Bon, petit point / récap sur les films vus ces dernières semaines.
The French Dispatch, Wes Anderson (2021)
J'ai bien aimé mais j'ai regardé ça avec beaucoup de distance. Comme d'habitude chez Wes Anderson, la mise en scène est hyper chiadée, peut-être plus que d'habitude encore, le film, incroyable de maîtrise formelle, se permet à peu près toutes les folies visuelles possibles et imaginables, couplées à une narration sophistiquée, entre changements de formats (parfois d'un plan à un autre), alternance entre le noir et blanc et la couleur (procédé utilisé de manière plus ou moins gratuite), passage à l'animation, split-screen, charme des décors en carton-pâte, etc. Le problème, et c'est la limite des films à sketch en général (format dont je ne suis pas très fan mais que le film exploite quand même relativement bien avec cette idée d'articles de journaux mis en scène), c'est qu'à force de renouveler les enjeux, d'une histoire à une autre, il y a un manque flagrant d'implication qui se fait ressentir et qui est d'autant plus accentué par le fait que le rythme survitaminé propre à Wes Anderson, s'il tient bien la route dans le cadre d'un long-métrage classique, devient rapidement fatigant ici, dans la mesure où le film se décline et se renouvelle continuellement sur plusieurs récits différents, plus ou moins intéressants, plus ou moins émouvants (sur ce point, la partie avec Chalamet est la meilleure, très actuelle, très politique et c'est dommage que le reste ne soit pas davantage de cet acabit). Un bel objet plastique froid en somme. Et dernière remarque : si je sais qu'on ne peut pas se plaindre de ça ici, étant donné que c'est du Wes Anderson et qu'à chaque fois (pour ce film-là aussi) son esthétique est parfaitement cohérente et s'adapte bien vis-à-vis du milieu / pays qu'il met en scène, vivement que les Américains passent définitivement à autre chose avec cette vision de la France romantique à l'extrême. En 2021, c'est quand même assez ridicule d'en être encore là.
Dune, Denis Villeneuve (2021)
Alors ok, ça se regarde, de la même manière que son
Blade Runner 2049. Mais plus désincarné tu meurs et là aussi, gros souci d'implication, j'ai maté ça avec beaucoup de distance (ce qui ne m'a pas empêcher de raccorder les wagons malgré le jargon pseudo-complexe utilisé et qui est un passage obligé de tout univers de SF/fantasy). Villeneuve a suffisamment de talent pour parvenir à faire illusion mais ce type pue l’arnaque quand même.
Last Night in Soho, Edgar Wright (2021)
Ça finit par prendre, l'énergie du film ne tourne pas continuellement à vide et arrive, in fine, à faire mouche. Wright a un sens aiguisé du montage qui fait que le tout est quand même assez bien construit du point de vue de la mise en scène et le film, en tant qu’objet fétichiste influencé par les gialli d'Argento, est assez savoureux à regarder. Mais c’est un peu le même problème qu’avec
Baby Driver (sur ce dernier c'était encore plus criant, il y a du mieux avec son nouvel opus) : je soupçonne Edgar Wright d’être encore puceau, je sais pas comment le dire autrement (peut-être en disant que le cinéaste n'assume pas pleinement la noirceur de son sujet ?).
The Mist, Frank Darabont (2008)
C’est excellent. C’est
La Quatrième Dimension et le cinéma fantastique et horrifique américain des années 1950 qui sont évoqués ici avec toute la cruauté dont King sait faire preuve (adaptation d’une de ses nouvelles). Avec
La Guerre des Mondes, le film, en choisissant l’approche du cinéma de genre avec une relecture des dix plaies d’Égypte (à peu près tout y passe sans trop en dévoiler), se situe dans cette tendance des films américains post-11 septembre qui dévoilent la fragilité de la société américaine et ses paradoxes, la menace venant autant de l’extérieur (la brume) que de l’intérieur (le supermarché, théâtre macabre de la folie humaine avec ses dissensions, son sectarisme et son fanatisme). Entre son dyptique carcéral
Les Évadés/
La Ligne Verte (ce dernier étant quand même le moins réussi des trois) et
The Mist, Darabont aura décidément fait du bon boulot dans son approche des trois œuvres de l’auteur, celui-ci étant son plus noir, son plus radical.
Petite remarque : le visuel est assez cheap (ce qui ne m'a pas gêné outre mesure tant le film est franc du collier et c'est le plus important) mais j’ai vu le film en couleur (pas eu le choix). Or, il semblerait que Frank Darabont l’ait pensé pour être tourné en noir et blanc (version alternative présente sur le DVD) mais que les producteurs frileux aient exigé de la couleur. Du coup, je pense que ce choix esthétique du noir et blanc permet justement au film d’assumer clairement et jusqu’au bout son côté fauché en renvoyant à une certaine idée du cinéma de genre américain des années 50 avec ces films de monstres et d’invasion, courants à l’époque. Et certains passages, qui jouent clairement sur des nuances de noir et de blanc, étaient de toutes évidence tournés pour un film censé être en N et B. Bref, j'aimerais beaucoup me pencher sur cette version.
Illusions perdues, Xavier Giannoli (2021)
C'est bien, très actuel (
Un jour tu verras qu'on aura un banquier à la tête du pays, j'ai bien ris j'avoue), tant dans son regard sur le monde du spectacle que dans celui de la presse (et des médias au sens large) que dans celui de la politique, les trois s'imbriquant parfaitement bien les uns avec les autres dans une mascarade ouvertement vénale. Mais je pense que la réussite du film, combien même il est d'actualité, doit plus au livre de Balzac qu'il adapte (assez fidèlement d'après ce que j'ai compris) qu'aux talents de metteur en scène de Xavier Giannoli. Sa mise en scène se veut ouvertement scorsesienne mais ça manque du panache, de la folie et du jusqu'au boutisme des meilleurs films de son modèle. Ici c'est juste plat et académique, à l'image de sa photographie vieillotte, la même que celle de son film
Marguerite.
Mourir peut attendre, Cary Joji Fukunaga (2021)
3h00 pour nous dire qu’il est temps de raccrocher… on le savait depuis 25 films. La bonne nouvelle (
spoiler alert !) c'est que dans la mesure où le personnage meurt à la fin du film, on n'aura plus à se taper sa tronche de pseudo-dépressif constipé sur grand écran. Seul point positif : Ana De Armas, tellement pétillante que je trouve honteux de ne pas lui avoir offert un rôle de plus grande envergure.
Le Sommet des dieux, Patrick Imbert (2021)
Beaucoup aimé. La narration est dense mais en toute simplicité, ça alterne les époques, passe d’un personnage à un autre, de la montagne à la ville sans qu’on ne perde jamais le fil. C’est un film d’enquête journalistique dans le milieu de l’alpinisme qui aurait rencontré l’émotion et le chemin de croix d’un
Tintin au Tibet, c’est vraiment de la manière dont je peux le mieux résumer l’œuvre qui met en scène deux personnages, deux obsessions qui finissent, in fine, par se rejoindre.
Beckett, Ferdinando Cito Filomarino (2021)
C'est un cinéma du mouvement comme je l'aime, le film est construit comme une spirale vertigineuse qui a pour point de départ une romance intimiste pour déployer une envergure et une complexité incroyable en à peine deux heures de film, complexité qui n'est jamais surlignée grâce à une maestria de mise en scène qui serait un mix entre
Frantic,
La mort aux trousses,
Les 39 marches et
L'homme qui en savait trop (grosse influence hitchcockienne). Ça enchaîne les scènes de course poursuite et de tension, à pied, dans les rues, sur les toits, dans des parkings, sous-sols, métro ou trains, que ça soit en campagne ou en ville, le film tirant habilement parti de l'espace géographique qu'il met en scène pour développer une nébuleuse politique kafkaïenne plus d'actualité que jamais et sans avoir l'air de trop y toucher.
Malignant, James Wan (2021)
C’est un mix bancal entre Argento, De Palma et Shyamalan période
Split. Gros bordel au niveau du scénario du coup (le twist, non mais WTF ?!) mais Wan a un sens de l’outrance tellement poussé que ça sauve le film. Dans la catégorie thrillers / films d’horreur sur la masculinité toxique, James Wan, Leigh Whannell (
Invisible Man) et Edgar Wright (
Last Night in Soho) s’en sortent plutôt bien avec leurs derniers opus, en dépit des défauts qu'ils peuvent accumuler.