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sokol
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:20
Sokol, ne penses-tu pas que ce producteur sur la côte d'Azur, avec cette petite histoire de jalousie, est un hommage direct au Mépris ?
Moi, je ne sais pas si je marche ou pas. A vrai dire, on dit que ce sont des stars, mais c'est une star de série télé. Ce n'est pas Angelina Jolie qui devient amie avec le livreur UberEats. Donc pour moi ça passe.
J’ai pensé au Mépris également. À mon avis, Kechiche y a sans doute pensé lui aussi.

Oui, moi aussi j’ai été emporté. Le film ne me pose pas vraiment de problème du point de vue du scénario. Je crois que c’est Kechiche que j’aime assez peu : bon ou pas bon, réussi ou pas, La Vie d’Adèle n’est pas un film très honnête, et lorsqu’on en arrive là, ce n’est jamais tout à fait accidentel
"Le cinéma n'existe pas en soi, il n'est pas un langage. Il est un instrument d’analyse et c'est tout. Il ne doit pas devenir une fin en soi".
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Alors là, tu me surprends. Je n'avais pas imaginé qu'il y avait un message contre l'avortement. (Je peux entendre qu'il y a une obsession familiale chez Kechiche. D'ailleurs quand le jeune homme est menacé d'une arme à feu, l'Américaine crie : pense à sa famille !)
Ben voilà, ça revient au même. Après, peut-être que dire « il est contre l’avortement » choque, mais on peut le formuler de manière plus modérée : « il n’aime pas trop l’avortement ».

Tu sais, il y a deux ou trois semaines, je tombe par hasard, dans une émission d’Arte, sur Cristian Mungiu, le réalisateur de 4 mois, 3 semaines et 2 jours. L’animatrice de 28 minutes le présente comme le détenteur de la Palme d’or 2007, explique que le film parle de la dictature de Ceaușescu, etc. Et là, hop, Mungiu s’immisce et corrige avec son accent roumain (il parle français) : pas seulement, madame, le film pose avant tout la question de la vie, du droit que l’on peut — et que l’on doit — avoir vis-à-vis d’elle, etc.

La journaliste, bien sûr, n’a rien relevé (elle s’en fichait comme de l’an quarante), mais je me suis dit : tiens, tiens… presque vingt ans plus tard, Mungiu se gêne bien moins qu’à l’époque. En effet, lors de la conférence de presse cannoise, on lui avait posé la question non seulement sur le choix de filmer le fœtus qui avait précisément 4 mois, 3 semaines et 2 jours (tiens, tiens — pas si anodin, le titre !) mais aussi sur cette insistance de la caméra sur lui. À l’époque, il avait soigneusement esquivé. Vingt ans plus tard, non seulement il ne l’esquive plus, mais il l’évoque de son plein gré !

Bref, comme dirait Godard, qui aimait tant ce mot : eh bien, c’est dégueulasse, tout ça.
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yhi
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:32 mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Ça me laisse l'impression qu'il manque 1h au film.
Mais heureusement qu'il y a ces quelques scènes (dans la cuisine au début, sur la plage, le before avant qu'ils sortent) car c'est là que ça respire le plus, probablement comme une réminiscence du premier en effet.
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.

Donc, mon problème n’est pas qu’Ophélie soit filmée comme une « chaudasse » en soi, mais plutôt qu’elle dénote, qu’elle jure dans l’ensemble. Sans parler du fait que Kechiche la place quasiment tout le temps aux côtés d’Amin (dont le prénom signifie « ange / digne de confiance » en arabe — il existe en effet un lien linguistique ancien entre Amin et Amen, tous deux issus de la racine sémitique ʾ-M-N, qui renvoie à l’idée de solidité, de fiabilité).

Franchement, j’avais mal au cœur pour Ophélie, surtout dans Canto Due, parce que dans le premier film « ça passe » : il y a un groupe, une dynamique. Mais ici, comme tu le dis très justement dans un autre message — je te cite :
En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Et surtout à Ophélie ! Elle est reléguée à une sorte d’histoire de calcul d’avortement assez pitoyable, durant laquelle on l’entend parler de Paris (en 1994, tout de même !) comme si elle évoquait New York, Londres, Berlin ou Tokyo.
Que Kechiche ait puisé tout cela dans des souvenirs de jeunesse, j’en suis plus que convaincu ; mais au lieu de filmer Ophélie comme une sorte de reine fatale qui rend les hommes cocu, n’aurait-il pas pu, au moins une fois, filmer Amin en train de faire l’amour avec sa copine, plutôt que de le montrer étendu sur le dos, dormant comme un ange ?

Lorsque Godard filmait ses femmes (il avait dit dans une interview que, dans les années 60, chaque fois qu’il avait une nouvelle compagne, il faisait un film pour mieux la comprendre), il n’hésitait pas : aussi peu flatteur qu’il soit dans le rôle de Paul (Le mépris), il faisait de son épouse une prostituée dans Vivre sa vie et la laissait mourir sur le trottoir.
Et on ne parle pas d’Eustache dans la peau d’Alexandre dans La Maman et la Putain… .

Qu’est-ce que Kechiche avait, lui, à faire subir à Ophélie dans ce film, alors que son héros a bel et bien une dulcinée, non ? Franchement, si Ophélie n’apparaissait pas dans ce deuxième film, cela ne m’aurait posé aucun problème. Mais penses-y bien : tout est centré sur Amin, d’où ce sentiment — je te cite à nouveau — que « les personnages disparaissent beaucoup trop rapidement et n’ont souvent aucune ampleur ».
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Et puisque ce sont les films de leur vie, allons jusqu’au bout du raisonnement :

Voici Kechiche en ange gardien :

Image

et voici Eustache en anti‑héros réaliste et existentiel :

Image

Libre à chacun de se faire son opinion
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sokol a écrit : dim. 7 déc. 2025 00:01
asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.

Donc, mon problème n’est pas qu’Ophélie soit filmée comme une « chaudasse » en soi, mais plutôt qu’elle dénote, qu’elle jure dans l’ensemble. Sans parler du fait que Kechiche la place quasiment tout le temps aux côtés d’Amin (dont le prénom signifie « ange / digne de confiance » en arabe — il existe en effet un lien linguistique ancien entre Amin et Amen, tous deux issus de la racine sémitique ʾ-M-N, qui renvoie à l’idée de solidité, de fiabilité).

Franchement, j’avais mal au cœur pour Ophélie, surtout dans Canto Due, parce que dans le premier film « ça passe » : il y a un groupe, une dynamique. Mais ici, comme tu le dis très justement dans un autre message — je te cite :
En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...
Et surtout à Ophélie ! Elle est reléguée à une sorte d’histoire de calcul d’avortement assez pitoyable, durant laquelle on l’entend parler de Paris (en 1994, tout de même !) comme si elle évoquait New York, Londres, Berlin ou Tokyo.
Que Kechiche ait puisé tout cela dans des souvenirs de jeunesse, j’en suis plus que convaincu ; mais au lieu de filmer Ophélie comme une sorte de reine fatale qui rend les hommes cocu, n’aurait-il pas pu, au moins une fois, filmer Amin en train de faire l’amour avec sa copine, plutôt que de le montrer étendu sur le dos, dormant comme un ange ?

Lorsque Godard filmait ses femmes (il avait dit dans une interview que, dans les années 60, chaque fois qu’il avait une nouvelle compagne, il faisait un film pour mieux la comprendre), il n’hésitait pas : aussi peu flatteur qu’il soit dans le rôle de Paul (Le mépris), il faisait de son épouse une prostituée dans Vivre sa vie et la laissait mourir sur le trottoir.
Et on ne parle pas d’Eustache dans la peau d’Alexandre dans La Maman et la Putain… .

Qu’est-ce que Kechiche avait, lui, à faire subir à Ophélie dans ce film, alors que son héros a bel et bien une dulcinée, non ? Franchement, si Ophélie n’apparaissait pas dans ce deuxième film, cela ne m’aurait posé aucun problème. Mais penses-y bien : tout est centré sur Amin, d’où ce sentiment — je te cite à nouveau — que « les personnages disparaissent beaucoup trop rapidement et n’ont souvent aucune ampleur ».

