asketoner a écrit : ↑sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.
Donc, mon problème n’est pas qu’Ophélie soit filmée comme une « chaudasse » en soi, mais plutôt qu’elle dénote, qu’elle jure dans l’ensemble. Sans parler du fait que Kechiche la place quasiment tout le temps aux côtés d’Amin (dont le prénom signifie « ange / digne de confiance » en arabe — il existe en effet un lien linguistique ancien entre Amin et Amen, tous deux issus de la racine sémitique ʾ-M-N, qui renvoie à l’idée de solidité, de fiabilité).
Franchement, j’avais mal au cœur pour Ophélie, surtout dans Canto Due, parce que dans le premier film « ça passe » : il y a un groupe, une dynamique. Mais ici, comme tu le dis très justement dans un autre message — je te cite :
En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Et surtout à Ophélie ! Elle est reléguée à une sorte d’histoire de calcul d’avortement assez pitoyable, durant laquelle on l’entend parler de Paris (en 1994, tout de même !) comme si elle évoquait New York, Londres, Berlin ou Tokyo.
Que Kechiche ait puisé tout cela dans des souvenirs de jeunesse, j’en suis plus que convaincu ; mais au lieu de filmer Ophélie comme une sorte de reine fatale qui rend les hommes cocu, n’aurait-il pas pu, au moins une fois, filmer Amin en train de faire l’amour avec sa copine, plutôt que de le montrer étendu sur le dos, dormant comme un ange ?
Lorsque Godard filmait ses femmes (il avait dit dans une interview que, dans les années 60, chaque fois qu’il avait une nouvelle compagne, il faisait un film pour mieux la comprendre), il n’hésitait pas : aussi peu flatteur qu’il soit dans le rôle de Paul (Le mépris), il faisait de son épouse une prostituée dans Vivre sa vie et la laissait mourir sur le trottoir.
Et on ne parle pas d’Eustache dans la peau d’Alexandre dans La Maman et la Putain… .
Qu’est-ce que Kechiche avait, lui, à faire subir à Ophélie dans ce film, alors que son héros a bel et bien une dulcinée, non ? Franchement, si Ophélie n’apparaissait pas dans ce deuxième film, cela ne m’aurait posé aucun problème. Mais penses-y bien : tout est centré sur Amin, d’où ce sentiment — je te cite à nouveau — que « les personnages disparaissent beaucoup trop rapidement et n’ont souvent aucune ampleur ».
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub