
L’été sera celui de Soi Cheang, ou ne sera pas. Aux côtés du loufoque Mad Fate, thriller superstitieux autour d’un tueur en série (sorti le 17 juillet), City of Darkness signe le retour du réalisateur hongkongais dans le domaine du cinéma d’arts martiaux. Ce shot d’adrénaline, aussi grisant que maîtrisé, s’impose non seulement comme l’un des meilleurs films d’action de l’année, mais aussi comme la consécration d’un auteur passionnant, concerné par l’héritage d’une époque révolue du cinéma HK. En salles le 14 août.
SOI BOY
En France, Soi Cheang a été particulièrement remarqué avec le coup d’éclat de Limbo, polar dont le nihilisme n’a d’égal que sa photographie en noir et blanc absolument étouffante. Pourtant, le cinéaste a eu l’occasion de s’imposer dans l’industrie “mourante” du cinéma hongkongais, en renouvelant à sa manière les codes de son âge d’or. Du néo-noir gore proche du Catégorie III (Dog Bite Dog) au thriller paranoïaque (Accident) en passant par le film d’arts martiaux (SPL 2), le bonhomme est bien un touche-à-tout de talent, et peut-être bien l’un des derniers grands auteurs de Hong Kong face à l’uniformisation de l’industrie chinoise.
Après s’être lui-même frotté au blockbuster continental avec la trilogie du Roi Singe, Cheang est rentré à Hong Kong avec une hargne évidente, perceptible dans la violence de ses récits (Limbo), dans la folie de ses concepts (Mad Fate) et surtout au travers d’un dénominateur commun : la question de l’identité et de sa perte. Pour un cinéaste qui a choisi de réinvestir le territoire hongkongais et la complexité de son histoire, entre la colonisation britannique et la Rétrocession à la Chine, c’est bien un doute existentiel qui tiraille ses personnages, et le lieu dans lequel ils essaient de trouver une place.
Plus que jamais, City of Darkness explicite ce postulat en faisant de son protagoniste Chan Lok-kwun (Raymond Lam) un migrant clandestin qui fuit un puissant boss des Triades. Désespéré, l’homme traqué se réfugie dans la Citadelle de Kowloon, bidonville où il profite de la protection de son chef, Cyclone. Mais c’est justement au moment où les différents gangs de la ville convoitent cette zone de non-droit, prétexte idéal pour un maximum de bagarre.
De ce concept relativement old-school, Soi Cheang se positionne dans le sillage d’un cinéma à l’agonie. Alors que la plupart de ses modèles et mentors (on pense à Tsui Hark ou Johnnie To) semblent avoir lâché l’affaire, City of Darkness arbore une dimension éminemment politique. Derrière le romanesque assumé de son approche, adaptée du manhua d’Andy Seto, dépeindre la véritable cité de Kowloon est déjà tout un symbole. Cette enclave anarchique, représentante d’un melting-pot sociétal, a toujours été un caillou dans la chaussure des autorités britanniques pendant la colonisation.
Si le long-métrage se déroule dans les années 80, c’est aussi pour capter une bascule : l’annonce de la Rétrocession, qui va amorcer le démantèlement de Kowloon en 1993. Entre panoramas en CGI et décors en studios remplis à ras bord de structures hétérogènes (la mise en scène se veut tout aussi chargée et complexe que celle de Limbo), le film fait du bidonville un fantasme de cinéma, et par extension le dernier bastion métaphorique de toute une époque. Les escaliers à l’air libre surcadrent les pièces, elles-mêmes composées de récup dans ce labyrinthe de béton et de câbles. Au travers de cette beauté du collage et du mélange (la photographie est une nouvelle fois superbe), il y a là toute la note d’intention du cinéaste.
HONG KONG MASSACRE
Comme à son habitude, Soi Cheang filme Hong Kong par sa diversité, par son chaos historique qui a connecté les cultures et les ethnies. Si SPL 2 et Dog Bite Dog opposaient des protagonistes qui ne parlaient pas la même langue, Chan Lok-kwun espère voir en Hong Kong une terre d’opportunités. Ses espoirs se mêlent à ses désillusions, tandis que le cinéaste adopte avec ferveur son regard neuf et innocent sur des décennies de guerre des gangs. Par effet de contraste, Cheang se fait plaisir en faisant incarner les chefs des Triades par des grands noms du cinéma HK (Sammo Hung, Louis Koo et Richie Jen).
Il y a dans City of Darkness une mélancolie évidente, la sensation d’assister à l’un des derniers tours de piste d’une culture qui nous a tant fait vibrer. C’est peut-être aussi pour cette raison que le film ne cesse de muter, démarrant comme un polar rêche à la Johnnie To, avant d’évoluer avec délice dans le drame familial aux accents tragiques, et dans le pur film de kung-fu extravagant.
Il convient d’ailleurs de souligner la galvanisation de ses scènes d’action, portées par la vivacité de son découpage (on pense au Wilson Yip de Ip Man et Flashpoint, par ailleurs producteur exécutif du film). Même dans cette mouvance, Cheang raccorde le passé et le présent, entre ses cascades improbables et ses extensions numériques bien pensées (mention spéciale à ce plan où Chan Lok-kwun soulève un corps pour encastrer sa tête dans un mur).
Dans un premier temps, les courtes focales et les mouvements vifs de la caméra jouent avec les contraintes des espaces réduits de Kowloon. Les joutes ne cessent de se renouveler au cœur de ces limitations spatiales, avant que le bac à sable ne s’étende. Petit à petit, ce rapport au tangible vrille volontiers, à mesure que les personnages se transforment en surhommes câblés dans un crescendo des plus jouissifs.
Si la fin est inévitable, autant partir avec panache dans un baroud d’honneur total, où tout le monde se jette à corps perdu dans la mêlée. Dans cette poésie mortifère sans lendemain, City of Darkness (dont on préfère le titre original lourd de sens, Twilight of the Warriors) sacrifie une bonne partie de ses idoles, avec cette pointe d’espoir de voir la nouvelle génération prendre la relève. On y croit moyennement, mais Soi Cheang retrouve aussi de cette insouciance, oserait-on dire cette naïveté des années 80 hongkongaises, où tout était encore possible.
Non content d’être un film d’action virtuose, City of Darkness symbolise par ses acteurs et son décor la fin d’une époque, à la manière d’un chant du cygne politique et mélancolique sur le cinéma de Hong Kong.
https://www.ecranlarge.com/films/critiq ... jF8_AAy59Q
C'est pas l'envie qui me manque de le voir mais malheureusement il ne passe pas à proximité de chez moi.




















































