Le Cercle des profileurs disparus
Posté : lun. 23 déc. 2024 17:10
Une nouvelle image de Dragons :
Dès le succès de The Witch, un remake du mythique Nosferatu par Robert Eggers a été en discussions, au point où le projet aurait pu être le deuxième long-métrage du réalisateur. Hollywood étant Hollywood, le film est resté un certain temps dans les tiroirs, assez pour permettre au cinéaste derrière The Lighthouse et The Northman d’asseoir son talent. Portée par Lily-Rose Depp, Nicholas Hoult, Bill Skarsgård ou encore Willem Dafoe, cette relecture du classique de Murnau s’épanouit dans ses divergences avec l’original. En salles le 25 décembre.
EXPÉRIENCE VAMPIRIQUE
Entre la famille nucléaire (The Witch), l’amitié de deux âmes isolées (The Lighthouse) et un arbre des rois employé comme le symbole d’une généalogie en quête de vengeance (The Northman), le cinéma de Robert Eggers s’est construit sur la notion de transmission. Celui qu’on a souvent réduit à son impact dans le renouveau de la folk horror revient en effet à la source de nos peurs et de nos superstitions, mais ausculte surtout la passation de ces peurs et leurs mutations par le contact de divers cercles sociaux et de leurs membres.
Le voir ainsi remaker Nosferatu le vampire, chef-d’œuvre séminal de Murnau lui-même dérivé du Dracula de Bram Stoker, s’imposait depuis ses premières annonces comme une évidence. Malgré les nombreux problèmes juridiques qui ont émaillé le cauchemar gothique de 1922, l’esthétique de l’expressionnisme allemand et les inquiétudes de l’Europe de l’entre-deux-guerres ont fait de cette vision du vampire sa propre entité, elle-même fascinée par la crainte d’une contamination sociétale (la peste).
L’image culte de cette ombre aux doigts fourchus ouvrant une porte supposait une connexion, celle d’une menace lointaine et ancienne venue se répandre dans nos villes modernes, et particulièrement dans l’intimité d’un foyer en proie au vice et à la bestialité. Eggers ne tarde pas à marquer cette filiation de cinéma, et débute même sa version par un plan somptueux, où la silhouette spectrale du comte Orlok se matérialise derrière un rideau blanc. La messe est dite : le Nosferatu de 2024 sera pour son auteur la synthèse d’une obsession pour l’évolution des mythes horrifiques.
On se plaît d’ailleurs à voir le cinéaste développer avec maniaquerie le décor de cette Allemagne de 1838, dont les rues sombres et délavées arborent déjà cette modernité de façade, cachant derrière son puritanisme ses désirs inavouables. La photographie léchée de Jarin Blaschke (collaborateur fidèle d’Eggers, qui s’est occupé de tous ses films) impressionne d’emblée par ses jeux avec la courte focale, avec ses clairs-obscurs et sa gestion de l’obscurité, qui font de l’ensemble ce bonbon gothique pour les yeux que l’on attendait.
Pour autant, Nosferatu peut décevoir dans un premier temps, à cause d’une première partie transylvaine qui ne réinvente pas la roue. Empesé par l’héritage de Murnau, du remake de Werner Herzog et des multiples versions de Dracula (on pense autant à Tod Browning qu’à certains effets de style de Coppola), tout le passage dans le château du comte semble contraint de dérouler son programme avec ses référents dans le rétroviseur. Eggers y puise une certaine austérité, qui va assez platement à l’essentiel de cette emprise du jeune bourgeois Thomas Hutter (Nicholas Hoult, idéal en faux naïf), pris dans les griffes du vampire désirant sa femme, Ellen.
Ce n’est pourtant pas faute de chercher l’originalité du côté du comte lui-même. Au-delà d’une révélation progressive particulièrement jouissive, Bill Skarsgård évolue en flux tendu tout le long du film, en assumant l’héritage grotesque de Max Schreck, poussé dans ses retranchements par un accent des Carpates à couper au couteau et une caractéristique physique qu’on ne spoilera pas. Nosferatu pourrait sombrer dans le ridicule, mais Eggers réussit une nouvelle fois, par son premier degré total, à renvoyer la figure du vampire à ses origines, et à une altérité terrifiante.
RÉGLÉ COMME UNE ORLOK
Néanmoins, le cinéaste ne cache pas que sa démarche éclot avec l’arrivée d’Orlok dans la ville imaginaire de Wisborg, suivie du retour de Thomas. Le réalisateur se permet même de bazarder le célèbre voyage naval du vampire, comme pour esquiver le comparatif avec les images flamboyantes de Murnau, ou la manière pour certains d’en avoir fait un récit à part entière (la série Dracula de la BBC, le récent Dernier voyage du Déméter).
Ce qui l’intéresse, à l’instar de son monstre, c’est bien Ellen, pour qui Lily-Rose Depp donne absolument tout, là aussi aux abords du too much avec supplément convulsions. Comme le récit le laisse supposer, elle est le cheval de Troie de Robert Eggers, qu’il filme d’abord en femme éplorée pour mieux en faire l’épicentre actif de la narration. Avec elle, c’est toute une sexualité enfouie et refoulée qui se réveille, qui déborde de son corps possédé, mais aussi de ces chambres bourgeoises révélant les pulsions inassouvies de chacun. Le film est à son meilleur lorsqu’il investit ce monde domestique, toujours sur le point de voler en éclats.
Mais réside surtout, en filigrane, cette éternelle incompréhension du masculin envers ce féminin sensible. De la sorcière de The Witch, on est passé à la “mélancolique” ou “l’hystérique”, termes dictés par un progrès scientifique dont la rationalité refuse de voir ses biais patriarcaux. La maltraitance du corps d’Ellen par ceux qui prétendent vouloir la sauver fait ressortir toute l’hypocrisie de ses personnages et toute leur violence.
C’est aussi pour cette raison que le film trouve une passerelle à travers Willem Dafoe, évidemment en phase avec la folie du film dans le rôle de ce Van Helsing décalé, rejeté pour ses recherches sur l’occulte. Tout en gardant un pied dans ce futur peu réjouissant, il n’oublie jamais cette spiritualité en voie de disparition.
Robert Eggers a souvent exprimé son dédain pour le monde moderne, qui a entraîné cette dévaluation de nos mythes et de nos peurs ancestrales. Cela ne veut pas dire pour autant que son Nosferatu n’est pas moderne. Après tout, en introduisant sa vision par le viol d’Ellen par Orlok, l’emprise du monstre y est plus que jamais au centre de l’équation. Pour s’en débarrasser, la “mise en lumière” du vampire et de ses actes gagne une tout autre valeur. Comme quoi, malgré sa chair pourrissante et dérangeante, la figure horrifique n’a pas pris une ride.
Conscient du poids de ses modèles, Robert Eggers n’arrive pas toujours à s’en démarquer. Cependant, sa vision de Nosferatu se révèle passionnante lorsqu’il embrasse sa nature de drame domestique, avec en son centre le regard qu’il porte à la Ellen de Lily-Rose Depp.
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Un avis plus mitigé (2,5 étoiles) :
"Encore une fois, la note d'intention est plus forte que l'exécution. Coincé entre l'exercice de style (la première partie du film), et la démonstration dramatique lourdingue (le reste), Robert Eggers se dépatouille comme il peut, mais sans atteindre ses objectifs : la peur, et l'émotion."
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