Un ami de mon père travaillait chez Renault, dans les années 90 il a habité à Moscou pour y développer la marque au losange. Il parle couramment russe (entre autres langues).
Le 14 mars (hier), il a écrit ce courriel.
Comme il faisait vraiment moche hier, et que les nouvelles venues d’Ukraine m’avaient déjà définitivement déprimé, je me suis dit que j’étais mûr pour me planter devant la télévision russe – histoire de souffrir jusqu’au bout. Vers le soir, j’ai donc regardé Vremia (Время, “Temps”), le grand journal du soir. Voici ce que j’y ai vu.
– Des volontaires du Donbass veulent libérer Marioupol et se confient : “C’est ma terre, dit un jeune homme. J’y suis né. J’y suis tombé amoureux. Mais elle est prise par des étrangers.”
– Les églises orthodoxes d’Ukraine sont attaquées. On diffuse un extrait du sermon du patriarche Cyrille. La semaine dernière, il dénonçait une “guerre métaphysique” menée par un Occident désireux d’imposer des gay prides au monde orthodoxe. Il appelle cette fois-ci à prier pour l’Église orthodoxe ukrainienne persécutée par les radicaux.
– Alexandre Loukachenko, le président du Bélarus, a discuté cinq heures durant avec Vladimir Poutine, et a conclu dans son style fleuri : “Nous sommes habitués aux saloperies des Occidentaux”.
– Les Américains interdisent la vente de leur alcool et de leurs cigarettes en Russie. “C’est mieux pour notre santé”, commente le présentateur.
– Nancy Pelosi, présidente de la chambre des représentants aux États-Unis, dit “Kerenski” (le nom d’un des chefs de file de la révolution de février 1917) au lieu de “Zelensky”. Les Occidentaux sont tellement incultes.
– Les États-Unis ont reconnu l’existence de laboratoires d’armes biologiques en Ukraine.
– Instagram et Facebook sont interdits en Russie depuis que leurs PDG américains ont autorisé les appels au meurtre du président russe. Ouf.
– “La secte totalitaire délirante occidentale veut la Troisième Guerre mondiale”, martèle l’historienne Natalia Narotchnitskaïa. Tiens, mais je la connais ! Elle a dirigé pendant des années l’“Institut pour la démocratie et la coopération” à Paris, un organe d’influence du Kremlin.
– En Allemagne, on incendie les écoles russes, on refuse de soigner les Russes et de les servir dans les magasins. Commentaire de l’historienne : “L’Union européenne est devenue un Quatrième Reich”.
– Le présentateur lit une longue citation du poète russe Fiodor Tchiouttchev : “C’est tout l’Occident qui est venu exprimer son refus de la Russie et entraver son chemin vers l’avenir”(1854).
– À cause des sanctions contre la Russie, les rayons de produits de base se vident en Turquie ou en Allemagne.
– La crise mondiale va frapper en premier lieu l’Afrique et le Proche-Orient, déclenchant une nouvelle crise migratoire vers l’Europe. Les troubles sociaux dus à la hausse des prix des carburants ont déjà débuté en Italie. “Comment la population va-t-elle réagir ? Nul ne le sait.”
– Vladimir Poutine explique que les sanctions auraient été décrétées de toute manière, car les Occidentaux “déversent sur nous leurs propres erreurs”. Mais “nous avons de quoi tenir”, continue-t-il. Il faut simplement “stabiliser le système financier”.
– Les aides sociales aux familles pauvres sont maintenues. “Il faut rester calme”, ajoute Poutine.
– On rend leurs anciens noms soviétiques aux villes du Donbass.
– Conformément à ce qu’a déclaré le président, Lénine est responsable des velléités d’indépendance de l’Ukraine.
– Il faut lutter contre la nazification de l’Ukraine.
– Conclusion : “La lettre Z, dernière de l’alphabet latin, va mettre un point final à cette histoire”.
– Sans transition, on passe à la grande fiction du dimanche soir : une série sur le prince Vladimir, futur prince de Kiev au Xe siècle et, selon l’historiographie impériale du XIXe siècle, fondateur de la Russie historique.
Note : Il s'agit du même journal télévisé (Le Temps) sur lequel la journaliste russe a fait son coup d'éclat lundi mais il avait regardé l'émission la veille.