J'ai l'impression que Kechiche veut questionner cette position, justement. Peut-être pas d'un point de vue moral, mais plutôt de celui du désir. Comment cette position, en fait, de léger retrait (mais pas total), permet la circulation des désirs (ou bien la précipite).
Bon, mais en effet, le gros problème, c'est que rien n'est renvoyé, opposé, ni contesté à Amin. Et le cinéma lui arrive comme par enchantement (il suffit de ne rien faire, et le producteur américain débarque, et la scène de thriller érotique dans la foulée).
Si, peut-être que quelqu'un lui oppose quelque chose : l'actrice américaine, qui ne veut plus jouer, qui préfère manger. (Mais cela joue en faveur d'Amin. On se dit : donc elle se fiche du cinéma, donc le désir d'Amin est bien plus pur, bien plus vrai. Et de toute façon le film continue de suivre Amin, ne bifurque jamais.)
Le moment qui m'a le plus ému dans le film, c'est celui où Amin apporte les billets de train à Ophélie. Là, chez Ophélie, il y a quelque chose qui ne se déclare pas tout à fait, mais on sent qu'elle pourrait récupérer le premier rôle, on sent que la caméra pourrait rester avec elle, laisser Amin partir. Hélas, ça n'a pas lieu.
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Mr-Orange
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:32 En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...

J’ai bien voire beaucoup aimé le film, mais je suis complètement d’accord avec ça. Mon adhésion repose inévitablement en partie sur une forme de mélancolie, celle de retrouver une bande qu’on voulait tous revoir bien plus tôt, et qu’on ne reverra pas autant qu’on nous l’avait initialement promis - le temps de 3 chants et un intermède. D’autant que ce sont des fantômes que l’on voit, puisque ce sont des images d’un temps antérieur à la polémique, qui a mis un terme et à la trilogie intégrale, et (hélas) probablement un terme aux carrières de Kechiche et de la plupart de ses acteurs.

Mais c’est aussi ce qui lui donne une beauté toute particulière, une mélancolie sourde, une nostalgie de ce qui dépasse le champ (les corps, relégués presque systématiquement hors du cadre au profit de gros plans sur les visages, de simples tranches de vie exclues du champ au profit de péripéties narratives à l’artificialité toute assumée) dont je ne trouve pas d’équivalent dans le cinéma.

Je note d’ailleurs que même Begaudeau – qui répète très souvent que sa méthode critique tient à regarder rien que le film, mais tout le film – passe plus de temps à commenter ce qui entoure le film que la fabrique même des scènes, ce que son interlocuteur ne manque d’ailleurs pas de lui faire remarquer.


Ma petite réserve, plus banalement, tient davantage au délaissement du naturalisme et de la quête de la vitalité de tranches de vie de la jeunesse sétoise au profit de ficelles narratives. Pourtant, j’aime toutes les scènes dans la villa, parce qu’elles ont une vitalité qui leur est propre. Plus précisément, c’est ce qui se passe après le coup de feu qui me gêne un peu, notamment à l’hôpital. @Tyra écrivait que les scènes avec le personnel et les patients de l’hôpital étaient d’un remarquable naturel ; je ne trouve pas, justement. J’ai revu récemment Énorme, et ce Canto Due souffre vraiment de la comparaison : là où Letourneur capte parfaitement le réel, notamment dans les scènes quasi-documentaires de l’hôpital (qui me feraient presque dire qu’il s’agit d’un des plus grands films de tous les temps), par ailleurs hilarantes (ce qu’essaient aussi d’être les scènes de ce Mektoub, moins drôles), Kechiche me donne plutôt l’impression de le singer.
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Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 12:39 J’ai revu récemment Énorme, et ce Canto Due souffre vraiment de la comparaison : là où Letourneur capte parfaitement le réel, notamment dans les scènes quasi-documentaires de l’hôpital (qui me feraient presque dire qu’il s’agit d’un des plus grands films de tous les temps), par ailleurs hilarantes (ce qu’essaient aussi d’être les scènes de ce Mektoub, moins drôles), Kechiche me donne plutôt l’impression de le singer.
:jap:

À la fin, Kechiche fait du Ladj Ly (Les Misérables — je l’ai revu : plutôt mauvais film, et quel idiot j’ai été de l’avoir autant aimé la première fois).
Mais c’est ça, le cinéma : il peut facilement nous tromper
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Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 12:39
Je note d’ailleurs que même Begaudeau – qui répète très souvent que sa méthode critique tient à regarder rien que le film, mais tout le film – passe plus de temps à commenter ce qui entoure le film que la fabrique même des scènes, ce que son interlocuteur ne manque d’ailleurs pas de lui faire remarquer.
Bégaudeau exprime beaucoup de réserves, mais comme il doit, pour une raison extrinsèque au film, le défendre, il n’est pas du tout convaincant (contrairement à ce qu’il était, par exemple, à propos de Une bataille après l’autre)
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Est-ce que, par ailleurs, quelqu’un sait si certaines scènes du film ont été recadrées pour éviter toute nouvelle polémique de « male gaze » ? Les gros plans ne sont pas une nouveauté chez Kechiche, mais certains plans me semblent quand même assez verrouillés.
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asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:32 En fait, j'ai surtout l'impression que le film ne marche qu'avec le souvenir du précédent. Car les personnages, ici, disparaissent beaucoup trop rapidement, n'ont souvent aucune ampleur. L'histoire avec le couple états-unien prend toute la place, mais on dirait qu'il n'ose pas entièrement la prendre. Et le film est un peu dans un entre-deux, m'a-t-il semblé. Pas tout à fait prêt à jouer le vieux thriller de la villa de la côte d'azur (et tant mieux !), mais pas assez libre non plus pour donner à la mère, à la parisienne, à l'oncle, à Dany, plus de reliefs que prévu, plus d'échappées...

:hello: :love2:


Je suis content de te voir revenir ici pour parler de ce film, car pour moi tu avais écrit la chose la plus juste et belle sur Canto Uno quand tu l'avais découvert.
C'était que le cinéma de Kechiche une croyance très forte, probablement discutable et douteuse (car tout l'est chez Kechiche) qu'un corps ne resplendit qu'une fois et que la vie n'a qu'un temps, qu'il y a une urgence à attraper toute la vitalité possible car les vies seront devenues trop tristes et que personne n'y croira autant que cet été-là. Repenser à ces mots après la vision du premier volet ne peut que confirmer la cohérence de ce second volet. Dans Canto Uno Kechiche épousait, accompagnait cet instant de grâce (sans ne jamais oublier la mort - la tante à l'hôpital, Clément rodant sur le Charles de Gaulles au loin), il y avait donc un déploiement possible, une fluidité dans la circulation des désirs, une indolence souverraine. Dans Canto Due Kechiche filme précisément la fin de cet instant "où on y a cru", on cherche d'autres manières de croire, d'autres endroits qu'on se met à fantasmer (Paris ou Los Angleles, Hollywood), on s'en remet à la fiction (hollywoodienne comme sociale - les flics et leurs clichés racistes, l'hôpital avec son personnel fan du feuilleton de Jessica) sans y croire vraiment (effectivement les personnages sont extrêmement désorganisés dans leurs opérations, et le film brille par son humour, son absence de sérieux). A rebours de la plénitude du premier, il y a là un empressement, c'est indéniable : les scènes, les personnages se bousculent, affirment tous quelque chose qu'il leur coûte d'affirmer car le crépuscule de l'été est arrivé et qu'ils ne peuvent se résoudre à laisser échapper pleinement ce qui a été cueilli. Il y a quelque chose qui plane au dessus et dans les regards, c'est cette conscience que ce qu'on a vécu ensemble se clôt, d'où l'empressement narratif et formel du film. Un des personnages les plus émouvants pour moi est celui de Céline : elle sent qu'Amin va lui échapper, alors elle verbalise son désir, et s'en remet au destin qui les fera peut-être se retrouver, par delà l'été. Dany revient de Madagascar, un peu après tout le monde, trop tard. Marie, la jeune parisienne, est accueillie dans le groupe, mais elle arrive trop tard aussi, c'est déjà presque fini. Kechiche fait quand même la scène, et c'est en ça que son cinéma n'est pas dévitalisé : garder l'apparition plutôt que de l'enlever du film car elle n'aura pas de suite narrative. Je vois donc ce que tu veux dire sur le manque d'ampleur. Moi j'y vois plutôt un film fait au trop tard. D'abord c'est cohérent avec ce que Kechiche raconte, et ensuite, je trouve que sa mise en scène n'a jamais été aussi précise, affutée. Je songe à la scène du billard : le dernier plan sur le sourire de Dany est comme une apparition, je ne l'oublierai jamais. Et du reste chaque plan sur Marie, Kamel, Delinda, Ophélie, le dernier regard, le dernier baiser, le dernier désir, la dernière danse, la dernière photo, ont forme d'adieu et sont d'une puissance saisissantes. Ces vies deviendront autre chose et c'est à ce seuil que Kechiche s'arrête, mais ces virtualités sont bien dans le film, inscrites sur les visages, dans les regards. Ophélie va se marier, pense déjà au divorce, etc. Il y a bien une ampleur là dedans, mais c'est une ampleur qui est circonscrite à l'instant finissant : on va sortir de ça, on va traverser le miroir, et on ne vivra plus jamais de la même façon.

