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sokol
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:20
Sokol, ne penses-tu pas que ce producteur sur la côte d'Azur, avec cette petite histoire de jalousie, est un hommage direct au Mépris ?
Moi, je ne sais pas si je marche ou pas. A vrai dire, on dit que ce sont des stars, mais c'est une star de série télé. Ce n'est pas Angelina Jolie qui devient amie avec le livreur UberEats. Donc pour moi ça passe.
J’ai pensé au Mépris également. À mon avis, Kechiche y a sans doute pensé lui aussi.

Oui, moi aussi j’ai été emporté. Le film ne me pose pas vraiment de problème du point de vue du scénario. Je crois que c’est Kechiche que j’aime assez peu : bon ou pas bon, réussi ou pas, La Vie d’Adèle n’est pas un film très honnête, et lorsqu’on en arrive là, ce n’est jamais tout à fait accidentel
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
Jean-Marie Straub
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sokol
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Alors là, tu me surprends. Je n'avais pas imaginé qu'il y avait un message contre l'avortement. (Je peux entendre qu'il y a une obsession familiale chez Kechiche. D'ailleurs quand le jeune homme est menacé d'une arme à feu, l'Américaine crie : pense à sa famille !)
Ben voilà, ça revient au même. Après, peut-être que dire « il est contre l’avortement » choque, mais on peut le formuler de manière plus modérée : « il n’aime pas trop l’avortement ».

Tu sais, il y a deux ou trois semaines, je tombe par hasard, dans une émission d’Arte, sur Cristian Mungiu, le réalisateur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours. L’animatrice de 28 minutes le présente comme le détenteur de la Palme d’or 2007, explique que le film parle de la dictature de Ceaușescu, etc. Et là, hop, Mungiu s’immisce et corrige avec son accent roumain (il parle français) : pas seulement, madame, le film pose avant tout la question de la vie, du droit que l’on peut — et que l’on doit — avoir vis-à-vis d’elle, etc.

La journaliste, bien sûr, n’a rien relevé (elle s’en fichait comme de l’an quarante), mais je me suis dit : tiens, tiens… presque vingt ans plus tard, Mungiu se gêne bien moins qu’à l’époque. En effet, lors de la conférence de presse cannoise, on lui avait posé la question non seulement sur le choix de filmer le fœtus qui avait précisément 4 mois, 3 semaines et 2 jours (tiens, tiens — pas si anodin, le titre !) mais aussi sur cette insistance de la caméra sur lui. À l’époque, il avait soigneusement esquivé. Vingt ans plus tard, non seulement il ne l’esquive plus, mais il l’évoque de son plein gré !

Bref, comme dirait Godard, qui aimait tant ce mot : eh bien, c’est dégueulasse, tout ça.
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Jean-Marie Straub
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yhi
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:32 mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Ça me laisse l'impression qu'il manque 1h au film.
Mais heureusement qu'il y a ces quelques scènes (dans la cuisine au début, sur la plage, le before avant qu'ils sortent) car c'est là que ça respire le plus, probablement comme une réminiscence du premier en effet.
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sokol
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.

Donc, mon problème n’est pas qu’Ophélie soit filmée comme une « chaudasse » en soi, mais plutôt qu’elle dénote, qu’elle jure dans l’ensemble. Sans parler du fait que Kechiche la place quasiment tout le temps aux côtés d’Amin (dont le prénom signifie « ange / digne de confiance » en arabe — il existe en effet un lien linguistique ancien entre Amin et Amen, tous deux issus de la racine sémitique ʾ-M-N, qui renvoie à l’idée de solidité, de fiabilité).

Franchement, j’avais mal au cœur pour Ophélie, surtout dans Canto Due, parce que dans le premier film « ça passe » : il y a un groupe, une dynamique. Mais ici, comme tu le dis très justement dans un autre message — je te cite :
En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Et surtout à Ophélie ! Elle est reléguée à une sorte d’histoire de calcul d’avortement assez pitoyable, durant laquelle on l’entend parler de Paris (en 1994, tout de même !) comme si elle évoquait New York, Londres, Berlin ou Tokyo.
Que Kechiche ait puisé tout cela dans des souvenirs de jeunesse, j’en suis plus que convaincu ; mais au lieu de filmer Ophélie comme une sorte de reine fatale qui rend les hommes cocu, n’aurait-il pas pu, au moins une fois, filmer Amin en train de faire l’amour avec sa copine, plutôt que de le montrer étendu sur le dos, dormant comme un ange ?

