le comportement de ce jeune stagiaire semble tellement invraisemblable, dès le début, dans une entreprise actuelle, que cela rend tout cela difficile à croire. Idem pour leur relation sexuelle. Tout est bizarre et tarabiscoté tout le temps, à tel point qu'on se demande souvent ce que veulent l'un et l'autre. Mais à la limite, ça, j'ai fini par y croire, disons que les deux doivent avoir un rapport au sexe, et l'autre, tellement compliqué, que lorsqu'ils entreprennent une relation commune, tout se retrouve encore plus compliqué que lorsqu'ils étaient face à leurs seuls fantasmes. Du coup, les réactions sont souvent surprenantes, et ce n'est pas si dérangeant que cela une fois qu'on s'y est fait. Ah et la toute fin, cette métaphore canine est quelque peu avilissante, et beaucoup trop facile, si je peux m'exprimer ainsi... Non mais franchement...

J'ai toujours bien aimé Julie Delpy et ses films sont souvent des réussites mêmes mineures. Celui-ci est mineur oui, mais très chouette. Ca se passe dans un petit village tranquille de Bretagne, Paimpont