Tu as raison : le film ne marche qu'en souvenir du précédent, en reflet (le motif du miroir était justement totalement absent du premier, il est omniprésent dans celui ci). En même temps c'est Canto Uno, et Canto Due. Donc ça ne me gêne pas. On peut aussi dire que les personnages sont comme des souvenirs d'eux-même, qu'à l'enthousiasme collectif qui faisait l'espace du premier se substitue un film où chacun est posé dans son coin, Amin circulant entre les différents pôles. Mais ça marche car Kechiche, comme d'habitude, se pose avec eux, et creuse les scènes, les fait durer jusqu'à l'excès. Jusqu'à ces dernier gestes que je décrivais plus haut qui scellent à la fois cette période bénie (il y a cet aspect religieux chez Kechiche) et ouvre un horizon qui sera forcément plus dur. Le film est clôture et passage, il tient les deux gestes fermement : Amin court mais c'est la nuit, et le paysage autour de lui s'efface.

Amin, justement. Je ne crois pas ni que Kechiche l'épargne, ni que ce serait un personnage moins intéressant que les autres. Il est clivé et empêché comme tout le monde. La différence c'est que lui s'en remet au regard. Amin est ce personnage qui croit que le regard suffit, que la vie ne va être que regarder. Mais le film ne cesse d'interroger cette position de pur regardant, de montrer ce qui en fait sa beauté, et sa limite - quand Jessica lui confie ses désillusions, son écoute est surpassée par sa gène. D'ailleurs c'est Jessica qui voit, très vite, pas lui : tu es innocent, tu ne devrais pas être réalisateur, ah tu aimes avoir des filles autour de toi?, tu n'es pas si pur en fait, tu pourrais être réalisateur. Du regard au voyeurisme, du retrait souverrain à la contribution passive à l'état du monde, il n'y qu'un pas, et Kechiche a toujours interrogé ça.

Le clivage d'Amin ne vient pas de nulle part, et une nouvelle fois tu l'écrivais à l'époque : le monde de Mektoub est un enfer qui aurait existé parce qu'un jeune homme aurait refusé de dire à une jeune fille qu'il l'aimait. Je crois que si on ne comprend pas ça, on peut voir Amin comme un personnage creux, trop protégé. Evidemment que Kechiche s'intéresse moins à la relation Amin/Charlotte que celle d'Amin/Ophélie. Parce que c'est précisément l'endroit d'empêchement d'Amin qui l'intéresse, et le pousse à croire à des chimères, des mauvaises fictions - retourner à la villa au lieu d'aller danser en boite. J'ajoute que j'ai trouvé formidable cette "mauvaise fiction" dans lequel le film plonge. Dire adieu à la plénitude, c'est toujours plus concret avec un flingue, mais Kechiche sait ce que lui coûte ce saut dans la fiction.
« j’aurais voulu t’offrir cent mille cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l’appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous »
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sokol a écrit : dim. 7 déc. 2025 13:58
Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 12:39 J’ai revu récemment Énorme, et ce Canto Due souffre vraiment de la comparaison : là où Letourneur capte parfaitement le réel, notamment dans les scènes quasi-documentaires de l’hôpital (qui me feraient presque dire qu’il s’agit d’un des plus grands films de tous les temps), par ailleurs hilarantes (ce qu’essaient aussi d’être les scènes de ce Mektoub, moins drôles), Kechiche me donne plutôt l’impression de le singer.
:jap:

À la fin, Kechiche fait du Ladj Ly (Les Misérables — je l’ai revu : plutôt mauvais film, et quel idiot j’ai été de l’avoir autant aimé la première fois).
Mais c’est ça, le cinéma : il peut facilement nous tromper

Ladj Ly fait monter la sauce pour faire exploser l'énergie, et jamais la regarder retomber, dans un espèce de virilisme cinématographique totalement rebutant (et du côté des flics bien sûr)
L'inverse de Kechiche qui campe les scènes et alterne entre montées, descentes, brusques envolées et retour au calme (et où le virilisme est totalement ridiculisé, voir les deux flics)
Modifié en dernier par B-Lyndon le lun. 8 déc. 2025 11:08, modifié 1 fois.
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Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 12:39 J’ai bien voire beaucoup aimé le film, mais je suis complètement d’accord avec ça. Mon adhésion repose inévitablement en partie sur une forme de mélancolie, celle de retrouver une bande qu’on voulait tous revoir bien plus tôt, et qu’on ne reverra pas autant qu’on nous l’avait initialement promis - le temps de 3 chants et un intermède. D’autant que ce sont des fantômes que l’on voit, puisque ce sont des images d’un temps antérieur à la polémique, qui a mis un terme et à la trilogie intégrale, et (hélas) probablement un terme aux carrières de Kechiche et de la plupart de ses acteurs.

Mais c’est aussi ce qui lui donne une beauté toute particulière, une mélancolie sourde, une nostalgie de ce qui dépasse le champ (les corps, relégués presque systématiquement hors du cadre au profit de gros plans sur les visages, de simples tranches de vie exclues du champ au profit de péripéties narratives à l’artificialité toute assumée) dont je ne trouve pas d’équivalent dans le cinéma.

Je note d’ailleurs que même Begaudeau – qui répète très souvent que sa méthode critique tient à regarder rien que le film, mais tout le film – passe plus de temps à commenter ce qui entoure le film que la fabrique même des scènes, ce que son interlocuteur ne manque d’ailleurs pas de lui faire remarquer.


:jap: :jap: :jap:

Précisément Bégaudeau parle de dramaturgie et jamais vraiment de mise en scène.
Je vais essayer de m'y coller dans un texte plus long sur le film, car je trouve que la mise en scène kechichienne n'a comme tu dis aucun équivalent.
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:56 Ladj Ly fait monter la sauce pour faire exploser l'énergie,
C'est ce que fait Kechiche les 30 dernières minutes, non ?
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:56 dans un espèce de virilisme cinématographique totalement rebutant (et du côté des flics bien sûr)
Chacun son virilisme non ? Kechiche fait le sien pendant quasiment 2h, du coté d'Amin (le 'regardant'). Regarder c'est cinématographique, non ?
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(Je réponds de manière un peu désorganisée et avec le temps que j’ai)
Tyra a écrit : ven. 5 déc. 2025 16:03 J'ajoute pour conclure que, malgré toutes les qualités que peut avoir ce cinéma là, je suis plus sensible à un cinéma où la caméra n'est pas seulement un instrument de captation, mais est aussi un instrument d'organisation.
J’avais loupé ce passage de ton texte, tu l’as ajouté après, non ? Car cette réserve me paraît très audible pour le coup. Je crois d’ailleurs que c’est ce qui rebute en majeure partie Sokol (le scénario dit-il n’est pas un problème pour lui) et qu’il n’y a pas à faire des dire au film des choses qu’il ne dit pas pour ça.

Bien sûr que la caméra est pour Kechiche un instrument de captation avant tout et bien sûr qu’on peut se reconnaître dans un autre cinéma. C’est d’ailleurs mon cas finalement. Mais la dedans Kechiche est le plus fort, c’est indéniable. Et je trouve qu’en serrant, serrant, serrant, et en faisait durer les scènes, il arrive à reconstituer les espaces autour qu’on voit finalement assez peu (la ferme, la villa) tout en creusant les espaces intérieurs de ses personnages : le moindre frémissement du visage devient un évènement. C’est aussi une forme d’organisation.
Modifié en dernier par B-Lyndon le lun. 8 déc. 2025 12:27, modifié 1 fois.
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:01
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:56 Ladj Ly fait monter la sauce pour faire exploser l'énergie,
C'est ce que fait Kechiche les 30 dernières minutes, non ?
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:56 dans un espèce de virilisme cinématographique totalement rebutant (et du côté des flics bien sûr)
Chacun son virilisme non ? Kechiche fait le sien pendant quasiment 2h, du coté d'Amin (le 'regardant'). Regarder c'est cinématographique, non ?