Lorsque Godard filmait ses femmes (il avait dit dans une interview que, dans les années 60, chaque fois qu’il avait une nouvelle compagne, il faisait un film pour mieux la comprendre), il n’hésitait pas : aussi peu flatteur qu’il soit dans le rôle de Paul (Le mépris), il faisait de son épouse une prostituée dans Vivre sa vie et la laissait mourir sur le trottoir.
Et on ne parle pas d’Eustache dans la peau d’Alexandre dans La Maman et la Putain… .

Qu’est-ce que Kechiche avait, lui, à faire subir à Ophélie dans ce film, alors que son héros a bel et bien une dulcinée, non ? Franchement, si Ophélie n’apparaissait pas dans ce deuxième film, cela ne m’aurait posé aucun problème. Mais penses-y bien : tout est centré sur Amin, d’où ce sentiment — je te cite à nouveau — que « les personnages disparaissent beaucoup trop rapidement et n’ont souvent aucune ampleur ».
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Et puisque ce sont les films de leur vie, allons jusqu’au bout du raisonnement :

Voici Kechiche en ange gardien :

Image

et voici Eustache en anti‑héros réaliste et existentiel :

Image

Libre à chacun de se faire son opinion
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sokol a écrit : dim. 7 déc. 2025 00:01
asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.

Donc, mon problème n’est pas qu’Ophélie soit filmée comme une « chaudasse » en soi, mais plutôt qu’elle dénote, qu’elle jure dans l’ensemble. Sans parler du fait que Kechiche la place quasiment tout le temps aux côtés d’Amin (dont le prénom signifie « ange / digne de confiance » en arabe — il existe en effet un lien linguistique ancien entre Amin et Amen, tous deux issus de la racine sémitique ʾ-M-N, qui renvoie à l’idée de solidité, de fiabilité).

Franchement, j’avais mal au cœur pour Ophélie, surtout dans Canto Due, parce que dans le premier film « ça passe » : il y a un groupe, une dynamique. Mais ici, comme tu le dis très justement dans un autre message — je te cite :
En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Et surtout à Ophélie ! Elle est reléguée à une sorte d’histoire de calcul d’avortement assez pitoyable, durant laquelle on l’entend parler de Paris (en 1994, tout de même !) comme si elle évoquait New York, Londres, Berlin ou Tokyo.
Que Kechiche ait puisé tout cela dans des souvenirs de jeunesse, j’en suis plus que convaincu ; mais au lieu de filmer Ophélie comme une sorte de reine fatale qui rend les hommes cocu, n’aurait-il pas pu, au moins une fois, filmer Amin en train de faire l’amour avec sa copine, plutôt que de le montrer étendu sur le dos, dormant comme un ange ?

Lorsque Godard filmait ses femmes (il avait dit dans une interview que, dans les années 60, chaque fois qu’il avait une nouvelle compagne, il faisait un film pour mieux la comprendre), il n’hésitait pas : aussi peu flatteur qu’il soit dans le rôle de Paul (Le mépris), il faisait de son épouse une prostituée dans Vivre sa vie et la laissait mourir sur le trottoir.
Et on ne parle pas d’Eustache dans la peau d’Alexandre dans La Maman et la Putain… .

Qu’est-ce que Kechiche avait, lui, à faire subir à Ophélie dans ce film, alors que son héros a bel et bien une dulcinée, non ? Franchement, si Ophélie n’apparaissait pas dans ce deuxième film, cela ne m’aurait posé aucun problème. Mais penses-y bien : tout est centré sur Amin, d’où ce sentiment — je te cite à nouveau — que « les personnages disparaissent beaucoup trop rapidement et n’ont souvent aucune ampleur ».

