Le Centre de Visionnage : Films et débats
Posté : sam. 12 oct. 2024 21:22
Rahlala qu'est ce que tu donnes envie pour le Weerasethakul !groil_groil a écrit : ↑sam. 12 oct. 2024 18:19
Une fiction qui revisite la théorie du complot autour de l'assassinat Kennedy. Plus proche de la BD XIII que du JFK de Stone en fait, même s'il est certain que Stone l'a vu. Le film est à la fois profond et sérieux (les théories élaborées, bien que fictives, sont parfois passionnantes) tout en décrochant en permanence du réel pour offrir une fable se rapprochant parfois d'une version adulte d'Alice au pays des merveilles. Un drôle de film donc, y compris dans ses défauts, mais une certitude, j'aurais envie de le revoir.
Moyen métrage d'Angela Schanelec comme souvent assez énigmatique, et porté sur la question du couple. La cinéaste a l'art de rendre obscur et diffus des choses simples et évidentes, ça en devient son style, je m'y perds rapidement mais je finis par aimer cela.
Burton, perdu depuis si longtemps, réactive un de ses jouets du début afin de rechercher une innocence dans son cinéma perdue depuis si longtemps. C'est peut-être son meilleur film depuis 20 ans ou plus, qu'importe, mais c'est tout de même un ratage, dans le sens où ce film arrive beaucoup trop tard. Beetlejuice est un film de bricole, de rafistolage, mais la bricole à la sauce numérique, ça ne marche pas du tout. Un coup d'épée numérique dans l'eau, ça ne fait pas de vagues. Qui plus est, pas d'histoire, la moitié des personnages qui n'ont pas de rôle. Une seule très belle scène : celle de l'apparition de Monica Bellucci façon Frankenstein découpée en morceaux qui se reconstitue sous nos yeux. L'hommage que fait ici le cinéaste à sa nouvelle compagne est très touchant, car il la récrée véritablement, recompose son corps entier pour lui permettre d'intégrer l'univers du film au sens premier, mais sa vie à lui dans le second sens. C'est une très belle déclaration d'amour.
J'avais oublié que c'était aussi génial. Molinaro et Veber, tout deux au top de leur forme, se payent les petits patrons de PME de Province, arrivistes et paternalistes, de beaux personnages balzaciens en puissance, ainsi que leurs supérieurs, les grands méchants, à tête de multinationales, tous plus cyniques et affreux les uns que les autres. Et au beau milieu de tout cela, une femme. Seule. Et pute. Mais la seule qui vit vraiment, et qui a compris que plus elle pourrait tirer de fric de ces ordures mieux ça vaudrait, et qu'il ne faut surtout pas avoir d'état d'âme. Sauf si... Les dialogues sont d'une richesse, d'une beauté et d'un humour à la grande finesse qui en font, dans le genre critique de la petite bourgeoisie de province, presqu'un égal de Coup de Tête.
A Conversation with the Sun - Apichatpong Weerasethakul
Très peu de projos (sur 9 jours uniquement) et très peu de billets, uniquement 15 personnes par séance, pour le nouveau film du cinéaste qui est sans doute, à mes yeux en tout cas, le plus grand en activité (Lynch ne tournant plus). Le film se décompose en trois parties distinctes, dont la seconde est en VR (réalité virtuelle).
Première partie, d'une durée de 22mn : les gens entre dans une grande salle au milieu de laquelle trône un immense écran de cinéma sur lequel des images sont projetées recto / verso. Il va donc falloir faire constamment le tour pour voir ce qui se passe de l'autre côté. Mais, dans la salle il y a déjà des gens, ce sont les gens de la séance d'avant, qui eux sont déjà dans la partie 2 du film, mais sont parmi nous, munis de casques de réalité virtuelle, ils ne nous voient pas et ne nous entendent pas. Durant la séance il faudra constamment les éviter pour ne pas créer de chocs, des membres de l'organisation sont là pour empêcher les collisions si besoin. L'écran recto verso projette des images d'hommes et de femmes qui dorment, de villes, de paysages de jungles, certains personnages sont assis, un autre joue de la guitare, une femme étend son linge, la vie quotidienne, le repos, la méditation. On entend des voix qui disent souvent l'oubli, parlent du sommeil, de choses qu'on voulait faire mais qu'on n'a pas faites. La bande-son, sublime et omniprésente, est signée Riuychi Sakamoto, sans doute sa dernière oeuvre avant son décès. Le film est magnifique et nous met déjà dans un état proche du sommeil, d'autant que la pièce est hantée par des fantômes avec lesquels nous devons interagir pour justement ne pas entrer en contact.
Seconde partie, 22mn également : nous récupérons les casques, alors que les 15 suivants entrent dans la salle et la partie VR débute. Au début, nous ne voyons que l'écran, rien d'autre, dans le noir, l'image qu'on connaissait, celle d'un personnage qui dort. Puis, d'un coup, sans crier gare, 9 autres écrans géants apparaissent partout dans la salle, projetant tous des images différentes, à chaque fois un personnage qui dort. Je crois reconnaitre les acteurs vus dans le premier film. Et là, doucement mais avec grande force, une lumière gigantesque sort du sol, elle monte, grossis de plus en plus, et on comprend que c'est un soleil qui est en train de naitre. Il est gigantesque, il monte, monte, la sphère sort intégralement de terre, un diamètre de plusieurs mètres, puis s'élève dans les airs et illumine toute la pièce et continue de monter à l'infini. Puis, en regardant cela, je ne me rends même pas compte que mon environnement a changé. D'un coup, je m'aperçois que je suis dans des fonds marins. Alors on ne voit ni poissons ni eau, ce pourrait être le fond d'une grotte obscure, ça l'est, mais pour moi elle était sous l'eau. Peu importe, c'est une réalité qui est virtuelle, personnellement je l'ai ressentie ainsi. Et là, toutes les perceptions changent, je me surprend à faire de grandes enjambées pour éviter des rochers qui n'existent que dans mon cerveau, je m'allonge au sol pour admirer de près une plante naissante, je commence déjà à perdre pied d'avec la réalité. Puis d'un coup, en me retournant, je découvre au fond de la grotte, une immense statue, d'une vingtaine de mètres de haut, comme un petit buddha enfantin avec une tête de mort et un immense sexe turgescent. Il est aussi inquiétant que fascinant. A force de le regarder, on voit son visage lentement se déformer, comme s'il penchait d'un côté, pour s'effondrer. Sauf que ce n'est pas que son visage, tout s'effondre, le sol se dérobe sous nos pieds et nous tombons, lentement mais indéfiniment. Cette sensation est la plus forte que j'ai ressentie durant la projo. mon corps ne m'appartenais plus, je flottais littéralement, il n'y avait plus de sol, plus de dimensions, simplement une longue chute, infinie. De temps en temps au fond de l'obscurité des abimes, nous croisons un néon, rouge, puis vert, à une autre moment une silhouette d'homme, assise sur un rocher, immobile, et la chute continue... sans fin... jusqu'au moment où le soleil réapparait, plus immense que jamais, incandescent, à nous bruler les yeux, puis derrière ce soleil, dix autres, vingt autres, des centaines de soleil, qui inondent l'espace, jusqu'au moment où un soleil noir apparait également et progressivement vienne recouvrir le soleil principal totalement, comme une éclipse totale, et au moment où celle-ci se réalise, une inscription : for Riuychi. Il est l'heure d'ôter son casque, c'est littéralement impossible de retrouver le monde des vivants. C'est comme se réveiller d'un rêve profond, mais plus encore, car cela m'est arrivé plusieurs fois, j'ai ressenti la même impression qu'en me réveillant d'une anesthésie générale, où il faut tellement de temps pour comprendre ce qui vient de nous arriver, avant de rejoindre vraiment le monde des vivants. J'ai pensé beaucoup à la naissance également. Peut-être qu'un enfant qui sort du ventre de sa mère éprouve les mêmes sensations. On nous dirige ensuite, titubants, vers une salle de cinéma (la grande de Beaubourg) dans le noir complet, pour la troisième partie de l'oeuvre. Un écran 4/3 type rideau est posé et on s'assoie sur le fauteuil de notre choix, pour assister à une projo qui tourne en boucle. On a le droit de rester aussi longtemps qu'on le souhaite. Sont projetés des images de gens - ainsi qu'un chat et un chien - qui dorment. L'ensemble doit durer une dizaine de minutes, mais le temps n'a plus court, c'est une boucle, et nous voyons des gens dormir. Dans une image volontairement dégueu, type caméscope. Cette dernière partie fut pour moi le sas de décompression nécessaire pour me permettre de retourner dans la vie réelle. Comme une salle de réveil après une anesthésie ou un coma. Une aide à revenir au monde. Une fois que je me suis senti près, non sans mal, je me suis levé, et je suis sorti. Le rêve continuait pourtant. Je suis tombé né à né avec Apichatpong Weerasethakul qui a l'air d'être là à chaque projo, pour s'assurer de son bon déroulement. Je me suis approché de lui, et nous avons discuté en tête à tête pendant 5 bonnes minutes. L'homme est aussi doux et délicat, profond et plein de beaux mystères que le sont ses films. A l'écoute, il s'est presque plus intéressé à moi que l'inverse, c'était un moment de rêve, dans lequel j'ai pu lui dire combien il avait changé ma vie, qui prolongeait merveilleusement bien le rêve éveillé de sa nouvelle œuvre, l'un de ses plus grands chefs-d'œuvre assurément, qu'il faut vivre et qui ne rend sans doute pas grand chose en étant simplement raconté, mais j'ai tenu à le faire en tant que témoignage, car A Conversation with the Sun ne sera peut-être jamais remontré.
![]()