Non, la scène de l’hôpital n’est que montée d’énergie et redescentes (il y a même des moments, sur Jessica notamment, où Kechiche coupe le son assez longtemps)

Je ne vois pas en quoi regarder Amin regarder constitue un virilisme. Il y a bien une émotion à regarder les corps des filles, mais je vois dans ce regard beaucoup de douceur, de tendresse, bien sûr avec une part de fantasme mais pas que. Ladj Ly lui s’éclate juste à voir des mecs se bagarrer et des meufs pleurer dans les coulisses.
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D’autre part je pense que tu fais fausse route dans ton équation Amin = Kechiche. Que Amin soit a priori le vecteur du regard de Kechiche, sa rampe de lancement, c’est indéniable, surtout dans le premier volet (ce qui me fait dire que Canto Uno est le film d’Ophelie et Canto Due le film d’Amin). Mais Kechiche le regarde autant que les autres, en témoigne la scène du billard qui, si elle termine dans son regard, débute par ses vues plus globales de la scène où on voit précisément Amin promener ses yeux un peu partout. Les scènes des billets avec Ophélie : Amin part, la caméra reste sur Ophélie au moment où son regard est comme un aveu, et ca Amin ne le verra pas (comme d’hab il partira trop tôt). La scène avec Jessica dans la villa : la caméra ne décolle pas du visage de l’actrice, multiplie les axes sur elle, alors qu’Amin, gêné, baisse les yeux. Autant de détails (je parie déjà sur ta réponse) qui n’en sont pas, ou précisément parce que tout ce qui attrait au regard chez Kechiche ne fait pas détail, tout son cinéma est là.

Tu veux voir Amin comme un impensé de la mise en scène de Kechiche parce que le personnage te saoule. Je crois que tout ce qu’il fait de lui est extrêmement conscient, qu’il ne le laisse jamais tranquille.
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sokol a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:43
asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:20
Sokol, ne penses-tu pas que ce producteur sur la côte d'Azur, avec cette petite histoire de jalousie, est un hommage direct au Mépris ?
Moi, je ne sais pas si je marche ou pas. A vrai dire, on dit que ce sont des stars, mais c'est une star de série télé. Ce n'est pas Angelina Jolie qui devient amie avec le livreur UberEats. Donc pour moi ça passe.
J’ai pensé au Mépris également. À mon avis, Kechiche y a sans doute pensé lui aussi.

Oui, moi aussi j’ai été emporté. Le film ne me pose pas vraiment de problème du point de vue du scénario. Je crois que c’est Kechiche que j’aime assez peu : bon ou pas bon, réussi ou pas, La Vie d’Adèle n’est pas un film très honnête, et lorsqu’on en arrive là, ce n’est jamais tout à fait accidentel

Nous y voilà. Personnellement, Canto Uno a vraiment lavé tous les reproches que j’avais fait au Kechiche de La vie d’Adèle. Et ce film là est quand même beaucoup plus proche du premier volet ainsi que de La Graine et le Mulet (narrativement et formellement) que de sa palme d’or.
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42
Un des personnages les plus émouvants pour moi est celui de Céline : elle sent qu'Amin va lui échapper, alors elle verbalise son désir
Ben oui, c'est tellement facile ! L'occidentale ne peut que exprimer ses désirs; l'oriental taiseux, rêve déjà de ses 72 vierges, c'est ça ? Pfff...
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42Ophélie va se marier, pense déjà au divorce, etc.
C'est sympa pour elle ! :lol:

B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42 (il y a cet aspect religieux chez Kechiche)
De quelle religion parles tu ?

B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42Évidemment que Kechiche s'intéresse moins à la relation Amin/Charlotte que celle d'Amin/Ophélie. Parce que c'est précisément l'endroit d'empêchement d'Amin qui l'intéresse, et le pousse à croire à des chimères, des mauvaises fictions - retourner à la villa au lieu d'aller danser en boite.
Tu réponds par le scénario à un moment du film. Or, je ne parle pas de ce moment-là, mais des deux heures précédentes !
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Mr-Orange a écrit : dim. 7 déc. 2025 23:46 C'est surprenant que tu consacres l'essentiel de ton texte, donc de ta réserve, sur ce personnage. Le personnage d'Amin est en surplomb, définitivement, et oui, c'est un "ange"
Je te réponds ici pour suivre la discussion :
Le monde (au moins virtuel) est petit quand même : @B-Lyndon m’avait parlé d’un site dont nous trouvons tous les deux les critiques très difficiles à lire. Pour être honnête, celle concernant Mektoub est parfaitement lisible. Je viens d’y jeter un œil, et on y retrouve exactement ce que j’expliquais avant-hier, y compris à propos du prénom d’Amin :

Amin : ce prénom peut se traduire par « Ainsi soit-il », l’équivalent arabe du latin amen. Mektoub, My Love est une dilogie amputée de son intermède comme de son troisième volet. Une trinité auto-hétéro-mutilée, blessée par son auteur orgueilleux jusqu’au-boutiste autant que par ses détracteurs, saturée de fantasmes d’artiste total et de masculinité mal embouchée. Un holocauste personnel. C’est une prière aussi, un adieu au plaisir des yeux, le cinéma sacrifié sur l’autel d’une irréfrénable consumation.

https://nouvellesdufront.jimdofree.com/ ... -kechiche/ (et je suis du début à la fin d'accord avec leur critique)
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42
Un des personnages les plus émouvants pour moi est celui de Céline : elle sent qu'Amin va lui échapper, alors elle verbalise son désir
Ben oui, c'est tellement facile ! L'occidentale ne peut que exprimer ses désirs; l'oriental taiseux, rêve déjà de ses 72 vierges, c'est ça ? Pfff...
Amin rêve pas des 72 vierges, mais d'Ophélie. A qui il n'arrive pas à dire son désir, et c'est son drame. C'est beaucoup plus précis et concret, et ça n'épargne pas le personnage.
L'opposition oriental/occidental à l'endroit du désir ne marche pas du tout, et ce dans les deux films. C'est plutôt Tony qu'on voit coucher à tout va, c'est lui la "chaudasse" comme tu dis.
(Mais c'est un homme alors le terme ne te viendrait pas à l'esprit, comme par hasard... :sarcastic: )

sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42Ophélie va se marier, pense déjà au divorce, etc.
C'est sympa pour elle ! :lol:
Qu'est-ce qu'on peut répondre à ça ? La vie n'est pas sympa avec Ophélie, en effet. Elle n'est sympa avec personne : la puissance affirmative du désir ne suffit jamais (il faut se marier, avoir un enfant dans le cadre du mariage, sinon on risque d'être répudié, etc). On croit être sûrs de nos choix mais les choix se font pour nous, et personne ne sort de cette équation (pas même Amin).

sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42 (il y a cet aspect religieux chez Kechiche)
De quelle religion parles tu ?
Je me corrige : pas d'une religion en particulier, mais plutôt une forme de sacré (le Canto Uno s'ouvre sur une double citation de la Bible et du Coran)
sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42Évidemment que Kechiche s'intéresse moins à la relation Amin/Charlotte que celle d'Amin/Ophélie. Parce que c'est précisément l'endroit d'empêchement d'Amin qui l'intéresse, et le pousse à croire à des chimères, des mauvaises fictions - retourner à la villa au lieu d'aller danser en boite.
Tu réponds par le scénario à un moment du film. Or, je ne parle pas de ce moment-là, mais des deux heures précédentes !
Les deux heures précédentes préparent à cette fin !
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 13:11 L'opposition oriental/occidental à l'endroit du désir ne marche pas du tout, et ce dans les deux films.
Qu'est ce que t'en sais toi ??
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 13:11C'est plutôt Tony qu'on voit coucher à tout va, c'est lui la "chaudasse" comme tu dis.
(Mais c'est un homme alors le terme ne te viendrait pas à l'esprit, comme par hasard... :sarcastic: )
Bien sur que ça me vient à l’esprit : c'est un salopard ! Mais il n'est pas si mal filmé quand même, non ? ;) Et que je sache, ce n’est pas lui qui a failli à valider le film et a pris ses distances avec, mais bel et bien Ophélie Beau ;)


Qu'est-ce qu'on peut répondre à ça ? La vie n'est pas sympa avec Ophélie, en effet. Elle n'est sympa avec personne
La vie est très, très sympa pour... Amin ! Il fait trois ans d’études de médecine, puis il arrête. Ses parents (restaurateurs, classe moyenne quand même !) lui payent tout, même ses délires de « cinéaste », juste parce qu’il a un appareil photo à la main.

Je te l’ai déjà dit en privé : veux‑tu un film dont je n’ai pas la moindre réserve et qui filme un « regardant », comme tu dis si facilement ?
À soin image – de Peretti (Quoi de plus pertinent, pour parler d’un film, que d’en rappeler un autre ?)
Zéro voyeurisme ! Zéro parti pris !!
Image


(le Canto Uno s'ouvre sur une double citation de la Bible et du Coran)
Tout à fait. Et le film est bien plus religieux que tu ne le crois (si j’ai mentionné le cas Cristian Mungiu avant-hier, ce n’était pas innocent)
Les deux heures précédentes préparent à cette fin !
Ah tiens, Kechiche a droit de "préparer cette fin". Ladj Ly non :mrgreen2:
Modifié en dernier par sokol le lun. 8 déc. 2025 22:49, modifié 2 fois.
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:02 Et je trouve qu’en serrant, serrant, serrant, et en faisait durer les scènes, il arrive à reconstituer les espaces autour qu’on voit finalement assez peu (la ferme, la villa) tout en creusant les espaces intérieurs de ses personnages : le moindre frémissement du visage devient un évènement. C’est aussi une forme d’organisation.
Apparemment, on doit ça à Ghalya Lacroix, sa scénariste (il y en a qui sont mieux informé que toi :langue: ) :

"La chair reflue, la narration paraît plus serrée (merci, Ghalya Lacroix), avant de décrocher en fourchant sur la crête séparant sitcom et satire"
https://nouvellesdufront.jimdofree.com/ ... -kechiche/
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sokol a écrit : dim. 7 déc. 2025 00:01
asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.
Oui. Personne n'en parle de cet affect racial chez Kechiche, c'est bien que tu l'abordes. Dans les deux Mectoub et La graine : les "beurettes" sont belles, sensuelles, mais intouchables, les blanches des putes, les hommes blancs des cocus. Beurk.
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 10:42 Marie, la jeune parisienne, est accueillie dans le groupe, mais elle arrive trop tard aussi, c'est déjà presque fini.
Si certains l'ont en tête, je suis curieux de connaître la place de Marie (si c'est bien le prénom de la parisienne) et de Charlotte dans Canto Uno, ce sont des personnages que j'avais oublié s'ils y étaient.
Et j'ai vu que Marie avait l'air d'être sur l'affiche d'Intermezzo, est ce qu'elle y a une place prépondérante ? (Qui pourrait expliquer ce montage fugace dans Canto due ?)
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Tyra
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:02 (Je réponds de manière un peu désorganisée et avec le temps que j’ai)
Tyra a écrit : ven. 5 déc. 2025 16:03 J'ajoute pour conclure que, malgré toutes les qualités que peut avoir ce cinéma là, je suis plus sensible à un cinéma où la caméra n'est pas seulement un instrument de captation, mais est aussi un instrument d'organisation.
.

Bien sûr que la caméra est pour Kechiche un instrument de captation avant tout et bien sûr qu’on peut se reconnaître dans un autre cinéma. C’est d’ailleurs mon cas finalement. Mais la dedans Kechiche est le plus fort, c’est indéniable. Et je trouve qu’en serrant, serrant, serrant, et en faisait durer les scènes, il arrive à reconstituer les espaces autour qu’on voit finalement assez peu (la ferme, la villa) tout en creusant les espaces intérieurs de ses personnages : le moindre frémissement du visage devient un évènement. C’est aussi une forme d’organisation.
Oui, c'est aussi une forme d'organisation, puisqu'il y a mise en scène. Mais c'est la caméra qui s'ajuste à la scène, plutôt que l'inverse, pour le dire vite.
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Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:39
sokol a écrit : dim. 7 déc. 2025 00:01
asketoner a écrit : sam. 6 déc. 2025 22:26
Mais je ne vois pas du tout Ophélie comme tu la décris. Elle se débrouille comme elle peut, elle a du courage à sa mesure. Je trouve que c'est le plus beau personnage (c'est celui qui m'émeut le plus en tout cas).
Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.
Oui. Personne n'en parle de cet affect racial chez Kechiche, c'est bien que tu l'abordes. Dans les deux Mectoub et La graine : les "beurettes" sont belles, sensuelles, mais intouchables, les blanches des putes, les hommes blancs des cocus. Beurk.

Mais où est-ce que vous voyez des putes chez Kechiche, sans déconner ?

Bien sûr Ophélie est vue comme ça par les daronnes et la tata, mais à quel moment quoique ce soit dans la mise en scène légitimise cette vision là ?
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Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:45
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:02 (Je réponds de manière un peu désorganisée et avec le temps que j’ai)
Tyra a écrit : ven. 5 déc. 2025 16:03 J'ajoute pour conclure que, malgré toutes les qualités que peut avoir ce cinéma là, je suis plus sensible à un cinéma où la caméra n'est pas seulement un instrument de captation, mais est aussi un instrument d'organisation.
.

Bien sûr que la caméra est pour Kechiche un instrument de captation avant tout et bien sûr qu’on peut se reconnaître dans un autre cinéma. C’est d’ailleurs mon cas finalement. Mais la dedans Kechiche est le plus fort, c’est indéniable. Et je trouve qu’en serrant, serrant, serrant, et en faisait durer les scènes, il arrive à reconstituer les espaces autour qu’on voit finalement assez peu (la ferme, la villa) tout en creusant les espaces intérieurs de ses personnages : le moindre frémissement du visage devient un évènement. C’est aussi une forme d’organisation.
Oui, c'est aussi une forme d'organisation, puisqu'il y a mise en scène. Mais c'est la caméra qui s'ajuste à la scène, plutôt que l'inverse, pour le dire vite.
Oui je vois ce que tu veux dire, c'est la scène d'abord, tout à fait.
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:46
Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:39
sokol a écrit : dim. 7 déc. 2025 00:01

Ok, je vais m’y prendre différemment :
Dans ces deux films, tu as toute une bande de beurettes — on est d’accord — et pourtant la seule que l’on voit non seulement coucher à tout-va, mais aussi tromper gravement son compagnon, c’est… une blanche.
Oui. Personne n'en parle de cet affect racial chez Kechiche, c'est bien que tu l'abordes. Dans les deux Mectoub et La graine : les "beurettes" sont belles, sensuelles, mais intouchables, les blanches des putes, les hommes blancs des cocus. Beurk.

Mais où est-ce que vous voyez des putes chez Kechiche, sans déconner ?

Bien sûr Ophélie est vue comme ça par les daronnes et la tata, mais à quel moment quoique ce soit dans la mise en scène légitimise cette vision là ?
J'emploie ce mot parce que Sokol l'a utilisé, c'est un adjectif dénigrant, donc je vais dire de façon plus neutre que ce sont des femmes qui couchent (par oppositions aux femmes magrebines qui ne couchent pas), et qui trompent leur mec à chaque fois. 3 films, 3 schémas récurrents. Je m'interroge sur ce schéma. Evidemment, Kechiche, ne va jamais dire texto que ce sont des putes. Mais le regard qu'il porte sur elles, Ophélie et l'américaine...
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 14:04
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 13:11 L'opposition oriental/occidental à l'endroit du désir ne marche pas du tout, et ce dans les deux films.
Qu'est ce que t'en sais toi ??
Bah je regarde le film. Mon problème est que j'ai l'impression que tu intuites des choses que penserait Kechiche (et tu as peut-être raison, j'en sais rien, et le gars étant tellement infréquentable que c'est assez facile) et que tu les mets dans le film comme si elles étaient évidentes. Du genre Ophélie est filmée comme une pute et Kechiche est contre l'avortement. Ca plane totalement, car jusqu'à présent, tu n'as pas pu me le démontrer.
Je veux bien reconnaitre que les beurettes sont filmées différemment, ok. Je veux bien admettre que pour toi et Asky, le film est un peu court dans l'horizon qu'il dessine pour ses personnages. Je suis pas d'accord, mais ok, ça tient. Et donc ? En quoi ça fait d'Ophélie une pute ? Ca tu ne me l'explique pas (et je m'arrache les cheveux que je n'ai pas depuis trois jours pour essayer de le comprendre :lol: )
sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 14:04
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 13:11C'est plutôt Tony qu'on voit coucher à tout va, c'est lui la "chaudasse" comme tu dis.
(Mais c'est un homme alors le terme ne te viendrait pas à l'esprit, comme par hasard... :sarcastic: )
Bien sur que ça me vient à l’esprit : c'est un salopard ! Mais il n'est pas si mal filmé quand même, non ? ;) Et que je sache, ce n’est pas lui qui a failli à valider le film et a pris ses distances avec, mais bel et bien Ophélie Beau ;)
Il n'est pas si mal filmé (quoique son plan à poil à la fin est assez glaçant, on dirait une bête traquée) et Ophélie non plus ! Tous les plans où elle apparait sont splendides. Et la mise en scène est toujours avec elle. Parlons mise en scène d'ailleurs : quand elle est sous l'olivier sur la petite colline de la ferme et qu'en bas, la mère d'Amin lui pose, de manière assez mesquine, des questions sur son mariage. Il y a un champ contrechamp où, très clairement, on sent que Kechiche se tient du côté d'Ophélie. (Elle est plein cadre, en gros plan, la caméra capte le moindre mouvement de son visage ; et la mère est reléguée assez loin dans le champ de la longue focale)
Je parle du cynisme de la mère, ça me fait aussi penser à celui de la tante jouée par Hafsia Herzi, quand elle parle derrière le dos d'Ophélie dans le 1, et de Jessica dans la cuisine ici.
Les beurettes, comme tu dis, ne sont pas épargnées par la mesquinerie.

Effectivement, Amin n'est jamais mesquin "à priori". Mais même ça, Kechiche le renverse : le voyage à Paris avec Ophélie, ce sera aussi pour lui l'occasion de déclarer sa flamme à Ophélie, comme les photos de nu dans le Canto Uno viennent autant d'un désir artistique que voyeuriste (et chez Kechiche, les deux s'entremêlent en permanence). Quand sa mère lui dit "Elle sait que toi t'es droit, elle serait capable de se servir de toi sans te prévenir", elle ne sait pas que Amin le sait déjà, et donc qu'il n'est pas "si droit" à ses yeux qu'elle. Les billets de trains à son nom, aussi. Une ruse, un calcul, pour dire sans dire ce qu'il ressent au fond de lui (tiens, comme Alexandre qui ne sait pas dire à Veronika qu'il l'aime)

Et sur la dernière partie de ta phrase, c'est périphérique au film en soi. Le film a sa vie propre. Parce que je pourrai totalement t'opposer qu'Ophélie Bau accompagne le film en promotion, qu'elle l'a défendue à Locarno, qu'elle a déclaré qu' "Intermezzo était du passé, et place à Canto Due".

Je ne nie pas que Kechiche est un roublard, un sale type ou quoique ce soit. J'ai toujours pensé qu'il était sans doute humainement un peu bête, ou en tout cas schématique. Mais pour moi, ses affects sont parfaitement redistribués dans le film. Je ne vois pas de personnages sauvés quand d'autres seraient condamnés, vraiment pas. Je vois des vivants et des vivantes, des gens qui font ce qu'ils peuvent avec leurs empêchements, leurs contradictions, leurs désirs.

sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 14:04
sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44 Qu'est-ce qu'on peut répondre à ça ? La vie n'est pas sympa avec Ophélie, en effet. Elle n'est sympa avec personne
La vie est très, très sympa pour... Amin ! Il fait trois ans d’études de médecine, puis il arrête. Ses parents (restaurateurs, classe moyenne quand même !) lui payent tout, même ses délires de « cinéaste », juste parce qu’il a un appareil photo à la main.
Dans le premier volet, il est très clairement dit qu'Amin bosse en tant que serveur pour payer son loyer à Paris.
Mais bon, je t'accorde qu'il y a un vrai soutien familial vis à vis d'Amin. Primo, je trouve ça plutôt juste, sociologiquement parlant (et je suis content que Kechiche nous épargne le conflit parents/enfants sur la vocation artistique qu'on a vu mille fois). Deuxio, ce soutien est ambivalent : tout le monde fantasme un peu sa situation. Or, on sent que la vie d'Amin à Paris n'est précisément pas un rêve, qu'elle est un terreau de projection pour tout le monde (c'est quand même un type qui passe ses journées enfermées à regarder des films, qui sort parce que sa maman lui dit d'aller prendre le soleil, etc).

Ensuite, j'en viens à la réserve d'Asky : c'est Tony qui amène Amin à rencontrer le producteur américain, Amin lui n'en a pas branlé une. C'est Tony qui active à chaque fois les rencontres, qui guide Amin.
Et, franchement, vous pensez sérieusement que le producteur s'intéresse VRAIMENT au scénario d'Amin ? Il le fait car il sent que Jessica est stimulée par Amin et Tony, que son désir est capté par eux, et parce qu'il sent qu'il est en train de la perdre. Mais rien de tout ça n'est à prendre au sérieux.
sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 14:04 Je te l’ai déjà dit en privé : veux‑tu un film dont je n’ai pas la moindre réserve et qui filme un « regardant », comme tu dis si facilement ?
À soin image – de Peretti (Quoi de plus pertinent, pour parler d’un film, que d’en rappeler un autre ?)
Zéro voyeurisme ! Zéro parti pris !!
Image
Très beau film mais la comparaison a ses limites : A son image n'est pas vraiment un film sur le désir sexuel et/ou amoureux.
Forcément, c'est moins casse gueule. Tu peux au moins reconnaître à Kechiche de ne pas esquiver son sujet.

sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 14:04
sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44 (le Canto Uno s'ouvre sur une double citation de la Bible et du Coran)
Tout à fait. Et le film est bien plus religieux que tu ne le crois (si j’ai mentionné le cas Cristian Mungiu avant-hier, ce n’était pas innocent)
Je suis tout à fait d'accord avec toi sur Mungiu, il est bizarre sur l'avortement.
Mais Kechiche ???

sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 14:04
sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 12:44 Les deux heures précédentes préparent à cette fin !
Ah tiens, Kechiche a droit de "préparer cette fin". Ladj Ly non :mrgreen2:
Là tu es un peu de mauvaise foi et je sais que tu le sais :D
Ladj Ly a tout a fait le droit de préparer cette fin, ce n'était pas du tout mon objection ! Le dernier mouvement du Kechiche (du coup de feu à la course finale) est une série de montées d'énergies qui retombent en permanence. Ladj Ly, dès qu'on est dans l'insurrection, ça monte, ça monte, et ça ne s'arrête pas jusqu'à la fin, qui de fait paraît complètement hors-sol.
Modifié en dernier par B-Lyndon le lun. 8 déc. 2025 16:30, modifié 3 fois.
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Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:52
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:46
Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:39
Oui. Personne n'en parle de cet affect racial chez Kechiche, c'est bien que tu l'abordes. Dans les deux Mectoub et La graine : les "beurettes" sont belles, sensuelles, mais intouchables, les blanches des putes, les hommes blancs des cocus. Beurk.

Mais où est-ce que vous voyez des putes chez Kechiche, sans déconner ?

Bien sûr Ophélie est vue comme ça par les daronnes et la tata, mais à quel moment quoique ce soit dans la mise en scène légitimise cette vision là ?
J'emploie ce mot parce que Sokol l'a utilisé, c'est un adjectif dénigrant, donc je vais dire de façon plus neutre que ce sont des femmes qui couchent (par oppositions aux femmes magrebines qui ne couchent pas), et qui trompent leur mec à chaque fois. 3 films, 3 schémas récurrents. Je m'interroge sur ce schéma. Evidemment, Kechiche, ne va jamais dire texto que ce sont des putes. Mais le regard qu'il porte sur elles, Ophélie et l'américaine...

Je comprends mieux, en effet. On peut s'interroger sur l'imaginaire politique et social de Kechiche. Mais tant que je ne les sens pas dénigrées par le film ça ne me pose pas de problème. Encore une fois Kechiche fait les scènes et renverse les rapports en permanence.
Pour moi, le film, s'il suit Amin "narrativement", est "formellement" avec Jessica et Ophélie dès qu'elles apparaissent. Il dépasse totalement le regard d'Amin (j'en ai déjà donné des exemples un peu plus haut en répondant à Sokol sur le problème Amin/Kechiche)

Bon je fais un peu l'attaché de presse du film vu que je suis le seul à être enthousiaste, c'est du sport, mais c'est assez stimulant :D !
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Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:52 ce sont des femmes qui couchent (par oppositions aux femmes magrébines qui ne couchent pas), et qui trompent leur mec à chaque fois. 3 films, 3 schémas récurrents. Je m'interroge sur ce schéma. Évidemment, Kechiche, ne va jamais dire texto que ce sont des putes. Mais le regard qu'il porte sur elles, Ophélie et l'américaine...
Ah tiens, il fait ça dans La Graine et le Mulet aussi ? :lol: Je ne m’en souviens plus vraiment — ça remonte à tellement longtemps.

PS : pour être honnête, quand j’ai appris qu’Ophélie voulait avorter aussi, l’idée de quitter le cinéma m’a traversé l’esprit pendant une fraction de seconde. Mais, comme le rappelait Godard : « Le monde est simple par nature, et c’est l’homme qui l’a compliqué : regardez, il a même inventé une caméra pour le filmer, alors qu’il se suffit à lui-même». Alors on reste, parce que c’est du cinéma

On dit souvent que la chair est triste ; mais parfois, c’est le cinéma qui l’est — surtout lorsqu’il devient un objectif en soi. C’est probablement ce qu’Ophélie Beau a ressenti, ou ce qu’on lui a fait sentir (je ne crois pas être le seul à avoir perçu le film de cette façon), au point qu’elle s’y oppose tant qu’elle le pouvait et qu’elle finisse par accepter, à reculons, les deux opus.
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:28
Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 15:52 ce sont des femmes qui couchent (par oppositions aux femmes magrébines qui ne couchent pas), et qui trompent leur mec à chaque fois. 3 films, 3 schémas récurrents. Je m'interroge sur ce schéma. Évidemment, Kechiche, ne va jamais dire texto que ce sont des putes. Mais le regard qu'il porte sur elles, Ophélie et l'américaine...
Ah tiens, il fait ça dans La Graine et le Mulet aussi ? :lol: Je ne m’en souviens plus vraiment — ça remonte à tellement longtemps.
Oui, le proprio de la péniche est le cocu, sa femme le trompe avec le coureur de la famille, je crois même que c'est la première scène du film.
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:15 que tu intuites des choses que penserait Kechiche et tu as peut-être raison, j'en sais rien, et le gars étant tellement infréquentable que c'est assez facile
Deux choses en une : si le gars est infréquentable, comment arrive-t-il alors à faire de bons (beaux, grands, importants) films sur des sujets comme ça ? C’est impossible, alors !
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:28
On dit souvent que la chair est triste ; mais parfois, c’est le cinéma qui l’est — surtout lorsqu’il devient un objectif en soi. C’est probablement ce qu’Ophélie Beau a ressenti, ou ce qu’on lui a fait sentir (je ne crois pas être le seul à avoir perçu le film de cette façon), au point qu’elle s’y oppose tant qu’elle le pouvait et qu’elle finisse par accepter, à reculons, les deux opus.

Tu touches à un truc très juste du reproche habituellement fait, un peu par tout le monde (actrices, techniciens, spectateurs), au cinéma de Kechiche. Jusqu'où a t-on le droit d'aller pour filmer l'intimité des êtres ?
A cet endroit là, je peux totalement comprendre la réserve, qui est d'ordre morale (ce n'est pas un gros mot dans ma bouche)
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:35
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:15 que tu intuites des choses que penserait Kechiche et tu as peut-être raison, j'en sais rien, et le gars étant tellement infréquentable que c'est assez facile
Deux choses en une : si le gars est infréquentable, comment arrive-t-il alors à faire de bons (beaux, grands, importants) films sur des sujets comme ça ? C’est impossible, alors !
Bah la preuve : ces deux films :mrsaint:
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B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:15
Les beurettes, comme tu dis, ne sont pas épargnées par la mesquinerie.
Bien vu ! Mais, ma foi, la putasserie est bien plus grave que la mesquinerie, surtout dans un film qui traite du sujet de la chair, non ? ;)
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:40
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:15
Les beurettes, comme tu dis, ne sont pas épargnées par la mesquinerie.
Bien vu ! Mais, ma foi, la putasserie est bien plus grave que la mesquinerie, surtout dans un film qui traite du sujet de la chair, non ? ;)
Peut-être plus grave pour toi, mais pas pour Kechiche, car de putasserie je n'en vois rien dans le film !
Avec la mesquinerie oui, il est intraitable.
Très clairement, le film n'est pas avec Delinda, Camélia et Atika quand elles attaquent Ophélie dans son dos - d'ailleurs la scène qui suit montre Céline venir draguer Amin et Ophélie, dans une lumière splendide (ça compte chez Kechiche) et une fluidité de mouvements et de regards extraordinaires.
Enfin, quand même, revois Canto Uno : l'affirmation du désir est tout le temps célébré par la caméra !

(Et ok, je comprends et vous accorde qu'il y a peut-être une inégalité de représentation à priori, et peut-être cette idée un peu douteuse : les arabes (Tony) décoincent les blanches et activent leur désir. Mais déjà c'est incarné (je sens très sincèrement l'amour qu'Ophélie ressent pour Tony) et je ne vois jamais en quoi c'est dénigré par le film)
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:40
B-Lyndon a écrit : lun. 8 déc. 2025 16:15
Les beurettes, comme tu dis, ne sont pas épargnées par la mesquinerie.
,,

Bien vu ! Mais, ma foi, la putasserie est bien plus grave que la mesquinerie, surtout dans un film qui traite du sujet de la chair, non ? ;)
Je viens soudainement de me rappeler de ce plan horrible sur l'américaine qui s'essuie le sexe aux toilettes à l'hôpital vers la fin. Kechiche ne filmerait jamais une Hafsia Herzi ou toute autre actrice d'origine magrébine de cette manière, j'en suis persuadé. Il en va de même pour Ophélie Bau, Lea Seydou ou Adèle Exarchopoulos, toutes dénudées et sexualisée de pars leurs origines, ne faisant pas partie du clan.
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J’ai hâte de voir le film, vu comment vous en parlez il doit être très stimulant. :love:

Par contre, il y a 2-3 remarques que je trouve assez spéciales quand même dans tout ce que je viens de lire. :crazy:

Mais… j’attends de le voir avant de (peut-être) me joindre à la bataille. ;) :D
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Kahled a écrit : lun. 8 déc. 2025 22:15 J’ai hâte de voir le film, vu comment vous en parlez il doit être très stimulant. :love:

Par contre, il y a 2-3 remarques que je trouve assez spéciales quand même dans tout ce que je viens de lire. :crazy:

Mais… j’attends de le voir avant de (peut-être) me joindre à la bataille. ;) :D
Mais t’es fou ou quoi ?? :hypnose: :D Pourquoi tu nous lis or tu n’as pas encore vu le film ??
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sokol a écrit : lun. 8 déc. 2025 23:03
Kahled a écrit : lun. 8 déc. 2025 22:15 J’ai hâte de voir le film, vu comment vous en parlez il doit être très stimulant. :love:

Par contre, il y a 2-3 remarques que je trouve assez spéciales quand même dans tout ce que je viens de lire. :crazy:

Mais… j’attends de le voir avant de (peut-être) me joindre à la bataille. ;) :D
Mais t’es fou ou quoi ?? :hypnose: :D Pourquoi tu nous lis or tu n’as pas encore vu le film ??
Parce que je me connais et je sais que je vais oublier la très grande partie de ce que j’ai lu (devant l’écran tout mes souvenirs s’envolent).
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Tyra a écrit : lun. 8 déc. 2025 21:57
Je viens soudainement de me rappeler de ce plan horrible sur l'américaine qui s'essuie le sexe aux toilettes à l'hôpital vers la fin. Kechiche ne filmerait jamais une Hafsia Herzi ou toute autre actrice d'origine magrébine de cette manière, j'en suis persuadé. Il en va de même pour Ophélie Bau, Lea Seydou ou Adèle Exarchopoulos, toutes dénudées et sexualisée de pars leurs origines, ne faisant pas partie du clan.
:jap:

Mais on peut faire plus simple encore : dans ce film, une bonne partie des acteurs conservent leurs propres prénoms. Dès lors, pourquoi le personnage principal n’en ferait-il pas autant ? Pourquoi ne pas l’avoir laissé s’appeler Shaïn — son véritable prénom — qu’il porte, dit-il, en hommage au cinéaste égyptien Youssef Chahine, ce qui l’honore d’ailleurs ! Pourquoi, au contraire, devenir Amin ? (Amen) ;)

Et au même moment, je me surprend à penser que si Kechiche avait réellement des couilles (puisqu’il filme même des cunnilingus qui durent des dizaines de minutes), il aurait appelé son héros Mohamed, le prénom le plus répandu parmi les Maghrébins ! Tant qu’à ne pas garder le vrai prénom de son acteur.

À vrai dire, un seul cinéaste, selon moi, parvient vraiment à filmer les personnes d’origine maghrébine en France : Philippe Faucon (Hafsia Herzi, pour sa part, n’y arrive pas davantage, et j’ai ma petite idée sur les raisons — mais c’est une autre histoire).
Je suis conscient que Faucon ne possède pas, disons, le génie formel de Kechiche, mais cela ne doit pas nous empêcher de distinguer la morale d’un film — et je rejoins @B-Lyndon lorsqu’il dit que le mot “moral” n’est pas un gros mot dans sa bouche — de son seul aspect artistique.
Peut-être, d’ailleurs, que la réponse se trouve dans la question que relance @B-Lyndon : Jusqu’où peut-on aller pour filmer l’intimité des êtres ?

On se souvient que, dans Adieu au langage, Godard filma quelqu’un en train de déféquer. Il expliquait plus tard qu’il tentait ce geste depuis des décennies, sans jamais y parvenir. Il a réussi qu’à la toute fin de sa carrière.

Certes, nul n’est Godard ; mais, dans un contexte pareil, je préfère encore être — au moins — Philippe Faucon. Et pas Kechiche
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Kathryn Bigelow enchâsse son film entre deux éléments significatifs. Tout débute avec un bref film d'animation résumant l"histoire de l'Amérique aux grandes lignes des conquêtes coloniales et des luttes des classes/luttes de races. Puis se clôt avec photographies d'époques et anecdotes sur la vie des protagonistes durant les années ayant suivi les évènements dépeints. Il y a de la sorte une volonté d'inscrire l’œuvre dans un contexte beaucoup plus large que celui de sa simple narration. Il est intéressant de constater que cette très grande échelle rentre en dialogue avec ce qui constitue l'essentiel du film : non pas les émeutes dans leur ensemble, mais un évènement s'étant déroulé sur quelques heures et quelques mètres carrés, entre quelques personnes. Bigelow trouve dans l'affaire du motel Algiers un modèle réduit incarnant le poids de tous le racisme systémique gangrénant les USA. L'ambition est grande, l'exercice périlleux. Pourtant si la réalisatrice transforme son essai c'est que, bien que se positionnant clairement du côté des victimes, elle évite pourtant tout manichéisme, ne ploie pas devant la complexité de la situation ni des personnages dépeints, refusant les facilités habituelles du cinéma hollywoodien. Il est d'ailleurs intéressant de voir à quel point "le faux", ou "ce qui trompe" occupe une place si importante au sein du film, au point de devenir un moteur essentiel. On pense bien sur au "pistolet jouet", qui déclenche l'assaut, mais aussi au "jeu de rôle" que mettent en place les flics dans le motel, avant que l'un d'eux se trompe de règle et fasse advenir l'horreur. Tout était annoncé dès la première scène d'ouverture dans laquelle un des participants de la fête se révèle être un flic infiltré, qui conduira au début des émeutes. En soulignant ces éléments "faux" peut-être Bigelow nous parle-t-elle du procédé cinématographique qu'elle met en place sous nos yeux : elle passe par le faux (en reconstituant, fictionnalisant, brodant autour des éléments historiques à disposition) pour mieux faire ressortir la vérité des faits, d'une époque, d'une société.


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Le point névralgique du film n'est pas fictionnel mais documentaire (au sens large du mot) : la (véridique) réécriture d'un poème de Haïm Gouri par un groupe nationaliste, détournant ses paroles en un hymne guerrier. Quand les images de leur "clip" surgissent à l'écran, entre visuels kitchs et chœur d'enfants instrumentalisés, elles ne dénotent pas du tout avec ce qui se passe avant ou après. Nous comprenons de la sorte que l'ensemble du projet du film est construit autour de la folie de ce "poème", que tout est mis en place pour arriver "à son niveau". Arriver à son niveau mais peut-être plutôt la dépasser encore, car ces paroles sanguinolentes ne sont autre que les paroles que Y. doit mettre en musique pour le nouvel hymne national israélien post-7 octobre. Le pont est jeté entre fiction et réalité pour dresser le portrait d'une société malade d'elle-même. L'expérience est tortueuse, pour ne pas dire scabreuse.

D'énergie Lapid n'en manque pas, peut-être même en-a-t-il trop ? Papillonnant entre milles idées plus ou moins bonnes, il peine à donner consistance à son projet et à son propos, ce qui est un comble pour un film de près de 2h30. Si il faut jouer au jeu des comparaisons nous pourrions dire que Oui est un mélange outrancier entre L'Idiot et La Grande Bellezza à la sauce Tel Aviv. Il y a aussi quelque chose de très slap-stickesque dans la première partie et dans l'énergie qui habite Y. (et parfois la caméra) tout du long. Ce n'est pas un hasard : l'enjeu du slapstick est toujours celui de l'espace, sujet-en creux du film et du territoire de la Bande de Gaza. A ce titre la présence d'un chapeau "panama" dans l'appartement du couple n'est sans doute pas un hasard : couvre-chef incontournable d'Elia Suleiman, réalisateur "de l'autre côté du mur" qui utilise lui aussi le slapstick, dans une toute autre approche néanmoins.

Bien que dans l'ensemble le film soit une déception, il n'est jamais meilleur que dans sa deuxième partie lorsque le rythme s'apaise pour se transformer en road-trip à travers Israel. De l'ouest vers l'Est, de la Mer Morte à Gaza, Lapid retrouve son sens du territoire et du langage, ce qui à fait la force de son propos et de son cinéma dans ses trois précédents films. La longue scène depuis la bordure de Gaza est la plus saisissante, la plus forte aussi, à deux pas du mur, des bombes, des fumées (elle est sur l'affiche du film bordel, auquel le perso tourne le dos : c'est pas rien !), renforçant la place totalement "hors-sol" du Tel Aviv du reste du film, pourtant si proche de son inconscient gaziote. Lapid aurait-il du tourner en Palestine disent certains ? Peut-être, mais à mon sens une telle idée n'est pas tant impensable qu'infaisable (vraiment, je le dis en ayant été sur place : concrètement dans les faits je pense que c'est strictement impossible). Il aurait pu trouver des subterfuges divers pour que Palestine/Palestiniens ne restent pas totalement hors-champs mais peut-être est-ce mieux qu'ils restent ainsi tant c'est exactement ce qu'ils représentent dans l'esprit de la société qu'il tente de dépeindre. Le film se conclue d'ailleurs par un départ vers une île. Ou plutôt une fuite, somme toute assez étrange, qui semble avant tout servir à conclure l'arc narratif du couple (qui occupe bien trop de place et aurait pu être grandement expurgé pour donner un film plus solide) que pour clore la question du portrait détraqué de la société auquel il était occupé depuis le départ. A vouloir trop en faire, on finit par se demander à quoi le film peut bien rimer. Le problème qui se pose à Nadav Lapid n'est au final peut-être pas celui de l'espace mais du temps : celui qui lui aurait été nécessaire entre les évènements du 7-octobre et sa réalisation pour proposer une approche plus incisive.
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