J'ai l'impression que Kechiche veut questionner cette position, justement. Peut-être pas d'un point de vue moral, mais plutôt de celui du désir. Comment cette position, en fait, de léger retrait (mais pas total), permet la circulation des désirs (ou bien la précipite).
Bon, mais en effet, le gros problème, c'est que rien n'est renvoyé, opposé, ni contesté à Amin. Et le cinéma lui arrive comme par enchantement (il suffit de ne rien faire, et le producteur américain débarque, et la scène de thriller érotique dans la foulée).
Si, peut-être que quelqu'un lui oppose quelque chose : l'actrice américaine, qui ne veut plus jouer, qui préfère manger. (Mais cela joue en faveur d'Amin. On se dit : donc elle se fiche du cinéma, donc le désir d'Amin est bien plus pur, bien plus vrai. Et de toute façon le film continue de suivre Amin, ne bifurque jamais.)
Le moment qui m'a le plus ému dans le film, c'est celui où Amin apporte les billets de train à Ophélie. Là, chez Ophélie, il y a quelque chose qui ne se déclare pas tout à fait, mais on sent qu'elle pourrait récupérer le premier rôle, on sent que la caméra pourrait rester avec elle, laisser Amin partir. Hélas, ça n'a pas lieu.
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Mr-Orange
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:32 En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...

J’ai bien voire beaucoup aimé le film, mais je suis complètement d’accord avec ça. Mon adhésion repose inévitablement en partie sur une forme de mélancolie, celle de retrouver une bande qu’on voulait tous revoir bien plus tôt, et qu’on ne reverra pas autant qu’on nous l’avait initialement promis - le temps de 3 chants et un intermède. D’autant que ce sont des fantômes que l’on voit, puisque ce sont des images d’un temps antérieur à la polémique, qui a mis un terme et à la trilogie intégrale, et (hélas) probablement un terme aux carrières de Kechiche et de la plupart de ses acteurs.

Mais c’est aussi ce qui lui donne une beauté toute particulière, une mélancolie sourde, une nostalgie de ce qui dépasse le champ (les corps, relégués presque systématiquement hors du cadre au profit de gros plans sur les visages, de simples tranches de vie exclues du champ au profit de péripéties narratives à l’artificialité toute assumée) dont je ne trouve pas d’équivalent dans le cinéma.

Je note d’ailleurs que même Begaudeau – qui répète très souvent que sa méthode critique tient à regarder rien que le film, mais tout le film – passe plus de temps à commenter ce qui entoure le film que la fabrique même des scènes, ce que son interlocuteur ne manque d’ailleurs pas de lui faire remarquer.


Ma petite réserve, plus banalement, tient davantage au délaissement du naturalisme et de la quête de la vitalité de tranches de vie de la jeunesse sétoise au profit de ficelles narratives. Pourtant, j’aime toutes les scènes dans la villa, parce qu’elles ont une vitalité qui leur est propre. Plus précisément, c’est ce qui se passe après le coup de feu qui me gêne un peu, notamment à l’hôpital. @Tyra écrivait que les scènes avec le personnel et les patients de l’hôpital étaient d’un remarquable naturel ; je ne trouve pas, justement. J’ai revu récemment Énorme, et ce Canto Due souffre vraiment de la comparaison : là où Letourneur capte parfaitement le réel, notamment dans les scènes quasi-documentaires de l’hôpital (qui me feraient presque dire qu’il s’agit d’un des plus grands films de tous les temps), par ailleurs hilarantes (ce qu’essaient aussi d’être les scènes de ce Mektoub, moins drôles), Kechiche me donne plutôt l’impression de le singer.
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Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 12:39 J’ai revu récemment Énorme, et ce Canto Due souffre vraiment de la comparaison : là où Letourneur capte parfaitement le réel, notamment dans les scènes quasi-documentaires de l’hôpital (qui me feraient presque dire qu’il s’agit d’un des plus grands films de tous les temps), par ailleurs hilarantes (ce qu’essaient aussi d’être les scènes de ce Mektoub, moins drôles), Kechiche me donne plutôt l’impression de le singer.
:jap:

À la fin, Kechiche fait du Ladj Ly (Les Misérables — je l’ai revu : plutôt mauvais film, et quel idiot j’ai été de l’avoir autant aimé la première fois).
Mais c’est ça, le cinéma : il peut facilement nous tromper
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Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 12:39
Je note d’ailleurs que même Begaudeau – qui répète très souvent que sa méthode critique tient à regarder rien que le film, mais tout le film – passe plus de temps à commenter ce qui entoure le film que la fabrique même des scènes, ce que son interlocuteur ne manque d’ailleurs pas de lui faire remarquer.
Bégaudeau exprime beaucoup de réserves, mais comme il doit, pour une raison extrinsèque au film, le défendre, il n’est pas du tout convaincant (contrairement à ce qu’il était, par exemple, à propos de Une bataille après l’autre)
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